Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Vendredi 14 juillet 1944 :

Ce jour-là, toutes les activités cessent sauf bien sûr les gardes aux entrées du camp et le travail des cuisines.

Dans le camp ANDRÉ, chaque matin on lève les couleurs devant tous les effectifs disponibles. Cependant, en ce jour du 14 juillet, la cérémonie prend de l'ampleur. Elle est suivie du chant de l'hymne national. Une Marseillaise, entonnée sous les arbres, face au drapeau français aux trois couleurs. Le lieutenant André prononce une courte allocution pour fustiger l'ennemi qui opprime le pays et exprime le souhait que, par nos actions, la Patrie soit libérée.

Cette allocution du lieutenant, le levé des couleurs et le chant de la Marseillaise créent un espace de liberté face aux contraintes de l'Occupation. Quelle émotion de se sentir libres et Français ! Quel bonheur que de se sentir capables de se battre pour la Patrie !

Avant la deuxième guerre mondiale, le jour du 14 juillet, de nombreuses familles ornaient leurs façades avec des drapeaux aux couleurs de la France. Cette pratique fut interdite par les Allemands et n'a pas été reprise après la guerre.

Pour marquer cette journée, l'ordinaire des repas est amélioré. Tout d'abord, on se réuni au pied d'un cerisier qui pousse au bord des chemins de campagne. La récolte est bonne. Il y en a suffisaient pour toute la compagnie. On se régale de ces délicieuses cerises sauvages, d'autant plus qu'il n'y a pas de produits frais au maquis, légumes ou fruits.

Les cuisiniers ont fait un exploit en préparant des poulets rôtis et des pommes frites pour cent cinquante personnes avec des moyens de cuissons rudimentaires.

Le repas, je dirais même un banquet en ce jour, a été joyeux et plein d'entrain.

Nous avions des invités : deux parachutistes Britanniques S.A.S. et le docteur Alec Prochiantz et sa femme, elle-même médecin.

En fin d'après-midi, nous avons monté une tente pour accueillir un groupe venu de Clamecy. Parmi eux, il y a René Mougne et Xavier de Planhol.

 

Samedi 15 juillet 1944

On reprend une vie normale dans le camp : une équipe de pelure, séance de gymnastique, puis école du soldat : on apprend aux jeunes recrues comment se comporter en toutes circonstances, que ce soit au cours d'une cérémonie ou durant un combat ; comment réagir aux ordres reçus des gradés : fixe, demi tour, présenter armes, repos ; les positions du tireur : debout, à genoux, allongés ; la façon de lancer une grenade en position debout, à genoux, allongé.

Rencontre avec Jules Philizot (SEGRETA), chef de zone de Corbigny, au P.C. départemental du colonel Roche (colonel Moreau).

Dans l'après-midi, un nouvel exercice : comment progresser à travers les bois et traverser une clairière dans une zone occupée par l'ennemi.

Un groupe doit assurer la garde à la gare de Cœuson au moment de la relève, c’est-à-dire à 20 h.

À 20 h 50, Martin de la compagnie ANDRÉ, qui fait le guet, tire un coup de feu sur un inconnu qui passe à proximité du camp. Est-ce un allemand ? un espion à la recherche de renseignements sur les défenses du camp ? ou un simple promeneur ignorant le danger qu’il court à s’approcher d’un terrain militaire en temps de guerre ? Bien sûr, le coup de feu n'a pas atteint l'homme. Mais cette présence insolite peut présager une attaque prochaine, ou même en cours. Cette silhouette est-elle à l'avant-garde d'une troupe ? Est-elle un guide pour approcher et pénétrer le camp ? Par mesure de précautions, l'état d'alerte maximum est maintenu toute la nuit. Dès l'arrivée du jour, les risques d'attaque sont pratiquement nuls. En effet, l'expérience montre que les Allemands attendent la fin de la nuit pour attaquer un maquis. Les moments propices se trouvent entre trois h et six h du matin. Ils profitent de l'aube pour investir une forêt et surgir dans le camp endormi. Les maquisards allongés, généralement déchaussés, parfois sans armes, ne peuvent pas réagir et se défendre. À chaque fois, il y a des morts, des blessés, des prisonniers qui sont fusillés ou déportés en Allemagne.

Finalement, la nuit est restée calme et la journée du dimanche se passe normalement, au rythme des relèves des sentinelles de garde.

 

Le lundi 17 juillet 1944 :

Une autre période s’ouvre pour le lieutenant ANDRÉ. Chaque jour, il doit recevoir un nombre important de nouvelles recrues : des jeunes venus des communes voisines ou de Nevers, des officiers, des gendarmes, des policiers, des religieux de l'abbaye de La Pierre-qui-Vire, des prêtres, des étudiants... Ce rassemblement forme un ensemble très disparate.

Cette troupe ne constitue pas encore la compagnie ANDRÉ, mais ce n'est plus la section ANDRÉ.

Le lieutenant André confie la préparation des nouvelles recrues à un jeune gendarme venu de la brigade de Blisme. Il en fait son second et lui et lui donne le grade d'adjudant.

Ce nouvel adjudant s'appelle Pierre Demongeot. Il est arrivé au camp en juin, entrainant avec lui la plupart des gendarmes de Blisme.

Ces gendarmes ont rendu de très grands services : d'abord par leur expérience de la vie militaire (certains ont servi pendant la campagne de France de mai et juin 1940), ensuite par leur connaissance des lieux et des habitants du coin (Blisme est à 15 kilomètres du camp BERNARD), et également par les contacts qu’ils ont avec les autorités...

Pierre Demongeot, vêtu de la tenue de campagne de la gendarmerie, prend en main la préparation militaire de la compagnie.

Dès le matin du 17 juillet, Il dirige un exercice. Dans l'après-midi, nouvel exercice autour de la ferme de La Verrerie (Le 26 juin 1944 avait eu lieu une embuscade contre un convoi ennemi qui ramenait à Château-Chinon les Allemands qui avaient brûlé les villages de Montsauche et Dan-les-places. Ils avaient massacré les hommes de Dun, y compris les vieux, le Maire et le curé, précipité du haut du clocher. Un seul homme avait pu se sauver, Blandin, le restaurateur du village.

Dans les combats qui ont suivi l'embuscade, les maquisards on été soutenu par huit SAS Britanniques.

Un maquisard avait été tué, Jacques Chataigneau de VENGEANCE. Il était le fils d’Yves Chataigneau, gouverneur général de l'Algérie. Il y eu trente morts chez les Allemands.)

L'exercice consiste à s'approcher de cette ferme tenue par l'ennemi. On doit utiliser tous les moyens possibles pour avancer vers le but sans être aperçus des Allemands : replis de terrain pour se cacher durant la progression vers la ferme, haies, fossés, arbres, marche en tirailleurs par bonds successifs.

Après chaque manœuvre, l'adjudant Demongeot fait la critique du comportement des uns et des autres et nous donne les conseils qui garantiront les chances de succès en situation réelle de combat.

 

Mercredi 18 juillet 1944 :

Toujours de nouvelles recrues et donc de nouvelles tentes-parachutes à dresser.

