Par Boris de GUEYER
Avec son aimable autorisation
Lorsque j'ai rejoint le Maquis de Beuil le 8 Juin 1944 avec un ou deux camarades, on nous conduisit d'abord dans une range située sur la route de Valberg au lieu-dit Les Leaunes. Dans cette grange où nous passâmes la nuit et la journée suivante, étaient entreposés des vivres et notamment des bassines de confitures de vingt kilos. La tentation fut trop forte pour ne pas y résister.
Dans la soirée par un sentier muletier nous arrivâmes au camp, accueilli par le chef révolver au poing. Il nous mena jusqu'à une bergerie où étaient réunis une vingtaine d'hommes joyeux, éclairés par un feu de bois qui brûlait dans un coin de la pièce, la fumée s'échappant par un trou dans le toit. Cette salle avait une sorte de mezzanine garnie de foin qui faisait office de dortoir.
Près de la porte un poste de T.S.F. sur accus, branché sur la B.B.C. égrainait les messages personnels. Bien vite j'ai appris que celui que nous attendions formait une phrase assez poétique: Les édelweiss se cueillent très haut. il devait annoncer le parachutage d'armes sur le plateau St. Jean situé non loin de là.
Par deux fois il passa, par deux fois l'avion ne se présenta pas. Les orages furent la cause de ces empêchements. Le deuxième particulièrement violent nous obligea à nous refugier, y compris l'âne que je trainais dans la petite chapelle élevée sur le plateau. Heureusement les armes vinrent d'ailleurs.
Le groupe était très composite. Je me souviens tout d'abord d'un pilote américain, Earl, dont l'avion avait été abattu. Il ne parlait pas Français mais connaissait une vieille chanson populaire "Alouette, gentille alouette" que nous reprenions en coeur.
Ensuite de Maurice - le cavalier - je l'appelais ainsi en raison de la culotte de cheval qu'il portait, très vite on devint copain car il avait un petit jeu d'échecs.
Il y avait encore Henri, le plus âgé d'entre nous n'ayant pas loin de la cinquantaine, réfractaire au S.T.O.
Un autre Henri, un géant celui-là, policier un peu vantard, à une main il avait un petit doigt supplémentaire, sorte d'excroissance attachée au pouce, un ancien des brigades internationales qui m'apprit lorsque l'on prenait la garde la nuit pendant la pleine lune, qu' il valait mieux de ne pas rester debout, un autre dont le nom m'échappe, petit et hargneux rêvant de devenir boxeur, un polonais assez taciturne, celui qui fut notre armurier, blessé et brûlé au visage en Mai 40, trois prisonniers soviétiques évadés et quelques autres enfin dont les noms et les visages se sont estompés de ma mémoire.
Jusqu'au début juillet ce furent plutôt des grandes vacances à la montagne à part les deux expéditions au plateau St.Jean et une autre à Guillaumes pour réquisitionner des godillots et de l'essence.
Le Capitaine Rodolphe qui résidait à Beuil avec sa femme venait souvent nous voir entretenant notre moral qui était très haut mais surtout calmant notre impatience de recevoir des armes et de passer à l'action.
Les armes arrivèrent fin juin et l'instruction commença.
Puis lorsque le 7 Juillet nous allâmes faire sauter les ponts dans les gorges de Daluis et du Cians, occuper.- Beuil et Guillaumes, les choses sérieuses commencèrent....
© Boris de GUEYER