OPERATION PONT DU MONTAL
Un camion conduit nous conduits à proximité de Montgirault. Tout le monde descend et marche jusqu'au hameau. On y retrouve le groupe Mortier qui va nous suivre avec son arme. L'opération est dirigée par le lieutenant André, secondé par l'adjudant Pierre Demongeot et le lieutenant Garde. Un groupe de fusiliers-voltigeurs reste en réserve à Montgiraud, sous la direction du chef de section René Bault et du sergent Robert Mathé.
Le lieutenant André mène sa troupe d'un pas rapide en direction du pont du Montal, sur la Cure, en bas de Dun-les-places. On ne regarde pas trop le décor et pourtant tout est beau. On suit le cours de la Cure qui serpente dans une vallée encaissée très profonde. Des forêts majestueuses de feuillus nous dissimulent aux regards ennemis, mais ils cachent aussi les Allemands, protégés par les troncs d'arbres.
Cette rivière est sinueuse et serpente de rochers en rochers. On imagine des truites, et pourquoi pas des écrevisses. L'air est pur, la nature est belle.
On pourrait jouir de cette ambiance de paix et pourtant, plutôt que d'admirer les feuillages ensoleillés, il faut scruter chaque buisson, chaque repli de terrain, chaque arbre, chaque rocher. Ils peuvent camoufler et protéger un ennemi.
La marche est rapide dans ce sentier forestier qui longe la rivière, sur la rive gauche, pendant plus de quatre kilomètres. L’ordre est de franchir la rivière par un gué et de retrouver la route D6 qui va de Saint-Brisson à Dun-les-places.
Le lieutenant André divise ses hommes en deux groupes. Le groupe conduit par Georges Hamacek doit s’approcher du pont du Montal par la route. L’autre groupe, dirigé par le lieutenant André, monte dans les bois qui dominent la route. Il peut ainsi couvrir le groupe Hamacek.
Soudain, bruits de tir, agitations. Hamacek intercepte une voiture allemande et tue tous les occupants. L'opération terminée, Georges Hamacek rejoint le lieutenant André et tous se regroupent autour d'une maison forestière.
D'où vient cette voiture ? le pont est-il en état ? Qui tient le pont ? Maquisards ou Allemands ? Y a-t-il d’autres véhicules en attente près du pont ? Le lieutenant André envoie deux hommes en observateurs en direction du pont. Georges Hamacek et Hubert Cloix avancent et aperçoivent le pont.
La vue est dégagée, on domine le lieu de 200 mètres environ.
Malheureusement la nuit tombe. On voit un feu dans la pénombre près du pont. On aperçoit des silhouettes qui se déplacent autour du feu. Mais hélas, il est impossible de savoir si ces formes qui s'agitent à la lumière cachent des amis ou des ennemis. Dans l'incertitude, il ne faut pas tirer et risquer de tuer des Français.
Les deux éclaireurs de retour informent le lieutenant André : il semble que le pont ait déjà sauté et soit inutilisable. Le lieutenant décide de rester sur place cette nuit. Hélas, depuis deux jours, l'intendance n'a pas suivi. Dans les bois, il n'y a rien à manger. Les estomacs sont vides. Évidement en pleine forêt, il est impossible de trouver de la nourriture. Heureusement, la femme qui tient la raison forestière a préparé le peu de pommes de terre qu'elle possédait.
On a pu manger. Une seule pomme de terre par personne. C’est peu, mais c'est merveilleux de calmer un tantinet les estomacs affamés. Merci à cette femme de cœur qui a vidé toutes ses réserves pour nous soutenir un peu.
Après ce réconfort, chacun s'organise pour chercher un abri pour dormir. La nuit est totale et pourtant on voit clair grâce à une belle lune. Il est 22 h environ, le silence est rompu par des explosions d'obus de mortiers qui tombent tout autour de la maison forestière. Les Allemands avaient donc repérer notre présence et l'emplacement de ce bivouac.
Heureusement, aucune victime, aucun dégât, à la maison forestière.
Autour de ce campement improvisé, à tour de rôle des équipes de garde veillent à la sécurité de tous.
Vendredi 8 septembre 1944 :
Tous ceux qui sont en forêt se regroupent à 6h55 et rentrent à pied à Montgirault
Nous constatons que le Hameau est vide, vide de ses habitants, vide du groupe de réserve qui devait nous accueillir et éventuellement nous épauler en cas de difficultés. Ce groupe, impressionné par le passage d'un convoi allemand sur la route D 977 bis de Montsauche à Saint-Brisson, s'est enfui en débandade. Le chef de section René Bault et le chef de groupe Robert Mathé n'ont pas donné l'exemple à leurs hommes. Ils n'ont pas pu maintenir et diriger l'unité dont ils avaient la charge.
