Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

MAQUIS du MORVAN :La Compagnie André du 5 juillet 1944 au 28 septembre 1944 - par Hubert CLOIX - Partie XI la BATAILLE DE CRUX-LA-VILLE
05-11-2011

BATAILLE DE CRUX-LA-VILLE

12 au 17 août 1944

BATAILLE DE CRUX-LA-VILLE

12 au 17 août 1944

 

Le texte ci-dessous reproduit un document rédigé il y a plus de cinquante ans. Il concerne la compagnie ANDRÉ qui a combattu sous les ordres du lieutenant André de VENGEANCE et du maquis MARIAUX, considéré comme VENGEANCE.

Avertissement :

Ce texte est intégral pour garder la spontanéité de l'auteur à cette époque. Que le lecteur pardonne les quelques doublons.

Le récit qui va suivre relate le déroulement de la bataille de Crux-la-Ville, dans la Nièvre, entre les maquisards français et les unités allemandes venues pour les exterminer.

Les combats meurtriers qui ont duré six jours. Les 535 hommes du maquis MARIAUX, les 263 hommes du maquis JULIEN et les 150 hommes du lieutenant André (colonel Guyot), venus du Morvan pour les dégager, ont tenu en échec 4500 Allemands et les ont forcer à se replier.

Les pertes furent sévères de part et d'autre :

- 21 morts pour le maquis MARIAUX et 40 blessés graves

- 11 morts pour le maquis JULIEN et 15 blessés graves

-         330 morts du côté allemand et 86 blessés graves

L'état-major allemand, en engageant des moyens si importants en hommes et en matériel, s'était fixé trois objectifs :

- anéantissement de deux maquis

- déstabilisation des maquis du Morvan

- démoralisation des populations.

Aucun de ces objectifs n'a été atteint. Bien au contraire, la volonté de résistance des F.F.I. et le soutien des populations se sont trouvés renforcer.

 

Bibliographie:

- revue historique des armées juin 1948 : article du commandant Vessereau qui commandait le maquis MARIAUX (futur général Vessereau)

- rapport rédigé pour l'état-major départemental F.F.I. le 23 août 1944 par le lieutenant André

- maquis Mariaux par Pierre Ducroc - Éditions Nivernais-Morvan

- « Le soufflet de forge de Pierre Hennegier dit Julien chef du maquis de ce nom, journal de marche du maquis DANIEL.

 

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Quand on évoque les grandes batailles de la Résistance, on pense d'abord aux drames du Vercors, du plateau des Glières, du Mont Mouchet, de Saint-Marcel, où des maquisards furent encerclés et attaqués par des forces supérieures en nombre et en équipement. A court de munitions, ces jeunes qui n'avaient pour la plupart jamais subi le baptême du feu, furent massacrés par un ennemi aguerri, bien décidé à les exterminer.

Pour les combats de Saint-Marcel, en Bretagne, la situation est différente. Là, des résistants et des parachutistes des Forces Françaises Libres constituèrent une zone de résistance derrière le front de Normandie. Repris par les Allemands, ils furent attaqués violemment. 2400 Français, contre 2000 ennemis. Les combats n'ont duré qu'une journée et dès la nuit, un décrochage systématique a permis de limiter les pertes. (Une partie des maquisards n'avaient pas d'armes).

Cependant personne ou presque n’a raconté Crux-la-Ville. Cette petite localité de la Nièvre où en août 1944, eut lieu une vraie bataille entre les Forces Françaises de l'Intérieur et la Wehrmacht. Par sa durée d'une part, et par les effectifs en présence d'autre part, cette bataille est la deuxième en importance de celles engagées entre Allemands et maquisards.

C'est une bataille complète en ce sens que toutes les phases du combat d'infanterie s'y succédèrent : marches d'approche, prise de contact, installation en force sur des positions permettant le repli des maquis MARIAUX et JULIEN, contre attaque, combats de nuit, décrochage par éléments successifs sous menace d'un encerclement, retour dans notre zone après une longue et pénible marche.

 

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L’ENJEU

Lorsque, le 6 juin 1944, les forces alliées débarquent en Normandie, les unités combattantes allemandes, bien aguerries par plusieurs campagnes victorieuses, opposent une résistance opiniâtre.

