Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Témoignage d'Edouard MEUNIER
17-05-2023

 Edouard MEUNIER

Retraité des P.T.T.

 

 

DANS UNE PERIODE TROUBLÉE…

Dans les années qui précédèrent la dernière guerre, jeune encore, j'enregistrais, sans bien les comprendre mais non sans crainte, les événements troubles qui se déroulaient de plus en plus rapidement. En 1938, ceux de Munich détériorant plus profondément la situation et que je percevais déjà plus directement, me firent ressentir avec anxiété les approches de la guerre. J'avais au cœur la haine de la guerre, les faits relatés par mon père, rarement d'ailleurs, quand il parlait des tranchées de 1914, n'y étaient pas étrangers. J'en avais aussi l'appréhension comme beaucoup de jeunes approchant des vingt ans.

 

DES EVENEMENTS DURS ET MARQUANTS…

Nommé surnuméraire au Havre central télégraphique début 1939, des événements multiples et brutaux allaient bientôt bousculer mes débuts dans l'Administration. Dans les mois qui suivent, c'est le départ de nombreux postiers rappelés ; dans ma famille ce sont aussi mes oncles (21 et 23 ans) qui partent. Puis, c'est la drôle de guerre et la débâcle qui surviennent. L'un de mes oncles disparaît en mer sur un bateau coulé par les Allemands face à Dunkerque qui évacue ses troupes, c'est ensuite le port du Havre dont les installations sont bombardées qui doit être évacué mais, la route de la Seine, vers le bac est bientôt complètement obstruée ; il faut partir par mer sous les bombardements. Le "Niobé" est coulé en rade du Havre avec 800 personnes à bord, et le lendemain, Dimanche 9 juin, les réservoirs de pétrole de la Seine sont en feu. En fin de matinée, l'obscurité est totale sur la ville. Les gens affolés courent un peu partout, l'ordre est donné d'emballer archives administratives et matériel. L'évacuation par mer est décidée. Nous partirons dans la soirée dans un désordre indescriptible sur un cargo, mitraillé en rade. Nous arriverons pourtant à Cherbourg pour nous y faire mitrailler sur les quais. C'est l'exode, triste et désolant ! Les ordres arrivent contradictoires ; on repart tout d'abord vers Caen, puis on retourne en arrière et c'est à Rennes où nous arrivons en soirée du 17 juin alors que le bombardement des trains de munitions dans la plaine de Baud vient de faire 3 600 morts.

 

De tous ces mois précédant la défaite, je perçois encore le climat lourd de désespérance mais aussi le profond souvenir d'un collège qui, sans bruit, et avec précaution, distribue des tracts au central télégraphique et ailleurs. Kléber VASSEUR est jeune, d'allure sportive, il semble ne rien craindre. Engagé politiquement, et sympathique, il me fournira des explications sur des événements que je comprends bien mal alors. Il m'est parfois arrivé de l'aider quand il me le demandait. Jusqu'au jour où Kléber, comme bien d'autres politiques au Havre, est arrêté puis déporté. Kléber ne reverra pas la terre de France, 4 années de privations, de souffrances et de coups auront raison de sa jeunesse et de sa force et il mourra sur le chemin du retour. Kléber était une magnifique figure de cette jeunesse déjà en plein combat avant l'heure. Plus tard, alors en poste d'INC au Havre principal, je revois, traversant la cour du central, la silhouette fluette et légèrement voûtée de cette petite femme en noir, la fiancée, avec sans doute, encore le deuil de Kléber au coeur. En ces moments de tristesse, au souvenir de Kléber, j'aurais aimé lui dire ce que je ressentais, jamais je ne l'ai pu. Je pense plus que jamais que ce camarade mérite grandement d'avoir sa place dans cette histoire de la résistance au sein de notre corporation. Mais qui donc, au Havre, pourrait se souvenir encore de Kléber, c'est pourquoi il fart que j'en parle.

 

EN ZONE INTERDITE…

Non appelé sous les drapeaux en début 1940, puisque né le 12 avril 1920, je reviens donc au Havre après les tourmentes de l'évacuation. Une ville presque vide au début où rien ne fonctionnait, une ville où les bombardements allaient bientôt reprendre sans trêve, une ville cernée - le Havre était zone interdite - les rafles se succédaient et le rationnement pour nous, qui n'avions sur place aucune famille, était intolérable. Les installations du Central T4kirieeniertre étant devenues inutilisables par suite des bombardements, je me rendais utile en participant aux travaux de guichets postaux et même en effectuant des heures de nuit au Central Téléphonique, remplaçant des collègues chargés de famille lesquels, comme beaucoup de havrais, transportaient chaque soir leur famille dans la proche banlieue afin d'éviter les bombardements nocturnes très meurtriers. La présence d'agents anglais en ville n'allait pas sans inquiéter les autorités allemandes qui les traquaient.

