Par Hubert CLOIX
SECTION ANDRÉ : La vie dans le Maquis
Première mission :
La section est désignée pour une corvée de parachutage. Elle doit recevoir cette nuit des containers accrochés à des parachutes lâchés d'un avion britannique. Ces containers contiennent des armes, quelques vêtements militaires, des chaussures, du matériel, parfois de la nourriture et des médicaments.
L’annonce de l'arrivée d'un avion met tout le monde en joie. Les anciens, qui ont déjà assisté à ce spectacle tellement grandiose, mettent en appétit les nouveaux. Ils racontent avec forces détails le déroulement des opérations.
Il fait très chaud. À 21 h, la section quitte le camp et chemine à travers la forêt pour se rendre par un sentier dans une prairie qui doit recevoir les colis. C'est là que les convoyeurs vont lancer leur chargement.
Quand la section arrive au but de sa marche, elle trouve déjà le manipulateur installé sur place. Il est équipé de matériel de signalisation, pour que les avions qui survolent la zone repèrent le terrain de parachutage.
Les quelques anciens qui ont déjà assisté à un parachutage racontent que le bruit des moteurs dans le ciel annonce l'approche du ou des avions. Le manipulateur utilise un phare de voiture relié à une batterie d'accumulateur. Il informe l'avion de la présence du terrain par des éclairs lumineux. Ces signaux, plus ou moins longs, indiquent en morse la lettre correspondant au terrain.Les anciens racontent l'arrivée des avions, le spectacle magnifique des parachutes qui s'ouvrent et descendent en corolles de toutes les couleurs, l'arrivée au sol des containers… Il faut faire attention pour éviter de recevoir un panier ou un container sur la tête. Aussitôt le largage terminé, on décroche les colis des parachutes. On groupe les containers par catégories. On cache les parachutes. C'est un travail harassant en pleine nuit. On attend l'arrivée des chariots tirés par des bœufs menés par les paysans de Cœuson. On charge tout l'arrivage sur ces chariots. C'est enfin le retour. On est heureux car chaque colis contient des armes, des munitions et tout ce qui manque dans cette France appauvrie par quatre ans d'occupation.
Les nouveaux attendent avec impatience l'arrivée des camions. Il est 23 h. La nuit en Morvan est très fraîche et même glacée. Tous ceux qui n'ont qu'une chemisette grelottent.
Il faut attendre.
Vers une heure du matin, on entend le vrombissement d'un avion. Le manipulateur, avec son phare, indique à l'avion le code du terrain. On allume trois phares alignés pour indiquer l'axe de la piste de largage. Le ciel est couvert, on aperçoit la silhouette de l'avion à travers les nuages. L'avion s'éloigne. Plusieurs fois, des avions passent au-dessus de nos têtes sans s'arrêter. Ces avions qui n'ont pas réagi à nos appels, sont-ils des avions amis qui passent sur nous sans s'arrêter car ils doivent larguer leur chargement sur un terrain voisin ? Moi qui ai vécu les grands bombardements de la région parisienne, je m’'inquiète car je me demande si les avions allemands ne sont pas en train de nous repérer pour lâcher des bombes sur nous.
Heureusement, les avions ne sont pas ennemis. À 5 h, il fait déjà grand jour, le parachutage annoncé n'a pas eu lieu. On rentre triste au camp. On se repose quelques instants puis toute la section André part à l'emplacement du nouveau camp.
Section ANDRÉ : 1° jour
Le camp
En ce jeudi 6 juillet 1944, l'équipe du lieutenant André s'appelle maintenant la section André.
Branle-bas général pour toute l'équipe du lieutenant André qui termine son petit-déjeuner. Dés cet instant la section André existe réellement et va vivre une certaine autonomie dans le maquis BERNARD.
Il fait beau. Le soleil réchauffe les corps et les âmes. Toute l'équipe se rend à travers bois à l'emplacement du futur camp. Comme à l'époque ancienne où les légions romaines devaient construire un camp à chaque étape. Aujourd'hui comme ces légions, la section André doit établir et installer un vrai camp. Chacun porte son sac garni d'objets personnels mais aussi de l'outillage, quelques matériaux et pour certains une arme avec ses munitions.
L'emplacement choisi se situe dans une forêt de feuillus, c'est-à-dire une forêt où se trouvent des bois durs : hêtres, chênes, frênes et des taillis de trembles et de charmes... Mais il n'y a pas de résineux.
Le sol est en pente douce, une petite source s'écoule doucement sous les arbres et donne naissance à un ruisselet.
Le lieutenant choisit et détermine les emplacements nécessaires à chaque fonction d'un groupe en campagne:
- la place d'armes,
- la cuisine et son équipement,
- la source,
- les tentes,
- la feuillée.
Chacun reçoit une tâche en fonction de ses compétences. Ce coin de forêt devient une vraie fourmilière ou tous s'occupent activement.