Durant quelques jours, Hitler, trompé par l'opération ''Fortitude'' destinée à faire croire à un débarquement allié dans le Pas-de-Calais, refuse l'envoi des Panzer Division en Normandie. Cependant les responsables allemands connaissent bien le déséquilibre des forces : les approvisionnements en carburant et en munitions deviennent chaque jour plus difficiles par suite de la supériorité aérienne des alliés, et par suite de l'action chaque jour plus efficace des cheminots français et aussi des ''terroristes'', les résistants. Par ailleurs, les états-majors allemands connaissent l'existence d'une force de débarquement alliée prête à opérer en Méditerranée.

Pour I'O.K.W. « Ober Kommandant der Wehrmacht », il devient alors évident qu'un jour ou l'autre, les seuls axes disponibles pour évacuer les forces allemandes du sud-ouest de la France passeront par le Morvan.

Par un raisonnement semblable, mais inverse, le grand quartier général allié, décide d'établir dans cette région un bastion de résistance afin de forcer l'ennemi à maintenir des troupes dans cette région et retarder au maximum le reflux des renforts en direction du front de Normandie et, plus tard vers l'est de la France.

Pour ce faire, Londres facilite l'implantation de maquis et de nombreux parachutages d'armes et de munitions. Bien plus, deux escadrons de S.A.S. sont parachutés avec tout l'équipement nécessaire à des missions spéciales. Ils procèdent à des actions de sabotage décisives contre les installations ennemies. Ils viennent soutenir de leur puissance de feu des unités de maquisards durement accrochées par les Allemands, notamment lors de l'embuscade de Montigny-en-Morvan.

La présence de ces parachutistes produit un effet psychologique considérable aussi bien comme soutien pour les maquisards français, que comme épouvantail pour les Allemands. Ces derniers surestiment considérablement leurs effectifs et leur puissance de feu.

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LE THEATRE DES OPERATIONS

Le Morvan est un massif granitique recouvert de grandes forêts. On peut y circuler pendant des kilomètres sans sortir des bois. Deux axes seulement le traversent d'ouest en est : Nevers/Corbigny/Saulieu et Nevers/Château-Chinon/Autun. Les routes sinueuses serpentent souvent dans des vallées encaissées. Il est facile d'y monter des embuscades et de s’échapper dès que l'action se termine. L'étendue des bois permet l'implantation de maquis. Il y en a dans tout le département de la Nièvre.

Les Allemands font survoler régulièrement la région par le « mouchard », un avion d'observation Fiesler-Storch. Ils localisent une douzaine de camps principaux.

Les photos aériennes deviennent pour eux chaque jour plus inquiétantes. À l'état embryonnaire, au début du mois de juin, les camps prennent chaque jour de l'importance. Aux quelques baraquements éparses des premières semaines succède une véritable organisation avec cuisines, allées, place d'armes, parc automobile, avec atelier d'entretien des véhicules, service de santé, avec parfois un hôpital de campagne, des postes de garde.

Tous ces renseignements ne laissent pas d'inquiéter le commandement allemand qui voit les possibilités de retraite se réduirent un peu plus chaque jour.

Et puis, chose beaucoup plus inquiétante, l'état-major allemand apprend que des troupes britanniques ont été larguées sur le Morvan. Ce sont d'abord des bruits colportés par des ''on-dit'', mais bientôt confirmés par leurs services de renseignement. De plus, des unités de la Wehrmacht en déplacement les rencontrent. Il y a des accrochages meurtriers comme à Montigny-en-Morvan. Ces Anglais, deux escadrons SAS (Spécial Air Service) dont on sait la valeur combative depuis que les Allemands les ont rencontrés dans la campagne de Libye, constituent à eux seuls un danger beaucoup plus inquiétant que la horde de milliers de maquisards sans formation militaire et sans doute peu armée.

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LA TACTIQUE

Pour faire face à la situation nouvelle et à la nécessité de maintenir coûte que coûte la voie de la retraite vers l'Allemagne conformément aux instructions du "Befelshaber Nordost Frankreich'', deux conférences réunissent à Dijon sous la présidence du général Heydrich, une soixantaine d'officiers supérieurs.

