Actualité générale

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Inauguration de l'espace CHARMOT Compagnons de la Libération, à la maison du Combattant de Marseille.
24-10-2018

Inauguration de l'espace CHARMOT  Compagnons de la Libération, à la maison du Combattant de Marseille.

Sur la photo, autour de La fille de Dominique CHARMOT , on reconnait de Gauche à Droite , Gérard TOLLARI porte drapeau de la MVR,  Le Professeur BF MICHEL, délégué départemental de la France Libre et organisateur de cette manifestation, Danielle KNIHAR porte drapeau de la MVR, Gerard Vitalis adjoint au Maire et Raymond Alexander Président de la MVR.

 

ALLOCUTION de Dominique Charmot fille de Dominique CHARMOT

Monsieur Vitalis, président de l’amicale Sidi-Brahim 

Monsieur le docteur MICHEL, délégué de la Fondation de la France Libre, cher Bernard,

Mesdames et messieurs les membres du bureau de l’amicale Sidi-Brahim ;

Mesdames et messieurs,

Aujourd’hui nous inaugurons officiellement l’espace de travail de cette Maison du combattant. Cet espace  porte le nom de Guy Charmot, l’homme de la photo qui orne maintenant l’un des murs, mon père. Une plaque avait été apposée à l’entrée de l’Espace en 2014. Il avait pu être présent ce jour-là, mais il n’avait que cent ans.

En effet, il est né le 9 octobre 1914, à Toulon et vient donc d’avoir 104 ans ; il est maintenant très faible  et le contact avec lui se perd un peu plus chaque jour.

Il aimait diviser sa vie en deux périodes : la guerre, dont il avait très vite refermé le volet dès la Victoire, et la médecine, sa grande passion avec l’escalade. À la maison, il ne parlait qu’exceptionnellement  de la guerre.

Mon père ne s’est mis à évoquer des souvenirs de la France libre que très tardivement, je dirais vers 2004, lorsqu’il est venu habiter Marseille. Le docteur MICHEL a été le premier des médecins, historiens et journalistes venus  l’interroger sur ses souvenirs de la France libre et c’est grâce à lui que j’ai entrevu ce que mon père avait fait dans sa jeunesse.

Et je remercie le docteur MICHEL pour son travail « d’accoucheur » en quelque sorte.

Qu’ai-je pu reconstituer des années de formation de mon père, malgré son mutisme sur sa jeunesse ? Il s’est décrit comme timide, maigre et peu sûr de lui. Par quelles voies, cet adolescent devient compagnon de la Libération, croix de guerre avec quatre citations, et professeur agrégé du SSA ?

Son père était conservateur des hypothèques, son grand-père Charmot était instituteur à Saint-Cyr sur mer. Il a défini l’orientation politique de son père comme étant celle d’un homme de la droite républicaine, lisant l’Action française sans être cependant royaliste. L’atmosphère familiale n’était pas à la rébellion ni à l’aventure, et dans sa famille comme au lycée de Toulon le patriotisme était une valeur hautement célébrée.

Dans la période 1932-1934, mon père était à Toulon pour préparer les concours d’entrée des écoles du service de santé de la Marine, à Bordeaux et de l’armée, à Lyon. De son propre aveu, il ne se préoccupait pas vraiment de l’ébullition politique et sociale qui se développait. Il avait surtout le souci des concours à préparer. Ensuite, à l’École de Lyon, eh bien il travaillait, travaillait et, éventuellement, faisait le mur, quand même. Lorsque  je pense au temps de ma propre adolescence, la première image de mon père qui me vient à l’esprit est celle de quelqu’un en train de lire une revue de médecine. Et lui dédier un espace de travail correspond bien à son tempérament travailleur, en fait.

