EXTRAITS de " Là ou coule le GIER" de René Félix
Tous droits réservés René FELIX
Ces extraits romancées sont basés sur des faits réels.
" Courant mai fut planifié une action d'envergure. Il s'agissait de faire dérailler un train. La «victime» choisie fut un train de marchandises passant régulièrement sur la ligne Saint-Etienne - Le Puy. On décida que l'attentat aurait lieu entre les communes de Chambon-Feugerolles et de la Ricamarie, à environ 150 mètres d'un passage à niveau utilisé uniquement par des piétons connu sous le nom de passage à niveau de Cotatay.
Dans la nuit du 29 mai, René, accompagné de ses hommes se rendit sur place par la route de Saint-Etienne - Firmigny. Il faisait très sombre et il n'était pas question de sortir une lampe électrique. Habituant leurs yeux à la pénombre les jeunes gens se positionnèrent. René surveillait les alentours avec deux autres maquisards pendant que deux camarades positionnaient l'explosif. Une lame métallique simplement posée sur le rail servirait de contacteur lorsque le train roulerait dessus.
La mise en place terminée, tout ce petit monde se repositionna sur une hauteur à l'abri des regards afin d'assister au feu d'artifice.
A 0h18 exactement le train numéro 9639, poussif, chargé de charbon, envoyant ses volutes de fumée blanche sur lesquels se reflétait la lueur rougeoyante du foyer arriva en haletant sur les lieux, la machine progressant avec une lenteur relative roula sur la lame conductrice.
Une forte déflagration s'ensuivit et dans un bruit épouvantable le monstre de métal bascula sur le ballast.
Un morceau de rail fut projeté à plus de 50 mètres de distance, des éclats et des pierres partirent en tout sens en sifflant. La machine 140JI.64 gisait sur le coté du remblai soufflant tel un animal blessé, son chasse pierre avant gauche tordu et le tablier transpercé d'éclats.
L'explosion avait creusé un trou de plus d'un mètre au centre de la voie et sectionné les fils d'un poteau téléphonique tout en provoquant la chute de celui-ci.
Promptement les résistants prirent la poudre d'escampette, le coin n'allait pas tarder à grouiller de monde.
Dans le même temps, à Rive-de-Gier, les hommes de René ne restaient pas inactifs. Ils avaient préparé un ballonnet «lance tract», l'engin en toile caoutchoutée jaune d'un diamètre d'environ 4m50, gonflé à l'air chaud, transportait, suspendu, un sac de toile également caoutchoutée de quarante-cinq centimètres de diamètre par trente centimètres de haut sur lequel était attachée une gaine contenant un cordon d'environ 2m50 relié à une cartouche explosive. Le sac contenait bien évidement des tracts qui une fois le ballon en altitude était censé s'ouvrir sous l'explosion de la cartouche ce qui envoyait des centaines de papiers dans l'atmosphère qui redescendaient tourbillonnants, dispersés par le vent.
Ils prirent position au nord de la commune de Rive-de-Gier afin que le vent emporte l'engin vers la ville.
L'opération se déroula parfaitement, le ballon monta doucement à une belle altitude et une fois le cordon consumé, il fit exploser la cartouche qui, crevant le sac, libéra les tracts sur Rive-de-Gier. Le ballon se dégonflant, finit sa course dans les vignes au lieu-dit «Aux grandes Flaches» et fut récupéré dans la matinée par la gendarmerie.
Le lendemain amena également nombre de policiers sur les lieux de l'attentat de la locomotive. Les allemands se déplacèrent eux aussi. Un officier, deux soldats et un interprète avaient fait le voyage de Lyon afin d'enquêter sur cet acte terroriste. Après avoir questionné les gens de la SNCF et s'être entretenus avec les gendarmes, ils reprirent la route afin de communiquer leurs observations à leur commandement.
Le 22 juin, ils volèrent 210 kilos d'explosif en gare de la Ricamarie composés de 3 caisses de Grisounaphtalite couche et de 4 caisses d'explosif Favier O.
Les actions se multipliaient, René était partout, il frappait sans relâche lui et ses hommes bravaient tout les dangers. Le plus souvent possible il rentrait à la maison afin de serrer dans ses bras Aima et les enfants. Les nuits de beuveries semblaient lointaines et sa violence passée pouvait maintenant s'exprimer lors de ses attaques contre l'ennemi.