Heureusement, la plupart des hommes connaissent bien la région, les chemins, les sentiers de traverse. Tous ces hommes isolés et apeurés ont pu se rendre à Savault sans pertes et sans déserteur. Cela montre l'attachement de ces jeunes maquisards à la compagnie ANDRÉ. Dans une situation aussi difficile, se retrouver tous rassemblés est déjà un exploit.
C’est dans les difficultés et dans les combats qu'on reconnaît les vrais chefs.
La prestance d'un homme et le « flambard » ne font pas de vrais chefs.
Comme prévu, le camion arrive à Montgirault pour le retour. Les horaires sont respectés de part et d'autre. Tous embarquent sur le plateau du camion.
Le conducteur conduit ses passagers à Palmaroux. Là, les habitants font des efforts pour préparer de la nourriture à cette troupe affamée. Ils aident à aménager les granges pour que chacun puissent dormir au sec.
Samedi 9 septembre 1944 :
Les hommes du lieutenant André retournent à pieds à Savault. Les huit Km sont franchis allègrement. Un déjeuner copieux nous attend.
Ainsi si se termine l'opération Pont du Montal. C'est la dernière mission confiée au lieutenant André. C'est la dernière opération réalisée par la compagnie ANDRÉ.
Belle réussite, qui auréole les derniers jours de la compagnie et du maquis BERNARD.
La Franceest encore loin d'être libérée, mais le Morvan semble débarrassé de la présence des Allemands. Les risques d'une mauvaise rencontre deviennent de moins en moins probables.
Dans l'après-midi, la compagnie André quitte Savault et monte à Ouroux où elle s’installe.
La Préfecturese trouve dans cette commune à titre temporaire, avant son prochain retour à Nevers, la ville préfectorale.
Dimanche 10 septembre 1944 :
À Ouroux, on se croirait en pleine paix.
Messe à 8 h. Par précaution, on maintien un poste de garde sur la route qui relie Ouroux à Savault.
Fromonot se rend à Corbigny. Est-ce une mission ou une permission ? Il revient le lendemain.
Lundi 11 septembre 1944 :
C'est la date officielle de la Libération du Morvan. Chacun se prépare donc à un retour à la vie civile.
On craint malgré tout le passage d'un groupe d'Allemands isolé qui chercherait les moyens de regagner son pays. La bête blessée peut être dangereuse. Les postes de garde sont donc maintenus.
Mardi 12 septembre 1944 :
Pendant les jours suivant, chacun réfléchit sur les options à prendre après la fin des combats dans le Morvan.
Malgré le désir de changement des uns et des autres, le lieutenant André tient parfaitement en main sa compagnie. Le déroulement des journées et la discipline sont bien respectés : levée des couleurs, tenue des postes de garde, service des corvées…
On vit dans le calme cette période d’attente. On se sent dégagé des tensions relatives aux dangers permanents de tous les jours. Beaucoup espèrent une démobilisation rapide. Nous nous sommes engagés volontairement pour chasser l’ennemi, or la raison d'être du maquis se termine. Le temps semble long.
Mercredi 13 septembre 1944 :
La section Enginsassure les fonctions habituelles d’une unité de corvée, un caporal de jour qui doit répondre à toutes les demandes et un caporal de garde.
Des bruits circulent dans la compagnie. On parle de nous libérer dès le lendemain jeudi.
Jeudi 14 septembre 1944 :
Hélas ! Ces bruits de libération n'ont rien de sérieux. La compagnie ANDRÉ existe encore, mais on vit une période de transition.
Les familles peuvent monter à Ouroux et rencontrer leurs enfants qui appartiennent à la compagnie ANDRÉ.
Un groupe de cinq a la permission de se rendre à vélo à Corbigny : Jean Gateau, (mines) Jean-Louis Fromonot (sergent-chef de groupe), Michel Henri (sergent-chef de la section Engins), René Lélevé (fusil-mitrailleur), Hubert Cloix (caporal-chef du groupe P.I.A.T.). Ils passent la nuit et la journée du vendredi 15 septembre à Corbigny : exercice de tir dans une carrière, visite au le restaurant Guérin de Chitry qui accueillait les agents de liaison de passage.
Dans l'après-midi, retour à Ouroux. On apprend officiellement que nous sommes libérés de nos obligations militaires. Toutefois, il est demandé à chacun de se réengager pour la durée de la guerre. Que de réflexions que de décisions à prendre, car une partie de la France est encore occupée, la guerre n'est pas terminée, on se bat tous les jours dans l'est du pays. Où est notre devoir ?