Parmi les arrivants, Jean Gateau, agent de liaison de Vengeance, qui est resté durant un mois à Corbigny à la disposition de Jules Philizot, chef de zone. Il m’apprend que je suis classé 70^ème sur 230 élèves dans mon école.

C'est par ceux qui viennent de l'extérieur qu'on a les informations, car dans le maquis, il n'y a ni journaux ni postes de radio. Les postes portatifs n'existent pas encore et les appareils de radio ont des lampes qui ne peuvent pas fonctionner sans le courant électrique fourni par le secteur. Il n’y a pas de courant électrique dans le camp. Cependant, nous avons d’autres sources d’information. D’abord les chefs, bien informés par les services de renseignements de l'état-major. Et puis par les postes de radio militaires alimentés par des batteries d'accus. Les SAS Britanniques ont rapidement fourni un poste radio émetteur-récepteur à la compagnie ANDRÉ.

Ce jour-là, le groupe Birotte est en mission à Tannay, un village situé entre Clamecy et Corbigny. Garde commune avec un Anglais au Moulin Chicot, tout reste calme, R.A.S. (Rien à Signaler).

 

Mercredi 19 juillet 1944 :

Encore une journée bien remplie. Le matin on creuse des emplacements de tir pour F.M. afin de compléter la défense du camp.

Ensuite, exercice sur la place d'armes, pour former les nouvelles recrues aux mouvements réglementaires: armes sur l'épaule, fixe, garde à vous, repos....

En fin d'après-midi, nouvel exercice autour de la ferme de la Verrerie : attaque et défense des bâtiments. À cette date, l’effectif n’est pas encore suffisant pour constituer une compagnie complète. Pourtant, le lieutenant ANDRÉ met déjà sur pied l'organigramme de la gestion de la compagnie. Le lieutenant est entouré par l'adjurant Pierre Demongeot et par l'aspirant Marland.

Il désigne comme ordonnance Maurice Papier, coiffeur de métier.

- Une cuisine : comportant une vraie brigade composée d'un chef cuisinier dit le Négus, Pipite, Gabriel Save, boucher à Corbigny, et de plusieurs mitrons d'occasion.

- Une armurerie : confiée à des anciens combattants qui ont vécu la campagne de France en mai et juin l940. Ils connaissent le maniement des armes, ils sont capables de tenir l'état des entrées et sorties des armes et savent quelle est la répartition des armes et munitions pour chacun des groupes.

La tente de l'armurerie est constituée de deux grands parachutes superposés qui ont servi au parachutage des jeeps. Dans cette tente très importante, on peut ranger des munitions pour fusils, sten, fusils-mitrailleurs, obus pour mortiers, projectiles de PIAT et deux tonnes d’explosifs pour les mirages afin de détruire des objectifs allemands.

- Trois sections de fusiliers-voltigeurs. Chaque section est formée de trois groupes équipés de F.M., stems, fusils.

- Une section engins qui comporte trois groupes : le groupe mines de quatre hommes avec un caporal. Le groupe mortier de quatre hommes avec un caporal. Le groupe PIAT de quatre hommes avec un caporal-chef.

Cette section Engins est dirigée par Michel Henri. Il travaillait à Paris dans les services de I'I.G.N. (Institut Géographique National). C'est un titi parisien très sympathique qui mène bien sa section.

Dans chaque groupe, on désigne un secouriste prêt à intervenir sur place au milieu d'un combat, ou même au besoin, dans le camp. Le responsable des secouristes est le frère Pascal Bréhaut venu de l'abbaye de la Pierre-qui-Vire, abbaye bénédictine qui a caché des réfractaires et des résistants. Plusieurs fois la Gestapo a fouillé la propriété à la recherche de clandestins.

Le frère Pascal accompagne les groupes en cours de mission. D'une main, il porte sa trousse de secouriste et de l'autre, une Sten prête à tirer si besoin. Paradoxe de ce religieux qui doit sauver les âmes et les blessés mais, en cas de menace, tuer l'ennemi. En réalité, il n'aura pas l'occasion de se servir de son arme.

Je suis également secouriste, diplômé par la Croix-Rouge Française. J’ai mis en pratique mes connaissances lors des grands bombardements aériens dans la banlieue de Paris.

Les cours portent sur ces situations de guerre : transports de brancards sur des sols instables, obstrués par les décombres d'immeubles bombardés, arrêt des hémorragies des veines et des artères, réanimation des personnes en état de syncope, pose d’un garrot, respiration artificielle, méthode Scheffer complètement abandonnée de nos jours. On ignore encore les techniques de massage cardiaque. Un jour, je seconde le chirurgien Alec Prochiantz (Docteur Martel, un ancien de VENGEANCE) pour une opération en plein bois. Un cas de gangrène gazeuse à la cuisse. Le jeune malade est opéré sous anesthésie. On utilise un produit allemand, l'évipan. Il est fourni par les hôpitaux français qui le reçoivent des services allemands. Après l'opération, Alec Prochiantz doit retourner à son hôpital pour d'autres interventions. Il me confie l'opéré avec des consignes : au moment du réveil, le malade doit crier et appeler sa mère.

Ce comportement désordonné impressionne les témoins, mais en réalité il ne souffre pas et dès qu'il retrouve ses esprits, on constate qu'il est apaisé et qu'il ne reste aucune trace d'éventuelles souffrances.

On doit attendre quelques h avant de le transporter sur un brancard du camp ANDRÉ au camp BERNARD, soit environ 800 mètres en terrain accidenté.

Dès le lendemain de cette intervention, le patient circule dans le camp et mène une vie presque normale. Quelques années plus tard, Alec Prochiantz, devenu chirurgien spécialiste des nourrissons à l'Hôpital Américain, déclare à son ancien secouriste : « je n'aurais pas réussi une intervention pareille dans un milieu hospitalier. Deux raisons d'un tel succès, d’abord l'air du Morvan absolument pur, sans microbe ni germe, ensuite les gars du pays, vigoureux, costauds, habitués à une vie rude. »

 

Jeudi 20 juillet 1944 :

Dès 4h1/2 du matin, le lieutenant Jean Lebaudy (lieutenant Lefaure) dirige une mission de ravitaillement, racontée dans les pages précédentes, à travers la Bourgogne, au-delà de Saulieu.

 

Vendredi 21 juillet 1944 :

L'événement du jour ne concerne pas directement la compagnie ANDRÉ, et pourtant il a marqué la plupart des esprits. En fin de journée, on apprend le retour d'une mission S.A.S. qui a circulé dans la région en infligeant des dégâts importants à l'ennemi. En route, la jeep est tombée sur un barrage allemand. Dans son rapport, le major Fraser raconte : '' On tirait de part et d'autre. Il y eu des morts chez les Allemands. Le capitaine S.A.S. Bradford, chef de la mission, a été blessé mortellement. Les survivants du groupe sont rentrés. Le sergent White et le guide français étaient sérieusement blessés. »

Les rescapés du groupe réussissent à regagner le camp. Deux d'entre eux sont blessés. Dès leur arrivée, on les confie au chirurgien Alec Prochiantz (Martel). Il s’agit du sergent White et du guide français, Jacques Morvillier, touché au coude. Il subit une opération importante, réussie. Cependant, il ne peut pas plier son bras. Son coude est immobilisé définitivement, ce qui sera un handicap important pour le reste de ses jours.