 

 

Je me souviens d'un fait survenu une nuit de veille dans ce central téléphonique : la sirène au-dessus du central sonnait l'alerte habituelle devançant le ron-ron des "forteresses". Je percevais à l'étage le martèlement sourd des bottes des soldats descendant à l'abri dans les caves de l'immeuble quand, sans trop de bruit, un soldat en uniforme allemand pénétra dans la salle et vint me trouver. En français imparfait, il m'adressa la parole pour me demander de lui établir une communication pour le service allemand. Mais je savais qu'un Allemand, à ce moment de l'alerte, ne se serait jamais rendu seul dans la salle et j'enfreignis la consigne en lui passant la communication. A son intonation, il n'était pas difficile de comprendre qu'il s'agissait d'un soldat anglais en mission, l'un de ceux qui sillonnaient la ville chaque jour. Je lui fis comprendre que je n'avais pas été dupe. Je ne pouvais qu'admirer ce soldat qui, à quelques mètres des Allemands, venait accomplir sa mission sur le sol français. De plus en plus je comprenais que la guerre était loin d'être terminée, que partout dans l'ombre sur notre sol des combattants se levaient et tombaient mais j'ignorais encore que ce combat prendrait la figure de la France pour devenir la Résistance. Les appels venaient alors de Londres, on entendait dire que des jeunes ralliaient l'Angleterre et c'est à cette époque, que je fus mis au courant d'une filière laquelle par les Pyrénées et l'Espagne, faisait gagner l'Angleterre. Etant encore en relation avec un camarade d'école de la Sarthe du nom d'Edgar HOUASLET, je lui proposais le départ à deux. Malheureusement, l'affaire échoua.

 

ZONE SUD, L'ESPRIT RESISTANT…

Début 1942, je fus appelé à suivre le cours de TSF à Paris et je quittais le Havre. Nommé au central radio de Paris, je fus détaché à Roanne en zone "libre" où pouvait encore fonctionner le service. Le 11 novembre 1942, les Allemands passaient la ligne de démarcation et les avions à croix gammée dispersaient au vent le tract signé HITLER prétendant "n'envahir que dans le seul but de repousser avec ses alliés toute tentative de débarquement anglo-américain". Mais, au central radio, la censure des télégrammes s'installait. Les services allemands surveillaient chaque position de transmission. La guerre partout s'accélérait. Avec un collègue plus âgé, Louis LANGLET, nous essayons d'animer l'esprit résistant parmi les jeunes et de mettre sur pied un noyau au sein même du central. Trois collègues nous rejoindront, BARDOU qui est âgé, puis REVEL et SIROT. Une écoute collective des radios clandestines a lieu à mon domicile. Un jeune de l'extérieur prénommé Raymond participait également mais il sera "raflé" et envoyé en Allemagne.

Par l'intermédiaire de Louis, nous sommes en liaison avec un maquis des monts de la Madeleine. Un jour, Louis m'envoie à Lyon rencontrer des résistants pour émettre à Villeurbanne, malheureusement il me fut impossible à Lyon-Perrache de trouver celui qui devait m'accueillir.

En cette même année 1943, je suis également en liaison avec les responsables du groupe de résistance de mon village sarthois auquel mon père appartient également. En cas de prévision de débarquement sur les côtes normandes, je dois être prévenu immédiatement et dois rejoindre et servir comme radio. Les certificats de maladie me permettent de quitter mon service jusqu'au jour où le chef de centre s'y oppose et m'inflige des sanctions.

 

VERS LE MAQUIS DE PICAUSSEL…

 

