Intervention de Renée LOPEZ-THERY ©
lors du Repas de la Mémoire du 3 Novembre 2016
GERMAINE TILLION
Pionnière de l’ethnologie, résistante et déportée
Une jeunesse privilégiée
Germaine TILLION est une Auvergnate, née à ALLEGRE dans le Cantal le 30 mai 1907 au sein d’une famille unie entre son père LUCIEN et sa mère EMILIE. La famille, catholique et républicaine, s’agrandit en mars 1909 avec la naissance de Françoise.
Les enfants baignent dans un milieu ouvert sur la culture. Leur père, juge de paix, est aussi un passionné de musique, d’archéologie, de préhistoire et de photographie. Leur mère participe à l’édition des premiers guides touristiques : les guides bleus des Editions Hachette.
Les deux sœurs sont envoyées à CLERMONT FERRAND pour des études secondaires et obtiennent leur baccalauréat, fait relativement exceptionnel car, à cette époque, les jeunes filles sont peu nombreuses à accéder à ce niveau. (Germaine est lauréate en 1925, année où le bac devient mixte)
Germaine décide de poursuivre des études universitaires. Elle est avide de connaissances et
fréquente entre autres le Musée de l’Homme, la Sorbonne et l’Ecole Pratique des Hautes Etudes en Sciences Sociales (Françoise optera pour les Sciences politiques) et s’intéresse à l’archéologie, la préhistoire, l’égyptologie, les religions, les arts populaires mais finalement elle opte pour une toute nouvelle science : l’ethnologie enseignée par Louis MASSIGNON et Marcel MAUSS.
En 1934, elle obtient une bourse afin d’étudier la tribu berbère des CHAOUIAS dans les AURES. Dans ce but elle s’initie à la langue berbère.
Qu’une jeune fille parte si loin à la rencontre de populations étrangères est tout à fait exceptionnel et illustre le caractère volontaire, curieux et aventurier de Germaine.
Elle réalisera deux missions : de 1935 à 1936
De 1939 à 1940.
Vivant au milieu des Berbères, perdue dans ces montagnes elle ne suit pas avec précision les évènements qui se déroulent en France.
La Résistance en France (juin 1941-21.10.1943)
Lorsqu’elle rentre en France le 9 juin 1940, c’est le choc.
Devant l’avancée des troupes allemandes, elle doit quitter Paris avec sa mère. Pendant l’Exode, elle entend le discours du Mal PETAIN qui demande l’armistice le 17 juin.
Pour elle, c’est NON !
De retour dans la capitale après l’armistice du 22 juin 1940, elle entre en contact avec des relations d’avant guerre.
Elle se rapproche de Paul HAUET, un colonel à la retraite qui dirige une association d’aide aux combattants et prisonniers coloniaux et qui organise des filières d’évasion.
Elle rencontre aussi des amis du Musée de l’Homme comme :
la bibliothécaire Yvonne ODDON (1902-1982)
Boris VILDE (1908 – 1942)
Anatole LETWISKY (1901- 1942)
… et d’autres encore. En octobre on compte environ une centaine de membres.
Ce « réseau » l’un des premiers (si ce n’est le premier) n’est pas encore organisé comme le seront les réseaux suivants par manque d’expérience et par manque de temps. On peut parler d’une « nébuleuse de divers groupements en voie de structuration. »
Il organise des filières d’évasion, fait du renseignement pour Londres, de la propagande et de l’information avec le journal « Résistance » qui deviendra « Vérité ».
Germaine Tillion s’occupe surtout de évadés coloniaux, ce qui se conçoit vu son expérience d’ethnologue en Algérie. Elle collecte aussi des renseignements. En 1940, elle donne même ses papiers à une famille juive qui pourra ainsi traverser la guerre sans difficulté.
En 1941, le réseau est infiltré.19 membres sont arrêtés le 8 août 1942. 10 sont condamnés à mort et fusillés sur le Mont Valérien le 23.02.1943. (Boris BILDE, Anatole LETWISKY).
Germaine prend la suite de HAUETet devient responsable du réseau. Elle tente de le développer avec COMBAT en Zone nord et GLORIA pour l’Intelligence Service.
Mais à la suite d’une dénonciation, elle est arrêtée le 13.08.1942 en gare de Lyon.
Elle subit quatre interrogatoires et 14 mois de rétention en passant par la rue des SAUSSAIES, la prison de la SANTE et celle de FRESNES où elle apprend l’arrestation de sa mère âgée de 67 ans.
