Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

MAQUIS du MORVAN : La Compagnie André du 5 juillet 1944 au 28 septembre 1944 - par Hubert CLOIX - Partie IV " Le Lieutenant André" Suite
05-11-2011

" Le Lieutenant André" Suite

Les arrestations à Paris décapitèrent le Réseau.

Vic-Dupont et Wetterwald ainsi que leurs principaux adjoints en furent victimes. Quant à Chanel, il était déjà dans un camp d'extermination en Allemagne, ayant été arrêté dés fin 1940.

À Orléans, les arrestations furent aussi particulièrement sévères et bien préparées à cause de la trahison d'un de nos agents de liaison. Elles eurent lieu le dimanche 16 janvier alors que se tenait chez Claude Lerude une réunion d'information et de travail de nos principaux cadres départementaux. J'étais personnellement chargé avec un de mes agents de liaison d'apporter dans l'après-midi du matériel de sabotage anglais pour en montrer l'utilisation. Nous nous étions répartis les charges dans deux sacs de ménagère et nous étions à quelques mètres de la maison de Claude lorsque nous fûmes dépassés par une traction qui stoppa devant la porte et nous vîmes surgir deux individus que nous reconnûmes de suite comme agents de la Gestapo. Par chance, ils ne prirent pas garde à nous, étant entièrement occupés à forcer la porte. Quelques minutes plus tôt ou quelques minutes plus tard, nous tombions dans la souricière, ce qui fut le cas de malheureux camarades. Dans la soirée je faillis d'ailleurs une seconde fois me faire arrêter. Il était environ 21h et une des dernières personnes que je voulais alerter était un adjudant des pompiers d'Orléans avec lequel nous avions monté plusieurs opérations de sabotage camouflées en interventions d'incendie. Il habitait dans un logement au Centre des pompiers et sa porte personnelle donnait sur une place derrière la cathédrale. Lorsque je frappais à cette porte, je fus surpris par un timbre de voix inconnu et quand la porte s'ouvrit, j'aperçus le canon d'un revolver qu'un individu tenait dans sa main gauche, ayant sans doute libéré la droite pour ouvrir la serrure. D'un coup de pied je rabattais violemment la porte sur lui et m'enfuis. Je m'en souviens encore, il faisait froid ce 16 janvier, et la nuit était claire. Je fus évidement poursuivi avec de grands cris, mais à l'époque je courais bien et je connaissais les lieux. Traversant la place, passant devant la cathédrale, j'atteignis un petit jardin dont je sautais le muret et me réfugiais dans une maison donnant sur la rue du Faubourg de Bourgogne. Ce refuge, préservé pour des cas de sauvegarde dans le genre de celui qui m'arrivait, appartenait à deux vieilles demoiselles, deux sœurs, qui tenaient un magasin d'antiquités.

Elles m'hébergèrent sans rien demander.

Par la suite, je fus recueilli et logé pour quelques jours chez le Directeur des Contributions... puis je décidais de gagner Paris.

Je pris d'ailleurs la précaution de gagner Cercottes à bicyclette et de voyager en omnibus ce qui me permit de descendre dans une gare de banlieue parisienne. Je me méfiais en effet de la surveillance exercée par les Allemands, tant aux Aubrais qu'à la gare d'Austerlitz à Paris, et de fait un camarade reconnu par un indicateur français se fit arrêter à son arrivée en gare.

À Paris, je disposais, grâce à des amis et à la famille, de refuges sûrs. Je repris contact avec les éléments de notre réseau qui avaient pu également échapper à la vague d'arrestation qui venait de nous frapper.

Mon premier souci fut de déterminer le responsable des arrestations d'Orléans. Mes soupçons se portaient sur un agent de liaison qui était le seul, en dehors de moi et du camarade qui m'accompagnait, à connaître le lieu de la réunion. Il s'agissait d'un garçon qui nous avez été recommandé par des gendarmes amis de Pithiviers. Il appartenait à une famille connue de la région, son père était diplomate. En 1939, il s'était engagé dans l'Armée de l'Air pour devenir pilote. Ce que nous ignorions c'est qu'il menait grande vie, avait besoin d'argent et s'était fait retourner par les services de la Gestapo dont il devint un agent appointé.

Mes doutes furent rapidement confirmés. En effet, à un rendez-vous de rattrapage, dans un café parisien de l'avenue des champs Elysées très fréquenté, où nous avions, avec la connivence de deux garçons, la possibilité de contacts rapides et presque indécelables dans le va-et-vient des consommateurs, il prétendit se mettre à ma disposition et me demanda un rendez-vous que je lui fixai à la station de métro Iéna, deux jours plus tard. J'avais pris la précaution de me faire suivre par un camarade inconnu de notre suspect qui m'avertit dès la sortie du café que j'étais pris en filature. Nous avions mis au point tout un circuit de changement de métro et de passage dans des magasins et d'immeubles à double entrée pour échapper à ce genre de danger. évidemment, je ne me rendis pas au rendez-vous fixé, mais j'y envoyais un camarade qui me rendit compte que j'y serai tombé dans une souricière monté par la Gestapo. D'ailleurs notre suspect nous conduisit tout droit à un hôtel protégé par les services allemands. Nous aurions bien voulu le descendre, mais nous n'en avions plus les moyens. Nous rompîmes toute relation avec lui, mais il continua de travailler pour les services allemands jusqu'à la libération, où il fut tout de même arrêté par les F.F.I. parisiens. Justes avant de partir en Indochine, au mois de décembre 1945, je fus confronté avec lui par le juge d'instruction chargé de l'enquête menée contre lui. Ma déposition fut enregistrée mais j'appris plus tard que, transféré à Orléans pour la suite de l'Instruction, il parvint à s'enfuir. Aux dernières nouvelles il était en Amérique du Sud.