Début 1944, les événements avancent encore plus rapidement et les bruits de débarquement sont beaucoup plus perceptibles. Il me faut mettre au point mon dernier départ et trouver un point de chute en formation armée, soit en Normandie ou, si ce n'est pas possible dans la région Sud vers les Pyrénées. Après discussion avec mon collègue BARDOU qui possède un domicile en Ariège à Mirepoix, nous convenons qu'en cas d'impossibilité pour moi de rejoindre ma formation dans la Sarthe, nous partirions ensemble dans l'Ariège. Au début mai, je m'absente du bureau et rejoins la Sarthe pour examiner les possibilités d'y séjourner en attendant l'annonce du débarquement mais presque immédiatement la gendarmerie se présente au domicile de mes parents pour m'y rechercher. Par bonheur, je n'y suis pas mais il m'est maintenant trop difficile de rester dans ce secteur où je suis très connu et je regagne aussitôt Roanne. Comme convenu, j'alerte BARDOU et ensemble, nous rejoignons Mirepoix. Tout d'abord en contact avec le groupe FTPF local nous devons participer à un parachutage sur message "les blés sont toujours verts", mais nous ne pouvons nous intégrer à ce groupe, celui-ci étant déjà formé et n'opérant qu'avec quelques hommes. Nous contactons alors un nommé GAILLARD qui assure la liaison avec un autre maquis du département voisin de l'Aude. Celui-ci va nous indiquer le lieu de réception, l'heure et le mot de passe. Il s'agit de se rendre en un lieu assez éloigné en direction de la montagne, à 2 heures du matin. Dès le soir, nous partons en évitant le plus possible Ies routes et à l'heure fixée, nous pensons être au point de rendez-vous entre le village de Sonnas et Chalabre. Nous avons déjà été repérés car un signal lumineux s'agite à une vingtaine de mètres. Un homme armé s'approche de nous. Le contact se fait avec la passe "Nous sommes 2 du 111". Le lendemain, nous sommes acheminés sur le maquis Via Rivel et le col de la Babourade_ Notre véhicule est stoppé au verrou du tunnel de Lescale sur la départementale 120 entre le col et Espezel. De là, nous sommes conduits au chef du camp, le Commandant Lucien MAURY, alias "Franck", qui nous accueille très cordialement. Nous ferons également la connaissance de son adjoint Marius OLIVE, alias "Simon", puis comme radios dirigés sur ce service qui fonctionne à flanc de montagne dans une grotte. Cette grotte est très difficilement accessible, située à flanc de roche au-dessus du village de Lescale, elle est invisible et quiconque ne connaît pas ces parages ne peut s'y rendre.

ils occupent le col de la Babourade où un engagement a lieu faisant de nombreux blessés de part et d'autre. Des éléments avancés sous le tunnel interceptent à la grenade une liaison auto, Joseph LEBRET et Jean GARBOUX y trouvent la mort. Dans cette nuit du Dimanche 6, c'est l'alerte avec la réception d'une cinquantaine de parachutes, 8 tonnes d'armes dont des mitrailleuses lourdes et il faut monter tout ce matériel. Le 7, les Allemands tentent une première attaque par la face Nord, ils sont repoussés avec de nombreux blessés mais vers Belvis, ils ont hissé un canon léger sur les hauteurs de la Malayrède et à ce niveau tirent facilement sur nos positions. Au tunnel leurs chars légers ont été arrêtés dans leur progression et n'ont pu franchir le verrou. Au soir de ce 7 août, notre situation est critique. L'équipe d'artificiers appuyée du groupe Tito retourne au tunnel pour placer des charges explosives, mais les Allemands de la Malayrède repèrent l'expédition et tirent au canon risquant de faire sauter tout le dispositif. Il faut se replier en hâte et ramener à dos MOULARD, blessé à la jambe. Les Allemands vont alors tenter l'encerclement complètX de la forêt. Une compagnie de chars Tigre monte sur Espezel et boucle la nationale vers 23 heures. Mais le matériel chargé sur les camions vient cependant d'y passer sans un coup de feu. De nuit, les Allemands en forêt n'attaqueront pas. Un nouveau message est perçu "Quinze amis vous diront ce soir que la vertu reluit dans tous les yeux", c'est 15 parachutistes alliés qui doivent nous arriver, mais qui ne seront parachutés que plus tard sur le maquis FTPF de Salvezines. Etant de liaison, dans la nuit tombante, je pars rechercher des camarades en poste sur la lisière Ouest. L'ordre est donné de "décrocher", par groupes et, en pleine nuit, le maquis doit traverser la nationale 120, puis prendre la direction d'AunatQuerigut. Je me retrouve bientôt dans un petit groupe de 8 camarades dont BONNET et BOURNET que je dois soutenir par moments tant il est affaibli. Nous passons toute la journée du 8 dans les bois et sous la pluie. Nous repartons à la nuit tombante, épuisés, car nous n'avons ni dormi, ni mangé depuis plusieurs jours. Dans l'après-midi du 9, nous sommes recueillis par un camion au Sud d'Aunat qui nous amène à une scierie sur la route du Pla à Querigut. Le lendemain, nous rejoignons. le maquis qui se reconstitue dans la forêt de Bragues près du refuge en dessous du Lac du Laurenti. A Picaussel, les Allemands n'ont rien trouvé, attaquant de tous côtés, ils se sont retrouvés face à face et se sont tirés dessus ; furieux de leur échec, ils ont brûlé entièrement le village de Lescale.