Samedi 16 septembre 1944 :
Après l’ordre du jour donné la veille confirmant la dissolution du maquis BERNARD, ce n’est pas la débandade générale. On ne quitte pas le bataillon sans l'accord des chefs. Bernard (Louis Aubin), dont on connaît toutes ses qualités, fait un accueil bon enfant à toutes les demandes. Par exemple, il accorde un départ définitif à Jean-Louis Fromonot pour lui permettre de retourner à Chéu, son pays natal.
Il a retrouvé sa Maman et espère obtenir des renseignements sur son Père, un grand résistant pourchassé par la Gestapo. Est-il encore en vie ?
Jean Gateau, du groupe Mines est autorisé à rester trois jours au lac des Settons.
Pendant ce temps, le lieutenant André se rend à Autun pour se présenter à l'état-major de la première armée. Il est reçu grâce à l’intervention du docteur Alec Prochiantz qui a opéré et sauvé le fils du général de Lattre de Tassigny, blessé dans les combats d'Autun. Il propose de mettre sa compagnie aux ordres de la 1°Armée.
Malheureusement, dans les locaux de l'état-major, il rencontre le colonel Viat (Diagramme) qui supervise encore le Morvan. Ce dernier lui interdit de présenter cette demande d’intégration et lui ordonne de retourner à Ouroux. Belle discipline militaire, le lieutenant obéit.
Dimanche 17 septembre 1944 :
Beaucoup de jeunes maquisards souhaitent rentrer dans leur famille, avec l'accord de leurs chefs.
Dans la section Engins, tous sont partis, seul Hubert est resté à Ouroux.
Bernardconstate avec peine la fin d'une époque. Par tous les moyens, il essaie de garder autour de lui un reste de son bataillon. Il espère maintenir son unité en regroupant les reliquats des différents maquis du Morvan. Il essaye de persuader les uns et les autres d’un réengagement. En réalité, il n'a pas de succès. Les motifs un retour à la vie civile sont multiples : retrouver sa famille, sa femme, sa fiancée, ne pas perdre sa place dans son métier, risque de perdre son temps dans les casernes...
L'entretien entre Bernard et Hubert en ce dimanche matin, exprime bien la pensée de la plupart des maquisards.
L'entretien est courtois, d'autant qu’Hubert a beaucoup de respect et d'admiration pour Bernard qu'il considère comme un chef excellent. Parti de presque rien en mai, il a mené durant quatre mois avec succès son maquis, et cela malgré l'accroissement des effectifs de quarante à mille-deux-cent hommes. Il a fallu répondre à tous les besoins, en nourriture et autres, constituer des unités, discipliner les jeunes, les former au combat et surtout créer la première compagnie, dite ANDRÉ.
À la demande de Bernard, Hubert explique son refus : '' je suis l'aîné de sept enfants, il est nécessaire que je termine rapidement mes études pour ne pas être à la charge de mes parents. La principale raison, décisive, est que je me suis engagé dans la Résistance pour sortir les Allemands hors de France, pour combattre l’envahisseur. Je ne veux pas glandouiller dans les casernes tandis que d'autres se battent dans des armées régulières. »
Hubert craint que les chefs de la 1ère armée du général de Lattre de Tassigny refusent l’intégration des maquis du Morvan dans les unités régulières. Les chefs locaux ont manifesté leur insubordination en refusant l'arrivée du colonel Bertrand, envoyé par le COMAC pour la direction du "Hérisson du Morvan". De plus, le colonel Roche, qui a pris place du colonel Bertrand, a freiné de toute son autorité le désir de combattre l'ennemi : rien n'a été fait pour sauver les maquis SOCRATE et CHAUMAUD, et seulement très tardivement pour secourir les maquis MARIAUX et JULIEN, voués à la destruction. Il n'a pas engagé aucunes opérations offensives pour perturber le retour des unités allemandes qui voulaient rejoindre l'est de la France pour rentrer dans les rangs de la Wehrmacht.
Le général de Lattre de Tassigny souhaite l'intégration des maquis. Il aurait dit oui pour le Morvan. Malheureusement, le refus du colonel Viat n'a pas permis cette intégration. Il veut maintenir le particularisme d'un régiment du Morvan, indépendant et autonome.
Pour ceux qui restent encore à Ouroux en ce dimanche, il est possible d'assister à la messe célébrée par le curé d'Ouroux dans son église. On revient aux habitudes des temps de paix.