Dans la prison, elle passe à une autre forme de résistance en pratiquant l’ironie pour s’opposer la Gestapo et en observant ce qui se passe autour d’elle et en faisant sortir des lettres clandestines pour informer. Elle trouve aussi la force de ne pas sombrer dans la désespérance en continuant à rédiger sa thèse sur les berbères des Aurès.
La Résistance dans le camp de Ravensbrück (octobre 1943 – 24.04.1945)
Frappée par cinq actes d’accusation, Germaine TILLION est condamnée à la déportation en tant que NN (Nacht und Nebel)).
(voir Google , «le site DesLettres »)
Elle est déportée à RAVENSBRUCK le 21.octobre 1943 où on lui attribue le matricule 24 588
(Convoi de 22 déportées NN , voyage dans un train de voyageurs. Voir Mémorial de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation).
Sa mère, Emilie âgée de 67 ans, est déportée le 31 janvier 1944 et sera gazée l’année suivante le 2 mars 1945.
Une autre Résistance commence dès son arrivée.
En tant qu’ethnologue, elle observe la vie du camp afin de comprendre l’organisation du système concentrationnaire nazi et elle collecte le plus possible de preuves (elle sortira même une pellicule de photos du camp remise par les Lapins*, jeunes Polonaises soumises à des expériences). Plus tard, ses observations et les témoignages de ses codétenues lui permettront de publier dès 1946, une étude incontournable sur Ravensbrück sur le camp.
Elle organise des conférences clandestines auprès de ses compagnes. Lorsqu’elle parle, ces femmes ne sont plus des numéros : « des Stück* » comme disaient les SS, elles redeviennent des êtres humains qui ont un prénom, un nom, une histoire. Elles parlent de leur vie antérieure mais aussi de leur vie dans le camp.
C’est ainsi qu’en octobre 1944, alors qu’elle est de corvée au « Canada* » Germaine, cachée dans une caisse d’emballage en carton, écrit avec la complicité des ses compagnes une opérette intitulée « Le Verfügbar aux enfers ». Dans les camps on a écrit au péril de sa vie, des poèmes, des textes, des recettes, des chansons mais une opérette, il n’y en qu’une : celle de Germaine qui rédige le texte. L’accompagnement musical correspond aux divers airs d’opéra, de chants populaires, de marches militaires, de musiques publicitaires dont se souvenait Germaine et ses compagnes. Cette opérette créée dans un univers effroyable est gaie et légère. On y pratique l’autodérision, car il s’agit d’abord de s’amuser pour oublier ne serait-ce qu’un instant, la terrible réalité. Selon G.T la gaieté et l’humour sont plus toniques que l’emphase larmoyante. Mais derrière l’apparente gaieté, les faits sont là et le document est un témoignage direct de la vie des KL.
Le petit carnet est caché dans le plafond de la baraque au dessus du châlit occupé par Germaine et Anise POSTEL VINAY (déportée à 19 ans).
C’est une amie, Jacqueline d’ALINCOURT, qui le sortira du camp, lorsque la Croix Rouge suédoise libérera Germaine et ses compagnes le 24 avril 1945.
(présentation du fac-similé du carnet reproduit par les éditions La Martinière).
Germaine oubliera son carnet dans un tiroir jusqu’en 1988. Selon elle, il avait joué son rôle en distrayant ses compagnes et elle craignait qu’un public qui n’avait pas connu l’expérience des camps de concentration ne puisse pas le comprendre).
A cette date il lui apporte des éléments pour la rédaction de l’un de ses ouvrages sur Ravensbrück.
Quelques années plus tard, son amie des camps, Anise POSTEL-VINAY, la convaincra d’éditer son opérette qui sera finalement éditée en 2005 aux éditions de LA MARTINIERE
L’opérette est jouée au CHâTELET en 2007.
Elle est présentée à MARSEILLE au théâtre GYPTIS en 2011 sous la direction de Danielle STEFAN.
Enfin, si tout va bien, elle le sera en mars2017 auprès des élèves des » Relais Mémoire Junior » par la compagnie des « SOUFFLEUSES DE CHAOS », mise en scène par Marion PILLE, petite fille du Résistant Déporté marseillais, Jacques PILLE.
Après la guerre G.Tillion continue son travail de Résistance.
