1926-2015
Pierre Demalvilain, l'une des dernières figures de la Résistance malouine, est décédé le lundi 26 octobre 2015 à Saint-Malo à l'âge de 89 ans. Né à Soissons le 6 juillet 1926, ce « résistant de la première heure » comme il aimait à le souligner, était le plus jeune à s'être engagé dans la Résistance de Saint-Malo et l'un des plus jeunes de France d'ailleurs. Il a vécu toute son enfance à Saint-Malo : son père a été maire de Saint-Servan.
Pendant la guerre, ce fier descendant de capitaines corsaires était interne au collège Charcot de Saint-Malo. Tout a commencé un soir de la fin de l'année 1940 alors qu'il n'avait que 14 ans, quand les Anglais bombardaient le port malouin. Pierre Demalvilain aimait raconter la suite :
« Il fallait descendre dans les abris. Mais moi, je voulais voir ! Je suis monté au 3ème étage pour regarder. J'avais le nez posé contrela vitre quand j'ai entendu quelqu'un monter. Je me suis planqué.
Un « grand » est arrivé et il a fait la même chose que moi, sauf qu'il notait aussi des choses sur un carnet. Il m’a repéré et m'a dit de rejoindre mes camarades. Huit jours plus tard, il m'a coincé dans le préau pour savoir si j'avais parlé. Je n'avais rien dit à personne. Il m'a observé pendant quelque temps et à Noël il m'a demandé de l'accompagner à vélo à l'hôtel Montgomery de Pontorson pour me présenter quelqu'un. L'homme était très étonné de me voir à mon âge, en culottes courtes qui plus est. Néanmoins, apprenant que j'avais bonne mémoire que j'étais bon en dessin et que j'étais éclaireur chez les scouts, il se décide à me donner des « petits boulots ». Je n'apprendrais qu'à la libération que je faisais partie d'un réseau franco-polonais très important : le réseau F2 basé en Bretagne. »
Son premier travail fut de relever tous les indicatifs sur les véhicules de l'occupant dont les lettres suivies de blasons ou totems permettaient de savoir quel type de troupes était stationné dans la région, afin de déterminer les intentions des Allemands. Il a ensuite donné des renseignements sur les navires de guerre et marchands qui étaient dans le port de Saint-Malo. A l'été 1941, sa première grande mission fut de se rendre à vélo dans la forêt du Tronchet (50 km aller/retour) pour repérer l'endroit où devait se trouver un dépôt de munitions allemandes, celles qui servaient à pilonner l'Angleterre. Repéré par une sentinelle allemande alors qu'il longe des rangées de fils barbelés, il ne trouve rien d'autre à dire qu'il est venu ici cueillir des champignons ! « C'était pas malin, en plein été reconnaissait-il. J'ai été obligé de suivre le soldat qui, soudain, m'a dit de me cacher dans les fourrés quand il a entendu au loin des voix, ça m'a sans doute sauvé la vie. Il s'est fait disputer parce qu'il avait quitté son poste. Ensuite, il est venu me chercher et m'a dit de déguerpir. Mais j'avais eu le temps de repérer des camions planqués sous des filets de camouflage et des casemates en bois. Le dépôt était bien là ! J’avais réussi ma mission grâce à un....soldat allemand. »
Il travaille alors en liaison avec le Dr Jean Andreis (alias Claude) plus tard interné à Dachau. Muni de faux papiers, il se fait appeler Jean Moreau mais on le surnomme Pierrot. Il dessine des plans, des croquis qu'il transmet à une boite aux lettres à Paris « Je devais faire le relevé de tous les champs de mines, les blockhaus occupés par les Allemands de Pontorson (Manche) à Saint-Jacut-de-la-Mer (22).
Une zonecouverte à vélo (« mon cheval d'orgueil ») avec en poche un ausweis spécial parce que résident servannais. Malheureusement, le réseau va tomber à la suite d'une trahison.
Cela ne décourage pas le résistant en herbe qui intègre un nouveau réseau : le réseau « Delbo-Phénix ». Il continue à tenir à jour ses relevés sur les activités des forces d'occupation sur le fort de la citadelle et les sémaphores. En 1944, de nouvelles trahisons viennent à bout du réseau. Mais il passe entre les mailles du filet. C'est lui qui ira au-devant des armées de libération qui pénètrent dans Saint-Malo début août. Sur lui, un plan de 2 m de long indiquant toutes les positions allemandes. « Ils n'en sont pas revenus ! A tel point qu'ils m'ont gardé deux jours pour tout vérifier. Ensuite, ils m'ont habillé de pied en cap et avec des provisions m'ont ramené en jeep chez ma mère alors que l'armée américaine libérait Saint-Malo ».
Enrôlé dans l'armée, Pierre Demalvilain devenu sergent participe ensuite à la bataille d'Allemagne avant de se retrouver en Indochine. Démobilisé, il fera carrière dans le caoutchouc sur les hauts-plateaux d'Annan puis dans les plantations africaines de café et cacao de Côte d'Ivoire et du Cameroun. Ce patriote modeste, petit-fils et fils de maire de Saint-Servan, hésite à égrener son chapelet de décorations très impressionnant : Officier de l'Ordre national de la Légion d'honneur, Médaille militaire française, Officier de l'Ordre national du Mérite, Croix de guerre 39-45, Médaille de la Résistance française.
En 1986, il se retire dans les Côtes d'Armor avec son épouse, avant de revenir en Ille-et-Vilaine. Investi dans différentes associations patriotiques, Pierre Demalvilain était notamment vice-président national du Comité d'action de la Résistance et était un membre très actif du Comité d'Organisation du Concours National de la Résistance et de la Déportation.
Ses obsèques ont eu lieu à Saint-Malo le vendredi 30 octobre 2015. Pierre Demalvilain repose au vieux cimetière de Saint-Servan.
Le Comité d'Action de la Résistance adresse à sa femme et à sa famille ses très sincères et attristées condoléances.
Son souvenir restera gravé dans les mémoires de tous ceux qui ont connu Pierre Demalvilain.
Chantal Touzé
La voix de la Résistance 276 de décembre 2015