Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Discours de H CHAUMETON le 30 mars2005 à Chateau Arnoux : Mémoire d'un déporté
20-11-2012

Discours de H CHAUMETON le 30 mars2005 à Chateau Arnoux

 Discours de H. CHAUMETON, le 30 mars 2005

 à Château Arnoux,

à l’occasion du congrès départemental des CVR

des Alpes de Haute Provence.

 

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Chers camarades.

Vous m’avez fait l’insigne honneur de me demander de vous parler de ma libération des camps nazis. Je me dois avant d’entrer dans les détails de ce jour béni, vous situer très brièvement, mon parcours dans les camps de concentration allemands.

Je suis arrivé à Dachau, le 3 juillet 1944. J’y ai séjourné jusqu’au début d’octobre, avant d’être  transféré à Auschwitz où je suis resté jusqu’au fameux 17 janvier 1945, date à laquelle, pour échapper à l’avancée des troupes russes, nos geôliers ont obligé tous les déportés valides à entamer une marche de la mort, de treize jours, dans le froid et la neige. Nous couchions à même la terre, dans des trous avec trois ou quatre compagnons d’infortune. Nous prîmes ensuite le train, en direction de Mauthausen. Là, je fus d’abord affecté au camp de travail de Melk, puis d’Ebensee où je fus libéré. Dans ce dernier camp, je travaillais dans un tunnel destiné à devenir une usine souterraine, dans un bruit infernal et dans la poussière.

Début mai, nous avons compris que la fin de notre calvaire était peut-être proche.

La nourriture n’était plus distribuée. Les allemands ne nous réunissaient plus pour aller travailler. Le matin du 4, nus aperçûmes que les SS avaient quitté le camp dans la nuit. Ils étaient remplacés par de vieux gardes qui nous abandonnèrent la nuit suivante.

Le 6 mai, au matin, nous avons vu arriver un américain, puis rapidement le reste des libérateurs. Nous étions hébétés, malades, nous avions faim. Nous étions très affaiblis par une nourriture habituellement insuffisante mais qui n’arrivait plus depuis trois jours au moins. On n’a pas réalisé immédiatement que nous étions libres et que nous avions la vie sauve… Il y eu de très sérieux règlements de compte entre kapos et chefs de bloc. Les kapos, il faut le dire et le redire, ont parfois été pire que nos gardiens SS. Les américains ont été scandalisés de nous voir dans des états aussi critiques. Ils nous ont très rapidement pris en charge, c’est-à-dire, nous ont soignés, désinfectés, épouillés et donné quelques vêtements.

Contrairement à beaucoup de camps, nous n’avions pas à Ebensee d’organisation intérieure clandestine.

L’administration américaine a fait le maximum. Les américains nous ont donné à manger par petites quantités, cinq fois par jour. Le sentiment d’horreur des soldats américains était tel que quelques jours après, ils  ont fait défiler les habitants d’Ebensee devant les morts et les vivants !!! Beaucoup d’entre nous, malheureusement, sont morts sans avoir pris conscience qu’ils étaient libérés !!!

Nous avion, en effet, beaucoup de camarades malades ! La dysenterie se propageait rapidement et nous n’avions pas, les premiers  jours, beaucoup de médicaments.

Nous avons pu, quelques jours après, franchir à pieds la porte du camp et nous rendre libre et vivant, dans la ville d’Ebensee. On y a trouvé aussi quelques victuailles. Durant toute la période qui a précédé notre rapatriement, nous sommes restés entre français. Nous parlions de la France, de notre famille de tous les êtres chers que nous allions revoir et de ceux de nos camarades qui n’étaient plus parmi nous.