Bragues, plus haut que Picaussel, derrière le Laurenti, c'est le roc blanc 2 500 mètres et les chemins vers Andorre. Des nuits glacées, ne pouvant dormir à cette altitude, je préfère partir le soir si une mission est mise sur pied. A Formiguères, un détachement accroche les Allemands dans la nuit du 13 au 14 et le 15 au matin le débarquement commence en Provence.

Les Allemands refluent vers Carcassonne, la 1 le Panzer et ses blindés ont perdu du temps avec les maquis et arriveront trop tard vers les zones de débarquement. La libération de Quillan, celle de la haute vallée de l'Aude devient l'objectif du maquis. Le 16 au soir, une partie du groupe Tito, ainsi que d'autres camarades sont en avant-garde sur la 118 vers Limoux. Nous prenons position, après Alet, sur le plateau qui domine les gorges de l'Aude, avec mission de surveiller la route, de retarder et empêcher si possible les Allemands d'évacuer le très gros dépôt de vivres et matériel de Couiza. Le 17 au matin, en bas, les artificiers de Charles BOURNET commencent les travaux de minage de la route ; sur la falaise, le fusil-mitrailleur est installé pour prendre de la meilleure façon la route en enfilade. Je suis posté un peu plus loin avec un camarade, en surplomb de la route, et nous disposons de grenades. Les travaux de minage et de camouflage ne sont pas terminés que le bruit de la colonne allemande annoncée nous parvient ; les artificiers doivent se replier en toute hâte et le fusil-mitrailleur doit intervenir pour protéger leur repli. Les premiers camions touchés stoppent immédiatement et les Allemands déploient devant eux de nombreux civils. L'effet de surprise est raté, à cause des civils, l'action du FM va bientôt être impossible et le gros de la colonne trop éloigné. Toute la partie du groupe, non loin du FM, va bientôt décrocher sous la menace à terme d'une infiltration des Allemands à travers la partie boisée se trouvant en amont. Mais la liaison n'est pas assurée vers l'aval et je reste isolé. Les artificiers parviennent à remonter et certains décrocheront. Charles BOURNET me rejoindra avec 3 de ses camarades. En tant qu'agent de liaison, j'informe Charles que je viens de parcourir le plateau et que le décrochage s'est opéré à temps, mais Charles prétend rester et tenir la position car, me dit-il, le FM est plus à droite et je l'entends tirer. Ce qu'il ignore c'est que la pièce a été changée de place et il restera persuadé de ce qu'il avance. Je sens que Charles ne plaisante pas, il va m'utiliser comme liaison et place les 3 camarades en éventail sur une ligne légèrement surélevée. Progressivement, les Allemands ont grimpé toute la partie boisée et sont maintenant presque à niveau mais beaucoup plus à découvert et le contact s'opère. Charles était un camarade excessivement courageux mais à mon avis trop rigide et je pense toujours que j'avais raison à ce moment là d'insister pour que nous décrochions à notre tour malgré le danger proche. Or, il me prévint de ne pas décrocher seul, sinon… Je n'en avais pas l'intention et cependant je savais la situation perdue, l'endroit intenable : 500 Allemands, 5 maquisards ! Les balles sifflaient partout mais, les Allemands n'avançaient plus en face, sentant la résistance de notre côté ils se déployaient. Devant l'impossible de la situation, Charles me donna un ordre "Tu es liaison, tu vas contacter très vite les gars qui remontent la vallée et qui ne doivent pas être très loin, il me faut de l'aide". Une dernière chance pour moi, plus qu'à plat-ventre, mon arme en ligne en cas de rencontre, je vais ramper à travers les vignes et les tirs d'armes automatiques. C'est ainsi que, le dernier, j'ai pu quitter le plateau d'Alet, ce plateau où maintenant à cet endroit s'élève une stèle aux maquisards tombés Charles BOURNET, Jean PEREZ 20 ans, Emile JOUILLET 19 ans, et le tout jeune Marino SOLIGO 17 ans. Cette liaison, je l'ai établie. Redescendu rapidement sur la route, à la Tuilerie, je cache mon arme, j'enfourche ea. vélo d'emprunt et je file à vive allure vers Couiza. Sur cette route, une femme qui court m'arrête, c'est la femme de Charles, en pleurs, qui me crie que Charles est mort. Je lui affirme que non mais je suis obligé de la laisser pour accomplir ma liaison. A Couiza, aucun élément du maquis, j'entre à la poste, à tout prix il me faut alerter Espéraza, mais la communication m'est refusée par le receveur des P.T.T. C'est seulement à l'entrée d'Espéraza que je trouve les premiers éléments du maquis. J'alerte ces camarades, il faut absolument une aide immédiate là-bas. Je suis complètement épuisé et je vais être recueilli par les parents de Charlot BIART, Maire du village. Cette aide partira en ce 17 août, hélas trop tard pour sauver mes camarades, mais elle arrêtera sur la route du retour, les Allemands qui ont échoué dans leur tentative de réinvestir le dépôt de Couiza. C'est le maquis de Salvezines et l'équipe du lieutenant américain Paul SWANK qui les accrochera. Paul SWANK, comme BOURNET, luttera jusqu'au bout sur ce petit coin de terre de France où il repose, là ou il est tombé, sur la route des gorges.