Pourquoi, dans l'historique de la compagnie ANDRÉ, parle-t-on d'une mission S.A.S.? C'est que le guide est parisien. Il est arrivé au maquis en mai 1944, avec le lieutenant ANDRÉ. Tous les deux appartiennent au réseau VENGEANCE. Incorporé dans la section ANDRÉ, Jacques Morvillier a été très rapidement affecté aux deux escadrons A et B de la 1° S.A.S., comme guide et interprète. Il a déjà l'expérience de la clandestinité, de ses difficultés, de ses risques, des précautions à prendre dans toutes les situations et à tous les instants.

Ce jour-là, on m’envoie en mission à Corbigny pour deux jours. Je retourne au camp le lendemain matin avec une voiture des PTT. Le facteur est entièrement acquis à la Résistance. Il utilise les tournées de livraison de courrier et de colis aux postes de campagne pour me rendre au maquis sans être suspecté de complicité avec la Résistance. Et pourtant, il livre plis et colis aux maquis. Autre exemple : à Corbigny, les ouvriers du téléphone ont shunté les lignes utilisées par les Allemands de telle sorte que les communications sont entendues et transmises à l'état-major départemental à Cœuson. Il y a dans cette commune de Corbigny deux ou trois personnes qui connaissent bien la langue allemande. Les messages ennemis sont traduits et transmis aux responsables militaires. On a pu ainsi éviter des rencontres désagréables, des barrages de route ou des convois ennemis.

En ce jour du 22 juillet 1944, le maquis reçoit un hôte important, venu directement de Londres, largué d'un avion. Il s'agit d'un colonel français Viat, connu sous le pseudonyme de colonel Diagramme.

Dans l'après-midi, il est présenté à la compagnie ANDRÉ. Trapu, vêtu d’une tenue de parachutiste, solide sur ses jambes, voix énergique. Après la revue de la compagnie, le colonel prononce une allocution aux maquisards.

Malgré le prestige qui l'auréole en tant qu’officier et parachutiste français et comme délégué du général de Gaulle, les paroles du colonel se perdent dans la nature. Bien sûr, il parle un peu de l'ennemi et des combats en cours ou des combats à prévoir pour bouter les Allemands hors de France. Il insiste longuement sur le retour à la République, sur les conditions d'un retour normal aux institutions et aux administrations de l'État. Toutes ces envolées oratoires passent au-dessus des têtes des maquisards. Si c’est le cas pour ceux des maquisards qui poursuivent des études supérieures, ça l’est encore plus pour ceux qui vivent dans la campagne et pour ceux qui ont travaillé en atelier ou en usine.

D'une façon générale, les jeunes ne sont pas du tout politisés. L'âge moyen des maquisards est de 20 ans, c'est à dire qu'ils n'ont pas l'âge de la majorité, ils ne pourraient pas participer aux votes des élections municipales et législatives. D’ailleurs, depuis la défaite de la France en mai et juin 1940 et l'instauration du régime de Vichy, il n'y a pas eu d'élections. Il n’y a plus de députés et par conséquent, pas de campagnes électorales.

À cette époque, les femmes n'ont pas le droit de vote. C’est le général de Gaulle qui donnera le droit de votes aux Françaises et instituera le suffrage universel pour l’élection du Président de la République.

 

Dimanche 23 juillet 1944 :

Dans le camp BERNARD, on ne respecte pas le repos hebdomadaire.

Jean-Louis Fromonot doit construire une tente particulière pour le colonel Diagramme. Maintien des corvées habituelles et dès le début de l'après-midi, plusieurs groupes se rendent en embuscade aux alentours de Planchez. Mise en place des groupes tout au long de la route, attente longue, pas d'Allemands en vue, retour bredouilles au camp vers 20 h.

 

Lundi 24 juillet 1944 :

Chaque jour, on reçoit de nouveaux arrivants. Bien sûr, nous devons les loger à l'abri des intempéries : vent et pluies.

En cette année 1944, l'été est chaud et sec. Mais le climat du Morvan est particulier. Les journées sont bien chaudes, mais avec l'altitude, les nuits sont glacées et à la tombée de la nuit, de bonnes pluies trempent le sol, l’herbe, le feuillage des arbres et arbrisseaux, et surtout les vêtements. Ce jour-là, deux groupes travaillent à la mise en place de deux tentes : le groupe Hamacek pour une tente bâche, et le groupe Fromonot pour une tente parachute.

Après le déjeuner, toute la compagnie passe l'après-midi en formation : d'abord, instruction sur les F.M. (fusil-mitrailleur anglais BREN), démontage, montage, utilisation avec un tireur. Un serveur fournit au tireur les munitions et le chargeur. Il prépare les chargeurs en y mettant les balles.

Puis instruction sur les grenades offensives et surtout les grenades défensives. Comment activer la grenade en y mettant un détonateur et comment dégoupiller au moment de la lancer.

Pour terminer la journée, exercice sur l'attaque d'un poste de F.M. ennemi. On étudie les différentes méthodes pour s'approcher de cet objectif dangereux et le neutraliser.

 

Mardi 25 juillet 1944 :

Toujours les corvées habituelles de la vie du camp et, fait nouveau, pour la première fois il est pratiqué un exercice de tir réel.

Dans un pré, une cible est dressée, adossée sur un cairn en pierres. Elle est faite avec des feuilles de papier. Au centre, un gros point noir marque le but qui est entouré de cercles concentriques. Ils renseignent sur la dispersion des coups.

Chacun doit tirer avec son arme : fusil, mitraillette, pistolet, fusil mitrailleur.

Les résultats sont excellents. Certains ont déjà pratiqué la chasse, d'autres ont pu faire du tir clandestins dans les réseaux de Résistance, au nez et à la barbe des Allemands.

Après l'exercice, comme le champ de tir est proche d'un étang, on se baigner avec délice, bien que l'eau soit très froide.

 

Mercredi 26 juillet 1944 :

Un groupe de la compagnie part en expédition à Chatillon-en-Bazois afin de ramener au camp de nouvelles recrues. Au retour, le camion Citroën P 45 tombe en panne à l'Huis-Picard. Ce camion, excellent à l'époque, a déjà plusieurs années et dans cette période de pénurie, il est très difficile d'obtenir le remplacement des pièces usagées ou cassées. Les mécaniciens du parc auto du maquis font pourtant des merveilles pour maintenir les véhicules en état.

Un groupe assure la garde au Moulin-Chicot de 14 h à 21 h.