Deux séries de mesures sont décidées. Tout d'abord, l'installation de garnisons relais dans des villes étapes, où les unités allemandes en déplacement trouveront un abri sûr dans une école ou une caserne facile à défendre. C'est ainsi que Nevers, Corbigny, Saulieu, Château-Chinon, Autun deviennent des villes refuges pour la Wehrmacht. Tout ce dispositif immobilise des hommes mais devient chaque jour plus nécessaire face àl’agressivité grandissante des F.F.I. (Forces Françaises de l'Intérieur).

Simultanément, toute une série d'opérations destinées à intimider les populations civiles et à disperser les maquis sont programmées.

C'est dans le cadre de ces mesures que fin juin 1944 sont décidés, après l'attaque d'un convoi allemand vers la ferme de la Verrerie près de Montsauche, la destruction par le feu des villages de Montsauche, Planchez, et Dun-les-places. Dans ce dernier village tous les hommes ont été fusillés à exception d'un seul qui a pu se sauver.

En juillet et août, les opérations se font plus précises et de nombreux maquis sont attaqués avec plus ou moins de succès car les Allemands veulent coûte que coûte maintenir ouvertes les routes de la retraite.

Le 25 juillet 1944 : attaque du maquis SOCRATE.

Le 31 juillet, c'est le tour du maquis de CHAUMARD qui est surpris au petit matin et dispersé. Il y a des morts de part et d'autre et des maquisards tombent aux mains de l’ennemi. Ils sont déportés. Les rescapés, en plus ou moins bon état, arrivent à se réfugier au maquis de CŒUSON qui abrite le P.C. départemental F.F.I. C'est lui qui accueille les parachutistes SAS britanniques.

Ce maquis va faire l'objet de plusieurs attaques aériennes, notamment le 7 août où six avions dans la matinée, puis deux dans l’après-midi, lâchent des bombes, mitraillent et canonnent, heureusement sans faire de dégâts autres que matériels.

Les maquis CAMILLE, LOUIS et bien d’autres, subissent des attaques plus ou moins heureuses par des formations allemandes, souvent guidées par des traîtres.

Malgré ces offensives répétées, les maquis accueillent chaque jour de nouveaux volontaires et reçoivent des parachutages d'armes et de munitions. Armes légères, certes, mais qui bien maniées, permettent des embuscades de plus en plus efficaces et meurtrières. Les convois allemands ne peuvent plus traverser la région sans rencontrer une ou deux embuscades.

C'est alors que les états-majors allemands de Nevers et Dijon décident de donner un grand coup et de surprendre le maquis MARIAUX, près de Crux-la-ville, une bourgade entre Nevers et Corbigny.

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LES FORCES EN PRESENCE

LES FRANÇAIS :

Du coté français, c'est d'abord le maquis MARIAUX, le maquis type.

Il tire son nom de Robert Mariaux, tué au combat de Lurcy-le-Bourg, le 14 juillet 1944. Son effectif comporte des éléments très divers :

- un noyau local qui connaît parfaitement tous les sentiers de la région et qui a localisé les emplacements du camp. Ce noyau fondateur comprend des résistants locaux de VENGEANCE.

- des résistants venus de différentes régions et principalement de Paris, envoyés par leurs réseaux notamment les corps francs VENGEANCE.

VENGEANCE est un réseau fondé à Paris en janvier 1941 par un jeune interne des hôpitaux, le docteur Vic Dupont, avec le concours d'un autre interne, François Wetterwald, et du docteur Raymond Chanel de Nevers. Ce dernier fut chargé plus spécialement de créer des filières d'évasion vers la zone non occupée. Tous trois furent arrêtés par la Gestapo, torturés, déportés, et ne purent prendre part aux combats de la Libération.

Ces résistants aguerris par les risques de la vie clandestine forment un encadrement très efficace sous la conduite d'officiers d'active et de réserve appartenant en général à l'O.R.A. (Organisation de Résistance de l'Armée).

- des jeunes venus des villages voisins pour échapper au S.T.O. et aux rafles organisées par les autorisés allemandes.

- des ouvriers, des étudiants « réfugiés » comme on les appelait alors, ou en vacances dans la Nièvre.

Comment s'articulaient tous ces hommes, dont l'effectif avoisine 535 et forme un bataillon, à la veille des combats ?

- un état-major de bataillon - une section de commandement - un peloton hors rang - cinq compagnies de fusiliers-voltigeurs - un détachement antichars.