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La place d'armes
Déjà une équipe égalise le sol, une autre dégage la broussaille et coupe une partie du taillis. Les arbres et baliveaux sont respectés et protégés. On dégage un emplacement suffisant pour disposer les groupes et sections en formation de rassemblement. Chaque jour, matin et soir, les maquisards se réunissent autour du mât pour la levée et la descente du drapeau tricolore. Toute la journée il flotte aux couleurs de la France.
C'est là aussi que se tiennent les séances de formation théorique. En effet, les jeunes recrues n'ont pas fait de service militaire et ne connaissent rien de la vie au sein de l'armée, rien non plus sur les armes et rien encore sur le comportement nécessaire en cas de combats futurs.
Pour la cérémonie du drapeau, on a dressé un mat équipé d'une drisse. Le drapeau est fourni par la famille Chautard, mes grands-parents. Il est envoyé à Cœuson pour que Mesdemoiselles Suzanne Guillomot (épouse Lapage) et Ginette Renault (épouse Bruker)l’ornentd'une Croix de Lorraine, symbole de la France Libre et des résistants de l'intérieur. Bien sûr à l'époque, la télévision n'existe pas encore. Les journaux et revues, sous contrôles Allemand, ne représentent pas notre drapeau national et encore moins le drapeau tricolore orné de la Croix de Lorraine. Ce drapeau à la Croix de Lorraine cristallise l'effort de tous contre l'occupant. Les habitants de Cœuson n'ont jamais vu une Croix de Lorraine, c’est pourquoi les barres horizontales de la Croix sont inversées.
Le drapeau a été conservé par le lieutenant André après la dissolution de la compagnie, en septembre 1944. Il a été offert à la commune d'Ouroux. Monsieur Joly, maire d'Ouroux, l’a exposé dans une salle de la Mairie.
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La source
Dans un terrain boisé légèrement pentu, un filet d'eau sourd du sol. L'eau ruisselle et s'étale. La source aurait été inutilisable sans les gens du pays qui, par instinct et par expérience, l’ont aménagée pour qu'elle donne une eau limpide tout à fait potable.
Comment ont-ils réalisé cet exploit ?
Au pied de la source, ils ont creusé le sol pour former une cuvette à peu près de la taille d'un grand tube. Tout autour de cette cuvette, on répand du beau sable de rivière bien propre. La retenue d'eau va s'écouler dans la partie haute de ce petit barrage. L'eau sort à travers un tube constitué d'écorce de bouleau. Au bout de ce tuyau improvisé, on peut récolter l'eau avec un seau.
Quelle ingéniosité !
L’eau est pure, on la boit, on l'utilise pour la cuisine, la vaisselle, la toilette, le lavage du linge.
La section Andréet les S.A.S. Britanniques puiseront à cette source.
La cuisine
Une équipe monte une baraque en bois avec une porte fermée à clef pour empêcher les larcins. On y range les produits alimentaires, les réserves d'huile, de vinaigre, de café et surtout le vin. On installe un abri de branchages et de feuillages pour les cuisiniers qui seront protégés de la pluie. On dresse des tables pour la préparation des aliments : épluchage des pommes de terre, découpe de la viande fournie par le camp BERNARD.
Chacune des marmites en fonte est installée sur trois grosses pierres. Ainsi on peut facilement allumer un bon feu sous chaque.
Le cuisinier est un jeune du métier. Quand l'effectif augmente, il reçoit des aides, notamment un boucher professionnel, Gabriel Save, de Corbigny. Avec les moyens du bord, il réalise des plats de qualité et en abondance.
La section, puis la compagnie André, n'auront pas faim.
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Les tentes
Pour abriter tout ce monde, il n’y a ni baraquements ni tentes. Si, une exception, le lieutenant André qui est venu au camp avec une tente individuelle du type « canadienne ».
Comme dans la forêt il n'y a ni planches ni bâches, il faut trouver une solution avec les éléments disponibles. La responsabilité de l'opération est confiée à Jean-Louis Fromonot. On sait qu'il a suivi la préparation au concours de Saint Cyr, on découvre qu'il est aussi chef scout. Il organise un grand chantier, mettant à l'ouvrage toute son équipe. Il utilise les moyens du bord et les matériaux pris dans la forêt. On abat des baliveaux, on scie, on creuse le sol, on dresse des poteaux, on récolte du foin pour les couchages. Tout se fait dans l'enthousiasme et la bonne humeur.
Fromonot veut utiliser les parachutes pour en faire des tentes. Avec beaucoup d'ingéniosité, il les transforme en vraies tentes, circulaires comme celles des Sioux d'Amérique. Il suffit de modifier les suspentes d'un parachute pour la fixation de la tente au sol et en l'air.