Lundi 18 septembre 1944 :
Bien que son effectif soit très réduit, voire même squelettique, la compagnie ANDRÉ existe toujours. Le matin, vers 10 h, lever des couleurs et appel. En fin de matinée, arrivée imprévue des sœurs d'Hubert, celles qui ont porté le message de S.O.S. du maquis Mariaux encerclé et attaqué à Crux-la-ville. Bien sûr, on les garde pour le déjeuner à la popote de la section Engins. Après ce repas, un petit groupe formé d’Hubert, de ses deux sœurs et de Xavier Planchet, part en direction du lac des Settons pour chercher Jean Gateau. On n'ira pas loin car on le retrouve en route.
Ce petit groupe est dépassé par la voiture du lieutenant André, de retour d'Autun où il avait espérer d'être intégrer dans la 1ère armée. On a lu précédemment l'échec de cette démarche.
Malgré tout, on maintient les gardes de nuit. Mais dans la réalité ces gardes restent fictives. Ceux qui sont désignés pour la garde ont la possibilité de dormir tranquillement dans leurs turnes.
Mardi 19 septembre 1944 :
Dès le matin, tous ceux qui ne souhaitent pas se réengager, vont recevoir un avis de démobilisation. Chacun doit restituer son arme à l'armurerie et attendre le transport prévu. Vers 16 h, un camion venu de Corbigny embarque tous les libérables pour les conduire à Corbigny.
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* *
À ce moment précis LA COMPAGNIE ANDRÉ N'EXISTE PLUS.
Ceux qui désirent rentrer à Paris se regroupent chez les grands parents d'Hubert. Ils profitent d'un bon diner et d'une bonne nuit de repos dans des couchages improvisés. Le mercredi matin 20 septembre, chacun s'organise pour le départ pour Paris.
Le départ du peloton est assez folklorique. Rien à voir avec les tenues des cyclistes actuels, habillés de pantalons collants, des maillots serrés, ajustés au corps, des casquettes ou des casques, le tout aux couleurs des clubs, avec parfois le nom d'un Sponsor.
En ce jour, les jeunes filles sont en jupe et les garçons sont fringués avec de vieux vêtements usés jusqu’à la corde. Les pantalons ont des jambes larges qu'il faut resserrer avec des ficelles pour éviter qu’elles ne se prennent dans la chaîne ou dans les rayons. Des vestes élimées et, bien sûr, un béret basque. Pour certains un imperméable. Les vélos récupérés forment une collection très hétéroclite.
Les jeunes filles restées au village partent avec leurs vélos personnels, généralement en parfait état de marche et très bien astiqués. Les agents de liaison de VENGEANCE retrouvent leurs vélos cachés chez les grands parents d'Hubert. Ces vélos sont modernes à l'époque, ils comportent un éclairage à l'avant, un feu rouge à l'arrière, un changement de vitesses a trois pignons, des pneus demi ballon confortables, un frein à patins a l'avant et un frein à tambour sur la roue arrière (Le frein à tambour restait efficace sous la pluie).
Pour ceux qui n'ont pas de bicyclettes, on leur donne des vélos de récupération, de vieux vélos de ferme, bien sûr pas de changement de vitesse. Il y a même un vélo anglais comportant un système de freinage tout à fait spécial. Sur les vélos français, Une tringlerie souple relie les poignées de freins et les patins de freins. Sur les vélos anglais, on utilise des tiges métalliques rigides articulées entre elles qui transmettent les mouvements entre les poignées fixées sur le guidon et les garnitures de freins.
Le peloton de départ prête à sourire et même à rigoler. Il y a ceux qui partent avec un bon vélo à leur taille, on voit des garçons enfourcher une épave, ou un petit vélo de femme. Les agents de liaison, habitués aux grandes courses, partent allègrement. D'autres, mal entrainés, soufrent dès le départ sur des vélos mal adaptés.
Mais le désir de rentrer à Paris surmonte les craintes d'un trajet long et difficile. La distance entre Corbigny et Paris est de 250 kilomètres.
Les agents de liaison sont capables de parcourir cette distance dans la journée, mais par prudence, le trajet est coupé en trois étapes. La première est de cent kilomètres. Arrivée à Chéu, près de Saint-Florentin, au nord-est d’Auxerre. Le peloton roule lentement pour garder le contact avec les retardataires souvent mal équipés et mal entrainés. Ia route est très vallonnée, il y a beaucoup de côtes qui feraient sourire les coureurs du Tour de France. Mais n'oublions pas l'état des engins, l'état de la route, et le chargement : une valise sur le porte-bagage, un sac à dos plein de vêtements et de souvenirs du maquis, sans oublier les victuailles nécessaires à la route (en sortant du maquis, nous n'avons pas d'argent).
À l'approche d'Auxerre, entre Courson-les-Carrières et Gy-l'Evêque, il y a une grande côte de cinq kilomètres. On grimpe difficilement jusqu'au sommet.
