De la Section ANDRÉ à la Compagnie ANDRÉ
En dehors du camp Bernard, mais dans le même bois, bien qu'autonome dans son fonctionnement, la Section ANDRÉ a répondu à toutes les demandes et aux ordres de Bernard (Louis Aubin).
On pourrait croire la vie dans les bois monotone, sans radio, sans téléphone, sans cinéma, sans télévision (qui n'existe pas encore pour les particuliers). Mais croyez-moi, chaque jour, il y a de la distraction, des activités imprévues, des occupations multiples nécessaires à la vie d'un groupe, des occupations utiles et intéressantes.
Les nouveaux arrivés, habitués à rencontrer des soldats Allemands vêtus d'un uniforme feldgrau, découvrent des militaires en tenue kaki. Il s'agit de parachutistes britanniques largués sur le Morvan des S.A.S. (Special Air Service). Quelle allégresse de voir des combattants amis venus en France pour désorganiser les arrières de la Wehrmacht et contrarier les mouvements de troupes. Parmi les S.A.S. on compte deux parachutistes français venus d'Angleterre et trois résistants de VENGEANCE, Jacques Morvilliers, Roger Eté, et Georges Brûlé.
Leur rôle est d'accompagner les groupes S.A.S. en opérations extérieures. Armés, ils peuvent combattre avec eux et surtout ils servent d'interprètes français-anglais, sans oublier les facilités de contacts avec la population et les autorités locales. Habillés avec un uniforme anglais, armés comme les S.A.S., ils vivent dans leur camp.
Cette tenue tranche complètement avec uniformes des armées européennes, notamment en France et en Allemagne. La tenue des S.A.S. est très simple et surtout très pratique : pas de vestes avec ceinturon, pas de cassettes, ni de képis, ni de calots, pas de bottes, ni de leggins, ni de bandes molletières. Par contre, bonnes chaussures montantes, pantalons de laine kaki, un blouson serré à la ceinture, un béret de parachutiste de couleur sable. Les S.A.S., qui viennent d'Afrique, portent cette couleur qui permettait de se dissimuler dans les sables du désert. Habituellement les parachutistes du monde entier portent un béret de couleur amarante.
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Arrivée par les airs des fameuses Jeeps
Jeudi 6 juillet 1944 :Deux véhicules militaires circulent dans les sentiers forestiers qui conduisent au camp des S.A.S. On saura bientôt que ces deux véhicules ont été largués d'un avion la nuit précédente. Leur descente est ralentie par quatre parachutes blancs de très grande taille, des sabots sous chaque roue amortissent le choc à l'atterrissage. C'est malgré tout une opération délicate. Il est arrivé qu'une voiture se détache et qu'elle s'enfonce dans le sol, laissant seulement la roue de secours arrière dépasser. Plusieurs voitures ont été ainsi détruites à l'arrivée. Rustiques, maniables, elles sont fabriquées en grandes séries aux États-Unis. Un système de crabotage permet soit de rouler sur route avec deux roues motrices soit, en terrain escarpé ou marécageux, d'enclencher quatre roues motrices.
Ce véhicule décapotable est équipé de deux mitrailleuses jumelées à des chargeurs en camembert capables de tirer mille coups à la minute. Il y a une troisième mitrailleuse à l’arrière, ainsi que deux roues de secours, une sur le capot avant et une à l'arrière, avec un jerrican de carburant. Cette voiture va passer à la postérité en transportant une partie des troupes alliées au cours des combats en Europe et en permettant toutes sortes d’opérations à l'arrière des troupes allemandes.
C'était, et c'est encore aujourd'hui, la fameuse JEEP.
Dans le Morvan, les S.A.S. utilisent ces jeeps pour tous leurs transports et pour les coups de main sur l'ennemi.
Vendredi 7 juillet 1944
Tout le monde travaille à l’installation du camp. Chacun apporte ses compétences, travaillant avec ardeur. Il n'y a pas de tire-au-flanc.
Dans la journée, la section ANDRÉ reçoit la visite de Jean Gateau. Resté à Corbigny comme agent de liaison, Jean arrive en mission au maquis. Il profite de ce déplacement pour donner des informations sur le déroulement des combats en Normandie. Il annonce m’annonce que je suis recalé à l'examen de première année de licence en Droit. Dès sa mission terminée, il retourne à Corbigny.
Samedi 8 juillet 1944
Une partie de l'équipe dresse une nouvelle tente parachute. D'autres partent à la gare de Cœuson pour monter la garde.
