Compagnon de la Libération le 24 mars 1945
Par Olivier MATTHEY-DORET
Extrait de son livre "Les Compagnons de la Libération de la Région R2"
Avec son aimable autorisation.
Jacques PETITJEAN est né le 25 mai 1918 à Thiéffrans (au moulin de la Rouchotte) dans le département de la Haute-Saône. Son père est meunier. Il est le sixième sur une famille de neuf enfants. Il passe ses études secondaires au séminaire St Colomban à Luxeuil puis à l’institution St Jean à Besançon. Il fait une année d’études en médecine. Il est appelé au service militaire le 16 septembre 1939. En juin 1940, il est à l’école d’application d’artillerie à Fontainebleau où il achève un stage d’Officier de réserve. Le 16 juin il est Aspirant.
Du 10 au 12 juin, il est en repli sur l’école de Poitiers ; le 15, il est en stationnement à Jaunay-Clan, au nord de Poitiers. Après l’appel du Général de Gaulle le 18, il se dirige vers La Rochelle. Il lui est impossible d’embarquer pour l’instant que ce soit à La Pallice, à Rochefort. Il va donc sur Royan ; il y rencontre des Polonais en instance d’embarquement pour l’Angleterre. Il embarque avec eux sur le Delius.
Arrivé à Liverpool le 24juin après une traversée mouvementée (avions et sous-marins ennemis plusieurs fois signalés), il file à Arrow Park, près de Birkenhead-Liverpool au début juillet 1940. Il y reste en cantonnement. Il participe au défilé des volontaires Français Libres du 14 juillet à Londres. Le 31 août, il embarque avec ses amis des Forces Françaises Libres sur le Vesterland (dont C. de Gaulle fait également partie) et sur le Penland. Ce sont deux navires hollandais. Les troupes polonaises sont sur le Sobiesky, ainsi que les troupes canadiennes, et d’autres. Ils se dirigent sur Dakar qu’il faut rallier aux thèses de la France Libre. L’entraînement commencé à Aldershot se poursuit en Afrique du Nord.
En janvier 1941, Jacques PETITJEAN fait une étape à Freetown (Afrique du Sud) puis il est au Soudan anglo-égyptien. Il prend une part active aux combats de Keren du 24 mars 1941. La ville de Keren est prise en avril. Début mai, c’est le départ pour la Palestine ; il arrive à Quastina où sont regroupées les Forces Françaises Libres. Le 7 juin, il fait mouvement vers la Syrie. À Damas, il est stoppé par les forces de Vichy ; avec l’aide de l’aviation et de l’artillerie anglaises, c’est un succès (le 21juin, jour où les nazis entrent en Russie). Après cette victoire sur les forces vichyssoises, il reprend ses activités d’entraînement. Il est nommé Sous-Lieutenant le 25 novembre 1941. De l’agitation se fait sentir vers le 10 décembre : la Brigade Köenig (Compagnon de la Libération en 1942) va partir et Jacques PETITJEAN est dans l’artillerie. Il passe Noêl à Damas ; le 28, c’est le départ pour la Libye.
Janvier 1942. Accrochages avec les germano-italiens en Egypte à El-Mighili. Les nazis gagnent du terrain sur les troupes anglaises. Le Commandant de la 8ème Armée décide de replier ses forces sur un front allant de El-Gasala (à l’ouest de Tobrouk) à Bir-Hackeim (environ 100 kilomètres au sud de Gazala). Entre la fin janvier et le début de février, la brigade se replie défensivement à Halem-Hanéa.
Comme les avions de reconnaissance allemands sont de plus en plus présents (malgré les interventions de la Défense Contre Avions), les patrouilles de reconnaissance (jock-column) ne sont pas très efficaces et la brigade reçoit l’ordre de faire mouvement vers Bir-Hackeim. Les troupes britanniques relèvent les Français à Halem-Hanéa.
Les Forces Françaises Libres commencent leur travail de camouflage, pelles et pioches en mains, pour ne pas être repérés. Tout ce qui matériel inutile est envoyé à Bir-Boumaafes (60 kilomètres de Bir-Hackeim) pour être protégé.
L’eau est une denrée rare et est distribuée parcimonieusement, en revanche, l’essence pour les véhicules est abondante. Souvent les vêtements sont « lavés » à l’essence ainsi que le précise le journal de marche de Jacques PETITJEAN. La nuit devient une alliée, elle permet de reformer la colonne, elle permet de changer discrètement de lieu.
En avril 1942, c’est l’ordre de repli, un peu plus loin que la position Bir-Hackeim-Tobrouk. À la mi-mai, il rentre de nouveau à Bir-Hackeim. Les forces de l’Axe (Rome/Berlin) accentuent leurs activités belliqueuses. Le Commandant de la 8ème Armée prévoit une attaque pour le 26 mai. Malgré la chaleur et la fatigue, le moral reste bon et optimiste. Le 26 mai 1942, tout le monde est à son poste. Vers 7heures 30, voici les ennemis : colonnes de véhicules, 80 chars. Les premiers tirs alliés font feu mais ne peuvent pas arrêter tous les blindés ennemis. Après environ une heure de combats, environ 50 chars ennemis sont hors de nuire.