Michel Henri, chef de la section Engins, déclare forfait. Il n'est pas capable de suivre le peloton. Il veut poursuivie sa route vers Paris tout seul, à son rythme.
Le groupe de dix personnes arrive à Chéu, heureux de l'accueil chaleureux de la famille de Jean-Louis Fromonot. Un bon dîner réconforte les corps fatigués. On s'endort sans soporifique. On apprend que le père de Jean-Louis, commandant Fromonot, l’un des responsables de VENGEANCE dans le département de l'Oise, a échappé à toutes les arrestations organisées par la Gestapo.
Jeudi 21 septembre 1944 :
Le petit groupe se reforme avec Jean Gateau, Jean- Louis Fromonot, Raymond Mage, Marcel Châtelain, Louis Poulet, Hubert Cloix et ses deux sœurs, Ninette et Madeleine. Tous enfourchent leur vélo pour une nouvelle étape jusqu'à Chartrêtes. Il y a encore des côtes à franchir mais moins importantes que celles de la journée précédente. Pourtant, Louis Poulet lâche le peloton à Arces, village situé entre Saint-Florentin et Sens, sur la route D 905.
Louis n'est pas perdu car il connaît bien la route de Chartrêtes où se trouve sa famille. Après un moment de repos, il récupère et accélère tant et si bien qu'il rattrape le peloton à Sens. Il roule de conserve avec le groupe.
Nous dépassons Jean Morvillier. Nous terminons l'étape sur le plateau d'un camion, c'est moins fatiguant et plus rapide.
En arrivant, nous découvrons le village de Chartrêtes situé au bord de la Seine.
Nous sommes presque en villégiature. On nous propose une promenade en barque. On est loin de la guerre, et pourtant la réalité des choses est encore présente.
On apprend la mort d'un ami Jean-Paul Migaud. Il n'a pas voulu nous suivre dans le Morvan. Au moment de la libération de Paris, les cloches sonnent dans toutes les églises. Jean-Paul sort sur le balcon de ses parents, rue de l'Abbé de l'Epée. Il reçoit une balle qui éclate son crâne.
Officiellement, son faire-part de décès porte la mention « tué par une balle allemande ». En réalité, quand on connaît les lieux et la situation critique des Allemands encerclés et attaqués par des éléments de la 2° DB, quand on sait que ce balcon est opposé à la direction des combats, on est obligé de reconnaître que la balle mortelle a été tirée par un Français. Est-ce un abruti ? Ces gens ont reçu des ordres pour tuer des civils innocents obéissent aux consignes données. Pour confirmer cette thèse, les secouristes de la Croix Rouge qui viennent retirer le corps de Jean-Paul reçoivent eux aussi des tirs malgré le déploiement du drapeau de la Croix Rouge. Il y avait dans le quartier, un poste de commandement des F.T.P. Quel destin !
Tous les amis de Jean-Paul qui sont rentrés sont sains et saufs chez eux, malgré les risques, malgré des moments très critiques, malgré les combats, alors que Jean-Paul, le seul qui ait échappé aux dangers et qui soit resté sagement avec ses parents, meurt bêtement.
Dîner et nuit calme chez les parents de Louis Poulet, pas de garde, pas de danger, pas de risques, seul le drame de Jean-Paul vient assombrir notre bonheur à l'idée de rentrer à Paris.
Vendredi 22 septembre 1944 :
Chacun arrive chez lui à l'heure du déjeuner. Chacun retrouve sa famille ou ses amis pour le repas. C'est du bonheur, bien que les assiettes ne soint pas garnies, on est encore en période de pénurie. Il y a encore des tickets pour tout : pain, nourriture, vêtements... La période des tickets va durer jusqu'aux mois de juillet ou août 1949, c'est-à-dire cinq ans après la Libération de Paris.
Ce retour en famille n'empêche pas le maintien des liens d'amitiés créés en ces mois d'été 1944 en Morvan par les anciens de la compagnie ANDRÉ.
Jacques et Jean Morvillier retrouvent Hubert Cloix et se préparent pour le diplôme d'expert comptable.
Jean-Louis Fromonot et Jean Gateau partent à Clermont pour retrouver le commandant Fromonot qui forme un bataillon opérationnel. En réalité, Jean-Louis et Jean ne sont pas en caserne mais logés chez l'habitant. Ils reçoivent une tenue militaire anglaise. Pour l'instant, il n'est pas question de se battre. Les Américains n'ont pas encore compris les capacités de ces Jeunes volontaires. Hubert vient les voir à Clermont sur Oise. La situation est telle qu'on perd son temps.
