Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Roger TARDIVEL, mémoires de résistance et de déportation par Renée Lopez-Théry
05-01-2013

Texte réalisé par Renée Lopez-Théry (après acquiescement de M.  R. TARDIVEL) 

pour le bulletin n°19 de l’AFMD DT 13 en avril 2010

Tous droits réservés Renée Lopez-Théry

 

Versailles, le 3 octobre 1940 devant le tribunal allemand de la Feldkommandatur 758 :

« Au nom du peuple allemand vous êtes condamné à mort, à la dégradation nationale à vie pour activité de franc-tireur « en unité de faits » avec détérioration de moyens de défense. L’exécution sera retardée jusqu’à la décision d’un recours en grâce »*.

Face aux quatre juges en uniforme, se tient un jeune homme de 18 ans : « 1m75, yeux gris, cheveux marrons »* affaibli par les mauvais traitements subis depuis son arrestation du 20 août 1940: « Accablé, je garde la tête haute pour ne pas laisser apparaître mon désarroi. Puis je suis reconduit comme un bandit à la prison St Pierre de Versailles, encadré par six sentinelles, baïonnette au canon, sous les yeux ébahis des badauds indifférents au sort qui m’est réservé ».

Qui est ce jeune homme ? Qu’a-t-il fait pour être condamné à la peine capitale ?

Quelle suite sera donnée à ce jugement ?

Un jeune homme qui refuse la défaite et veut rejoindre l’Angleterre.

Né le 6 décembre 1921 à Loudéac (Côtes d’Armor), Roger TARDIVEL travaille depuis l’âge de treize ans chez ses parents, grainetiers en gros à Persan en Beaumont (Seine et Oise).

En mai 1940, devant l’invasion allemande, toute la famille part sur les routes de l’exode pour rejoindre le berceau familial à Loudéac : « Mes parents dans une voiture, ma sœur dans une autre et moi au volant du camion avec tout ce qu’on pouvait emporter».

Roger ne supporte pas la défaite, il veut partir avec les Anglais qui refluent pour embarquer à Brest. Il se camoufle dans un véhicule mais, surpris par son père il se retrouve bouclé dans la cave de sa tante qui tient un restaurant. Puis il passera quelques jours dans la forêt en compagnie de jeunes de la ville à qui le maire avait demandé de se cacher par peur de représailles.

Pendant l’été c’est le retour à Persan en Beaumont et les activités reprennent. Roger à bord de son camion a de nombreux contacts avec les cultivateurs et les détaillants. Prudemment, il fait part de ses intentions.

Un jour, il entre en contact avec Marcel GUILLOT, responsable du premier réseau du Nord de la France « Résistance » (quideviendra « Armée volontaire »). Son engagement est accepté, sous réserve de possibilités d’évasion par les côtes de Normandie ou de Bretagne. En attendant, on (un intermédiaire, M. VAN IMPF) lui demande de participer à un certain nombre d’actions, ce qui était peut-être une mise à l’épreuve.

La première mission consista à ramasser et enfouir des armes abandonnées dans les forêts voisines par les militaires français lors de la débâcle. Pour ce travail, ils étaient cinq jeunes gens: Paul, René, Georges, Stanislas et Roger. Il fallut deux nuits (absences nocturnes très décriées à la maison) pour venir à bout de cette tâche !

Puis, avec Stanilas, on leur demanda de vider et de mettre le feu à des citernes d’essence destinées à ravitailler les bombardiers allemands de la base de Bernes et Bruyères.

L’opération réussit mais, trois jours plus tard, on a retrouvé le corps de Stanilas qui avait été tué et jeté dans l’Oise. « J’aurais du me méfier. Pour ma troisième et dernière mission, je devais cisailler et détruire les câbles téléphoniques qui reliaient le terrain d’aviation au P.C opérationnel. En fin de soirée, je coupe le câble et je le jette dans le fleuve. Mais quand je repars, je suis suivi par un groupe de jeunes que je ne reconnais pas à cause de la nuit tombante (plus tard j’ai su que j’avais été dénoncé par d’anciens camarades de classe à la Gestapo). Le lendemain matin, lors du retour d’une livraison, je tombe en panne avec le camion et je rejoins mon domicile à pied. Je croise un ami effrayé qui me prévient de la présence de la Gestapo à la maison et me conseille de m’enfuir. Mais mon père risque d’être arrêté à ma place, je décide de rentrer. Quand je passe le seuil de la boutique je vois mon père tenu en respect par des sbires allemands les armes braquées vers lui. Ils m’aperçoivent, me saisissent manu militari, me poussent dans leur véhicule et démarrent sur les chapeaux de roues ».

