Lorsque l'on évoque la Résistance, deux questions incontournables viennent à l'esprit :
- pourquoi la Résistance ?
- comment la Résistance ?
Les réponses à la première question sont diverses. Et dans votre cours d'histoire, elle a certainement été traitée au travers des conséquences de l'occupation nazie, de la suppression des libertés, des difficultés de ravitaillement, de déplacement, etc... R faut donc considérer que la seconde question va, d'une certaine manière, se nourrir des drames qu'elle provoquera en engageant ceux des Français qui n'acceptent pas la défaite à rechercher et mettre en œuvre des moyens multiples, capables de les réduire puis, à long terme, de les combattre. Cette perspective est essentielle dans la mesure où, dès juin 1940, nos alliés continuent le combat avec une participation française incarnée par le Général De Gaulle, installé en Angleterre.
Dans les familles, les adolescents, comme les adultes, sont sensibles à ces changements importants dans les conditions de vie, et d'une certain manière, peut-être plus exposés aux décisions du nouveau pouvoir institué par Pétain, qui marque la fin de la République.
En effet, l'une de ses premières décisions est la création des Chantiers de Jeunesse qui, en principe, se substituent au Service Militaire traditionnel. Naturellement, durant huit mois, les appelés, âgés de 20 ans, ne recevront aucune formation militaire. Pour l'occupant, il y a là un réservoir de main d'œuvre qu'il va utiliser en créant, en février 1943, le S.T.O. (Service du Travail Obligatoire) qui provoque plus de 700 000 départs pour l'Allemagne. Ces départs doivent, théoriquement, permettre de retour d'un nombre correspondant de prisonniers de guerre. Heureusement, un certain nombre refuseront de partir et viendront grossir les effectifs de la résistance.
Qu'elle pouvait être la participation des jeunes au sein des mouvements qui, dès l'automne 1940 commençaient à se structure pour organiser le combat contre l'occupant ? On peut affirmer, sans risque d'erreur important, que le comportement des jeunes est généralement calqué sur l'environnement familial. Tel est le cas pour de nombreux camarades, comme d'ailleurs pour moi. Une minorité de citoyens va se rassembler en groupuscules et mettre en place une organisation pour engager la lutte. Ils sont encouragés par la radio anglaise qui diffuse une émission célèbre : "les français parlent aux français", dont l'interdiction d'écoute est peu ou pas respectée.
Dans la famille, le retour de mon frère aîné, démobilisé en juin 1940, permet une reprise de contact avec des amis décidés à mener la lutte anti-allemande, et également contre le Gouvernement de Pétain.
Parmi eux, un instituteur déjà fiché à la police pour son activité politique. Il va rapidement être démis de sa fonction d'enseignant puis mis dans l'obligation de se soustraire aux recherches policières. Georges GUINGOIN, puisque tel est son nom, devient le premier "maquisard" de France et réussit à déjouer les recherches grâce à l'aide des paysans.
Interne dans un établissement scolaire, je retrouve, deux fois par mois, l'ambiance familiale avec les veillées entre amis où l'on évoque les contacts avec Georges Guingoin, où l'on parle de rédaction et de distribution de tracts sous la direction de notre "maquisard" déjà considéré comme notre chef. Ces tracts dénoncent à la fois l'attitude collaboratrice du Gouvernement, et celle des Allemands dans l'organisation de la chasse aux Résistants. Quelques jeunes participent à ces distributions nocturnes. Mais l'action importante va essentiellement naître à partir de décembre 1942, surtout du 18 août 1943.
En cette fin 1942, des contacts avec des résistants d'un département voisin permettent de récupérer deux mitraillettes, quelques grenades et un peu d'explosif. Complément bien léger de 1 'armement dont peuvent disposer les groupes, limité à des fusils de chasse. Par contre, ce fameux 18 août, premier parachutage, obtenu après un concours de circonstances qui nous met en rapport avec un représentant du S.O.E. (organisme chargé éventuellement de procurer des armes aux résistants). Nous recevons 12 containers, d'un poids moyen de 170 kilos. Chacun contient des mitraillettes, des grenades, des explosifs. Cet "arrivage" permet d'encourager les jeunes réfractaires au S.T.O., voire aux Chantiers de Jeunesse, à devenir des maquisards qui vont apprendre le maniement des armes, l'utilisation des explosifs. Mon cher camarade Fernand (16 ans) qui travaille dans l'atelier de son père, artisan, va participer à ce premier parachutage et à la confection de grenades spéciales. Étant donné son jeune âge, il rejoindra le maquis plus tard.