 

Jeudi 27 juillet 1944 :

Dans l'après-midi, un groupe se rend au lac des Settons, sans doute pour se renseigner sur le passage éventuel de patrouilles allemandes. Au retour, le groupe livre ses renseignements. Pour l'instant, aucun signalement n'est repéré dans cette zone. C’est en rentrant à la compagnie que le groupe comprend les raisons de cette sortie aux Settons. La compagnie se rassemble pour aider le maquis ''SOCRATE'' attaqué par les Allemands. À vingt-deux h, elle quitte le camp à partir de la gare de Cœuson. Elle se déploie sur une route pour tendre une embuscade et arrêter les mouvements de l'ennemi. L'embuscade se termine vers trois h du matin.

La compagnie marche jusqu'à l'Huis Prunelle. Fatigués, nous pouvons dormir pendant deux h, à l'exception bien sûr des sentinelles.

 

Vendredi 28 juillet :

À douze h, le lieutenant ANDRÉ met sur pied une nouvelle embuscade. Le groupe PIAT est placé au centre du dispositif, prêt à tirer sur un véhicule ennemi. L'attente dure longtemps mais reste vaine. On comprend bien que de nombreuses embuscades se terminent sans succès, il y a tant de routes à la disposition des Allemands. Cependant, très vite, nous avons compris que le colonel Roche ne veut pas engager une opération de secours tant que l'ennemi reste en place dans les zones de combat.

Les Allemands sont déjà rentrés dans leur garnison quand nous avons reçu l'ordre d'intervenir. À plusieurs reprises, on constate la stratégie colonel Roche : au moment de l'attaque du maquis de Chaumard, fin juillet, et au moment de la bataille de Crux-La-Ville, en août 1944, il a attendu trois jours avant de donner l'ordre au lieutenant André de conduire une compagnie au secours des maquis MARIAUX et JULIEN. À plusieurs reprises, il interdit d'attaquer les colonnes allemandes de passage.

En fin d'opération, le groupe PIAT doit rendre son PIAT. Dans quelques jours, en recevra un nouveau.

 

Samedi 29 juillet 1944 :

La compagnie procède à de nouveaux exercices pour améliorer les capacités militaires de ses recrues.

 

Dimanche 30 juillet 1944 :

Après l'attaque et la dispersion du maquis SOCRATE la région redevient calme, pas d'Allemands à proximité. Le camp somnole, certains s'occupent un peu à différents travaux. Quelques-uns obtiennent la permission de se promener en dehors du camp jusqu'au hameau de Poirot, en emportant leur arme en cas de besoin. Ils se régalent de cerises succulentes trouvées au bord des chemins.

 

 

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Le drame du maquis CHAUMARD

 

 

Lundi 31 juillet 1944 :

À l'aube de cette journée, les Allemands guidés par un traitre, attaquent par surprise les hommes du maquis de Chaumard. Malgré le courage et le sacrifice de certains, on compte une cinquantaine de morts et de blessés. Cinq maquisards sont arrêtés puis déportés.

Ces chiffres, annoncés au moment des évènements, ont été modifiés par la suite : vingt-deux tués, neuf blessés, quatre prisonniers qui tous ont été déportés dans les camps de concentration. Les maquisards de base du maquis BERNARD ne savent rien de ce qui se passe ce jour-là, donc la compagnie fait des exercices autour de l'hôpital.

Puis, école du soldat pour les nouveaux arrivants, formés par les anciens. Façon de parler car les anciens sont très jeunes et n'ont que quelques semaines de présence dans le maquis. Malgré de nombreuses séances de formation, certaines recrues ne progressent pas.

L'après-midi, un groupe part en patrouille depuis le moulin Chicot jusqu'à Cœuson. En arrivant à Cœuson, on comprend la raison de cette patrouille autour du sud du camp. En effet, nous recevons à la gare de Cœuson des gars hagards, dépenaillés, couverts de poussière, sans armes, parfois blessés et pour le moins épuisés. C'est en les voyants que l’on comprend qu'il vient de se produire un drame. Les Allemands ont entouré leurs tentes et leurs baraques et ont tiré sur eux, encore endormis.

Un certain nombre ont pu se sauver à travers bois et se sont perdus dans l'obscurité de la nuit. La plupart des rescapés habitent le coin, ils ont donc pu se repérer dans la nuit et rejoindre le maquis BERNARD par des sentiers inconnus des Allemands. Ils arrivent à la gare de Cœuson, tantôt seuls, tantôt par groupes de deux ou trois.

Outre les rescapés, le maquis BERNARD a recueilli les corps de deux maquisards de SOCRATE tués durant les combats. Une garde d'honneur accompagne les dépouilles des camarades tués. Ils sont inhumés dans le cimetière du maquis, à la limite des bois, à proximité de l'étang de la Passée.

On sait très vite le nom des traitres : un gars du pays et son fils, âgé seulement de 15 ans.

Après les attaques des maquis de Chaumard et de Socrate, les maquisards et leurs chef se posent la question : à qui le tour ? On a à l'esprit les massacres de Montsauche, de Dun-les-places, et de Planchez. On voit bien que les Allemands veulent tenir en main le Morvan et détruire tous les points de résistance et tous les maquis.

 

Mardi 1° août 1944 :

Le calme est revenu dans la région après l'attaque du maquis de Chaumard. Que faire des deux traitres ? Les garder prisonniers ou les fusiller ? Il y a un gamin de quinze ans…

Durant la matinée, la compagnie procède à un nouvel exercice, puis repos tout l'après-midi. Après le dîner, deux groupes de la section Engins sont envoyés de garde au Moulin chicot. Durant la nuit, arrivée d'une Jeep et de deux voitures de tourisme. À chaque passage, il faut désamorcer les mines, puis les réacti après le passage des véhicules. Opération délicate à réaliser en pleine nuit. Cette garde va se prolonger jusqu'à 11h l/2 dans la journée du 2 août.

 

Mercredi 2 août 1944 :

En dehors des gardes et des corvées, les maquisards peuvent circuler librement à l'intérieur des camps. C'est ainsi qu'on peut voir le mouchard qui a conduit les Allemands au maquis de Chaumard. C'est un petit bonhomme de rien du tout et son fils de 15 ans, aussi chétif que lui. Ils ont été incarcérés dans la cave de la gare de Cœuson. On peut ainsi les surveiller et éviter toute tentative d’invasion.

Mais en cas d’attaque du maquis? Il serait facile aux Allemands de les libérer, puisque cette cave prison se trouve à l'entrée du camp. Heureusement, il n’y a pas eu d'attaque à ce moment.

Sains être directement concerné, la compagnie André est au courant des suites de l’affaire des mouchards qui ont livré le maquis de Chaumard aux Allemands. Les traitres sont jugés par BERNARD et plusieurs officiers. Ce tribunal essaie de les sauver mais hélas, ils déclarent sans vergogne qu'ils vont se sauver du camp et se mettre à nouveau aux services des Allemands. Étant donné les déclarations des inculpés, le tribunal a jugé sagement de les condamner à mort. Cette mesure extrême se justifie par la sécurité des maquis et des résistants. Dès qu’on repère des taupes ou des traitres, on liquide tous ceux qui sont dangereux pour la survie du réseau.

À la satisfaction de tous, aucun membre de la compagnie ANDRÉ n'a été sollicité pour l'exécution de la sentence.