Aima tremblait, elle ne pouvait s'empêcher de se faire du mauvais sang pour cet homme qu'elle adorait malgré les moments difficiles qui avait été son quotidien seulement quelques mois auparavant. Juillet arriva et commença par un attentat spectaculaire à l'usine Duralumin que René connaissait comme sa poche.
L'usine, qui était maintenant sous le contrôle des allemands, participait à l'effort de guerre en fabriquant des pièces détachées pour la Luftwaffe.
Dans la nuit du 1er Juillet ils pénétrèrent dans l'usine en escaladant la haute grille de fer, peinte couleur bleu ciel, des Laminoirs de Couzon, longeant les murs ils avisèrent un petit bâtiment où ils mirent le feu. C'était le magasin où était entreposé le charbon ainsi que nombre de fûts d'huile de graissage, ce magasin attenant au local de la centrale électrique s'enflamma rapidement. L'incendie ne tarda pas à gagner en importance se communiquant à des fûts d'Alusol stockés là. Ce produit destiné à l’affûtage des scies était hautement inflammable. Les fûts ne manquèrent pas d'exploser dans un vacarme assourdissant, projetant des geysers de feu dans toutes les directions.
Leur acte accomplit ils quittèrent rapidement les lieux qui commençaient à devenir très dangereux, de longues flammes léchaient les structures, la chaleur devenait insoutenable. Ils se dirigèrent vers le bâtiment principal de l'usine.
A l'intérieur il faisait très sombre, les vitrages avaient été peints en bleu foncé afin que nulle lumière ne puisse être vue de l'extérieur en cas d'attaques aériennes et que l'on ne puisse cibler l'usine facilement. Ils dépassèrent les presses à filer Schloemann et parvinrent au tiers de la longueur du hangar principal de l'usine à un lieu où étaient stockés des rouleaux d'aluminium.
Repoussant le matériel entreposé au sol, ils révélèrent une plaque de métal, ressemblant à une plaque d'égout, qui une fois soulevée laissait apparaître une échelle de fer à main courante descendant le long d'un puits aboutissant à un petit passage où coulait un ru rejoignant le Gier.
C'est donc sans être ni vu ni inquiété que le petit groupe quitta l'usine et put, de l'autre coté de la rivière, contempler l'incendie et les efforts des pompiers qui étaient déjà sur les lieux, prévenus par des voisins de l'usine réveillés par le bruit et les lueurs de l'incendie.
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Dans la plaine du Jarez, à une douzaine de kilomètres de Rive-de-Gier, s’étalait un lieu-dit connu sous le nom de Senevas. Cet amas de quelques maisons rattachées administrativement à Saint-Romain-en-Jarez était entouré de petites collines.
L'endroit était sauvage et beau et les arbres allaient d'un vert profond à l'ocre et parfois au rouge, après que la main brûlante de l'été ait caressé le relief du pays. Là, parmi les quelques fermes posées de part et d'autre du chemin qui traversait le bourg, vivait un cultivateur. Cet homme, qui avait toujours vécu là, était plutôt rond, le cheveu rare, les yeux bleu délavés, toujours vêtu de la même salopette, une éternelle cigarette brune papier maïs éteinte noir-jaune au bout, coincée à l'angle de ses lèvres lippues. Il avait cet aspect fermé souvent rencontré à la campagne et était peu apprécié de ses voisins.
L'arrivé des allemands dans son «coin» ne l'avait pas particulièrement perturbé. Il y avait même vu la possibilité d'un profit. Il commença par faire copain-copain avec les occupants au hasard de leurs passages dans la région. Puis petit à petit, cherchant à s'attirer quelques faveurs, il invita les soldats à boire un verre, leur donna du saucisson ou des pâtés.
C'est ainsi qu'il se fit connaître des troupes qui patrouillaient la plaine. Le temps passant il reçut de plus en plus de visites. Mais cela ne lui rapportait rien de mieux que quelques bonnes tapes dans le dos et quelques passe-droits.
Prenant régulièrement un verre au café du coin, il lui arrivait d'entendre les conversations des clients. Souvent il surprenait des choses qui, pensait-il, pourraient avoir un intérêt pour l'occupant. Son cerveau calculateur n'eut pas grande difficulté à imaginer que cela pouvait lui rapporter. Il se mit donc à raconter tout ce qu'il savait et entendait.