Dimanche 9 juillet 1944.
On continue l'installation du camp.
Je suis envoyé au camp des S.A.S. pour recevoir un P.I.A.T. (Projector d'Infantry Anti tank). C'est une arme antichar très efficace mais très dangereuse pour les servants. Sa portée théorique, inscrite dans le mode d'emploi, indique soixante-dix à quatre-vingt mètres. Mais au combat, le tireur doit attendre que l'objectif soit à moins de 40 mètres.
Souvent un groupe de la section prend la garde au poste de la gare de Cœuson. Les deux sentinelles sont remplacées toutes les deux h, une garde de nuit et une garde de jour. Un des membres de l'équipe doit tenir le téléphone. Il est relevé toutes les quatre h. Ce téléphone est camouflé dans un buisson. Il est relié directement au P.C. départemental du colonel Roche situé à côté du camp BERNARD. Le téléphoniste transmet les informations concernant l’arrivée des visiteurs, des autorités, des nouveaux engagés. C'est par téléphone qu'on signale les mouvements de personnes douteuses qui s'approchent du camp sans raison valables. Sont-ils là pour repérer les approches et les défenses du camp ? Le téléphone permet d'informer rapidement les chefs militaires du maquis en cas d'attaque.
Dans les faits, nos téléphonistes occasionnels de la compagnie ANDRÉ n'ont que rarement obtenu la communication avec le standard du P.C. situé au centre du maquis. Cette carence s'est manifestée plus d'une fois à des moments où la communication aurait été indispensable.
Pourquoi ces pannes ? Il s'agit de postes de campagne utilisés dans l'armée française fournis clandestinement par les P.T.T.
L'administration a caché aux Allemands ces appareils. À cette époque, les liaisons radio n'existent pas encore entre les différents points du maquis. La liaison téléphonique entre correspondants du maquis BERNARD nécessite une ligne téléphonique longue de trois kilomètres environ. Cette ligne circule à travers bois et prés, passe au travers des traces (haies), franchissent les ruisseaux. Il suffit d'une coupure sur un fil, d'un peu d'humidité, pour que les communications soient interrompues ou impossibles.
Au poste de garde de Cœuson, l'opérateur tourne et tourne avec ardeur la manivelle d’appel, pourtant ses efforts désespérés ne permettent pas la communication avec le correspondant souhaité, généralement le P.C. du colonel Roche.
Chaque jour, les sentinelles reçoivent l'indication du mot de passe du jour, en général le nom d'une ville de France, par exemple, Dijon, Nevers...
Si la personne arrive au poste de garde et prononce le mot de passe, elle peut entrer dans le camp sans autres formalités. Par contre, l'arrivant qui ne connaît pas le mot de passe est soumis à un contrôle sérieux, notamment sur sa mission, son maquis, son origine, son ordre de mission, ceux qui l'ont envoyé.
Ces renseignements sont transmis au P.C. qui donne un accord.
Le poste de garde de la gare de Cœuson reçoit les repas préparés par la cuisine du maquis. Les aliments, bien chauds au départ de la cuisine, arrivent froids après le trajet qui dure plus d'une demi-heure.
Pour les postes secondaires, comme celui qui garde le sentier vers le moulin Chicot, les sentinelles reçoivent en partant un casse croute pour la journée. Ce sentier est miné. Un fil d'acier très fin et invisible aux non initiés barre le passage.
Quiconque heurte le fil et déclenche l’explosion de la mine ! La mine endommage le véhicule, blesse le conducteur et les passagers et alerte le camp par le bruit de l'explosion. Le rôle des sentinelles consiste à identifier le véhicule ami ou ennemi, puis à décrocher avec précaution le fil connecté à la mine pour permettre le passage du véhicule, et enfin à remettre le fil en place pour la protection des lieux. Le sentier du moulin Chicot est pratiqué principalement par les jeeps des SAS. La nuit, la jeep se fait reconnaître par des appels de phares.
Ils rentrent souvent de nuit, après des missions contre l'ennemi ou des sorties galantes. En effet l'armée anglaise fournit pour le plaisir de ses hommes des rations individuelles comprenant une capote anglaise.
Lundi 10 juillet 1944, le groupe mines et le groupe PIAT assurent la garde à la gare de Cœuson.
La gare accueille Gérard Curnier, agent de liaison du capitaine Roidot, en mission.