La compagnie est chargée d'une mission délicate et pacifique qui est racontée en détail dans le chapitre précédent intitulé : "Nourriture et ravitaillement des maquisards ».

 

Jeudi 3 août 1944 :

La première compagnie du bataillon BERNARD, dite compagnie ANDRÉ, mène une vie très active. Sous les ordres du lieutenant André, des groupes patrouillent de nuit en direction de Cœuson jusqu'à cinq h du matin. Le but de cette opération consiste à trouver des indices permettant de déceler les intentions des Allemands à l'égard du maquis.

De retour au camp, les groupes trouvent une bonne surprise : un petit-déjeuner avec café mais surtout du lait, du vrai lait ! Il est vrai que ce qu'on appelle café n'est que de l'orge grillé, c'est mieux que rien. Mais le lait est du vrai lait de vache non trafiqué. C'est une aubaine.

Dans l'après-midi, nouvel exercice de défense et attaque du hameau de Cœuson.

Le groupe P.I.A.T accueille deux nouveaux arrivants venus de l'abbaye de la Pierre qui Vire, une abbaye bénédictine qui a caché des résistants et des réfractaires au S.T.O. À plusieurs reprises, l'abbaye a été fouillée de fond en comble par la Gestapo. Il s'agit de Jean Saillet et de Flavigny.

 

Vendredi 4 août 1944 :

Dès le matin, les nouveaux arrivants sont pris en main pour une formation rapide.

Ils sont soumis à l'école du soldat. On leur apprend les commandements réglementaires et surtout le maniement des armes qu'on leur confie, en insistant sur les consignes de sécurité. Il y a déjà eu des coups de feu accidentels dans le camp et des cas de blessures. Il est important de savoir que la mitraillette STEN peut tirer d'elle-même au moindre choc. C’est pourquoi on insiste avec force pour que la balle ne soit pas engagée dans le canon. On donne des ordres précis pour que l'arme soit toujours en position de sécurité en utilisant un bouton ou un cran de sécurité. Pour tirer il faut donc déverrouiller la sécurité et armer en utilisant la manette de tir.

Les séances de formation durent généralement plus d'une heure. Hélas, nous verrons par la suite que ces consignes n'ont pas toujours été respectées.

En fin de matinée, le lieutenant André annonce plusieurs nominations:

- Michel Henri nommé sergent à la tête de la section "ENGINS",

- Jean-Louis Fromonot nommé sergent-chef à la tête d'un groupe de fusiliers-voltigeurs

- Je suis nommé caporal-chef à la tête du groupe PIAT.

Dans l'après-midi, exercice de défense du terrain de parachutage de Cœuson sous les ordres du lieutenant André. Après la manœuvre, deux groupes de la section ''engins'' se rendent à la gare de Cœuson pour assurer une garde de 24 h très sérieuse car, à tout moment, nous craignons une attaque allemande. La garde se poursuit dans le calme jusqu'à 14 h, heure à laquelle la relève prend en charge la sécurité du poste et du camp. Le groupe relevé monte au PC départemental pour rendre compte des faits et gestes pendant les h de garde et transférer le prisonnier et son fils.

Ensuite les deux groupes passent par le parc auto pour emmener le père du gamin de Chaumard au PC du colonel Roche.

 

Dimanche 6 août 1944 :

Un maquis n'est pas une caserne avec des activités programmées à l'avance, corvées, exercices, repos, permissions, appels, séances de tir...

Au maquis, il faut répondre à tout moment à des imprévus.

Ainsi en ce dimanche du mois d’août, deux événements tout à fait différents vont rompre la routine de la compagnie ANDRÉ.

Tout d'abord la visite du père Benoit, de la Pierre qui Vire. Pour un certain temps, il devient aumônier du maquis. Il célèbre pour ceux qui le souhaitent, une messe sur la place d'armes. Messe en plein air mais très recueillie. À cette époque, une partie des hommes ne participe pas aux messes du dimanche. Ils se contentent d'une confession et d'une messe le jour de Pâques. On disait alors qu'ils faisaient leurs Pâques avec communion. Certains ne sont pas croyants voire même athées. Toutes ces sensibilités n'ont pas créé de conflits et chacun respecte les croyances des uns et des autres.

Dans les maquis, on ne parle pas non plus de politique. La compagnie comprend des gens de toutes origines : des cultivateurs, des ouvriers, deux homosexuels, deux Algériens, Boudiane et Mezziane, un adjudant de carrière qui a participé aux campagnes du Maroc, un Sénégalais, Biribi, fort en paroles, inépuisable sur l'usage du coupe-coupe pour trucider un ennemi mais paralysé dès qu'il entend le bruit des armes, deux inspecteurs de police venus de Paris, un gendarme, des braconniers… Tout ce monde forme un groupe très soudé malgré les caractères si différents les uns et des autres.

Après la messe et le ciel, on revient sur la terre avec ses servitudes.

Pour l'instant, il s'agit de monter du vin pour la compagnie. Comme j’ai déjà réussi précédemment une mission entre le hameau de Cœuson et le camp pour le transport de vin et de sucre, on me confie une mission similaire pour un tonneau de vin entreposé au moulin Chicot. Nous sommes dimanche, la plupart des hommes sont au repos et restent chez eux, mais il n'y a pas été difficile de trouver des volontaires pour cette tâche ingrate. On attelle une paire de bœufs à un chariot, on charge le fût, et le vin est monté à la compagnie. L'arrivée est triomphale. Il y a foule autour de la cuisine. Le tonneau est entreposé dans le baraquement des réserves alimentaires. Comme il n'y a pas une fermeture sérieuse, il faut organiser un service de garde pour éloigner les amateurs de vin. Découragés par cette protection, tout le monde s'éloigne du tonneau. La garde est supprimée. Seuls les cuistots veillent au grain et assurent la protection du trésor objet de toutes les concupiscences.

 

Lundi 7 août 1944 :

Une partie de la compagnie participe à une séance de culture physique. Le temps est beau, le soleil radieux réchauffe la nature après des nuits très fraîches.

Soudain on entend le ronronnement de moteurs, pas des moteurs de voitures ni de camions mais des moteurs d'avions, des avions STUKA. Ils sont six à tourner au dessus du camp. Ils montent en altitude et foncent sur le camp avec un bruit de sirène pour affoler leurs victimes. En même temps, ils canonnent les objectifs avec des mitrailleuses lourdes de 20 millimètres. A la fin du piqué, ils lâchent une grosse bombe. Ce manège dure pendant près de trois quart d'heure. Durant ce bombardement, un parachutiste français de VENGEANCE se trouve à la gare de Cœuson avec son fusil-mitrailleur. Avec son arme Roger Eté tire en direction des avions. Pour tirer en l'air, il a besoin d'un point d'appui pour son arme. Il faut improviser. Mes épaules vont servir de point d'appui pour les pieds du F.M.. Roger peut ainsi viser les avions et tirer correctement. Les avions ont-ils été touchés ? C’est possible. Malgré tout, la ronde des avions a poursuivi son cirque tranquillement. Le bombardement allemand est un échec. L’ennemi souhaitait détruire le parc automobile. En réalité, les dégâts sont très minimes.