Les allemands furent soudain pris d'un nouvel intérêt pour cet informateur de bonne volonté et ne tardèrent pas à lui proposer de l'argent pour tout renseignement de valeur. Contacté par la gestapo de Saint-Étienne, on vint lui proposer quelques primes pour ses informations ainsi 4.000 Francs était offert pour une mitraillette saisie, 10.000 pour un poste émetteur et même jusqu'à 100.000 Francs pour un résistant.
La collaboration était diablement rémunérateur, il se mit donc tout naturellement au service de l'occupant et fut une source intarissable d'informations pour la gestapo et la milice. Il était fréquent de voir chez lui des uniformes noirs ou vert de gris.
Dans la région il finit par acquérir une réputation nauséabonde et c'est tout naturellement qu'il reçu le surnom de «Serpent». Les personnes, qui suite à ses dénonciations, avaient été déportées, tuées, torturées par les allemands ou les miliciens ne se comptaient plus.
Les responsables de la résistance locale planifiaient de nombreuses opérations et il fut décidé que le «Serpent» était désormais une cible.
Le groupe de Lorette fut donc chargé de cette exécution. Le 8 Juillet, à la tombée de la nuit, un véhicule quitta discrètement les environs de Rive-de-Gier en direction de Saint-Romain. La route sinueuse fut parcourue dans la pénombre, les yeux de chat éclairant mal la chaussée.
A quelques centaines de mètres de Senevas le conducteur coupa le moteur et la voiture fut dissimulée dans le sous-bois. Une équipe de cinq hommes s'engagea sur le chemin menant au village. En arrivant à proximité de la ferme où habitait l'informateur des nazis, trois hommes se positionnèrent de façon à couvrir les deux exécutants.
René et Jean s'avancèrent à découvert. Nulle lumière ne semblait provenir de l'intérieur de la bâtisse. Arrivés devant la porte de bois blanchie par le soleil, ils prirent une profonde inspiration. Chacun s'était armé d'un revolver anglais de fort calibre. Et c'est ensemble qu’ils donnèrent un violent coup de pied dans la porte qui s'ouvrit en craquant. Sans perdre un instant ils foncèrent.
A la lueur de leur torche ils purent constater que la pièce principale était vide. Obliquant à droite, ils se dirigèrent vers la seule porte intérieure. Ils la poussèrent fortement. N'offrant aucune résistance, elle rebondit sur le mur. Entrant dans la chambre ils virent, dans le halo de lumière, le gros homme qui dans son lit s'asseyait.
Effrayé par tout ce bruit, ébloui par les lampes pointées sur lui, il vit distinctement le museau menaçant des revolvers. Derrière, il pouvait distinguer les silhouettes des deux hommes qui l'ajustaient. Le visage déformé par la terreur, dans un dernier réflexe, il remonta les draps sur le haut de son corps et s'en couvrit la tête en criant des mots inintelligibles.
Les revolvers aboyèrent dans la nuit du Jarez. Les barillets furent vidés en quelques secondes et les deux résistants restèrent un moment immobiles à considérer les plumes de l'édredon retomber lentement et la fumée se dissiper dans le faisceau de lumière. Jean tira sur le drap afin de vérifier si l'homme était bien mort. Il gisait sur le lit, les yeux grands ouverts, une tache s’élargissait sur son Marcel, un filet de sang coulait le long de son bras et gouttait sur le parquet. Ils sortirent des lieux rejoindre leurs camarades et courant le plus vite possible ils regagnèrent la voiture.
Les attaques ne s'arrêtèrent pas là, le 10 juillet vers 22 heures, deux gendarmes de la brigade de Rive-de-Gier patrouillaient dans le quartier des Vernes au nord-ouest de la ville. Arrivant à la hauteur du Chemin du Grand Féloin, ils remarquèrent la présence de trois individus dont l'un d'eux tenait une bicyclette à la main.
Les gendarmes interpellèrent à distance les trois hommes leur demandant leurs cartes d'identité. Aussitôt deux des jeunes gens prirent la fuite poursuivis par l'un des gendarmes qui leur criait de s'arrêter.