Le patriotisme était prégnant dans son environnement, mais on ne trouve pas d’antécédents militaires dans sa famille proche sauf son grand-oncle, l’oncle Eugène, officier d’administration de 2e classe du service de santé  des armées et qui aurait eu entre autre une affectation  à Brazzaville. Selon mon père, à l’époque où l’oncle Eugène était à Brazzaville, les éléphants rôdaient autour de ce qui n’était alors qu’un village. Et toujours selon mon père, c’est cet oncle Eugène qui a éveillé son intérêt pour l’Afrique noire, une terre d’aventures, mal connue encore, qui avait aussi  l’avantage d’être loin d’une famille stricte.

On a donc deux éléments : le patriotisme, un intérêt  pour l’aventure. Reste le choix des études de médecine dans une école militaire. Toujours dans ce que mon père a raconté, c’est son propre père qui l’a poussé vers la médecine militaire plutôt que civile. Pourquoi ?  L’argument n’est pas tout à fait clair pour moi. Les menaces de guerre s’amplifiaient. Le père de Guy Charmot craignait, semble-t-il, de mourir  prématurément, ce qui priverait son fils des moyens de payer des études longues dans un contexte instable. Et suivre la voie de la médecine militaire assurait une sécurité financière des études. Le père aurait emporté l’adhésion du fils à ce choix militaire par un argument définitif : « Sinon tu resteras garçon de café ». Dont acte. Je sais de qui mon père a hérité son sens des formules assassines.

Finalement, le cocktail « patriotisme / aventure africaine/ sécurité financière » l’a conduit à l’École de santé de l’armée de Lyon, puis à la spécialisation « médecine coloniale » au Pharo. Mon père est arrivé à Marseille, pour suivre cette spécialisation au Pharo, en janvier 39. C’était il y a presque 80 ans et il avait 24 ans.

Arrive la déclaration de guerre et une affectation sur la ligne Maginot ; et en avril 1940 ordre lui est donné de  rejoindre l’AOF, dans un poste au sud de l’actuel Burkina Faso. Et c’est là où, avec ses camarades, il apprend la nouvelle de la défaite et de l’armistice. Sa vie dans les Forces françaises libres commence.

Mon père a toujours été très sobre sur ce passé combattant, comme d’ailleurs sur tout son passé. Le chapitre était clos. Et puis, disait-il, il n’avait fait que son devoir. Il n’y avait rien à dire. En 1998, je lui avais acheté un cahier pour qu’il y couche ses souvenirs de guerre. Il a fini par les écrire, mais il ne me l’a pas donné à lire tout de suite : « Tu le liras après ma mort », disait-il.

En 1940, tout de suite après la défaite,  lui, d’autres gradés et une cinquantaine de tirailleurs africains ont rejoint l’actuel Ghana, puis le Cameroun où se formait le BM 4, au sein duquel mon père est resté toute la guerre, au poste relativement exposé de médecin de bataillon.

Et puis le BM 4 une fois constitué  au Cameroun a été envoyé en Palestine, comme cette région sous mandat britannique était alors appelée. C’est alors la traversée de l’Afrique, d’ouest en est, en camion. Mon père a conduit lui-même un des camions du convoi. Puis c’est l’arrivée au Soudan anglo-égyptien, puis  un bateau sur le Nil, un train jusqu’à Alexandrie et un autre jusqu’à Qastina en Palestine. Pendant la campagne de Syrie il se trouve hospitalisé à Bethléem, et il rejoint finalement le BM 4 à Damas. Direction ensuite la Somalie britannique pour participer à la campagne d’Éthiopie. Et puis remontée en bateau de la mer Rouge, le train jusqu’à Beyrouth et enfin départ fin 42 pour la Lybie et Tobrouk. Et en avril 43, c’est la Tunisie, à Takrouna. Les combats y sont très violents.  Et le docteur MICHEL est revenu il y a une quinzaine de jours d’une cérémonie mémorielle à Takrouna, avec Pierre Robédat, 20 ans à l’époque et chef de la section des canons de 75 du BM 4, un ami de mon père, un ami de 75 ans…

Ensuite, c’est le départ pour l’Italie. La campagne d’Italie a été très dure elle aussi. En l’an 2000, en écrivant son texte, mon père se souvenait de l’odeur des cadavres le long des routes italiennes. C’est près de Rome, en 44, qu’il est décoré de la croix de la Libération par le général de Gaulle lui-même, sur le front des troupes. Il devient compagnon de la Libération.  