 

CARCASSONNE ENFIN…

Picaussel et Salvezines libèrent Limoux où une colonne allemande est accrochée et mise hors de combat et, le 21 août à 12 h 30, nous entrons à Carcassonne pour nous poster immédiatement à Grazaille sur la route de Villemoustaussou. Les Allemands qui refluent sur Carcassonne ne peuvent plus passer, la ville est bouclée. Le 23 août arrive par le Nord une colonne motorisée. Sous les ordres du capitaine ALLAUX, un détachement comprenant notre groupe Tito prend position devant Villegaihenc. ALLAUX et ses hommes sont postés juste devant le village, le groupe Tito sous les ordres du sergent-chef MAZARD avec P. BASTIE et PEJEAN au FM, DEDEBAN, FERNANDEZ, BRINGUIER et moi-même prenons position sur la gauche du village, au calvaire, face à la route qui fait une grande courbe. Les tirs de nos armes automatiques arrêtent la colonne que nous mitraillons sans répit. Les Allemands filent de tous côtés et commencent à se déployer sur notre gauche où la pente nous domine et sur la droite en suivant les escarpements au-dessus de la route. Les Allemands sont très rapides pour nous repérer et nous sommes bientôt sous leur tir très précis. La mission étant de faire refluer la colonne, nous allons tenter de tenir la position le plus longtemps possible, jusqu'à ce que nous soyons complètement débordés sur la gauche. Les tirs passent au-dessus de nous presque croisés. MAZARD m'envoie en liaison rapide au village. Il n'est pas possible de traverser la nationale qui est sous le feu direct d'éléments allemands juchés au-dessus de la route d'accès et la balayent longtemps. De nouveau, comme à Alet, nous n'avons pas été prévenus, et notre décrochage va être difficile. Je rends compte à MAZARD qui ordonne le repli par le village car, à gauche, nous sommes trop dominés et nous n'avons aucune chance en terrain découvert.

Le passage de la nationale est difficile mais nous nous couvrons mutuellement en tirant pendant que d'autres camarades sautent de porte en porte. Sans trop d'égratignures, nous arrivons à regagner les fossés à l'autre extrémité du village et à rentrer à Grazaille. Pour cet engagement et la tenue de notre position au calvaire, notre groupe devait être cité à l'ordre du maquis, mais, à vrai dire, nous n'avions jamais couru après des citations ! A Carcassonne, les figures nouvelles étaient nombreuses et "l'esprit maquis" commençait à disparaître derrière la chose militaire. Notre maquis devenu le bataillon "Picaussel" était muté en ler bataillon du 81e RI du colonel G. de CHAMBRUN.

Quant à moi, je devais terminer mon périple maquisard le 20 septembre, date à laquelle je fus incorporé au bataillon Philippe du 2e RI de la Haute Garonne.

 

PICAUSSEL N'EST PAS UNE LEGENDE…

Ceux qui rejoignaient la montagne ne couraient pas après la gloire, mais poussés par un certain devoir, sur leur coin de sol qu'ils allaient aider à libérer des envahisseurs ils désiraient vivre dans la dignité. Du torrent du Blau à Carcassonne, trop nombreux sont ceux qui ont disparu dans les combats sans avoir pu atteindre ce à quoi ils aspiraient le plus : vivre libres dans un pays libre.

De Picaussel, de ce dévouement anonyme, et sans esprit de retour, de cette abnégation jusqu'à la mort, je suis revenu transformé et avec la certitude que la cause de la liberté ne pourra jamais quitter le cœur des hommes.

Témoignage d’Edouard MEUNIER. Extrait de :



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