Le troisième homme s'approcha des deux gendarmes, déposa sa bicyclette au sol et fit mine de fouiller ses poches à la recherche de ses papiers. Il sortit brusquement un pistolet 7,65 Ruby et ouvrit immédiatement le feu sur les sous-officiers tout en s'enfuyant à toutes jambes, manquant sa cible, l'adrénaline faisant trembler sa main. Il disparut sans que les sous-officiers ne puissent apercevoir les traits de son visage. Les gendarmes ripostèrent en vain.
Le vélo, saisi par les forces de l'ordre ne portait bien évidement pas de plaque de propriété et ne permit pas d'identifier qui que ce soit. Cette action, qui ne fit pas de victimes, montrait s'il en était besoin la détermination des résistants face à la force armée et leur volonté de lutter contre les marionnettes des allemands.
Le 21 ils sabotèrent les transformateurs de l'usine Duralumin, provoquant des dégâts importants et ralentissant sérieusement la production.
Le 24 une bombe incendiaire fut posée à l'usine des Etaings Marrel à proximité d'une large flaque d'huile provenant d'un filtre renversé. Le 27 le bureau du service de ravitaillement de la commune de Fraisse fut cambriolé, le reliquat des feuilles de rationnement du mois de juillet fut pris ainsi que la totalité des feuilles du mois d’août le butin se montait à 2652 feuilles de tickets de pain, 2614 feuilles de tickets de denrées diverses et 2534 feuilles de tickets de viandes.
Tout cela allait servir bien-sûr à alimenter les maquis mais aussi les familles qui avaient bien du mal à subsister. Juillet fut aussi fertile dans l'organisation de plusieurs plans d'attaques contre différents objectifs. René planifia un attentat d'envergure.
Une fois encore la SNCF était visée, un train allait sauter. Le lieu choisi fut le point kilométrique 519-200, entre les gares de la Grand-Croix et de Lorette. En remontant le long de la voie Saint Étienne - Givors ils pouvaient facilement observer les lieux et préparer leur action. Il fut donc décidé que l'attentat aurait lieu dans la nuit du 2 au 3 août.
Cette nuit-là, aux alentours de minuit, les hommes du groupe de Lorette se rendirent sur place, longeant la voie à partir du passage à niveau 318 au pont du Dorlay, ils atteignirent l'endroit prévu, environ 600 mètres plus loin, aux alentours de 23h. A cet endroit la voie I passait sur un remblai d'une hauteur d'environ une dizaine de mètres, longée par un chemin de terre, qui leur permettaient de progresser rapidement et, descendant le remblai, de se dissimuler aux yeux des équipes de requis civils qui gardaient les lieux.
La nuit était belle, toute embrasée d'étoiles. La fraîcheur relative après cette chaude journée laissait monter des odeurs de fleurs sauvages et d'herbes folles.
René sentait son coeur battre jusque dans ses tempes.
La situation était terriblement dangereuse mais il éprouvait une sorte d'excitation à se trouver là, il ressentait une indicible jouissance à frapper l'ennemi, durement, violemment. Il voulait brutaliser l'occupant, lui faire mal, le faire saigner, le tuer. L'artificier du groupe prépara son matériel. Du fil électrique isolé de soie, une pile de marque «Rex», des lamelles de cuivre et bien-sûr de l'explosif constituaient l'ensemble de son montage.
Il positionna une lamelle de cuivre sur un rail, la relia par un fil isolé de soie d'environ un mètre à la pile. Coupé en son centre, le fil était relié par un bobéchon à deux autres fils électriques, dénudés, eux même connectés à la masse explosive.
De l'autre pôle de la pile partait un second fil isolé de soie d'environ 30 centimètres en contact avec l'autre rail. Positionnant l'ensemble sur la voie ferrée il le dissimula tant bien que mal utilisant les cailloux du ballast, la pile montrant de vives couleurs avait été enveloppée de papier d'emballage jaunâtre et fut cachée sous le rail. Le même engin fut positionné environ deux mètres cinquante plus loin afin de sectionner une portion importante du rail.
Ce soir là, deux équipes avaient été chargées de garder la voie. La première se trouvait à environ 200 mètres du lieu où les explosifs devaient être posés. Jean-Baptiste Teissier et Barthélemy Chaize, deux gars de la Grand-Croix, progressaient en direction de la gare de cette même ville.
