par Hubert CLOIX
Les maquis s’organisent
Les maquis s’organisent
Le débarquement des alliés en Normandie, le 6 juin 1944, va précipiter les choses. Le camp DANIEL commence en juillet et le maquis BERNARD, le plus important du département, ne comptait que treize personnes début mai, une quarantaine fin mai après la venue d’une équipe VENGEANCE et ne dépasse pas cent vingt-cinq maquisards en ce mercredi 5 juillet 1944.
À partir du 14 juillet, les arrivées sont nombreuses, car des avions venus d’Angleterre larguent des containers contenant des armes et des munitions.
C’est à partir de cette date que les maquis, déjà bien organisés, peuvent accueillir tous ceux qui désirent prendre les armes contre l’envahisseur. Tous ceux qui craignent le regard de l’ennemi peuvent quitter leur vie clandestine, soit en entrant dans un réseau de résistance, soit en tant que réfractaires au S.T.O., soit pour des raisons raciales.
Revenons à ce mercredi 5 juillet 1944, montons dans les bois de Montsauche. Des sentiers mènent au milieu de la forêt qui cache le camp BERNARD. Une petite clairière parcourue par un ru abrite le campement des maquisards. Rien ne rappelle un camp militaire.
J’arrive au camp dans la matinée de ce mercredi 5 juillet.
Je viens de vivre des moments difficiles. J’ai échappé de justesse aux arrestations dans l’Allier organisées par la Gestapo en septembre 1943, alors que j’étais en mission à Billy, village au nord de Vichy. J’ai quitté la demeure de mon chef quelques h seulement avant le coup de filet qui a dispersé toute l’équipe.
De retour à Paris, j’ai repris du service comme agent de liaison dans le réseau « VENGEANCE ». Le 5 juin, veille du débarquement des Alliés en Normandie, je reçois l’ordre de me rendre dans le Morvan où je dois retrouver des camarades de « VENGEANCE ».
Du 12 juin au 5 juillet, je suis mis à la disposition du chef de zone de Corbigny Jules Philizot (Segretat). Je peux rendre bien des services car je suis né à Corbigny, où vit encore une partie de ma famille, j’ai beaucoup de relations dans les environs et je connais parfaitement la région. J’ai parcouru à pieds et en vélo, les petites routes, les passages, les ponts, les sentiers …
Le mardi 4 juillet, Jules Philizot m’annonce que je suis grillé et que je dois rejoindre le camp aussi vite que possible. Il me signale que, sauf modification, la route R.N. 77bis est libre. Cet ordre me réjouit. Je vais enfin pouvoir résister à l’ennemi l’arme à la main. C’est la fin de tous ces combats seul, souvent sans consignes, face à des dangers omniprésents. Ma joie est d’autant plus grande que Jean-Louis, un ami d’enfance, agent de liaison de VENGEANCE comme moi, est monté au maquis au cours d’une mission. De retour à Corbigny, il raconte ce qu’il a vu : le poste de garde, les bois, le campement, les armes parachutées, le chef de maquis, quelques Parisiens, des Anglais, et un tout jeune officier arrivé de Paris. Il transmet son enthousiasme à l’équipe de liaison.
C’est donc plein d’ardeur que j’enfourche mon vélo pour parcourir les trente-trois kilomètres qui séparent Corbigny du maquis. La voie est libre, mais les risques sont là. On peut être arrêté par un contrôle imprévu de la Feldgendarmerie, on peut rencontrer une unité de la Wehrmacht en déplacement, ou un barrage inattendu.
En partant, je sais que je joue à la roulette russe, car je suis vêtu d’une tenue militaire de 1940, avec un sac à dos de l’armée, un casque attaché sur mon porte bagage et une couverture qui n’est pas civile. Tous ces équipements ont été récupérés en septembre 1940 dans un dépôt allemand remplis d’un butin pris à l’armée française. Je sais qu’une rencontre malheureuse entraine l’arrestation et à coup sûr la torture, suivie du poteau d’exécution… Beaucoup de jeunes ont été arrêtés durant le trajet en direction du maquis, soit sur la route, soit dans les cars. Ce fut le cas de deux Corbigeois.
Heureusement, pour moi, tout se passe bien. Je traverse Cervon, la Croix de Vauclaix, Chasseigne. Je quitte la route nationale au pont du Boulard et je prend un chemin vicinal simplement empierré qui mène à Cœuson par le hameau de Savelot,. Avant l’arrivée au village, un embranchement de cent mètres conduit à la gare de Cœuson. C’est une petite gare qui est désaffectée depuis le début de la guerre. Elle desservait Cœuson et les hameaux voisins sur la ligne Nevers, Corbigny, Saulieu. Cette ligne à voies étroites appartenait à une société privée : « Les chemins de fer économiques ». Le siège était à Paris. Dans la région, on disait en langage courant: « On prend le Tacot ». Il était très utilisé par la population et pour le transport des marchandises et du bétail.