Tous ces éléments disparates ont reçu par des officiers une formation succincte mais adaptée aux conditions spécifiques des combats de maquis. La grande inconnue reste toutefois le comportement au feu de tous ces garçons dont certains ne reçoivent une arme que quelques h avant la bataille et dont tous ou presque, n'ont jamais eu l'occasion de combattre.

Au cours de la bataille qui va s'engager, d'autres unités venues de différents points du département participent aussi de façon décisive au déroulement des opérations. Nous aurons l'occasion d'en reparler au fur et à mesure du récit.

Ces remarques valent également pour les hommes du maquis JULIEN, pseudonyme de Pierre Hennéguier, fondateur du maquis. Un résistant de la première heure qui a opéré d'abord à Marseille, puis dans la région parisienne où il a organisé des sabotages dans des usines travaillant pour les Allemands. Le maquis JULIEN, créé à partir de 1944, se trouve dans le même massif forestier que le maquis MARIAUX, tout proche de lui. Ces deux maquis sont encerclés et attaqués simultanément par la Wehrmacht.

Le maquis DANIEL, installé depuis quelques semaines seulement dans les bois de Voroux, au pied de la butte de Crux-la-ville, ne comprend qu'une centaine d'hommes. Situé à l'extérieur de la zone encerclée, il n'a pas été attaqué par la Wehrmacht et ne participe pas directement aux combats. Malgré tout, son rôle n’est pas négligeable. En effet, durant toutes les opérations, les unités de secours venues du Morvan trouvent auprès de ce maquis un soutien logistique fort utile. Ses hommes permettent l'approche sans encombre à travers bois de la zone de combat. Sa cuisine sert aux arrivants des petits déjeuners bien appréciés après une nuit de route et de marche. Elle prépare plus de 738 repas qui arrivent plutôt mal que bien jusqu'aux avant-postes. Ses cantonnements accueillent le capitaine Egeley (Leban) et le lieutenant Vers envoyés par l'état-major départemental pour diriger les opérations de dégagement.

Le 15 août, une section de DANIEL se porte en reconnaissance vers le hameau des Assart. Elle ouvre le feu sur une patrouille allemande qui soit rebrousser chemin. D'autres groupes de ce maquis tiennent des carrefours pour bloquer l'acheminement des renforts ennemis. Enfin le 17 août, à 4 h du matin, au moment du décrochage définitif, ce sont des hommes de DANIEL qui tirent les dernières salves de F.M.

 

LES ALLEMANDS :

-         un état-major de 20 officiers sous les ordres du Major Teichman,

-         un bataillon (le 654°) de volontaires russes, sous les ordres du capitaine Mayor (Hauptmann), 800 hommes,

-         un bataillon de parachutistes,

-         un bataillon de sécurité (le 198°) sous les ordres du Major Holstein, 900 hommes,

-         un bataillon de parachutistes,

-         le 2° escadron du 5° régiment cosaque du Kouban sous les ordres du Hauptmann Hefeke.

-         avions (Avord est un terrain d'aviation tout proche situé entre Nevers et Bourges, donc tout proche du théâtre des opérations.

Le colonel Vier, qui a la responsabilité des opérations, installe son P.C. À Crux-la-ville. Il dispose de 4.599 hommes, dotés d'un armement puissant, des armes lourdes. Il bénéficie du soutien de l'aviation. Il sait la précarité des moyens dont disposent les maquisards : pas d'armes lourdes, des munitions très comptées, pas de moyens logistiques valables, et surtout, pense-t-il, des hommes inexpérimentés : à cinq contre un, les Allemandes ne feront qu'une bouchée de cette horde inexpérimentée, sans uniformes, souvent en guenilles, parfois en sabots ou pieds nus.

 

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LA BATAILLE

A ce point du récit nous reproduisons de larges extraits d'un article publié dans la revue historique des armées par le chef d'escadron Vessereau, ancien chef militaire du maquis MARIAUX. Le commandant Vessereau a terminé sa carrière comme général dans la Gendarmerie. Une école militaire porte son nom.

- « Depuis une semaine déjà, les patrouilles ennemies attaquant chaque nuit les postes de surveillance, cherchent à déterminer la valeur du système défensif.

''Celui-ci est essentiellement tributaire des conditions topographiques.