Il y a seulement deux véhicules endommagés et ils sont réparables. Pas de blessés chez les maquisards. Ce bilan inespéré s'explique par la dispersion des véhicules à travers les bois, aucune concentration. Je rentre au camp après ma garde en compagnie de Marcel Terrier, du groupe des mines.

En arrivant au camp ANDRÉ, nous apprenons un drame. Un jeune scout nouvel arrivé à la compagnie a été tué par accident par un des membres du groupe PIAT. Contrairement aux consignes bien expliquées et bien répétées, Jean Saillet a placé une balle dans le canon de son fusil. Malencontreusement, il a tirée sur un camarade Guy Bourdain et l’a touché mortellement. Jean Saillet est un brave garçon, complètement désespéré par son geste. Il est condamné à cinq jours de prison. Le lieutenant ANDRÉ rappelle le texte du règlement militaire : « en cas de faute, c'est le gradé du groupe qui est puni pour manque d'instruction sur ses hommes ». Je suis caporal-chef du groupe PIAT, je suis donc condamné à trois jours de prison à la gare de Cœuson. Cette sanction doit servir d'exemple et est signifiée publiquement devant une partie de la compagnie. À midi, Jean Saillet et moi nous rendons à la gare de Cœuson. On nous consigne dans la cave qui sert de prison. Comme compagnon de misère, nous avons un Algérien qui a voulu violer un de ses compatriotes. Évidemment pas de lit, simplement une botte de foin pour dormir, pas d'eau ni de sanitaires. Il faut dire qu'à cette époque dans un maquis, cela semble normal.

Vingt minutes après avoir nous ayons été descendus dans la cave, l’adjudant Courant vient me chercher, me remonte au premier étage de la gare désaffectée et me rend mon arme.

C’est une décision sage car on craint que le bombardement du camp le matin ne soit l’annonce des prémices d'une attaque terrestre. Il faut conserver la totalité des effectifs en état de participer à la défense du camp.

En fin d'après-midi, nouvelle incursion de deux avions STUKA au dessus du camp.

Chaque avions lâche une bombe et canonne à plusieurs reprises les installations disséminées dans les bois.

Le lieutenant André revenant d'une mission prend la décision nous réintégrer aussitôt, mon camarade puni et moi-même, au sein de la compagnie. Dès 22 h, nous retrouvons nos camarades. En réalité, cette punition est surtout une question de principe et pour l'exemple.

Un peu plus tard, la nuit arrivant, deux groupes de la compagnie, commandés par le lieutenant André accompagné de Georges Hamacek, reviennent d'une opération dans le Morvan. C'est l'affaire de Montigny qui s'est terminée par deux engagements simultanés dans et autour du village de Montigny.

Une Jeep S.A.S. et un camion du maquis transportant une section de la compagnie circulent de paire pour une opération à Tamnay-en-Bazois.

Parmi ceux qui ont vécu ces instants, certains ont donné leurs témoignages. Ils sont complémentaires, c'est pourquoi vous pourrez les lire intégralement ci-dessous.

Mais avant d’en venir au récit de cette journée, voici un petit épisode tragi-comique :

Le soleil se lève sur le camp. Il fait jour. La section est déjà en route à travers les sentiers pour retrouver le camion qui doit la transporter vers le lieu prévu pour l'opération. Tous ceux qui restent au camp se réveillent lentement. Dans le silence du matin, on entend des jurons variés et répétés : « le salaud, le salaud, il a même déposé sa carte de visite... ». C'est la voix déchaînée de l'adjudant Leroy, un commissaire de police de Paris. Quand il est un peu apaisé, Leroy raconte sa mésaventure.

Un de ceux qui partent en expédition a été pris de coliques et de débâcle intestinale.

Il se soulage à l'entrée de la tente de l'adjudant. Il y en a partout, et pour essuyer ses fesses, ce pauvre Bourchet utilise un papier comportant son nom.

L'adjudant furieux veut le faire punir. Tous les camarades restés au camp nettoient les alentours de la tente.

Au soir, la section rentre au camp. Le lieutenant ANDRÉ raconte la journée et le combat de Montigny. L'adjudant Leroy ne demande pas de sanction pour ce brave Bourchet.

 

Voici le rapport du capitaine SAS. I. Wellsted (pages 27 et 28 HOUNDSWORT) :

« Les hommes étaient prêts dès le matin pour attendre le camion qui devait conduire au but de la mission.

À 14 h, le lieutenant André prit contact avec les SAS. Les rapports avec eux étaient excellents.

Il demandait aux SAS. d’accompagner le camion français avec une de leur Jeep, véhicule rapide et fortement armé. La Jeep devait précéder le véhicule français pour vérifier si la route était dégagée et si les allemands n'avaient pas organisé des barrages ou des embuscades.

Le camion chargé de ses hommes devait tendre un piège à un convoi allemand chargé de tabac à Tamnay 12K 0529. Puis, il suggéra que nous prenions des explosifs pour démolir le pont sur la route nationale dans cette zone.

Je fus affecté avec ma Jeep, accompagné des hommes de troupe : Jemson, Middleton et Warn, et à 15h00 le détachement se mettait en route avec 50 Kg de plastique tout prêt, les détonateurs installés à l'arrière de la Jeep. Nous avions aussi un sergent du maquis avec nous pour guide.

Comme nous approchions du petit village de Montigny 12K 1539, qui se trouve en haut d'une longue côte raide, nous étions bien devant le lent camion du maquis.

Au carrefour avant le village, nous avons attendu le camion et au moment où nous nous sommes arrêtés, trois hommes descendaient lentement la route vers nous. C’était sans aucun doute possible deux officiers et un sergent allemands. La distance était de moins de cent mètres et sous le feu des deux Vickers, ils sont tombés en tas.

Immédiatement ce fut infernal et à faible portée. Nous étions au milieu d'une embuscade préparée pour le camion et on nous avait confondus avec une Volkswagen allemande. Le moteur a calé et nous avons eu du mal à tourner. Les FM de l'arrière se sont bloqués. Jemson, Warn et le sergent ont sauté de voiture s'arrangeant pour se mettre à l'abri d'un petit sentier couvert.

La plupart des coups de feu passaient trop haut, bien qu'une balle de Schisser ait traversé l'arrière de la Jeep, ait ricoché sur le dos du siège de Middleton et se soit écrasée dans les boites de plastique sans faire aucun dégât.

À ce moment, pour continuer à faire fonctionner le FM, il m'a fallu, grimper sur le capot et tandis que nous dévalions la côte à toute vitesse, j'ai réussi à arroser les haies et à les décourager un peu.

Au bas de la côte, j'ai raconté à André ce qui s'était passé et j’ai suggéré de nous retirer jusqu'au carrefour derrière nous, récupérer ses hommes qui avaient sautés hors du camion et retourner au camp. Je craignais un piège et soupçonnais que nous trouverions notre ligne de retraite barrée.