Un peu plus tard, c’est l’ordre de départ sur un bateau de transport de troupes dont la mission sera révélée en pleine mer : le débarquement en France,  sur  la plage de Cavalaire. Mon père se rappelait de l’explosion de joie des troupes à cette nouvelle.  Mon père a raconté aussi dans son cahier le bonheur de retrouver l’odeur des pins de son enfance.

Le BM 4 participe aux combats pour la libération de Toulon et remonte vers le nord de la France, jusque dans les Vosges. Et là, déception pour tous : le BM 4 est envoyé au sud, dans l’arrière-pays niçois, où il est engagé dans de durs combats dans la massif de l’Authion.  Les combattants apprendront là la victoire le 8 mai.

Et l’un des grands regrets de mon père, et de ses camarades, est de n’avoir pu rentrer en Allemagne en vainqueurs.

Sitôt la guerre terminée, mon père a demandé à repartir en Afrique, le plus vite possible. En septembre 45, c’est le départ pour Brazzaville, la ville de son oncle Eugène,  et de Brazzaville, il gagnera son premier poste au fin fond du Tchad où il découvrira une médecine de brousse balbutiante et passionnante.

Malgré sa discrétion, quels sont les mots ou les souvenirs qui reviennent le plus souvent  dans son cahier ou ses entretiens? Qu’a-t-il voulu transmettre ?

  1. Il y a la honte qu’il a ressentie de voir l’effondrement de la France en juin 40, et la réaction immédiate, impulsive de continuer le combat, pour l’honneur. Il se souvenait de cette indignation mêlée d’incrédulité le matin où l’information de l’armistice est arrivée.  Il disait en garder un souvenir très net: l’impensable défaite était arrivée. Le 18 juin 1940, il était donc en Afrique en tant que médecin militaire et il n’a pas entendu l’Appel. Mais lui et ses quelques camarades présents ont immédiatement cherché à rejoindre les Anglais pour continuer le combat. Selon lui, en juin 40, l’émotion patriotique l’a emporté sur la raison chez ceux qui ont pris cette décision.
  2. Il y a quelques souvenirs de son rôle de médecin de bataillon : il est resté sur le front, avec le même bataillon, durant toute la guerre, et il a refusé d’aller vers un poste médical à l’arrière, moins exposé. J’imagine qu’il a dû être le témoin de situations d’horreurs. Il a évoqué avec parcimonie les camarades tués juste à côté de lui ; le tri des blessés à faire sur le champ de bataille. Il reconnaît avoir eu très peur une seule fois, en devant aller chercher des morts et des blessés sous le feu d’un char allemand, au point d’avouer avoir vaguement récité très vite le Notre-Père et avoir tremblé de tous ses membres, tant il était certain de mourir. Et il s’est élancé et puis…  et puis les mortiers du bataillon venaient de neutraliser le char. Le chef de section des mortiers était ce Pierre Robédat cité plus haut, auquel je dois sans doute indirectement la vie. Je voudrais citer un fragment de phrase trouvée dans le cahier : « la fraternité au sein des combats furieux ». Cette expression nous apprend ce qui aidait ces hommes jeunes à tenir dans la tourmente qui les broyait.
  3. Que disait-il  encore ? Il tenait toujours à rappeler la vaillance des combattants africains, d’Afrique noire ou d’Afrique du nord, engagés dans cette guerre, il les aimait, les respectait et il regrettait que ces combattants ne soient pas mis plus souvent à l’honneur.  

Je voudrais conclure en citant des valeurs qui lui tenaient à cœur : le désintéressement, l’honneur, le patriotisme, la ténacité dans les moments difficiles, le refus de la défaite, le sens du devoir.  Il me semble que ces valeurs restent plus que jamais d’actualité et elles ont fait d’un adolescent timide un homme courageux.

Je vous remercie.

Dominique Charmot



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