''Le maquis ne peut être abordé que par quelques grands couloirs : « Goutte du 'Charme », le « Cloiseau », « Forcy », région des étangs d’Aron et de Chausselas, région « Feuille-les-Ombreaux », la ferme de la Colonne à Moussy, la ligne ferrée conduisant de l’étang du Merle à la fontaine de Metayer. Ainsi la nature impose-t-elle inéluctablement l’idée de la manœuvre qui dominera toute l’organisation de la défense :

- verrouiller chacun des couloirs

- conserver une réserve suffisamment puissante pour parer à toute situation imprévue.

La sécurité du dispositif, qui ne peut résulter de l’installation d’un système d’avant-poste, sera assurée par le maintien en place d'un ou deux groupes de combat par voie d’accès.

‘‘Un réseau de renseignements, minutieusement organisé dans les localités avoisinant la forêt, et à une distance assez grande, donnera au commandement le temps nécessaire pour prendre, le cas échéant, les dispositions de combat.

''En fonction de cette intention, la défense repose sur l'installation de quatre points d'appui aux ordres des lieutenants Lardry à la Goutte-du-charme, Lorenzo à la ferme de La Colonne, Gerlier à l'étang de Chausselas, et Juvanon à la ligne ferrée (sorte de laie forestière empierrée conduisant de l'étang du Merle à la fontaine du Matefer). "Ces points d'appui ont pour mission d'interdire à l'ennemi toute progression "dans chacun des cheminements correspondant à leur position ». Les deux derniers ''assurent en outre respectivement la couverture du dispositif face au hameau de Feuilles et au village de Saint-Franchy. »

"Chaque commandant de point d'appui a sous ses ordres une compagnie de fusiliers-voltigeurs renforcée d'un groupe de deux mortiers anti-char à l'exception ''de celui de la ligne ferrée, dont les effectifs sont réduits à deux sections. (Les groupes de combat du point d'appui de la Goutte du Charme sont à 2 F.M. chacun).

''La réserve, forte de quatre sections de fusiliers-voltigeurs et d'une section anti-char est placée sous les ordres du capitaine Cliquet à la fontaine du Matefer prête à intervenir rapidement sur toutes les parties du front.

JOURNEE DU 12 AOUT:

"L’ensemble du massif forestier est encerclé par la Wehrmacht. Elle porte son principal effort sur le maquis MARIAUX et l’appliquera sur chacun des axes principaux d'attaque :

- Forcy-Goutte du Charme,

- Les Ombreaux-la-Colonne.

La valeur de deux bataillons d'infanterie.

La tactique employée consiste à organiser deux bases d'opérations - la première sur la ligne Moussy-les-Ombreaux - la deuxième sur la ligne Forcy-le-Cloiseau - et à frapper alternativement à partir de ces deux bases pour absorber les réserves du maquis (déclaration du capitaine Mayor commandant l’un des bataillons d'attaque. Il fut fait prisonnier dans la région de Dijon, après la Libération).

La bataille d'encerclement commence le 12 à six h.

Le service de renseignement organisé dans les villages proches de la forêt signale des rassemblements importants de troupes ennemies à Crux-la-Ville, Moussy, Saint-Révérien, Feuilles, Moulin d'Aron, Prémery, Saint-Saulge.

Plusieurs batteries d'artillerie sont en cours d'installation à l'est de Crux-la-Ville et dans la région du château de Mongazon. L'alerte est aussitôt donnée et, quelques instants plus tard, chacun est à son poste de combat.

À 7h30, une escadrille allemande d'une dizaine d'avions surgit de l'horizon et fonce sur les défenses de Forcy qu'elle attaque en piqué à la bombe et à la mitrailleuse.

Pendant une heure, les escadrilles se succèdent à une cadence infernale. Les derniers avions se sont à peine éloignés que l'infanterie allemande, débouchant en hurlant des bois d'Aron et du village de Forcy, passe à l'offensive appuyée par le tir de l'artillerie et de nombreux Minenwerfen. Moment de suprême inquiétude ! Quel sera le comportement de ces jeunes Français soumis pour la première fois à l'effet démoralisant d'une puissante offensive aérienne ! Les minutes paraissent longues, quand tout à coup, comme à un signal donné, le feu cadence magnifiquement conduit des dix-huit fusils-mitrailleurs du point d'appui de Forcy bloque net l'avance de la Wehrmacht qui reflue en désordre.