Le capitaine Roidot a créé sous l'Occupation le 1°Régiment d'Infanterie dans le Cher. Le 1° R.I. n'a rien à voir avec le 1° Régiment de France créé par le gouvernement de Vichy. Gérard Curnier est accompagné d'André Joubert, venu pour se faire incorporer dans la compagnie ANDRÉ, mais pour des raisons imprévues et inconnues, André retourne à Corbigny et ira finalement retrouver le 1° R.I. dans le Cher.
Chaque jour, la section ANDRÉ se développe comme un champignon. Le bois qui abrite André et toute son équipe, devient une véritable fourmilière. Chaque jour ou presque, on monte de nouvelles tentes parachutes. On aide à l'installation des nouveaux arrivants. On leur montre les lieux, l'organisation des tentes, l'emploi du temps et les commodités, puis les servitudes et corvées réparties à tour de rôle entre chaque groupe et enfin les exercices de formation militaire.
Ceux qui ne sont pas de garde ou de corvées doivent suivre des séances d'exercices théoriques et pratiques. Il s'agit d'apprendre aux nouvelles recrues la façon de se comporter face à un ennemi. Cet enseignement est absolument nécessaire car la presque totalité des jeunes n'a aucune notion de cela. Cette situation résulte de la suppression du service militaire imposée par l'occupant allemand.
Le 12 juillet 1944, le but de l'exercice est de traverser un pré visible de l'ennemi sans se faire repérer et accroché par un tireur allemand.
Après les conseils du lieutenant André, la progression se passe de façon satisfaisante par bonds successifs, avec translation latérale.
Après l'exercice, le lieutenant André donne le résultat des observations : tout a été réalisé suivant les instructions du programme et les recommandations habituelles.
Puis, en souriant, le lieutenant pose une question : pourquoi un des membres de la section aurait été tué ? Le lieutenant précise que cette victime potentielle a respecté avec soin toutes les instructions et consignes de sécurité, et pourtant il aurait été une belle cible visible au loin. En effet, ce maladroit a accroché à son ceinturon au niveau des fesses, un quart brillant tout neuf reflétant le soleil en toutes directions.
Mercredi 12 et jeudi 13 juillet 1944 : Le groupe Fromonot assure la garde à l'entrée du camp à la gare de Cœuson.
La première section de Georges Hamacek se rend à Anost en mission.
Vendredi 14 juillet 1944 :
Ce jour-là, toutes les activités cessent sauf bien sûr les gardes aux entrées du camp et le travail des cuisines.
Dans le camp ANDRÉ, chaque matin on lève les couleurs devant tous les effectifs disponibles. Cependant, en ce jour du 14 juillet, la cérémonie prend de l'ampleur. Elle est suivie du chant de l'hymne national. Une Marseillaise, entonnée sous les arbres, face au drapeau français aux trois couleurs. Le lieutenant André prononce une courte allocution pour fustiger l'ennemi qui opprime le pays et exprime le souhait que, par nos actions, la Patrie soit libérée.
Cette allocution du lieutenant, le levé des couleurs et le chant de la Marseillaise créent un espace de liberté face aux contraintes de l'Occupation. Quelle émotion de se sentir libres et Français ! Quel bonheur que de se sentir capables de se battre pour la Patrie !
Avant la deuxième guerre mondiale, le jour du 14 juillet, de nombreuses familles ornaient leurs façades avec des drapeaux aux couleurs de la France. Cette pratique fut interdite par les Allemands et n'a pas été reprise après la guerre.
Pour marquer cette journée, l'ordinaire des repas est amélioré. Tout d'abord, on se réuni au pied d'un cerisier qui pousse au bord des chemins de campagne. La récolte est bonne. Il y en a suffisaient pour toute la compagnie. On se régale de ces délicieuses cerises sauvages, d'autant plus qu'il n'y a pas de produits frais au maquis, légumes ou fruits.
Les cuisiniers ont fait un exploit en préparant des poulets rôtis et des pommes frites pour cent cinquante personnes avec des moyens de cuissons rudimentaires.
Le repas, je dirais même un banquet en ce jour, a été joyeux et plein d'entrain.
Nous avions des invités : deux parachutistes Britanniques S.A.S. et le docteur Alec Prochiantz et sa femme, elle-même médecin.
En fin d'après-midi, nous avons monté une tente pour accueillir un groupe venu de Clamecy. Parmi eux, il y a René Mougne et Xavier de Planhol.