Mais on dit à Hubert : « On sait ce que tu peux faire, alors si cela est nécessaire on te fait signe et tu seras incorporé immédiatement. Accord conclu. Le bataillon trépigne de rester inactif dans la garnison à Clermont. C'est seulement à Noël 1944 qu'on l’envoie en opération. On le met en avant dans les forêts des Ardennes, au moment de l'offensive allemande du Maréchal Von Runstedt.
Jean-Louis Fromonot lance un appel à S.O.S. à Hubert mais pas pour se battre.
« Surtout ne vient pas, c'est inutile, nous manquons de vêtements chauds pour les froids intenses qui règnent à cette époque dans ces forêts d'Ardennes nous n'avons qu'un armement léger, incapable de détruire des chars. Nous sommes perdus en pleine forêt, sans ordre. Reste à Paris, mais récolte des tricots chauds à mettre sous les uniformes et des passe-montagnes ».
Toutes les amies et les sœurs d'Hubert tricotent des chandails, des gants, des écharpes, des passe-montagnes en laine. Elles aident ainsi ces malheureux soldats transis de froid. Au cours de cette campagne dans les Ardennes, le bataillon n'a pas rencontré un seul Allemand. Le bataillon n'a pas eu l'occasion de tirer sur l'ennemi et a été dissous après la capitulation du III Reich.
Le lieutenant André, après sa déconvenue auprès de l'état-major de la 1ère armée, quitte la Nièvre et retourne à Paris pour retrouver sa famille. Il ne circule pas en vélo comme ses hommes, mais utilise la traction avant 7 CV Citroën fournie par le maquis pour ses déplacements et ses missions. Sa voiture est marquée par un grand sigle F.F.I. de chaque côté, avec la mention MORVAN. Son numéro minéralogique indique son département d'origine. Il est arrêté à tout moment par des Morvandiaux de Paris qui lui demandent des nouvelles du pays. Tous s'inquiètent du sort de leurs familles résidant dans le Morvan. Cette inquiétude se justifie par un grand titre à la Une d'un journal, sur toute la largeur de la page, on lit : « LE MORVAN A FEU ET A SANG ».
Quelque temps après son arrivée à Paris, le lieutenant circule librement avec sa voiture. Il sait qu'il ne doit pas utiliser sa voiture militarisée.
Un jour, un agent de police de la circulation l'arrête à un carrefour de rues.
Comme il connaît sa situation irrégulière, il se prépare à discuter avec cet agent afin d'éviter une sanction, voire même la mise en fourrière de la voiture. La conversation s'engage et l'entretien prend bonne tournure. En effet, cet homme est un Morvandiau et souhaite connaître la situation exacte dans le Morvan et éventuellement la situation de sa famille qui habite les environs d'Ouroux. Bien sûr, André ne connaît pas la famille de cet agent de police.
Après des mois, voire même des années, on entre dans une semi-paix et chacun cherche une voie.
Georges Hamacek invite Hubert à un rendez vous qui aura lieu au café le Biarritz.
Ensemble, ils évoquent tous les moments vécus ensemble à H.E.C., à VENGEANCE - sans le savoir par suite du cloisonnement indispensable à la sécurité de tous – les retrouvailles dans le maquis BERNARD, les combats de Crux-la-Ville, l'opération du pont du Montal, le projet d'interception du convoi conduisant le maréchal Pétain en Allemagne comme prisonnier.
Ça, c’est le passé. Ils pensent et réfléchissent aussi aux chemins qui se présentent à eux. Georges Hamacek invite Hubert à le rejoindre à Romorentin, dans une caserne où se trouve le lieutenant André. Il est question d'intégrer une nouvelle unité en cours de création. Hubert explique les raisons de son refus, les mêmes que celles déjà exprimées à Bernard.
Pendant ce temps, le lieutenant André se rend dans le Loiret, un département où il a participé à la résistance pendant l'occupation en tant que l’un des responsables de VENGEANCE. Il prend contact avec les autorités militaires qui l'envoient à Romorentin où il est intégré au 2° bataillon du 95ème R.I. et rattaché à la 3ème armée américaine. Son régiment n'ira pas au front. Cependant le lieutenant fera une belle carrière dans l'armée française
Pour terminer cette belle aventure de la compagnie ANDRÉ, le lieutenant a voulu s'entourer de quelques-uns des hommes qu'il a commandés. En ce Jeudi 28 septembre 1944, le lieutenant André regroupe les Parisiens au café le Biarritz. Après une bière rafraichissante, ils dînent ensemble dans un restaurant situé devant un musée.