Malgré les efforts réitérés de l'aviation qui, au cours de la journée, renouvellera ses attaques à cinq reprises, l'ennemi ne parviendra pas à gagner un pouce de terrain.

Il n'en est pas de même à la ferme de la Colonne où la situation devient rapidement critique. Dès onze h, une lutte acharnée est engagée. La ferme est deux fois reprise par les hommes de la compagnie. Mais à Treize h, sous la pression des SS parachutistes, les Forces Françaises de l'Intérieur, taillées en pièces, se replient sur les lisières ouest des bois de La Forgeotte.

''Le moment est grave. En trombe, la Wehrmacht se précipite sur cette nouvelle position qu'elle veut balayer en un instant. À la hâte, la compagnie de réserve entrainée au pas de charge par le capitaine Cliquet, le lieutenant Christian de Saint-Phale et de l'adjudant Foulon, prend position à cheval sur le chemin Forcy-Moussy.

'' Les missions sont reparties d'urgence et sous la forme la plus simple.

''Le combat s'engage immédiatement à très courte distance. En certains endroits, ''même au corps à corps. Le maquis se bat avec l'énergie du désespoir. Les SS, enivrés par leur récent succès, veulent coûte que coûte emporter la situation sur ce point. Pendant une heure, la lutte est incertaine, mais à quinze h quinze, par leur ténacité, les Forces Françaises de l'Intérieure imposent leur volonté à l'adversaire qui se replie sur la ferme de la Colonne. Court répit ! La Wehrmacht s'est retirée, mais pour mieux reprendre son élan à la façon d'un bélier, elle veut enfoncer cette ultime défense. À quatre reprises, elle part à l'assaut des lisières ouest des bois de la Forgeotte. Tout l'après-midi la situation reste critique.

La bataille, conduite de part et d'autre avec la même farouche volonté, connaît une violence extrême. Elle apparaît essentiellement comme une épreuve d'endurance et de caractère. Ces paroles du Maréchal Franchet d'Espèrey: ''la victoire est au plus tenace'' reçoivent en ces lieux une éclatante démonstration. En effet, à vingt h, les dernières vagues d'assaut sont incapables d'aborder la position. À ce moment précis, deux sections de fusiliers-voltigeurs et une section de bazooka prennent l'ennemi de flanc et lui cause des pertes considérables. Complètement surprises, les unités de SS parachutistes se retirent sur leur base de départ, abandonnant la ferme de la Colonne qui est réoccupée sur-le-champ.

Les projectiles de bazooka n'éclatant qu'à la condition de frapper un corps dur, cette section a été employée dans des conditions particulières : les pièces ont reçu l'ordre d'ouvrir le feu en prenant pour objectif les blocs de rochers se trouvant à proximité d'armes automatiques adverses. Cette façon de procéder, en persuadant l'ennemi de l'importance des moyens matériels engagés, eut un effet moral considérable.

Ainsi, après une journée de lutte acharnée, le maquis n'a pas perdu une parcelle de terrain.

''Simultanément aux combats contre le maquis MARIAUX, des soldats allemands ont occupés le village de Sancy, situé en face du maquis JULIEN. Une demi-section de ce maquis est venue les déloger. Pas pour longtemps il est vrai. Dès midi, la Wehrmacht lance une violente contre-attaque qui oblige les maquisards à se replier dans le bois sur leur ligne de défense. Le village de Sancy est incendié mais au soir le camp JULIEN est intact. L'ennemi n'a pu pénétrer dans le bois.

 

JOURNEE DU 13 AOUT :

'' En ce dimanche 13 août, le commandement allemand tire les leçons de ses échecs de la veille. Il croyait disperser et détruire facilement une bande de terroristes indisciplinés. Il s'est trouvé en face d'hommes inexpérimentés il est vrai, mais courageux et commandés par des chefs de valeur.

Le commandant allemand remanie donc son dispositif. Il retire les unités qui avaient attaqué sans succès le maquis JULIEN dans le secteur de Sancy pour porter tout son effort sur le maquis MARIAUX.

Durant toute la journée la Wehrmacht resserre son étreinte contre ce maquis. Sur l'ensemble du front, ses unités cherchent à s'infiltrer, à la Maison Ruinée, à la Goutte du Charme, sur les hauteurs de Forcy, des engagements ont lieu, l'ennemi est partout repoussé.