Le Général Koenig et Laurent-Champrosay (Compagnon de la Libération en 1942) sont contents, les hommes également ; mais ce n’est pas fini. En effet, dans la nuit du 26 mai, une colonne ennemie a contourné Bir-Hackeim et a fait prisonnière la 7ème division blindée britannique (dont l’Etat-Major et le Général). Les arrières de la 8ème Armée sont désordonnés. Les 27 et 28 mai sont assez calmes. Plusieurs colonnes ennemies sont signalées. Le 30 mai, les Forces Françaises Libres occupent Rotonda-Signali, mais la poussée ennemie les fait se replier.
L’Etat-Major allié décide qu’il faut assurer les points forts de la ligne GasalalBir-Hackeim. Les germano-italiens décident d’investir Bir-Hackeim (point adverse principal à leurs yeux). Les Forces Françaises Libres ont à subir les attaques concertées de l’infanterie, de l’artillerie, des chars et de l’aviation ennemis. Les attaques s’intensifient. Le moral reste quand même bon dit Jacques PETITJEAN et les pertes sont relativement légères comparées à celles infligées à l’ennemi. Le 6 ou le 7 juin est une date butoir. Les Français Libres doivent résister jusqu’à cette date, après, la 8ème Armée viendrait les dégager. Mais l’Etat-Major allié n’a pas pensé à l’obstination de Rommel qui va commander personnellement l’opération de Bir-Hackeim.
Les forces anglaises ne trompent pas l’armée et la surveillance germano-italienne. Jacques PETITJEAN et ses camarades de combat s’en rendent compte et ils savent dorénavant qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Et les réserves d’eau s’épuisent. Le 12 juin 1942, les troupes allemandes prennent l’observatoire (qui est un monticule, stratégique pour régler les tirs). Jacques Petitjean relate que si les jours sont durs quant aux combats, les nuits sont en général calmes. Il écrit : « les chleuhs eux aussi ont besoin de repos ».
À la brigade, le Général Köenig reçoit des parlementaires venus lui demander de capituler. Refus ! Les Anglais s’en vont. Avec de plus en plus de blessés, des liaisons entre les batteries quasi inexistantes (téléphone coupé). Les téléphonistes deviennent des coureurs qui relient les batteries pour les instructions.
Le 10 juin est difficile ; plus de 100 Stukas allemands bombardent les Français Libres. Le soir même, Jacques PETITJEAN apprend qu’il doit être évacué pendant la nuit. Chacun part avec un strict minimum, les objets personnels doivent rester sur place. Les mineurs ouvrent la route, des mines sont oubliées, des véhicules sautent. Cela « réveille » les ennemis qui « arrosent » les Français Libres de tirs nourris. Le 11 juin 1942, à 5 heures, les Forces Françaises Libres prennent contact avec l’armée britannique.
Les blessés vont enfin pouvoir recevoir des soins. Un peu de repos s’impose. Un constat est fait : les pertes françaises sont très lourdes (dont 10 Officiers). Un aumônier célèbre une messe pour le repos de l’âme des Français Libres tués à Bir-Hackeim.
Pendant ce temps, la 8ème Armée est malmenée, la ligne Galazal Bir-Hackeim est rompue, Tobrouk est occupé par les ennemis. Les troupes dont fait partie Jacques PETITJEAN sont envoyées sur Alexandrie, puis le Caire et Hélouan. Quelques jours de repos sont octroyés. Des troupes montent en renfort dans le désert ; Rommel doit être stoppé à El-Alamein. Après une permission, Jacques PETITJEAN rentre à Hélouan le 16juillet 1942.
Du matériel nouveau est perçu, ce sont des canons anglais (les « pounders »). Une période d’instruction, de maniement et d’entraînement dure jusqu’en octobre. Vers le 20 octobre la division fait mouvement pour rejoindre la 8ème Armée (qui tient la position allant de la mer -à la hauteur d’El-Alamein- à la dépression de Quatara). Le sable très fin est un handicap, les véhicules s’enlisent en permanence. Le 22 octobre 1942, à minuit, l’offensive connue sous le nom de bataille d’El-Alamein a commencé.
L’Anglais Montgomery commande la 8ème Armée. Fin octobre, les lignes ennemies sont forcées, les champs de mines ennemis franchis. L’Himeimat est une attaque de diversion, l’ennemi y est fortement retranché. L’attaque principale est celle au nord, à proximité de la route. Le Colonel Amilakvari (Compagnon de la Libération en 1942) a trouvé la mort à l’Himeimat. Sur le front d’El-Alamein, Jacques PETITJEAN dit : « les ennemis ont évacué, mais pas les mouches et la dysenterie...». Après avoir bouté l’ennemi, il a droit à une permission.