C'est lui qui repartit le travail de chacun. Certains égalisent le terrain pour que le sol soit bien horizontal, d'autres coupent un mât pour tenir la tente et des branchages pour former un treillis qui doit maintenir un muret de terre. Ce muret de 50 centimètres de hauteur protège l'intérieur des tentes. Il est interrompu d'une largeur suffisante pour permettre l'entrée de la tente. On attache au mât deux parachutes superposés qui protègent du froid et garantissent une bonne étanchéité sous les pluies abondantes du Morvan. Chaque parachute est bien arrimé avec des piquets de bois fixés au sol.
À l’intérieur de la tente, il n'y a pas de lits, mais on monte une petite plate-forme surélevée pour que les couchages ne soient pas directement sur l'humidité de la terre. Le muret de chaque tente est assez épais et permet de loger quelques objets personnels.
Chaque tente abrite un groupe.
Au fur et à mesure des arrivées, on monte de nouvelles tentes.
On construit aussi une tente spéciale qui doit servir d'armurerie. C'est elle qui abrite les munitions et les armes en attente d'attribution. Elle loge aussi les responsables de l'armurerie. Elle ne doit jamais être abandonnée. Elle doit être très grande. La technique de montage est la même que celle décrite précédemment mais on utilise deux grands parachutes blancs qui ont servi au parachutage des jeeps. Bien sûr, on camoufle au mieux avec des parachutes verts et un peu de feuillage. Mais honnêtement, l'observateur aérien n'a pas beaucoup de peine à reconnaître parmi le feuillage des arbres ces taches de couleurs parfaitement circulaires. Les Allemands sont parfaitement renseignés sur l'emplacement du camp et sur l'effectif des maquisards.
La technique mise au point par Fromonot a été reprise par les responsables camp BERNARD et également utilisée dans tous les maquis du Morvan.
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La feuillée
Pensez que quarante, puis bientôt cent cinquante personnes, vont vivre dans le camp ANDRÉ. Imaginez que chacun se soulage dans la nature, à l’intérieur et autour du camp. La vie serait vite impossible.
On dit que mettre le pied gauche sur une merde, porte bonheur. Peut-être, mais c’est sûrement désagréable. L'air serait vite irrespirable et mal odorant.
Pour éviter ces nuisances, il n'y a que quatre solutions :
- installer des cabines avec cuvettes et réservoir de chasse, arrivée d'eau et écoulement à l'égout. C'est irréalisable dans une forêt loin de tout.
- W.C. en cabines mobiles, comme on en installe dans les grands chantiers de bâtiment, de travaux publics, ou lors des grands rassemblements de foule. Mais quand la cuve est pleine, un camion spécialisé récupère toute la matière. Bien sûr, il n'y a pas de voies qui permettent d'accéder au camp avec un tel véhicule. Il faut ajouter que ces cabines mobiles n'existaient pas à cette époque.
- Troisième méthode : c'est celle qui a été utilisée au château de Versailles au temps de Louis XIV. La construction n'avait pas prévu de toilettes. Chacun se soulageait dans le parc, caché derrière un buisson. Chaque matin, des escouades de valets parcouraient le parc et ramassaient tout ce qui trainait. évidemment, nos maquisards n'auraient pas accepté les corvées de merde.
- Alors on en arrive à la vieille méthode utilisée par les armées en campagne : c'est la feuillée. Pour installer une feuillée, on creuse une tranchée étroite mais profonde. Plusieurs personnes peuvent l’utiliser en même temps. Chaque fois que quelqu'un se soulage, il doit recouvrir les excréments avec un peu de terre. Quand la tranchée est comblée, on creuse une autre tranchée. Ainsi pas d'odeurs, pas de mouches, pas de vermines.
Petite anecdote : dans une tente, un des maquisards est venu au camp avec un gros registre intitulé ''copie de lettres ». C'était un procédé de reproduction qu'on n'utilise plus depuis longtemps, mais il permettait de garder le double d'une lettre, d'une facture. On mettait le document à recopier dans ce registre sous une feuille de papier de soie très fine. On mouille la feuille de papier de soie. On met en place deux feuilles de papier buvard et on serre très fort avec une presse à vis. L'encre des caractères s'imprègnent sur le papier de soie. C'est efficace mais très lent. On ne peut traiter qu'une feuille à la fois.
Comme à l'époque, Il n'y avait pas de papier hygiénique, on appréciait ces feuilles de papier de soie.
Ce garçon est donc venu avec son registre formé avec ses feuilles extrafines, soyeuses et douces, pour ce nouvel usage. Pour économiser on pouvait couper les feuilles en quatre.
Bon enfant, ce maquisard met à la disposition de ses coéquipiers de tente le registre en question. On raconte qu'il râlait et rouspétait quand quelqu'un déchirait les feuilles de travers et gaspillait le papier.
Dans la chronique sur la compagnie ANDRÉ, vous lirez bientôt une histoire tragicomique sur une aventure de ce genre.
La grande Histoireest parsemée de petites histoires.