Pendant ce temps, mes hommes m'ont rejoint et nous avons couvert le retrait du maquis. Au carrefour, nous avons attendu une demi-heure car l'une des sections du maquis était encore manquante. Enfin, convaincus de leur départ, nous avons pris le chemin de retour vers le camp lorsque des coups de feu en provenance du village nous montrèrent que la section perdue était entrée en action.

André fit demi-tour pour récupérer ses hommes manquants, nous demandant de rentrer au camp et de demander que les groupes de couverture du maquis sortent et protègent sa ligne de retraite.

Le maquis cependant n'était pas d'accord, mais le capitaine Muirhead avec la 2° Jeep est sorti pour aider à couvrir André. Ce fut en fait inutile car nous avons bientôt rencontré André qui avait récupéré tous ses hommes après avoir infligé de nouvelles pertes aux Allemands. »

Voici les péripéties de la section André et les soucis du camion :

« Au moment même où l'équipe de la Jeep était au contact avec les Allemands dans le village de Montigny et se battait autour de la place en tuant tous les Allemands présents, le camion français roulait lentement sur la route qui montait à Montigny. Il fut bientôt encadré par les tirs ennemis. Tous les groupes descendirent du camion et se mirent en position de combat, sous les ordres du lieutenant André.

Le camion Berliet à gazogène à bois, tombe en panne. Le conducteur profite de la pente pour reculer en marche arrière jusqu'à un pli de terrain qui le protège des balles ennemies. Le conducteur est un fin mécanicien et a vite repérer la cause de cette panne, un problème d'allumage. Ce conducteur, André Bouché Pillon, ouvre le capot, démonte l'allumeur et voit la rupture d'une languette métallique. Bien sûr il n'y a pas de garage à proximité pour se procurer le ressort du linguet d'allumeur. Il se rend dans une ferme proche. Là, il trouve une lame de rasoir.

Il coupe en deux la lame de rasoir dans le sens de la longueur pour remplacer la pièce cassée. Isolation électrique avec un papier de boite à sucre, fixation avec un fil de fer fin trouvé sur place. Revenu au camion, il met en place et fixe toutes ces pièces improvisées. On met en marche le moteur qui fonctionne bien. »

Merveilleux mécanicien ! 

André Bouché Pillon a raconté par la suite que sa réparation ne devait pas tenir plus de deux kilomètres, juste le temps de s'éloigner des combats et des tirs.

Eh bien, croyez-le, le bricolage a tenu jusqu'au retour au camp Bernard.

Pendant ce temps, Georges Hamacek et son groupe arrêtent les attaques allemandes et couvre le terrain nécessaire pour la réparation du véhicule. Dès que le camion est réparé, Hamacek organise son repli vers le véhicule. Les Allemands ont vite compris qu’ils ont devant eux de vrais combattants. Ils constatent leur échec et quittent le terrain sans succès.

Devant l'ampleur des moyens mis en œuvre par les Allemands, les SAS demandent au maquis BERNARD de leur venir en aide pour dégager les deux groupes menacés d'encerclement. Le maquis BERNARD refuse d'intervenir. En conséquence, le capitaine Muyrhead revient sur place avec deux Jeeps et accompagne André jusqu'à à son retour au camp.

Résultats : pour les SAS et les groupes du lieutenant André, pas de morts ni de blessés. Pour les Allemands plusieurs morts et blessés.

Le traquenard tendu aux Français a échoué et pourtant tout avait été préparé avec soin : fausses informations transmises au maquis sur le passage d'un camion chargé de tabac destiné aux Allemands à Tamnay-en-Bazois, choix d'un lieu favorable pour une embuscade, effectif important mis en œuvre, armes en nombre.

De nombreuses raisons ont fait que les Français ont échappés au massacre :

- la Jeep en avant-garde du convoi a permis aux SAS repérer la présence de l'ennemi et de réagir rapidement.

- le lieutenant André dirigeait les opérations.

- la conduite courageuse et intelligente du sergent-chef Georges Hamacek

- la compétence et le sang-froid d'André Bouché Pillon qui a remis en marche son camion malgré les tirs des armes ennemies.

Après cette journée, mémorable en tous points, le lieutenant André annonce deux décisions.

Tout d'abord, il commue mes trois jours de prison en trois jours d'arrêt, c'est-à-dire que je sors de prison mais que j’ai l’obligation de rester à l'intérieur du camp ANDRE.

Ensuite, André organise et dirige un exercice de patrouille à travers les bois pour attaquer un poste ennemi implanté sur la cote 596.

On peut constater les progrès des jeunes recrues en cours de formation. Presque chaque jour, un nouvel exercice. Chaque exercice est conçu et programmé par le lieutenant André.

Avant chaque manœuvre, on précise l’exercice par une séance de briefing dirigée par le lieutenant André. Il indique l'objectif à atteindre, les précautions à prendre pour échapper aux tirs de l'ennemi, l'utilisation du terrain, les obstacles à contourner et l’impératif de silence nécessaire à toute réussite.

Bien souvent, le lieutenant suit sa troupe et surveille l'exécution des programmes.

Chaque chef de section, chaque chef de groupe, doit donner des ordres appropriés. Chaque homme de troupe doit exécuter au mieux les ordres reçus.

À cause de ses multiples fonctions, le lieutenant ne peut pas toujours assister aux manœuvres. Il délègue alors son pouvoir à l’adjudant Pierre Demongeot. Cette formation accélérée et sommaire a sauvé bien des vies.

Après un mois d'exercices et d'entrainement on en vient aux « travaux pratiques ». On sait que bientôt, il y aura de vraies rencontres avec l'ennemi, des combats réels, des situations dangereuses.

 

Mercredi 9 août 1944 :

Journée calme, les corvées habituelles et repos tout l'après-midi.

Deux agents de liaison, anciens de VENGEANCE, reçoivent l'ordre de se rendre à Monceaux-le-Compte pour une mission, mais au moment de partir, il est déjà trop tard et la sortie est reportée.

 

Jeudi 10 août 1944 :

Dans l'après-midi, des maquisards de la 1^ère compagnie sous les ordres du lieutenant André, partent en expédition autour du lac des Settons et de ses environs. Ils profitent de cette sortie pour acheter du ravitaillement dans les fermes : fromages, quelques fruits, des œufs.... Ils passent la soirée et la nuit à « la Morvandelle », un hôtel restaurant à côté du barrage de retenue du lac des Settons. Ils se régalent d'un dîner dont les plats tranchent avec le menu habituel et monotone de la cuisine au maquis. Ils peuvent aussi dormir dans un vrai lit. Quelle belle nuit ! Bien sûr, il y a un inconvénient : pour la sécurité, à tour de rôle, une équipe de deux assure la garde autour de l'hôtel et notamment à l'entrée du chemin qui vient de la digue. C'est par ce chemin que les Allemands auraient pu investir l'hôtel et capturer ce groupe endormi.

La nuit est calme.

 

Jeudi 10 août :

Une équipe assure la garde tandis que ceux qui le souhaitent peuvent se baigner dans le lac. L'eau est glacée, mais la tentation est trop belle pour ne pas en profiter. Retour au camp sans ennui.