Tous sont heureux de se retrouver dans Paris. Autour de la table, il y a le lieutenant André, l'aspirant Marlan, Georges Hamacek, Michel Henri, Bernard Cirode, René Lélevé, Raymond Mage, Hubert Cloix. Après le repas, la petite troupe parcourt Paris à pied : rue de Vaugirard puis traverser la Seine et enfin rue de la Trémoille, proche des Champs Elysées. Nouvelle étape qui permet de retrouver Roger Eté et Georges Brulé. Tous deux fréquentes les soirées de Paris et conduisent tout le monde à une boîte de nuit : la villa d'Este, 4 rue Arsène Houssaye, à proximité de la place de l'Etoile. Soirée avec une coupe de champagne et un spectacle de danseuses pas très habillées (rien à voir, avec ce qui sera le strip-tease). Ils se quittent tous à deux h du matin et rentrent chez eux à pieds, heureux de ces retrouvailles, mais épuisés par ces longues marches à travers les rues de Paris. Cela représente plus de 25 kilomètres, à 2 h du matin, tous les moyens de transport en commun sont déjà au repos depuis un moment !
ANSI SE TERMINE L'EXISTANCE ET LA VIE DE LA COMPAGNIE ANDRÉ.
EPILOGUE
Ce dernier chapitre ne constitue pas une conclusion car la compagnie ANDRÉ reste et restera encore vivante malgré sa dissolution, il y a plus de soixante ans, en septembre 1944.
La compagnie. ANDRÉreste en mémoire de ceux qui ont contribué à sa création, de ceux qui y ont vécu durant l'été 1944, de ceux qui ont participé aux opérations contre l'Occupant, mais aussi des populations du Morvan qui ont vu ses actions durant les embuscades, les missions variées, et surtout qui ont été témoins de son rôle décisif à la fin de la bataille de Crux-la-ville.
Dans la langue française, il existe deux mots voisins qu'on confond allègrement : le souvenir et la mémoire.
Le souvenir est la survivance dans l'esprit, d'un événement passé. On se souvient de la période concernée mais on ne vit pas ces moments comme présents, ils sont extérieurs à soi-même. C'est un rappel au passé, un passé qui s'estompe dans le temps.
La mémoire, c'est autre chose. La mémoire est la capacité de rendre vivant dans le cœur de chacun un événement passé. C'est ainsi que les évènements qui ont marqué les mois de l'été 1944 sont encore imprégnés dans le cœur de chacun. Pour beaucoup, ces événements deviennent une mémoire. Chacun se rappelle les journées vécues au maquis, les missions et les actions, comme si les vivaient encore.
Pourquoi ce lien toujours vivant avec ce passé lointain ? Pourquoi les jeunes de la compagnie ANDRÉ gardent-t-ils à l'esprit les détails de la vie au camp ANDRÉ et les sentiments qu’ils ont ressentis à l'époque ? Pourquoi ces questions sur l'aura qui entour la mémoire de la compagnie ANDRÉ ? Il y a certes de nombreuses explications. Toutes sont valables, mais il y en à une qui domine les autres. La principale, c'est la présence dans le maquis de Montsauche, du lieutenant André. Le lieutenant André a su créer et constituer, avec l'accord du chef de maquis Louis Aubin (BERNARD), une section puis une compagnie opérationnelle.
Tout jeune officier sorti de Saint-Cyr et résistant de longue date, André a pu recruter des volontaires qui ont accepté de respecter la discipline militaire et les traditions de l’armée : réveil au clairon, cérémonie du lever des couleurs, exercices de formation, inspection des tentes, inspection des armes, prises d'armes… Sans despotisme, mais par son autorité naturelle, son prestige, son comportement face au danger, son respect de ses hommes, le lieutenant André a former une compagnie d'élite capable de se battre avec succès contre l’ennemi.
Tous ces jeunes volontaires ont accepté avec entrain les contraintes d’une compagnie en guerre : gardes, exercices presque quotidiens, discipline… Ils ont refusé tout acte de pillage et de vol. Ils ont obéi aux ordres. Il n’y a pas eu de saouleries après les combats, ils n'ont pas massacré les prisonniers allemands.
Au moment de la Libération, ils n’ont pas participé, comme dans certaines régions, à la tonte des femmes ayant couché avec des Allemands, à des règlements de compte, à la condamnation sans jugement de collaborateurs vrais ou faux.
Dans chaque village libéré, la compagnie ANDRÉ s'est toujours présentée de façon impeccable. Le défilé militaire a montré aux habitants la tenue de ces jeunes, bien alignés, marchant au pas cadencé sous les ordres des gradés, propres, bien rasés, quand bien même ils étaient habillés de bric et de broc, faute d'uniformes militaires.