Mon second souci fut de renouer avec les éléments épars de notre Réseau, de mettre à l'abri ceux qui avaient échappé aux arrestations et de leur assurer des moyens de survie : cartes d'identité, tickets d'alimentation, etc...

En fait, par suite des arrestations, nous nous retrouvâmes à deux à prendre les responsabilités du Réseau : Jean-Pierre, venant de la région de Romorantin, et moi-même. Nous nous efforçâmes de représenter le Réseau auprès des instances nationales de la Résistance, refusant de nous laisser phagocyter par d'autres formations désireuses de mettre le grappin sur nos éléments épars. On arrivait en effet à ce moment où, sur les consignes de Londres, tous les éléments de la Résistance devaient se regrouper au sein des F.F.I. pour former des unités combattantes. Et chacun excipait d'effectifs plus ou moins réels pour obtenir des postes de commandement. Les plus habiles dans cette manœuvre étaient bien entendus les F.T.P.

Nous étions évidemment mal placés mais nous arrivâmes tout de même à défendre notre cause et les éléments de VENGEANCE vont participer activement sous leur nom aux combats de la Libération, tant à Paris que dans la région parisienne ainsi qu'en Bretagne, dans le Cher et le Loiret pour ne citer que ces départements.

*

*           *

« André » arrive au maquis BERNARD en mai 1944 avec quelques camarades de VENGEANCE. Pendant quelques semaines, le camp somnole. Aucunes opérations en vue malgré la venue du jour J, le 6 juin 1944, date du débarquement des troupes alliées en Normandie. En mai aussi les parachutistes S.A.S. britanniques s'installent dans les bois de Montsauche et commencent des sorties pour attaquer les Allemands.

Le lieutenant André sympathise avec les S.A.S. et réciproquement. Les S.A.S. voient en lui un chef militaire et un soutien pour les aider dans leurs opérations.

Le lieutenant André entretient aussi d'excellents rapports avec Bernard, le chef du maquis. C'est un ancien gendarme qui veut s'appuyer sur André pour essayer d’inculquer un peu d'ordre et de discipline à tous ces jeunes qui n'ont pas fait de service militaire et ne connaissent pas la discipline indispensable au moment des combats.

Tout va changer au camp à partir du 26 juin 1944. Les allemands incendient Montsauche, Planchez, Dun-les-Places où tous les hommes sont massacrés, y compris le curé, précipité du haut du clocher. Un seul a pu échapper au massacre en se sauvant, Blandin, le restaurateur du village.

Ce jour là, Bernard monte une embuscade pour attaquer le convoi des Allemands de retour après leurs crimes à l'encontre de civils innocents.

Les maquisards sont installés sur la route qui relie Montsauche à Château-Chinon, au niveau de la ferme de la Verrerie. Le dispositif s'étale sur une longueur de 300 à 400 mètres. Pas d'ordres précis, chacun s'organise comme il veut. Le convoi arrive. Le premier camion est détruit par Roger Eté de VENGEANCE. Il lance une grenade à main « Gammon » qui neutralise tous les occupants - Eté est sonné par la force de l'explosion, il restera sourd pendant deux jour - Mais derrière ce premier camion, deux autres suivent. Les ennemis descendent et se lancent à l'assaut des maquisards inexpérimentés alors que ces soldats de la Wehrmacht sont de vrais combattants.

 

Jacques Chataigneau de VENGEANCE est tué par un tireur ennemi.

La situation serait critique sans la présence de huit S.A.S. Des combattants d'élite qui ont contenu la progression puis contraint les Allemands à la fuite.

 

Sans les S.A.S. l'embuscade de la Verrerie aurait tourné au désastre et le camp Bernard, encore très faible en effectif (100 environ), mal armé, aurait été dispersé par l'assaillant. Il y aurait eu des morts, des prisonniers et des déportés.


Le lieutenant André n'a pas participé à cette embuscade mais les renseignements obtenus par la suite sur le déroulement des engagements montrent la nécessité de groupes disciplinés, bien armés et encadrés par des chefs expérimentés. Bernard lui-même est conscient des faiblesses du camp. André et Bernard partagent les mêmes préoccupations et envisagent la formation d'une unité bien structurée, bien formée, bien dirigée. Bernard, intelligent et plein de bons sens, demande au lieutenant André de constituer une unité combattante de qualité. Au départ, en ce jour du mercredi 5 juillet 1944, l'ambition est modeste. Le lieutenant André n’envisage que la mise en place d’une seule section, la section « André », soit une trentaine de personnes (l'effectif du maquis ne dépasse pas 125 maquisards en ce jour).

