Je suis âgé de 19 ans au moment de la déclaration de la guerre. Je poursuivais mes études à l'École Nationale d'Aix en Provence. J'en suis sorti en 1941 à la suite de la défaite de 1940. La France était occupée en partie et le sera entièrement en novembre 1942. L'armée française étant dissoute, elle a été remplacée par les Chantiers de Jeunesse. J'y resterai de novembre 1941 à juin 1942. Je suis ensuite nommé Instituteur à Marseille.
Le 16 février 1943, le Gouvernement de Vichy, sous la pression allemande, installe le Service du Travail Obligatoire (S.T.O.). Tous les jeunes des classes 1940 à 1944 seront appelés pour aller travailler en usine en Allemagne.
On a évacué les enfants de Marseille, à cause des risques de bombardements et on les a placés en Haute-Loire, dans les familles de paysans. Comme il fallait des volontaires pour les accompagner, je me retrouve responsable d'une dizaine d'entre eux. Je m'installe à Bresle, petit village à la limite de la Haute-Loire et du Puy de Dôme, en juin 1943.
Avec un camarade, nous décidons de faire une sortie dans le Puy de Dôme, à bicyclette. Le soir venu, nous demandons asile, pour la nuit, chez des paysans d'un petit village. Dans la conversation, je leur dis que je suis menacé de S.T.O. Ils me proposent alors de venir chez eux pour quelques jours et que quelqu'un viendra me chercher.
L'été passe, au cours duquel je reçois 4 convocations, 2 de Marseille et 2 du Puy-en-Velay. J'ai pu me dérober 3 fois, mais pas la quatrième. Le 24 septembre 1943, à l'âge de 23 ans, un gendarme me remet une convocation de la Kommandantur du Puy pour partir en Allemagne comme requis du S.T.O.
Je retourne alors chez ces braves paysans, connus depuis peu. C'est à ce moment-là que je deviens réfractaire au S.T.O. Je reste quelques jours à la ferme, en haute montagne, où j'aide aux travaux des champs. Puis ils m'ont mis en relation avec Monsieur LAPAQUE qui travaillait à Chamalières, et qui plaçait les jeunes dans le maquis, après leur avoir fourni une fausse carte d'identité.
J'y suis resté jusqu'au 6 octobre 1943, où un chef de la résistance est venu me chercher pour me conduire, en automobile, avec cinq autres camarades (Robert GAYFFIER, Marcel IAQUI, Louis BOYER, Jean VIGNAL et René CHASEIX, tous de Clermont-Ferrand) au maquis.
Ce maquis était situé dans le grand Domaine de la Borde, au lieu-dit les Martres d'Altières, sur la route de Pont du Château de Vichy, à une vingtaine de kilomètres de Clermont-Ferrand, dans la plaine.
Le gérant du Domaine se nommait Monsieur RIVIER et le patron, Monsieur GOULON, qui s'est dit être notre chef dans la résistance.
Mes camarades et moi étions employés comme ouvriers agricoles (arrachage de pommes de terre, de betteraves, coupe de bois), tous sous une fausse identité. Personnellement, je m'appelais Lucien BENOÎT.
Nous avions un chef d'équipe, nommé PALMIER, qui, tous les soirs, armé, assurait la liaison avec les autres fermes, pleine de maquisards elles aussi.
Nous recevions, de temps en temps, de l'équipement : blouson en cuir des chantiers de jeunesse, chaussures en cuir, pantalons, etc... des armes et des munitions que nous avions prudemment cachées, jusqu'au jour où nous devions nous en servir.
Nous devions commencer notre entraînement pour le maniement des fusils et des mitraillettes.
Mais cinq semaines après notre entrée au maquis, le samedi 13 novembre 1943, alors que nous étions au travail, la Gestapo a fait éruption dans la cour de la ferme, avec des camions de soldats allemands qui cernaient les bâtiments . Malgré une tentative de fuite, nous avons été vite rattrapés et arrêtés. Le gérant désigne alors les six réfractaires, et nous restons face au mur, une mitraillette dans le dos. Je crois ma dernière heure arrivée. Interrogatoire sommaire puis, le même jour, nous sommes incarcérés à la prison militaire de Clermont-Ferrand, rue Pélissier. Dès notre arrivée en cellule, les autres prisonniers nous demandent des nouvelles de l'avancée des troupes soviétiques. Je ne peux pas leur en fournir, nous même n'en ayant pas eu depuis plusieurs jours. Nous allons connaître un avant-goût de la déportation : une soupe à midi, un morceau de pain le soir. Nous dormons sur des paillasses infestées de punaises.
Le 16 janvier 1944, je partais pour le camp de Royallieu à Compiègne. Le temps est maussade, le ciel est chargé de neige. On s'ennuie. La nuit, interdiction de sortir des baraques, les chiens rodent dans la cour.
Le 22 janvier 1944, on nous a demandé de remettre nos valises. Elles nous seront rendues à l'arrivée. Motif de notre départ : "ennemi de l'Allemagne". On remet à chacun un colis de la Croix Rouge, et le matin, alors qu'il fait encore nuit noire, on traverse Compiègne pour être embarqués, par wo, dans des wagons de 40 hommes et 8 chevaux. Nous étions 2 000 ce jour-là. A un moment, quelqu'un dit que nous quittons la France pour un camp en Allemagne. Nous ne savons pas combien de temps durera le voyage. Il faut nous organiser. Une moitié sera assise pendant que l'autre restera debout. Nous changeons toutes les heures. Mais la fatigue se fait vite sentir. On approche de la nuit. Nous entendons une fusillade. Des camarades ont, sans doute, essayer de s'évader par le plancher. Le train s'arrête quelques kilomètres plus loin. De braves cheminots ont permis la réussite de l'évasion. On entend les cris des soldats, les aboiements des chiens. Puis le convoi repart. On franchit le Rhin. On arrive à Trèves. On nous fait descendre sur le quai de la gare pour nous servir une soupe. Mais, surprise, d'un wagon descendent des hommes tout nus. C'est certainement de ce wagon que l'évasion a eu lieu.
Le 24 janvier 1944, après deux nuits passées dans le wagon, nous arrivons au terme du voyage. Nous descendons du train. Les S.S. nous harcèlent, les chiens aboient. Nous sommes à Wermar. Rassemblement par 5 puis direction le camp. Nous arrivons à Buchenwald . C'est l'hiver. Il a neigé et il fait très froid. Arrivés au camp, nous sommes dépouillés de tous nos habits, rasés de la tête au pied, et plongés dans une baignoire qui sent le formol, pour désinfection. Nous sommes répartis dans des blocs où se trouvent déjà plusieurs centaines de déportés de toutes nationalités. Le lendemain, le discours du Chef de bloc, un luxembourgeois, nous impressionne. Ici, nous dit-il, on rentre par la porte et on sort par la cheminée. Ainsi commence le terrible calvaire des camps de concentration. Je reste un mois à Buchenwald. J'en repars le 22 février 1944 et le 25, par un froid glacial, j'arrive au camp de Mauthausen (Autriche).
J'ai connu, comme tous mes camarades, la faim, la soif, les mauvais traitements, le travail forcé. Nous étions plein de poux. Ce calvaire va durer plus d'un an. Le 5 mai 1945 nous serons délivrés par les Américains.
Mais que de camarades nous avons perdus durant ces sombres années. Enfin, c'est le retour au calme après le 5 mai, et le retour dans nos foyers.