Ce 18 août 1943 va permettre la naissance d'un mouvement important sous le nom de gère brigade de marche du Limousin. De plus, ceux qui répondent à l'appellation de "Légaux" vont, à l'avenir, pouvoir également être armés. Qui sont-ils ? Des citoyens en règle avec la législation en vigueur, donc en principe, exempts de tout soupçon. Dans quelques mois, ils seront à la base de la constitution de "Milices patriotiques" qui participeront, en particulier, à la mise en place des Comités de Libération, remplaçant les responsables aux Directions Communales mises en place par le Gouvernement Pétain.
Les parachutages vont maintenant se succéder et les deux derniers (juin et juillet 1944) nécessiteront la participation de plusieurs dizaines de gros porteurs américains (forteresses volantes).
La possession de matériel explosif fourni par voie aérienne et par un "coup de main" sur un dépôt d'exploitation minière va en quelque sorte multiplier le nombre de sabotage. Ils s'exercent essentiellement sur les voies de chemin de fer, les ponts, certaines machines agricoles travaillant pour le ravitaillement des troupes ennemies.
Leur prolifération s'accroît également à l'appel du Général De Gaulle, lancé le 6 juin 1944, jour du débarquement sur les côtes normandes. Dès lors, les maquisards sont organisés militairement : groupes de combat de 40 hommes, répartis dans les bois et les forêts, dotés d'un armement relativement léger puisque privés de mitrailleuses pour rester particulièrement mobiles comme l'exige la guérilla dans sa conception de guerre d'embuscades. Mais ce matériel "léger" constituera bientôt un handicap sérieux face à l'armement ennemi. En effet, le haut commandement allemand décide de faire monter sur le front de Normandie la division S.S. Das Reich, troupe d'élite mise au repos dans la région toulousaine après son intervention en U.R.S.S. Pour ce faire, elle utilise d'une part le train, moyen de locomotion ralenti par le sabotage des voies ferrées, et la route. Premier obstacle important : la ville de Tulle (Corrèze) libérée par anticipation. Les S.S. se vengent en opérant une ignoble pendaison de 99 habitants. La division poursuit sa route et laisse une arrière garde de 2 500 hommes. Ils vont lancer une attaque contre nous le 17 juillet. Les deux groupes dont on m'a confié la responsabilité ont pris position dans une châtaigneraie. Les camarades, abrités par de gros troncs d'arbre, surveillent la progression de l'ennemi à une centaine de mètres, dans un champ de blé. Nous sommes soumis à un bombardement de canons légers (mortiers). Fernand, tin autre très jeune maquisard de 17 ans, tue le premier officier allemand grâce à sa carabine de précision. En fin de journée, ordre de décrocher et de changer de position. Cette bataille durera une semaine, jusqu'au départ des allemands qui ne pourront parvenir au poste de commandement de la Brigade, leur objectif
Notre progression s'effectue maintenant en direction de Limoges, libérée le 21 août, sans effusion de sang, les troupes d'occupation ayant accepté de se rendre avant l'attaque en raison de l'importance des effectifs F.F.I. et des menaces de bombardement aérien sur leur cantonnement en cas de refus.
A compter de cette date, l'organisation militaire traditionnelle reprend ses droits. Les F.F.I. sont affectés dans diverses compagnies, bataillons et régiments. Certains, c'est mon cas, souscrivent un engagement pour la durée de la guerre. Mais c'est la fin de la Résistance.
11 serait parfaitement injuste de n'avoir pas une pensée pour ce terrible événement qui s'est produit le 10 juin 1944, au cours du passage de la division S.S. Das Reich. Dans une petite bourgade, du nom d'Ouradour sur Glane, à quelques kilomètres au nord de Limoges, les allemands ont opéré un véritable massacre : 642 victimes, dont beaucoup de femmes et d'enfants, parce que soupçonnés d'abriter des résistants. Dans de telles circonstances, le pardon serait une ignominie. Comment pardonner un crime contre l'humanité ?
Il n'est pas aisé, après 57 années, de garder en mémoire de façon très précise des événements qui ont pourtant marqué sa jeunesse d'une empreinte indélébile. C'est pourquoi je vous prie de pardonner le modeste rédacteur de cette relation des faits dont la qualité est très discutable.
Une dernière chose, en terminant. Sachez qu'à quelques exceptions, nous n'avons jamais été des héros, mais de simples citoyens, amoureux de la Liberté et de la Patrie.