 Jusqu’au vendredi 11 août, la compagnie ANDRÉ vit une période d'attente, une période de préparation aux combats, une période de formation pour ces jeunes civils.

L'organigramme de la compagnie est bien structuré, les effectifs sont au complet, chacun a reçu une arme. Des armes légères, il est vrai. Et puis, il y a l'ardeur de ces jeunes qui veulent combattre et bouter hors de France l'occupant allemand. Et puis, il y a aussi, il y a surtout, de jeunes chefs compétents, actifs, et très proches de leurs hommes.

Cela se vérifiera dans des jours qui vont suivre.

 

Vendredi 11 août :

En prémices, Georges Hamacek et moi-même, agents de liaison de VENGEANCE, recevons des ordres de mission à l'extérieur. Georges Hamacek doit se rendre à Dornecy avec des vélos fournis par le maquis. Ils sont en général en très mauvais état. L'usure des pneus favorise les crevaisons et on ne peut pas les réparer. Je dois me rendre à Corbigny pour rencontrer le chef de zone Jules Philizot. J’en profite pour embrasser ma famille quelques instants. Bien sûr, je ne peux pas rester à Corbigny car les Allemands ont une petite garnison dans l'école privée Saint-Léonard. Ce lieu est une étape pour les unités de la Wehrmacht qui se retirent du sud-ouest de la France pour rallier les armées allemandes situées à l'est du pays encore occupé.

Après cette courte étape, je me rends à Tannay pour rencontrer un responsable de la Résistance locale. Je parcours 60 kilomètres dans la journée et j’arrive tard à Monceaux-le-Comte pour dormir. Je suis reçu par Valéry et Berthe Chautard. Tous deux âgés de plus de quatre-vingts ans, ils aident au mieux la Résistance.

C'est chez eux que je dois retrouver Georges Hamacek et René Mougne, de la compagnie ANDRE, de passage en mission.

 

Samedi 12 août 1944 :

Au matin, nous entendons de Monceaux-le-Comte des bruits lointains qui ressemblent à des explosions. La nature et la répétition des bruits font penser à des tirs d'artillerie. On imagine des combats importants puisqu'ils mettent en jeu des canons.

Nous nous reposons un peu en réfléchissant sur la nature des engagements en cours et sur la direction approximative de la zone de combats.

Nous sommes dans nos réflexions quand arrivent mes deux sœurs, Jeannine et Madeleine, avec un jeune ami, Louis Poulet, réfugié de Paris. Elles ne sont pas en promenade. Elles viennent de Corbigny en vélo pour me remettre un pli urgent et important destiné au colonel Roche (Moreau), chef militaire départemental du Morvan. L'enveloppe cachetée leur a été remise par Jules Philizot (Segrétat).

Ce pli est caché dans le soutien-gorge de ma plus jeune sœur qui a 18 ans. Elle raconte qu'au moment d'enfourcher leur vélo, elles ont vu sur la route une troupe d’Allemands qui montait à pieds en direction de Saint-Révérien. Elles ont compris par la suite que ces unités allaient se battre à Crux-la-Ville. Par chance aucun Allemand n'a aperçu les vélos avec leurs chargements d'objets destinés au maquis, des équipements militaires récupérés et cachés par leur famille au moment de la débâcle de mai et juin 1940. Il y a des casques, des cartouchières, des musettes. Heureusement aussi que ma sœur n'a pas été fouillée.

L’enveloppe contient un appel au secours du maquis MARIAUX investi par les Allemands en vue de sa destruction et aussi une carte de la région portant les emplacements de tous les maquis.

La réussite de cette double mission - remise d'une enveloppe et de matériel de guerre - montre le sang-froid et le calme de nombreux civils qui ont aidé la Résistance sans appartenir à aucun réseaux ni maquis.

Leur mission accomplie, Jeanine et Madeleine rentrent à Corbigny comme de véritables vacancières.

Personne ne connaît le contenu de ce message urgent. Il faut le remettre au plus vite au destinataire. Nous quittons Monceau-le-Comte pour aller au château de Chassy, à la Brosse. Monsieur Simon, le propriétaire, craint les excès de certains maquisards.

Grâce à René Mougne qui vient d'arriver et qui le connaît bien, Monsieur Simon nous réserve un bon accueil et une bonne nourriture. Mougne reste sur place 24 h. Nous rencontrons des maquisards du camp « Les loups » qui nous fauchent un casque au passage.

À 19 h, il fait encore bien jour, je quitte la Brosse avec Georges Hamacek en direction du maquis BERNARD où se trouve le colonel Roche. Évidement, il n'est pas question de prendre les routes normales utilisées et surveillées par les Allemands. Il faut suivre des petits chemins connus par nos deux jeunes natifs du coin. Ils traversent des hameaux, comme Doussas. Un avion d'observation Fiesler-storch surveille toute la région qui concerne la zone des lieux de combats en cours.

Cet avion nous repère. Nous nous camouflons sous une haie. Nous attendons que l'avion cesse ses tours au-dessus de nos têtes pour reprendre la route. Le vélo de Georges Hamacek a crevé. Impossible de réparer le pneu. Il parcourt donc plus de vingt kilomètres directement sur la jante.

C'est vraiment de l'acrobatie car la roue glisse et dérape à droite et à gauche.

Il y a un passage très risqué. Il faut traverser la route RN 77bis au carrefour de la Croix-de-Vauclaix, une route très fréquentée par les Allemands. Il y a en plus un risque de barrage par la Feldgendarmerie au croisement de routes. Ces contrôles sont d'autant plus fréquents que la zone devient une zone de combats à cause de la bataille de Crux-la-ville en cours. Par mesure de précaution, nous descendons de vélo et avançons à pieds, lentement, en écoutant les bruits insolites qui peuvent annoncer une présence hostile. Pour limiter les risques, chacun passe seul dans la zone dangereuse. Regroupés, nous prennons encore un chemin détourné pour monter au camp. Nous traversons Mhère, puis Linière.

Il est déjà 22 h. La nuit tombe. Un habitant du hameau, un facteur retraité orné d'une grande barbe grisonnante, nous retient un moment chez lui et nous offre une belle omelette au lard avec une miche de pain et un peu de vin. Quel régal !

Retour au camp en pleine nuit.

Il est minuit trente quand nous arrivons devant le quartier du PC départemental. Nous remettons le pli au service de garde du colonel.

Nous insistons sur l'urgence du message destiné au colonel Roche (Moreau), mais les gardiens du PC précisent qu'ils doivent respecter la consigne de ne réveiller le colonel en aucun cas.

Ainsi fut fait.

Le contenu de ce pli n'a été lu par le colonel que le lendemain matin, dimanche 13 août. Apparemment le colonel n'a pas eu de réaction, il n’a pas donné d’ordres pour une action immédiate. Ce message l’informait que les maquis Mariaux et Julien étaient encerclés et attaqués par les Allemands et demandaient des secours. Au vu de ce document, le colonel nous a convoqués, Georges et moi, pour nous sermonner. Nous avons répondu que nous avions rempli notre mission et que ses gardiens avaient respecté ses consignes. L'affaire en est restée là.