C’était le 20 août 1940 en pleine « Bataille d’Angleterre ».

 

L’internement.

Ce fut le début des tortures psychologiques et physiques.

« On m’isole dans une salle de classe de l’école des filles de BEAUMONT gardé par une sentinelle armée, les mains liées derrière le dos à genoux par terre. La garde est fréquemment relevée, je suis la bête curieuse de ces messieurs .On me fait signe de la gorge tranchée, on me met le canon du fusil sur la tempe. Je ne reçois aucune nourriture. Le soir, je suis conduit au siège de la gendarmerie nationale de la ville. Un gendarme particulièrement hostile me fouille comme un malfrat. Je suis enfermé dans une cellule de sécurité avec un ivrogne de passage. Je demande à prévenir ma famille pour qu’elle m’apporte de la nourriture : tu n’as qu’à crever, c’est ce que l’avenir te réserve ! Dans la nuit, assoupi, je suis brutalement réveillé : c’est la Feldgendarmerie. Menotté, je suis embarqué dans une voiture pour être incarcéré à la PRISON de la SANTE à PARIS ».

Après une nouvelle fouille, dépouillé de ses chaussures et de son ceinturon, Roger est enfermé dans une cellule au 3ème étage, 2ème division «  Mort de fatigue et de peur, j’ai du mal à me situer, je m’endors sur ma paillasse. Au matin, je me rends compte de mon état et de l’horreur de la situation. Je me sens vidé et je sanglote à m’étouffer. Ouverture de la porte, distribution d’une gamelle de café et d’une tranche de pain gris. Je suis incapable de manger, je bois l’eau brunie. Je me reprends. Il faut affronter la situation, mon chagrin ne doit pas conforter mes bourreaux. On m’extrait de ma cellule pour identification par la gestapo.A peine rentré dans le bureau, les coups commencent à pleuvoir. L’interrogatoire débute en allemand. Je ne comprends pas.Les coups continuent jusqu’à l’arrivée d’un interprète qui me conseille d’avouer, ce que je me garde bien de faire. J’apprends mon transfert dans les jours prochains pour la rue des SAUSSAIES, siège de la Gestapo ».

Dans ces tristes lieux, le jeune résistant connaît 25 jours d’enfer. « L’être humain passe à l’état de bête que l’on torture. Je n’ai pas parlé. Le 10ème jour j’ai eu droit à la baignoire. Comme je me taisais, on m’a arraché à vif une dent avec une pince monseigneur, l’os a éclaté (j’en ai gardé des cicatrices). Je me suis évanoui. Ensanglanté, on m’a tiré par les pieds comme un vulgaire paquet pour me jeter dans un infect cachot, sans fenêtre à même le sol. Je pensais que la mort était préférable. On m’a laissé deux jours sans boire, sans manger, au milieu des excréments, le tout orchestré par les cris de douleurs de mes compagnons de misère. Les sévices ont continué pendant une quinzaine de jours puis, oh ! miracle, je suis lavé et soigné : je vais être jugé par un tribunal militaire ! »

Ce sont des inspecteurs de la police française qui viennent chercher le prisonnier pour le conduire à la PRISON St PIERREde VERSAILLES. On est au mois d’octobre. « Je suis enfermé dans un cachot où je peux à peine me tenir debout. Il y a des punaises.Le froid est glacial. J’ai droit à tous les noms d’oiseaux : assassin, terroriste, etc.. »

Le 3 octobre 1940, la Feldkommandatur condamne Roger TARDIVEL à la peine capitale en attendant un pourvoi en grâce.

De retour à la prison, Roger doit se dévêtir et endosser un costume trop petit pour passer une première journée dans une cellule glaciale. Puis c’est l’enfermement dans une cellule de sécurité : « Une cage à ours avec des barreaux pour interdire tout contact, deux ampoules allumées jour et nuit, une surveillance constante par un judas, les jambes et les bras enchaînés, une soupe infecte deux fois par jour et le matin le café avec une tranche de pain gris. En plein désespoir, je craque et j’écris une lettre à mes parents pour les mettre au courant de ma triste condition. Quatre heures du matin : c est le moment crucial, le bruit des bottes sur le sol, des rugissements, des hurlements de ceux qu’on entraîne vers les lieux de sacrifice. Des sueurs froides me parcourent le corps. Aurais-je le courage de partir dignement, la tête haute ? J’ai peur, terriblement peur ».