JOURNEE DU 14 AOUT :

Le 14 août à 7h30, la lutte reprend avec les mêmes, l’aviation attaquant en piqué. Vers 7h30, l'adjudant d'active de la Légion Etrangère, Nourry, chef de la section engagée au point le plus sensible, est tué d'une balle en pleine tête. Il en résulte une certaine panique que l'ennemi met à profit pour atteindre son objectif, la ferme de la Colonne. Il en est immédiatement chassé par une contre-attaque de flanc menée par la compagnie de réserve. Dès 11 h, le secteur redevient calme.

À Forcy, la bataille fait rage.

Les attaques d'infanterie succèdent aux attaques en piqué des avions. À 12 h, l'ennemi n'a pas sensiblement progressé. Dans l'après-midi, la bataille croît en intensité. Appuyées par l'aviation et l'artillerie, les unités de la Wehrmacht ont pu gagner du terrain. Néanmoins, le point d'appui de Forcy tient avec les mêmes moyens. L'aviation attaquant en piqué renforce les efforts de l'infanterie. Le lieutenant Lardry et le sous-lieutenant Poirier font des prodiges.

Trois fusils-mitrailleurs sont détruits dans les mains du tireur au F.M. Robin.

Bloqué sur l'axe Forcy/Goutte-du-Charme, l'adversaire cherche à envelopper tout le dispositif. À l'ouest de Forcy, il se heurte à la magnifique défense de l'adjudant-chef Nègre. Le combat se déroule au corps à corps et à la grenade. Vers 16 h, la pression s'accentuant, l'adjudant Ali Sefsaf rétablit la situation à la tête de sa section.

Au nord de Forcy, la lutte atteint son paroxysme. Artillerie, aviation et Minenwerfen concentrent leurs tirs sur la Maison Ruinée, point névralgique. Le terrain est très bocager et gêne la défense. Les groupes de combat sont commandés par de jeunes chefs courageux qui viennent de quitter le peloton : Luc, Courcoule, Moreau, Thévenard rivalisent de valeur et d'entrain.

Vers 17 h, désespérant d'en finir, l'ennemi procède à une relève de ses troupes.

À 18 h, sur un signal-fusée lancé d'un avion, la bataille reprend. Les bois sont incendiés pour obliger les Forces Françaises de l'Intérieur à se replier. Le rythme de la bataille s'accentue. Les pertes du maquis sont considérables. Vers 19 h, la Wehrmacht s'introduit dans le dispositif à l'ouest de Forcy mais elle est chassée par une intervention énergique de la compagnie Juvanon.

À 20 h, une formation ennemie, attaquant au lance-flammes, réussit à s'infiltrer entre le point d'appui de l'étang de Chausselas et celui de Forcy.

La situation est extrêmement grave. Les hommes du maquis, harassés par trois jours et trois nuits de lutte, privés de tout ravitaillement depuis 36 h, faiblissent.

Les deux derniers groupes de combat maintenus en réserve entrent en ligne sur la rive sud de l'étang de Chausselas pour retarder le mouvement ennemi. Le répit ainsi gagné permet au lieutenant Lardy de faire pivoter tout son dispositif autour de Forcy et de dégager son aile gauche sur le point d'être anéantie.

Cependant, le front risque d'être disloqué d'un moment à l'autre. Aucune réserve disponible ne permet pour l'instant de consolider dans ces conditions. Ordre est donné aux unités de décrocher par échelons successifs.

La nouvelle position, fixée à 800 mètres en arrière, à l'intérieur de la forêt, est jalonnée par la ligne de flottation, sorte de grand fossé SE-NO.

 

 

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LE REPLI

Le mouvement s'opère dans des conditions satisfaisantes face à Moussy mais il s'avère extrêmement difficile sur le front de Forcy. L'ennemi, hâtant sa progression le long du chemin Moussy/Forcy, menace d'encercler toutes les forces au nord de ce chemin.

La situation est critique. Coûte que coûte, ce danger doit être conjuré.

La mission en est confiée à un officier particulièrement énergique, le lieutenant Aléon, qui dispose à cet effet de la section de commandement du bataillon et de deux groupes de combats ralliés au cours de leur repli. Au total, une cinquantaine d'hommes, six officiers et six fusils-mitrailleurs.