J’ai été rapatrié vers le 20 mai d’abord en camions non bâchés, durant deux jours, jusqu’à Stuttgart, je pense. De là, nous avons pris le train jusqu’à Longwy. Dans cette ville, la première de France, nous avons reçu notre carte de rapatriement, des habits et subi un contrôle sanitaire. Puis, je pris le train de Metz pour arriver à Marseille le 25 au soir. Je me suis alors rendu au départ des cars. On m’a refusé une place dans le car de Manosque sous le prétexte qu’il était plein. Personne n’a voulu me céder sa place malgré mon état. Devant cette attitude, le chauffeur a alors refusé de partir et tout le monde est resté à Marseille. Ma réinsertion commençait, comme vous pouvez le constater, sous les meilleurs auspices. Je fus logé pour la nuit par des amis de ma famille, des Dépied, minotiers aux Aygalades, qui ont vu débarquer, chez eux dans la soirée, un fantôme, très amaigri, atteint par la diarrhée et couvert de gale…

Ils m’ont le lendemain amené à la gare Saint Charles et donné un chapeau pour cacher mon crâne rasé. Je suis arrivé à Manosque par le train des Alpes le 26… Ce fut une surprise. Ma famille savait par la radio que j’avais été libéré, mais ne connaissait pas la date de mon retour. J’ai alors retrouvé mon pays, ma famille, mon épouse et mon petit enfant qui avait huit jours lors de mon arrestation, le 7 avril 1944 !!!

Le pire était passé. La vie reprenait le dessus. Mais comment ? Mon seul désir fut alors dans un premier temps d’oublier le plus rapidement possible, tout ce que j’avais enduré. Pourquoi ?

Bien que hors sujet, vous me permettrez de  prendre encore un peu de votre temps pour expliquer ma position de l’époque et finir par une note d’espoir.

Lorsque nous sommes rentrés, je me suis heurté à des difficultés que je ne soupçonnais pas quand j’ai essayé de faire partager mon vécu, de décrire l’horreur.

Manifestement la population française était à la recherche d’un deuxième souffle. Après cinq ans de privations, elle voulait oublier le passé proche. Que représentaient ces quelques déportés que souvent la fatigue empêchait de se joindre aux réjouissances du retour ? Il fallait donc oublier le passé, même s’il était douloureux. Il fallait donc garder au plus profond de soi, mais intact, le souvenir de ceux qui étaient restés sur le sol allemand. Je n’ai pu faire partager mon trouble d’alors qu’avec ma femme et le Colonel Vial J.. Ce dernier m’a d’ailleurs honoré de son amitié jusqu’à sa mort.

Dans ce monde insouciant, des camarades, écrivains, se sont alors mis à raconter pour se libérer : un italien, Primo Levi (Si c’est un homme) et un français, Robert Antelme (L’espèce  humaine), puis d’autres comme Jean Amery, David Rousset et Georges Semprun (Par delà le crime et le châtiment). Puis il y eut les films : « Nuits et brouillard » d’Alain Resnais, la série télévisée « Holocauste », la liste des Schindler de Stevens Spielberg, et enfin le magnifique film de Roberto Benigni « La vie est belle ».

Mais pour beaucoup d’entre nous, transmettre l’indicible restait encore au dessus de nos moyens. Les mots avaient leur limite. Qui était capable de décrire la destruction mentale et psychique des déportés ? Il y a aussi de l’indécence à parler des morts. Et puis après ce que nous avions vu, nous avions parfois honte de l’homme. En fait, notre indifférence apparente était pour nous un rempart contre l’émotion…On vérifia cette hypothèse le jour où des camarades sont allés dans les écoles pour raconter ce que nous avions vu et vécu. De jeunes élèves très émus sont alors venus régulièrement, à nos domiciles, pour nous interroger. Beaucoup d’entre nous se sont alors sentis le dépositaire d’un passé récent d’autant plus que nous sommes de moins en moins nombreux… Le devoir de vigilance et d’information a repris le dessus. Nous devons, en effet, nous les survivants, être là pour leur dire « Vous les jeunes, soyez vigilants pour qu’il n’y ait plus jamais de Dachau, d’Auschwitz, de Mauthausen, d’Ebensee…Plus jamais de totalitarisme sous quelle forme que ce soit ».

Je voudrais enfin, avant de terminer, rendre un hommage à mes compagnons de déportation disparus trop tôt, Robert Icard, Louis Martel, Joseph Louis. Je n’oublie pas Maurice Meffre qui était aussi à Ebensee : nous ne nous sommes connus et appréciés qu’après notre retour en France.

Je vous remercie, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Chers camarades, de votre attention.

 H. CHAUMETON,



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