Le lieutenant André a formé une belle unité qui fait encore l'admiration des Morvandiaux et des anciens des maquis voisins.
En quelques semaines, le lieutenant André a soudé entre eux des jeunes venus de tous horizons. Horizons géographiques : Morvan, Nivernais, Paris, et diverses autres régions. Horizons sociaux : cultivateurs, bouchers, boulangers, ouvriers, fonctionnaires, gendarmes, policiers, étudiants.
Si les plus âgés ont connu la guerre et le service militaire, la plupart, trop jeunes au début de la guerre, arrivent au maquis complètement ignorants du maniement des armes, des manœuvres au combat, des précautions à prendre pour se protéger des tirs ennemis, des progressions pour attaquer un objectif.
En quelques semaines, le lieutenant André a formé une unité disciplinée, aguerrie, courageuse au feu.
En quelques semaines, il a créé un climat de confiance et d'amitié solide et fidèle entre tous, une amitié toujours vivante avec ceux qui sont encore en vie soixante ans plus tard.
Les remarques précédentes montrent qu'une période à l'armée crée des liens solides entre des jeunes si différents au départ et suscite l'attachement à la Patrie.
Pour ces raisons, on doit regretter la suppression du service militaire qui créait une cohésion dans les classes d'âge, même si on peut discuter de la durée de ce service, un an, huit mois, six mois…
Le service National n'empêche pas l'existence d'une armée de métier. Certaines armes, certaines fonctions, nécessitent la présence de militaires de carrière, très expérimentés, toujours capables de suivre les progrès techniques, comme par exemples, les chars, les avions, l'arme nucléaire.
La compagnie ANDRÉétait partie intégrante du maquis BERNARD. Pour cette raison, tous les anciens de la compagnie participent chaque année à la journée du maquis BERNARD et se retrouvent tous dans la joie. Il fait beau en général au mois de septembre dans le Morvan. La journée commence par un rassemblement général de l'amicale du maquis BERNARD, célébrée tantôt à Montsauche, tantôt à Ouroux pour honorer nos morts et demander la Paix dans le monde. Une cérémonie a lieu devant le monument aux morts du village, en présence des autorités civiles et militaires.
Puis, montée au maquis par des chemins aménagés et entretenus par des bénévoles assistés par la ville d'Ouroux.
Ensuite, il y a une belle cérémonie dans le cimetière du maquis, un cimetière merveilleux, installé sous les arbres, parfaitement entretenu. On y trouve vingt et-une tombes de maquisards (dont un maquisard inconnu), sept tombes d'aviateurs britanniques tués dans la chute de leur avion qui livraient des armes aux maquis.
Plusieurs S.A.S. britanniques ont souhaités que leurs cendres soient inhumées dans ce cimetière. Ces dépôts de cendres sont toujours plein d'émotion. Ils marquent l'attachement des S.A.S. à ce Morvan, région où ils ont combattus pour la Libération de la France, où ils ont été accueillis par la population morvandelle.
En septembre 2006, les dernières cendres déposées dans ce cimetière sont celles de l'aumônier des S.A.S., Padre Ecossais, Docteur Mc Luskey.
En 2005, le colonel Georges André Guyot (lieutenant André) a remis au maire d'Ouroux, Patrice Joly, le drapeau aux couleurs de la France qui appartenait autrefois à la compagnie. Ce drapeau servait chaque jour au lever des couleurs sur la place d'Armes organisée en pleine forêt.
Ce drapeau est installé sur un panneau, dans une salle de la mairie d'Ouroux. Ce drapeau a une particularité, il est orné d'une Croix de Lorraine cousue par les jeunes filles de Cœuson. Ces jeunes filles n'avaient jamais vu de Croix de Lorraine, aussi ont-elles placé les bras horizontaux de la croix à l'envers.
La présence de ce drapeau dans la mairie d'Ouroux et le panneau explicatif qui l'accompagne, vont perpétuer le souvenir de cette belle compagnie. Une compagnie dont on parle encore et toujours avec éloge et admiration.
Le prestige de cette compagnie, on le doit à la personnalité du lieutenant André. Jeune officier issu de Saint-Cyr, André a poursuivi une belle carrière militaire, malgré une très grave blessure en Indochine (son bras gauche est paralysé). Il a reçu des postes importants à travers le monde. Aujourd'hui, il est le colonel Georges André Guyot, Commandeur dans l'Ordre National de la Légion d'honneur, Croix de guerre 1939-45, Médaillé de la Résistance, Croix de combattant volontaire de la Résistance, King's Medal for courage avec citation.
Après son beau parcours au service de la France, le colonel Georges André Guyot, malgré les honneurs qu'il a reçus à travers le monde, a déclaré simplement :