Dans un suprême sursaut, cette troupe magnifiquement galvanisée engage résolument le combat et contre-attaque si vigoureusement que l'ennemi, ployant sous le choc, relâche son étreinte.

L'effort n'est pas inutile, il maintient l'infanterie allemande pour que le repli s'achève méthodiquement.

De plus en ces temps où armes et munitions sont si recherchées, il évite qu'un double parachutage ne tombe aux mains de l'ennemi. En effet, au soir du 14 août, Joël, le radio du maquis JULIEN annonce : « la phrase est passée ! Parachutage cette nuit de deux avions ! ». Vers 2 h du matin, les deux avions anglais arrivent, cherchent le terrain, décrivent des cercles sur le bois. Joël, calme et placide, actionne son phare et envoie à l'intention des pilotes la lettre de reconnaissance K puis le message « S.O.S. ne parachutez pas, demandons renforts R.A.F. ».

Les batteries allemandes, guidées par le faisceau, règlent leur tir sur le poste de signalisation et l'arrosent. Les éclats volent et tombent autour du phare. Soudain, le feu se déclenche sur toute la ligne. Deux gros bombardiers Stirling tournent au-dessus du bois, rasent les arbres, repèrent les postes, puis semblent s'éloigner. Cependant, le premier tourne encore. Il revient au-dessus du phare. Au passage, il envoie des signaux lumineux « O.K. Good Luck! ». Il file vers l'Angleterre. L'ennemi ne pourra s'emparer des précieux containers.

 

JOURNEE DU 15 AOUT :

Dans la nuit du 14 août 1944, les commandants de compagnie sont réunis au P.C. de bataillon pour examiner la situation. Celle-ci se présente sous un aspect très sombre : La troupe, privée de tout ravitaillement depuis 36 h, est épuisée par trois jours et trois nuits de lutte incessante. Elle a subi des pertes sévères, s'élevant à 153 hommes tués, blessés ou disparus.

L'amenuisement des réserves de munitions, à peine suffisantes pour alimenter une nouvelle journée de bataille, la médiocrité de la position de repli choisie en fonction des facilités qu'elle offre au regroupement des unités et non pour la qualité de ses champs de tir, ne permettent pas d'envisager favorablement une prolongation de la résistance. Dans ces conditions, une décision particulièrement grave est à prendre : ou bien continuer la bataille défensive jusqu'à épuisement de tous les moyens et jusqu'au sacrifice suprême, ou bien, risquant le tout pour le tout, s'efforcer de rompre le dispositif de l'ennemi pour rejoindre les forces du Haut-Morvan.

La deuxième solution est seule retenue. Les ordres sont donnés sur le champ.

La percée sera tentée simultanément à l'est sur le hameau de la Maison des Bois et à l'ouest de la ferme de la Caretarderie, points éloignés du champ de bataille des jours précédents et simplement tenus par des éléments de surveillance.

L'opération est confiée à l'est au lieutenant Gerlier, à l'ouest au lieutenant Lardy. Ces deux officiers disposeront respectivement de trois sections de fusiliers-voltigeurs et d'un groupe de mortiers.

Le mouvement offensif sera déclenché aux premières lueurs du jour et à l'initiative de chaque commandant de détachement. L'exécution sera préparée immédiatement.

Les 3° et 5° compagnies, chargées d'exploiter éventuellement la percée, seront stationnées en formation articulée, pour le 15 août, à 5 h, au carrefour de l'Etoile.

La 4° compagnie, maintenant le contact avec l'ennemi, assurera la couverture de l'opération. Au lever du jour, les détachements Gerlier et Lardy passent à l'action. Un instant localisée, la lutte s'étend en quelques minutes à l'ensemble des fronts et prend une ampleur hors de proportions avec les effectifs engagés.

Toutes les dispositions étant prises, la manœuvre de dégagement peut-elle réussir devant un ennemi bien supérieur en nombre, un ennemi qui peut relever régulièrement les unités combattantes, un ennemi bien équipé, et disposant d'importantes réserves de munitions et d'armement lourd ?

Tout porte à croire que la sortie est vouée à l'échec et que les 700 survivants risquent de connaître le sort réservé à ceux que les Allemands appellent des ''Terroristes'', c'est-à-dire la fusillade et souvent la torture ».

Ici s'arrête le récit du commandant Vessereau.



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