Elle ne veut pas que les déportées de Ravensbrück disparaissent sans laisser de traces. De nombreuses archives du camp n’existent plus . Elle collecte donc dès son retour, le maximum de témoignages et écrit son premier texte « A la recherche de la Vérité »
Elle ne veut pas que ses amis de la Résistance en France , fusillés ou morts sous la torture ou en déportation ne soient pas reconnus. Elle est chargée des démarches administratives pour l’obtention de médailles et de pensions du groupe « HAUET-VILDE» qu’elle appellera par commodité le « Réseau du Musée de l’Homme » en 1946.
En 1950, elle élargit son champ d’études aux camps staliniens.
Mais, en 1954, à la suite des évènements d’Algérie, G.T laisse la Seconde Guerre Mondiale pour s’engager dans la lutte du respect des droits de l’homme en l’Algérie.
Reconnaissances
Germaine TILLION est promue au grade de chevalier de la Légion d’Honneur en 1947 avec la Croix de Guerre
Elle est promue Commandeur du même ordre en 1971
Devient Grand Croix de l’Ordre National du Mérite en 1981
Puis Grand Croix de la Légion d’Honneur en 1999.
Elle décède le 19 avril 2008 (dans sa 101ème année)
Ultime reconnaissance, en mai 2015, elle entre au Panthéon avec Geneviève ANTHONIOZ de GAULLE, Pierre BROSSOLETTE et Jean ZAY.
(Les urnes de Germaine et Geneviève sont vides ou contiennent de la terre car les familles ont préféré ne pas toucher à leurs sépultures).
Vocabulaire :
Lapins : jeunes étudiantes polonaises de 15 à 25 ans servant de cobayes aux expériences des médecins SS.
Stück : en allemand cela signifie un morceau, une pièce. Les déportés n’ont plus d’état civil, ils ne sont plus que sont des numéros.
Canada : endroit où l’on trie les vêtements confisqués aux déportés à leur arrivée au camp. Des vêtements peuvent aussi provenir des pillages.
Notes :
Yvonne ODDON, (18.06.1902 à Gap - 1982) condamnée à mort par tribunal militaire allemand.
Bibliothécaire brillante, employée au Musée de l’Homme.
Déportée NN en février 1943.
Prisons avec travaux forcés de Karlsruhe, d’Anraht, Lübeck, Cottbus. En novembre 1944 elle est envoyée à Ravensbrück puis à Mauthausen où elle est libérée par la Croix Rouge.
Anatole LETWISKY(1901 à Moscou, 23.02.1942 Mont Valérien)
Russe blanc doit s’exiler pendant la Révolution bolchevique
Ethnologue, maîtrise plusieurs langues.
Acquiert la nationalité française.
Compagnon d’Yvonne ODDON.
Mobilisé en 1939. Retour à Paris en 1940.
Participe à la création du « réseau » du Musée de l’Homme. En liaison avec le BCRA du Général de Gaulle.
Renseignements.
Filières d’évasion vers la G.B et l’Espagne.
Arrêté en février 1941, dénoncé par 2 employés du service technique du Musée
Fusillé au Mont Valérien.
Boris VILDE(1908 à Pétrograd, 23.02.1942 Mont Valérien)
Naturalisé en 1936
Ethnologue (Civilisation arctique !)
Mobilisé, fait prisonnier 17.6.1940. S’évade.
Musée de l’Homme
Tracts, journal « Résistance »
Dénoncé, arrêté le 26.03.1941 par la Gestapo.
Paul RIVET (1876-1958)
Fondateur du Musée de l’Homme en 1937.
Antifasciste avant 1939.
Après son retour d’un voyage à Berlin, il accueille au Musée d’Ethnographie du Trocadéro, les Juifs allemands et les émigrés russes.
Critique Vichy.
Contraint à s’exiler en février 1941
Combattra le nazisme de l’extérieur.
Paul HAUET (22.06.1866 à Philippeville (Skidda) en Algérie – 3.01.1945 à Neuengamme)
Militaire, participe à la guerre de 1914-18. Crée une association d’aide aux soldats coloniaux.
Cette association sert de filière aux militaires dès 1940. Il en élargit l’activité pour la collecte d’informations militaires.
Contacté par G.T, il diffuse aussi des tracts pour continuer le combat.
Arrêté le 5.07.1941, il est libéré grâce par son ami de La Rochère.
De nouveau arrêté le 15.07.1944, il est déporté le 28 juillet à Neuengamme où il décède le 3.01.1945 à l’âge de 79 ans.
Intervention de Renée LOPEZ-THERY ©
lors du Repas de la Mémoire du 3 Novembre 2016