André doit partir de zéro. La page est blanche. Il cherche des solutions pour le recrutement, le logement, l'équipement pour la cuisine et l'armement. Il réfléchit à tout cela.

Pour l'effectif, il envisage la venue de camarades de Vengeance, rescapés des grandes arrestations des mois précédents. Ils ont déjà une expérience de la vie clandestine et pour certains la connaissance des armes. Il pense également recruter les gars du pays qu'il a fréquentés dans les semaines précédentes au maquis et des Parisiens arrivés isolément pour combattre. Tous sont volontaires pour accepter discipline militaire, corvées, et séances de formation sans oublier les exercices sur le terrain.

Pour faciliter l'intégration d'éléments divers, le lieutenant demande et obtient que le cantonnement de son unité soit distinct de celui du camp principal. Il sera situé à 800 mètres du camp et à 80 mètres du cantonnement S.A.S.. Ainsi les trois formations sont distinctes mais complémentaires. Chacun a le soutien des autres.

Le lieutenant, conseillé par un homme du pays, a choisi son emplacement près d'une petite source qui doit faciliter la vie des cuisiniers et la toilette.

 

*

*                      *

 

Premier recrutement

En ce mercredi 5 juillet 1944, le lieutenant André a déjà choisi ceux qui vont le suivre durant l'été 1944.

 

De Vengeance:

- Jacques Châtaigneau : secrétaire de François Wetterwald responsable des corps francs

- Georges Hamacek : élève à H.E.C. en attente d'intégrer à Saint-Cyr après le départ des occupants de la France.

- Jacques Morvilliers : agent de liaison

- Jean-Louis Fromonot : élève de Corniche à Paris (préparation pour le concours de Saint-Cyr)

- Roger Brulé : étudiant en médecine. C'est lui qui au moment des grandes arrestations a pu sauver et cacher les archives de Vengeance.

- Jean Gâteau : étudiant en droit, agent de liaison.

 

De la région:

- Pierre Demongeot : gendarme à Blismes, il entraînera avec lui toute la brigade, le lieutenant ANDRÉ en fera sont adjoint avec le grade d'adjudant.

- René Baud : Garagiste à Montsauche, il sera chef de section.

- Roger Poitou : agent des Postes dans une commune voisine de Nevers, fusil-mitrailleur.

- Bernard Cirode : de Clamecy.

- Roger Bletti : de Nevers, ouvrier en électricité.

- Albert Perrier : travaille aux chemins de fer de Nevers, il est spécialiste dans l'installation et l'entretien des signaux des voies.

- Roger Bellier : de Gimouille, il sera fusil-mitrailleur.

- Paul Chirand : de Nevers.

- Maurice Huard : palefrenier de Saint-Pierre le Moutier.

- Jean Humbert : de Dijon.

- Maurice Papier : coiffeur à Nevers, il sera l'ordonnance du lieutenant.

 

De Paris:

- Michel Henri : dessinateur à l'IGN (Institut Géographique National).

- René Lelève : travail dans les bureaux des Chemins de Fer.

- Roger Boussard.

 

De province :

- Bernard Romatif.

- Alain Séné.

- Valentin Sostaric.

- Raymond Vacher.

L'effectif n'est donc pas encore complet.

On lui présente un gars… moi.

À première vue, le lieutenant André ne semble pas me prendre au sérieux. Apparemment, je ne corresponds pas aux normes de sa section. Je viens de Paris, je suis grand, 1,83 m, actuellement c'est courant, mais à l'époque c'était rare. Je suis maigre, efflanqué même. Le lieutenant André me considère comme le Tartarin de Tarascon d'Alphonse Daudet. Je me suis présenté au camp dans une tenue militaire de 1940, avec un casque avec un équipement que j’avais pris aux Allemands en septembre 1940, dans un dépôt où se trouvait tout leur butin de guerre. André m’aurait écarté s'il n'avait eu la recommandation de deux anciens de Vengeance, Georges Hamacek qui a m’a connu à HEC, et Jean-Louis Fromonot, mon ami d'enfance. J’avais servi sous les ordres du commandant Fromonot (Monturat), responsable militaire de Vengeance dans la zone Sud du département de l'Oise.

Ainsi donc, un peu à regret, le lieutenant André m’incorpore dans sa section. Mes parents servent de boîte aux lettres à Paris pour le commandant Fromonot. Mon père Georges Cloix, possède une scierie à Corbigny. Il cache les réfractaires du S.T.O., les juifs, et toutes personnes en situation irrégulière vis-à-vis des Allemands. Il aide aussi la Résistance et monte souvent au maquis avec Jules Philizot (Segrétat), chef de zone de Corbigny pour la Résistance.

Pour l'instant, le lieutenant André affine les détails de mise en route de cette section, sa section, qu'il commandera.

Pour ceux qui sont désignés, l'après-midi est encore calme et inactif. Cependant, au moment du dîner, le lieutenant André convoque ses hommes et annonce une première mission.



Accéder aux archives