Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

La vie dans les camps de DACHAU et de BUCHENWALD par M TATILLON
Année 1943

Le calvaire des Résistants est incommensurable et innommable : tortures, baignoires, règles triangulaires où la personne interrogée était obligée de s'agenouiller pendant qu'un tortionnaire lui montait sur le dos, coups de pied, coups de nerfs de boeuf.

Ceux qui avaient résisté aux interrogatoires, après un séjour en prison ou à Compiègne, étaient déportés en Allemagne dans les Camps de Concentration. DANTE, lui-même, malgré son génie et malgré sa maxime écrite sur le fronton de son Enfer « vous qui rentrez, laissez toute espérance », n'aurait pu concevoir un tel enfer.

Après la trahison d'un des nôtres : MULTON, plusieurs d'entre-nous, appartenant au mouvement combat et cofondateur du réseau N.A.P. furent arrêtés le 25 mai 1943. Après plusieurs interrogatoires nous fûmes transférés à la Prison St. Pierre, ensuite à Fresnes, où nous subîmes plusieurs interrogatoires à la rue des Saussaies à PARIS.

Je passe sous silence les tortures subies : je signalerai seulement un cas : un jeune garçon de vingt ans, n'ayant pu supporter le premier interrogatoire, préféra quelques jours après, quand il devait être à nouveau interrogé, se précipiter dans le vide du 5e étage de la Prison de Fresnes, dès que la porte de sa cellule fut ouverte.

Après un séjour de plusieurs mois à la Prison de Fresnes classés « Nuit et Brouillard » (N.N.) et condamnés à mort, nous fûmes tranférés au camp de NEU BREME à SARREBRUCK. À la descente du train, avec une quarantaine de mes camarade, nous sommes enchaînés deux par deux, tassés les uns sur les autres dans une voiture cellulaire à coup de trique. Après un voyage d'une demi-heure, nous arrivons au camp, un petit camp atroce.

Là, chaque jour, après l'appel qui dure plusieurs jours et avec un litre de soupe d'herbes pourries et 100 grs d'un pain qui n'en avait que le nom, nous devons tourner autour d'un bassin au pas de gymnastique, puis ramper durant plusieurs mètres dans la boue, marcher ensuite accroupis les mains derrière la tête, toujours autour du bassin et à coups de nerfs de boeuf.

Le gourmi s'acharnait sur nous, nous laissant aucun répit. Les « trainards » sont matraqués à mort. Les survivants sont transférés à BUCKENWALD.

À notre arrivée au camp de Buckenwald, nous sommes envoyés à la douche, rasés et passés à la désinfection : celle-ci consiste, après la douche à s'enfoncer dans une baignoire tête comprise, où l'on avait versé du grésil. Nous sommes ensuite habillés avec des guenilles, car le pyjama rayé est réservé pour les transports et le travail à l'extérieur du camp.

Nous sommes dirigés au bloc de quarantaine. Notre calvaire continue, tous les jours, pendant la quarantaine, après des appels interminables ou certains meurent de froid, nous partons à la carrière qui se trouve à 2 kilomètres au camp.

Nous prenons, chacun sur notre épaule une pierre de plusieurs kilos qu enous transportons au camp. Ensuite, c'est le repos dans nos blocsoù nous sommes parqués comme des bêtes, couchant sur des paillasses pourries, pleines de puces.

Nous avons droit à un contrôle grotesque, nous devons défiler tout nu devant un S.S. qui nous retourne dans tous les sens, pour nous découvrir les poux. Des avis sont cloués dans tous les blocs, ainsi libellés :

Un pou, c'est la mort : Les Allemands ont une peur atroce du typhus.

Je vais passer plusieurs mois à BUCKENWALD. Je travaillais à la gare (Bahnhof où je déchargeais des wagons de paille de verre et chargeait du charbon. Beaucoup de mes camarades meurent de froid. En juillet 1944, je suis transféré à la STRUSTOF-NAZVILLERS (en Alsace) en qualité de N.N.

Là, malgré la belle saison : il ne cesse de pleuvoir, nous resterons encore des heures en appel, le travail est très pénible, il faut creuser le sol, transporter des grosses brouettes de terre sur plusieurs dizaines de mètres : beaucoup meurent.

En septembre 1944, les survivants du camp sont évacués sur DACHAU. Auparavant, des camarades du réseau ALLIANCE se trouvant au camp SIRMECK, situé à quelques kilomètres plus bas de notre camp, sont emmenés au camp de STRUSTOFF et pendus à des crochets qui ornaient une salle attenante au four crématoire. Tous les N.N. de la Strustoff avaient été confinés au Bloc 14, là nous attendions notre tour pour être pendus.

Devant l'avance de l'armée Alliée, le camp fut évacué très rapidement, ce qui nous sauva d'une mort atroce.

Tassés à 120 ou 140 dans des wagons à bestiaux, nous sommes dirigés sur DACHAU. Plusieurs de mes camarades meurent étouffés.

A notre arrivée à DACHAU, le Général DELESTRAIN et MICHELET s'occupèrent des ressortissants déportés français, afin que la sentance de mort qu nous suivait ne puisse être appliquée, ils nous firent changer de vêtements et nous fûmes alors envoyés très rapidement en commando à FRIBOURG.

Ce commando était atroce, nous devions marcher pendant plusieurs kilomètres pour atteindre le lieu de travail, nous partions le matin à 6 h et rentrions le soir à 18 heures Quelques semaines après notre arrivée, le typhus se déclara.

Nous sommes alors évacués, en février 1945 au camp de WAIHINGEN, près de STUTTGART. Là, de très nombreux camarades eurent le typhus, car aucun soin ne leur est donné. J'en suis moi-même atteint.

En mars, évacuation à nouveau des survivants du typhus.

L'armée de DE LATTRE est aux portes de STUTTGART, on nous embarque alors dans des wagons à bestiaux sur DACHAU. Le transport dure 2 jours, beaucoup d'entre nous ne supportent pas le voyage. Après être passés à la douche après notre arrivée, plusieurs de mes camarades meurent d'avoir trop avalé d'eau ; leur ventre devient énorme, ils meurent dans des souffrances atroces.

Le 29 avril 1945, nous sommes libérés par les Américains.

Les survivants du typhus sont mis en quarantaine dans les casernes S.S. de DACHAU. Nous déplorons encore de nombreux morts malgré les quelques soins que peuvent nous donner les américains. Des milliers de cadavres qui n'ont pu être blûlés par les Allemands faute de combustibles sont recensés.

Nous sommes rapatriés à PARIS le 2 Juinet dirigés sur l'Hôtel LUTECIA. Nous y sommes très bien accueillis. Après quelques jours, nous rentrons dans nos foyers après avoir pris quelques kilos, car pour ma part, quand je fus pesé à l'infirmerie après ma libération, mon poids était de 39 kg.
 



Accéder aux archives