En avril 1943, Jacques PETITJEAN rejoint la 8ème Armée, les ennemis sont repoussés vers l’ouest (la Tunisie). Il se met en position à Takrouna (situé sur un piton rocheux) ; il est entre la 8ème Armée britannique (sur sa droite) et les forces de Leclerc (Compagnon de la Libération en 1941) et de Juin (sur sa gauche). Le 8 mai 1943, c’est l’attaque ; Tunis tombe, Cap Bon est neutralisé. Jacques PETITJEAN regagne la Tripolitaine. Les désaccords entre les Généraux de Gaulle et Giraud font que les Forces Françaises Libres stationnent à Zouara (environ 100 kilomètres de Tripoli).
Ils sont rejoints par la colonne Leclerc (la « Force L »). Jacques PETITJEAN y retrouve deux camarades avec lesquels il s’était enfui de France en 1940. Il passe le 14 juillet 1943 à Beyrouth lors d’une permission. Fin août, il est à Cap Bon. Nouvelle période d’entraînement, le régiment doit être prêt le plus tôt possible.
Jacques PETITJEAN se marie le 28 janvier 1944 à Tunis. Vers le 15 avril, il embarque à Bizerte ; il débarque à Naples. Sa batterie est en position au sud du Garigliano (à l’ouest de Cassino).
Dans la nuit du 10 au 11 mai, l’attaque générale est déclenchée ; au troisième jour de bataille, c’est l’avancée et la percée des lignes ennemies. La ligne Gustav est enfoncée. Les tirs alliés se concentrent sur Pontecorvo, clé du système défensif ennemi.
Le 4 juin, la ville de Rome est prise ; le 6 juin le Débarquement de Normandie a lieu. L’avancée alliée en Italie est relativement rapide malgré les pertes humaines (Jacques PETITJEAN raconte cette anecdote : le Colonel Laurent-Champrosay et le Commandant Amyot d’Inville -Compagnon de la Libération en 1942- sont tués ; il aurait dû rendre les honneurs mais ne sachant pas la sonnerie Aux Morts à la trompette, il refusa -il était clairon-.
C’est un de ses grands regrets, surtout lorqu’il apprît plus tard que la sonnerie est indentique). Le 8 août 1944, il embarque sur le Sobiesky et arrive à Cap Bon ; puis c’est la Corse le 16 août et les côtes de la Provence le jour même (le débarquement de Provence a eu lieu le 15 août 1944). Donc il débarque le 16 à minuit et demi après que les unités spécialisées eurent fait une tête de pont. Il est à Gassin entre St Tropez et Cavalaire. Il participe aux combats de la libération de Toulon du 19 au 27 août.
Ensuite, l’armée allemande se replie sur le nord. Il remonte le Rhône, déloge les ennemis à Villefranche le 2 septembre, le 9 septembre il est à Châlon-sur-Saône. Le 11 septembre Dijon est atteint, le 15 septembre Ouges est libre. Il défile à Dijon le 16 septembre 1944.
Arrivé dans le Doubs le 17 septembre, Jacques PETITJEAN écrit : « les Allemands sont à Villersexel ». Le manque d’essence et de munitions se fait sentir. Le 21 novembre, c’est l’offensive sur Belfort et l’Alsace. Arrivé à Thann, Jacques PETITJEAN se retire du front. Le 21 décembre, il part pour le front de l’ouest. Il est rappelé en Alsace le 28 décembre car la situation est grave.
Le 2 janvier 1945, il arrive à Hebersheim, situé en bordure de l’Ill. Les forces nazies tentent une offensive sur Strasbourg et l’Alsace. Les 20 et 21 janvier le Bataillon d’Infanterie de Marine du Pacifique (unité Compagnon de la Libération en 1945) vient relever le Bataillon de Marche n° 5. Ce dernier va se mettre en position pour libérer l’Alsace (poche de Colmar). Jacques PETITJEAN est blessé par un éclat d’obus et est évacué (avec 50 centimètres de neige, ce ne fut pas chose très facile). Il est « recousu » à Besançon. Il est mis h convalescence et en profite pour aller en Afrique du Nord. Il rejoint son unité fin avril 1945. Le 1er mai, il est à Beausoleil, P.C. de son bataillon. Le 8 mai, les nazis capitulent (à Nice, il commande le tir des 101 coups de canon de la victoire). Jacques PETITJEAN est démobilisé fin juillet 1945.
Après la victoire de 1945, il est administrateur des services civils en Indochine et jusqu’en 1956 il occupera diverses fonctions en Extrême-Orient. En 1957, il est intégré dans les cadres du Ministère des Affaires Etrangères. Il terminera cette carrière en 1970 au Quai d’Orsay à Paris. Il se retire, en 1970, dans sa propriété de la Haute-Saône. Jacques PETITJEAN est décédé le 25 mars 1991 ; il repose à Chassey-les-Montbozon en Haute-Saône.
Par Olivier MATTHEY-DORET
Extrait de son livre "Les Compagnons de la Libération de la Région R2"
Avec son aimable autorisation.