La seconde équipe était composée d'Etienne Piot et de Joseph Moulin. Connus de René et de ses camarades c'étaient des sympathisants de la résistance. Faisant leur ronde, ils passèrent à proximité du petit groupe et firent comme si ils ne les avaient pas vus. Le chef de poste suppléant Auguste Joly de la Grand-Croix faisait sa ronde et contrôlait les équipes.
Ne trouvant rien de suspect il poursuivit son chemin sans voir les hommes dissimulés en contrebas du remblai. A 0h05 le train de matériel allemand, qui transportait des milliers de bottes, des effets militaires et de nombreuses munitions, se fit entendre dans le lointain. Il lâcha un long coup de sifflet strident qui déchira la nuit. Les requis qui marchaient sur les traverses se mirent sur les cotés et attendirent le passage du convoi balançant leurs lanternes de gauche à droite.
Tout va bien, semblaient dire leurs feux au chauffeur de l'énorme machine de fer. Quelques soldats avaient pris place près du chauffeur, d'autres étaient assis sur des traverses jetées sur le charbon du wagon suiveur et fumaient tranquillement une cigarette.
Le Chef de Poste Malleret s'apprêtait à faire sa ronde lorsqu’à 0h10 la locomotive écrasa les lames de métal. Tout d'abord rien ne se produisit et le coeur des jeunes gens se serra. Tous ces efforts, tous ces risques pour rien ! Puis tout à coup une violente explosion secoua toutes choses à des centaines de mètres à la ronde et fit voler voie, traverses et ballast. La locomotive fut parcourue d'une onde qui la secoua et sembla la soulever du sol.
Elle sortit de la voie et dévala le remblai dans un vacarme assourdissant. Les soldats juchés sur le tas de charbon furent projetés dans les airs et l'un d'eux tombé sous la machine fut écrasé par les tonnes de ferraille qui se couchaient dans la nuit. La panique régnait, de nombreux allemands étaient descendus sur la voie et remontaient le train en direction de l'explosion.
Les requis civils, choqués se remettaient de leur émotion. Le souffle les avait projetés sur leurs postérieurs mais aucun n'avait été blessé. Il était temps pour l'équipe de René de faire retraite. Moulin et Piot attendirent que le groupe ait quitté les lieux pour avertir la gendarmerie et la gare de Grand-Croix. Cet attentat eut un succès retentissant dans les rangs F.T.P., le groupe de Lorette s'en trouva auréolé d'une gloire nouvelle et René et ses camarades furent fêtés tels des héros.
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A minuit les inspecteurs Mastard et Coquardier se levèrent et reposèrent les dossiers qu’ils consultaient. Le poste de police était situé dans l’aile gauche de la Mairie. Ils lancèrent à la cantonade : «Bon allez les gars on rentre, Bonne nuit à tous !».
-Je vais faire le chemin avec toi, dit Mastard
-Si tu veux, répondit Coquardier, J'en ai marre j’vais me pieuter.
Ils sortirent du commissariat, la nuit était sombre et fraîche. Ils remontèrent vers la Boirie, en sortant de la rue de la République ils obliquèrent tranquillement à droite et remontèrent pour prendre à gauche le haut de la rue Richarme, rue qu’ils connaissaient bien. En effet c’était là qu’habitait Coquardier et souvent ils rentraient ensemble empruntant ce même chemin.
En arrivant en haut de la rue Richarme ils prirent position à l’opposé l’un de l’autre, chacun sur un trottoir. Les deux inspecteurs discutaient d'une affaire sur laquelle ils avaient travaillé et qui avait permis à la SIPO-SD d'arrêter un certain nombre de juifs qui se cachaient chez des particuliers de Rive-de-Gier. En prime les-dit particuliers avaient eu droit à un passage à tabac au commissariat et avaient été remis entre les mains des SS qui les avaient immédiatement envoyés à la prison Montluc à Lyon. Coquardier lui-même avait pris plaisir à frapper aussi bien sur les juifs que sur les gens qui les avaient hébergés. Soudain ils aperçurent une ombre qui, remontant la rue, venait vers eux.
-Halte là ! Police ! L’ombre s’immobilisa.
Les deux inspecteurs s'approchèrent avec précaution, la main sur l’arme de service. Il fallait s'attendre à tout avec ces salauds de terroristes qui infestaient le pays !
-Veuillez décliner votre identité et qualité.
-Je suis ouvrier je me rends à la verrerie Souchon, j'y travaille.