Mais la souplesse des cars et les progrès techniques des camions récents ont pris la place de ces petites lignes trop onéreuses. Il fallait entretenir les voies ferrées, la signalisation, les gares et son personnel, les ateliers d’entretien pour wagons et locomotives, les équipes avec leur outillage et les machines. Une forge pour remplacer et dudgeonner les tubes des locomotives.
J’arrive à la gare de Cœuson. Je sais que ce bâtiment est désaffecté et sert de poste de garde à l'entrée principale du maquis BERNARD. Je découvre un monde nouveau et inattendu.
Quelques gars forment l'équipe de garde du maquis. Le chef de poste m’accueille, je donne le mot de passe que m’avait indiqué Jules Philizot (Segretat), aujourd'hui c'est « Dijon ». Le chef de poste me fait visiter les lieux, me montre la disposition de la gare. Le bâtiment comporte trois pièces en rez-de-chaussée. Avant la guerre, l’une servait de salle d'attente et de guichet, les deux autres logeaient le chef de gare et sa famille. En sous-sol, il y a une cave.
On me présente l'équipe. Surprise : je me retrouve nez à nez avec un camarade d'école, Georges Hamacek ! Nous étions ensembles en première année d'H.E.C.
Georges s’exclame : « qu'est ce que tu fais ici ? » je lui réponds : « Je fais comme toi ». Nous découvrons réciproquement nos activités clandestines. Nous découvrons que nous sommes tous deux entrés dans la Résistance et dans le même réseau, VENGEANCE !
Merveille d'un cloisonnement efficace et bien respecté. Merveille de comportements discrets, loin des forfanteries de certains jeunes trop fiers d'appartenir à la Résistance. Combien de jeunes ont-ils été victimes de leurs bavardages et de leurs vantardises auprès des petits copains ou même d’inconnus ?
Georges Hamacek me prend en charge. Nous empruntons un sentier qui monte au maquis. Après quelques pas, on me montre, bien camouflé derrière des arbres, un appareil téléphonique de campagne. Il relie le poste de garde à l'état-major. Cela donne une impression de sérieux : en cas d'attaque, les responsables sont alertés et peuvent donner très rapidement les ordres nécessaires. La montée dure plus de trente minutes. Le terrain est accidenté. On monte, on descend, on traverse à gué des petits ruisseaux, on passe à découvert dans de petits prés. On arrive au maquis à travers la forêt de la Vente et du bois Villiers. Des emplacements pour fusils-mitrailleurs donnent une impression de sécurité. On imagine qu'en cas d'attaque, tout est prévu pour repousser les assaillants. La configuration des lieux, la superficie des bois, l'éloignement des grandes villes rassurent les plus inquiets. À un moment donné, on s'arrête : c'est l'emplacement du camp.
Quelle surprise ! Quelle déception !
La forêt semble vide, abandonnée. Quelques hommes circulent çà et là, sans but précis. Certains se regroupent et occupent le temps en bavardant. Pas d'activité militaire, pas d'armes visibles. Tout semble inorganisé et improvisé : pas de tentes, pas de baraquement, seulement des abris de branchage recouverts de bâches. La cuisine est constituée de rondins et de quelques planches. Il n'y a pas de cuisine roulante comme à l'armée, mais de grosses marmites en fonte utilisées habituellement pour la pâtée des cochons. On aperçoit une grande fosse destinée à recevoir les déchets de cuisine, pour le bonheur des mouches et des asticots qui pullulent à même le sol. Trois gars préparent les aliments. On ne voit pas de toques, pas de tabliers et pas de vestes de cuisinier. Malgré tout, ils ont préparé la nourriture pour plus de mille-quatre-cent maquisards. Il n'y a eu ni morts, ni maladies intestinales dus aux aliments.
Aucun signe distinctif ne permet de reconnaître les chefs. Tout les maquisards sont habillés, ou plutôt fringués, avec un béret sur la tête et des vêtements hétéroclites, la plupart du temps usés jusqu’à la corde. Les plus gâtés ont de vieilles chaussures éculées, d'autres n'ont que des sabots en bois avec lesquels il est impossible de courir.
Un peu désappointé par la vue du camp. Je ne suis pas le seul. Roger Poitou par exemple, qui est envoyé au maquis par un chef de son bureau de Poste vers Nevers, est très déçu par le spectacle du camp.
On me présente à Bernard qui dirige le camp. C'est un ancien gendarme du coin. C'est un homme sympathique qui paraît vieux par rapport aux autres maquisards. On m’explique qu'il y a un état-major départemental dans le bois, mais les contacts semblent assez distants. La cuisine sert de lien en fournissant la nourriture et la préparation des plats à la compagnie de commandement.
Nous remarquons un tout jeune homme qui sort de l’ordinaire. Comme tout le monde, il porte un béret sur la tête mais sa tenue le distingue : une belle veste croisée kaki, un pantalon de cheval, des bandes molletières, une bonne paire de chaussures montantes et autour du cou, une belle écharpe. Son visage est pensif et son regard aux yeux clairs impressionne tout le monde. On sent en lui l'âme d'un chef. On sent en lui l'homme qui nous entrainera partout au milieu des périls.
Cet homme, c'est le lieutenant André
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