Mais la situation évolue : «A mon grand bonheur, j’ai eu le droit à une visite de ma sœur qui a rencontré de nombreuses difficultés auprès des autorités françaises. Il y a aussi ce gardien Jean qui me promet de me faire évader en cas d’exécution de la sentence et de partir avec moi pour l’Angleterre. Enfin, on change mes vêtements, on m’extrait de ma cellule ».

Le 15 octobre, de nouveau face à ses juges en uniforme, le jeune résistant apprend qu’il est gracié et que sa condamnation à la peine capitale est transformée en dix années de travaux forcés à exécuter en Allemagne dont trois années en forteresse de réclusion. « Je suis conduit dans un infâme cachot en compagnie de deux truands de haute volée (un étrangleur et un membre du gang des tractions avant). Punaises, crasse, odeurs pestilentielles. Sur intervention des autorités militaires allemandes, je suis transféré dans une autre cellule en compagnie de résistants en instance de jugement ».

Au début de l’année 1941, Roger TARDIVEL est envoyé à la PRISON de FRESNES, incarcéré seul dans une petite pièce (2m/3m) habillé d’un costume de bure et de chaussons, gardés par des Français « qui n’avaient rien à envier à ceux que je venais de quitter à Versailles ».

 

Une longue déportationde cinq ans.

Le 10 juin 1941, les condamnés partent de la GARE de PANTIN en wagon cellulaire : des wagons à bestiaux aménagés en petites cellules où les prisonniers sont menottés à la paroi rendant toute évasion impossible.

Après un arrêt de deux jours à la prison de SARREBRUCK, les déportés sont conduits à la prison de LUDWIGBURG. « On me confisque les vêtements que mes parents m’avaientfait parvenir.

Je suis entièrement tondu, je reçois une tenue rayée jaune et noire, je perds mon nom : je suis désormais le matricule 14341 ». Mis à l’isolement, même pendant le quart d’heure de promenade où il porte une cagoule sur la tête, les premiers jours furent extrêmement pénibles.

Après un mois, on lui apporta un tour automatique pour fabriquer chaque jour un certain nombre de pièces pour les chars allemands fabriqués par la firme Bosch. Bien entendu la nourriture était rare, il faisait froid et les brimades étaient nombreuses. Lors des bombardements anglais, les prisonniers souhaitaient un écroulement des murs pour pouvoir s’enfuir. Mais ce n’était qu’un rêve !

Après trois ans, Roger TARDIVEL pu sortir de son isolement et travailler en atelier, 12 heures de nuit ou de jour sous la surveillance d’un contremaître allemand. Les prisonniers étaient au courant des débarquements et de l’avancée des Alliés.

Les Allemands avaient besoin de main d’œuvre à l’est et déplacèrent des prisonniers. « Le 29 décembre 1944, je suis sélectionné avec une centaine d’anciens condamnés à mort pour un départ vers l’est, c'est-à-dire en direction des camps d’extermination dont nous connaissions l’existence par ouï dire. A la gare de Stuttgart, nous sommes entassés dans des wagons à bestiaux pour un voyage de plusieurs jours. Nous débarquons à DACHAU : l’horreur ! Mis en quarantaine à l’extérieur, nous côtoyons les ‘rayés gris et bleus’. Après 15 jours à trois semaines, nouvel embarquement avec des déportés de Dachau, direction Leipzig pour atterrir en février 1945 dans une forteresse à ZWICKAU(Haute Saxe, à la frontière de la Tchéquie).On doit travailler de nuit sur un étau pour la finition des hélices de sous marins. Il fait très froid et on meurt de faim .Un jour lors du quart d’heure de promenade je repère l’entrée d’une cave où on livre des pommes de terre. On est surveillé par un Allemand âgé. Un prisonnier allemand a fabriqué une clé et avec un ami de Toulon nous avons ouvert la porte. Un ingénieur tchèque a réussi à faire bouillir de l’eau et nous avons mangé à notre faim ! Mais le vol a été découvert, ce qui nous a valu trois jours de cellule et un changement d’activité : il a fallu déblayer des gravats pour dégager des machines enfouies à la suite des bombardements. Puis on m’a remis sur une machine que j’ai enrayée dès que l’occasion s’est présentée. J’ai reçu une raclée et on m’a mis au ramassage des copeaux de l’usine. Toute la journée, je me baladais avec ma brouette que j’allais vider dehors, ce qui m’a permis de sortir et de repérer un mur d’enceinte pas très haut ».