-Vos papiers !
-Eh bien je ne les ai pas sur moi mais je vous jure que je vais travailler.
-Très bien, dans ce cas nous allons vous accompagner, montrez-nous le chemin et vous nous ferez faire un petit tour de la verrerie.
L’ouvrier, passant devant eux, marcha jusqu'à la grande porte de bois de la verrerie et l'ouvrit utilisant sa clé. Les deux policiers firent le tour des lieux et examinèrent avec attention chaque recoin. Le bonhomme leur présenta sa fiche de pointage et quelques doubles de feuilles de paye à son nom qui traînait dans les tiroirs du secrétariat. Il y avait là des ouvriers de l'équipe de nuit qui affirmèrent le connaître et témoignèrent de son identité.
Rien, il n'y avait rien de suspect. Ce type semblait bien être l’un des ouvriers de la verrerie. -Bon ça va pour cette fois mais n’oubliez plus vos papiers et présentez-vous demain matin au commissariat pour un contrôle.
-Bien Monsieur l’agent.
-Pas Monsieur l’agent, Monsieur l’Inspecteur ! dit Mastard en assénant une gifle sur la tête de l’homme ce qui fit voler sa casquette.
L’ouvrier ne répondit pas, ramassa son couvre-chef et disparut dans l’ombre du passage en refermant la porte. Mastard étouffa un petit rire et Coquardier sourit, ils continuèrent ainsi pendant encore une cinquantaine de mètres se moquant de l'anxiété de l'ouvrier. En arrivant à la hauteur du numéro 71, ils entendirent un léger bruit derrière eux, ils se retournèrent croyant retrouver l'ouvrier de la verrerie Souchon qui sans doute venait de retrouver ses papiers. Quelle ne fut pas leur surprise lorsqu'ils se retrouvèrent face à deux hommes armés à l'air farouche. René et André leur faisaient face à moins de trois mètres le canon de leurs pistolets pointés sur les deux hommes. Instinctivement les policiers tentèrent de sortir leurs armes.
Les pistolets Ruby aboyèrent de concert. Les coups de feu claquèrent dans la nuit ponctuant la ruelle d'éclairs sporadiques, jetant une lueur vive et brève sur les bâtiments des alentours. Comme si le temps s'écoulait au ralenti, René sentait l'arme tressauter dans sa main, il lui semblait voir les douilles s'éjecter lentement et s'envoler l'une après l'autre. L’inspecteur Coquardier s'écroula atteint par plusieurs projectiles, une balle l'atteignit en pleine tête lui traversant la tempe, l’autre au côté lui perforant un poumon puis le coeur.
Mastard, le premier instant de stupeur passé, pointa son arme et commença à tirer frénétiquement en direction des deux hommes qui déjà couraient tirant derrière eux à l'aveugle pour se couvrir. Ils remontèrent la rue et Mastard les perdit de vue. Il attendit haletant, le bras tendu, le pistolet pointé devant lui, le coeur battant à tout rompre. Le silence était revenu, s'étant assuré que les deux terroristes étaient partis, il remit son arme dans son étui d'une main tremblante et essuya la sueur qui lui coulait le long des tempes. Il se pencha sur Coquardier et constata que celui-ci n'avait pas survécu à ses blessures.
André et René couraient à perdre haleine. Lorsqu’enfin ils s'arrêtèrent, ils se retournèrent, vérifiant qu'ils n'avaient pas été suivis. Le souffle court, leurs regards se croisèrent, les pupilles dilatées, l'adrénaline courant dans leurs veines.
-Tu crois qu'on les a eus ? dit André.
-Moi en tout cas je sais que j'ai fait mouche, dès que j'ai fait feu l'un deux s'est écroulé. Je suis sûr que c'était ce saligaud de Coquardier.
-Tu ne vas pas pouvoir rester là, d'ici quelques heures il y aura des flics partout. Écoute, nous sommes samedi, profitons-en il faut que tu te tires dès ce soir. Je verrai ça avec l'état-major. Tu vas faire tes bagages et partir dès ce soir pour Clermont-Ferrand, je veux te savoir là-bas pour que dès demain tu puisses commencer à travailler avec les maquis sur place. Je préviens Aima, je ferai en sorte qu'elle te rejoigne dans quelques temps.
Je l'aiderai à trouver un endroit pour les enfants.