 

L’évasion

« On annonce un nouveau transport. Depuis ma captivité, je connais l’allemand et je fais office d’interprète. Sur le registre, mon nom est souligné en rouge ! Je décide de m’évader le lendemain. J’avais repéré le placard d’un civil allemand qui avait à peu prés ma taille et qui laissait ses vêtements pour revêtir sa tenue d’usine. J’ai défoncé la porte et placé les habits dans la brouette sous les copeaux. En sortant, je me suis habillé et, malgré mon état de faiblesse, j’ai trouvé la force incroyable de franchir le mur».

C’était le 10 avril 1945.Enfin la chance ne quitte plus le prisonnier évadé. Un travailleur français lui indique la route et la direction à prendre pour aller à la rencontre des Américains. Puis, c’est un «Malgré nous » qui le récupère dans un état d’épuisement total et le conduit à TREUEN où se trouvent des prisonniers français qui le cachent pendant huit jours dans le grenier d’une Allemande qui lui a donné un peu de nourriture.

Il réussit à avoir des papiers officiels, ce qui lui permet d’avoir une gamelle de nourriture tous les jours. Mais les bombardements déferlent sur la petite ville. Avec un compagnon qui parle anglais, il franchit les lignes ennemies pour rencontrer les Américains : « arrêtez de canarder la ville, il n’y a plus que des Belges, des Italiens, des Français ! » Enfin c’est le retour à TREUEN sur la première jeep américaine, récompense de toutes les horreurs subies !

 

Le retour

« Ce ne fut pas facile. Les Américains cédèrent la zone aux Soviétiques et il fallut attendre trois semaines pour être envoyés à Eisenach. On était environ 30 000. On a été logés dans une ancienne caserne de SS ».Regroupés dans un centre de rapatriement près de Munich, les rescapés rentrent en France dans des wagons à bestiaux et arrivent à la gare de l’Est pour être transférés par camions militaires à l’hôtel LUTETIA.

Mais l’accueil déçoit le jeune homme « On a eu une visite médicale, un colis de la Croix Rouge, un ‘costume Pétain’ (un costume de mauvaise qualité qui a rétréci à la première averse), et un peu d’argent. Cela faisait tellement longtemps que je n’en avais plus eu que je me suis endormi en tenant les billets. Le lendemain, on m’a déposé sur le trottoir de la gare du Nord et puis au revoir et bonsoir ! J’avais envoyé un télégramme à ma famille mais il n’y avait personne à Paris. Je suis allé voir une cousine qui habitait dans le coin. Elle m’a accompagné au train. Ma sœur m’attendait à la gare de Beaumont. Je suis rentré chez moi. Voilà… mais j’ai quand même eu de la chance car je n’aurais pas pu résister cinq ans à Dachau »

C’était la fin du mois de mai 1945, Roger TARDIVEL n’avait pas encore 24 ans. Tout était à reconstruire. Ce ne fut pas facile et il fallut beaucoup de temps, de compréhension et de patience pour ceux qui ont su l’entourer.

Texte réalisé par Renée Lopez-Théry (après acquiescement de M.  R. TARDIVEL) pour le bulletin n°19 de l’AFMD DT 13 en avril 2010

* D’après le rapport de l’époque. En fait M. TARDIVEL mesure 1m80, a les yeux bleus et les cheveux châtains.

- M. TARDIVEL a été nommé Officier de la Légion d’Honneur, Commandeur de l’Ordre National du Mérite. Il a reçu la Médaille Militaire, la Croix de guerre 1939/45, la Croix des TOE avec palmes, la médaille de la déportation, celle des Evadés et certainement d’autres distinctions.

-          Les sources qui ont permis la réalisation de ce texte sont :

Le témoignage pour l’audiothèque de la Fondation du 20 septembre 2004

Des documents tels que : le jugement de la Feldgendarmerie de Versailles

-          La photocopie des écrous de la prison de Versailles du 23/10/1940

-          Une attestation fournie en 1957 par les autorités allemandes confirmant son arrivée et sa déportation

-          Un document fourni par les services de recherches de Bad Arolsen confirmant

-          l’emprisonnement à Sarrebruck et le transfert à Ludwigsburg (écrou 143) et à Zwickau (écrou 1157)

-          Divers certificats dont celui d’appartenance à la Résistance Intérieure Française établi le

-          19/1/1949.

 

Texte réalisé par Renée Lopez-Théry (après acquiescement de M.  R. TARDIVEL) pour le bulletin n°19 de l’AFMD DT 13 en avril 2010

Roger TARDIVEL

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