Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

MAQUIS du MORVAN :La Compagnie André du 5 juillet 1944 au 28 septembre 1944 - par Hubert CLOIX - Partie XVI_EMBUSCADE A SAINT-PEUREUSE
05-11-2011

EMBUSCADE A SAINT-PEUREUSE

Dimanche 3 septembre 1944 :

Journée calme : messe et repos pour tous, sauf pour ceux qui tiennent les postes de garde des environs.

En fin de journée, le lieutenant André reçoit un ordre de mission pour monter une embuscade sur une route empruntée par les Allemands. L'opération est confiée à l’adjudant Moreau avec la 3° section qu'il commande et le groupe P.I.A.T.. Il est assisté par le sergent Roger Boussard. L'adjudant Moreau est un ancien de VENGEANCE.

Le temps est favorable, pas de pluie, du soleil. Malgré tout, la température est fraîche, très fraîche à 6 h du matin quand nous montons dans le camion qui doit nous conduire à proximité du lieu de l'embuscade. Le camion traverse Ouroux, Chaumard Blisme, et s'arrête à Saint-Péreuse, un hameau situé à 3 Km environ de la route départementale RD 978 qui relie Nevers à Autun par Château-Chinon. Saint-Péreuse est à 8 Km de Château-Chinon où se trouve une garnison de la Wehrmacht constituée de Russes.

La section marche d'abord dans un chemin de campagne simplement empierré puis dans un sentier forestier qui traverse une zone boisée.

Arrivé au lieu prévu de l'embuscade, l'adjudant Moreau indique à chaque chef de groupe sa zone d'opération. Chacun doit s'organiser et installer son groupe à l'emplacement le plus favorable en fonction du terrain et des possibilités des armes en service.

En tête du dispositif, un groupe doté d'un fusil-mitrailleur. C'est ce groupe qui verra en premier l'arrivée des Allemands. Il ne doit pas faire feu sur le véhicule de tête. Il tirera en l'air pour que chaque groupe soit averti de l'arrivée de l'ennemi. La route est sinueuse et descend en direction de ce premier groupe.

Au centre du dispositif, le groupe PIAT. Théoriquement le PIAT est capable de détruire un véhicule blindé, voire même un char. C’est une arme efficace, mais sa portée pratique ne dépasse pas 40 mètres, c'est peu, c'est très peu.

Le chef du groupe doit répondre à deux exigences contradictoires : être sur l'accotement de la route, c'est-à-dire être vu facilement par l'ennemi - un ennemi en alerte et prêt à tirer - et rester invisible au regard des conducteurs et observateurs. Le chef du groupe P.I.A.T. choisit un emplacement sur un méplat de la route dans une partie relativement droite. Il y a un dispositif de camouflage avec des pierres et des branchages, pour que l'ensemble soit naturel. Le groupe comprend un tireur, Raymond Bletti, un chargeur, Albert Perrier, et deux pourvoyeurs, Jean Saillet et Flavigny. Ces deux derniers viennent de l'abbaye bénédictine de La Pierre-qui-Vire, dans l'Yonne. En tant que chef de pièce, je donne des consignes très strictes : rester calme en toutes circonstances, pointer sur le véhicule de tête et ne pas tirer sans un ordre formel. C'est facile à dire, mais face à l'ennemi, on peut perdre son sang-froid, tirer trop tôt et manquer le but.

Un peu plus loin, un deuxième groupe de fusiliers-voltigeurs se met en place.

Le sergent du groupe dispose d'un fusil-mitrailleur. La portée de cette arme permet de se camoufler à l'orée du bois. Toutefois, il est soumis à deux servitudes, d'abord avoir un champ de tir assez large pour viser la route et balayer les bas côtés et les alentours, et en même temps éviter de tirer sur les groupes placés avant lui.

Cette mise en place des groupes est très rapide. C'est la période d'attente. On guette l'arrivée d'un véhicule, véhicule ami, ou véhicule ennemi, ou rien du tout.

Toutes les embuscades montées par la compagnie ANDRÉ n’ont abouti à rien puisque l'ennemi annoncé était déjà passé avant la mise en place de l'embuscade.

Il faut dire que les ordres de mission destinés aux exécutants arrivaient volontairement trop tard, après le passage de l'ennemi, et cela, suivant les instructions du P.C. du colonel Roche.

En ce jour, moment d'attente et de tension, car chacun sait que l'ennemi se tient en alerte durant ses trajets et qu'il peut réagir très rapidement.

Pour une fois, l'attente est récompensée. Des véhicules venant de Nevers arrivent dans notre direction. Combien sont-ils ? Camions, voitures de tourisme, chars, engins blindés, side-cars...

Suivant les consignes reçues, le premier groupe envoie un tir en l'air pour annoncer la venue d'ennemis et doit laisser passer les premiers véhicules du convoi sans les attaquer. Toujours suivant les mêmes consignes, le premier véhicule du convoi est confié au groupe P.I.A.T.. Les autres véhicules sont attaqués par les groupes armés de fusil-mitrailleur.

Etant donné la vitesse des voitures, tout se passe en quelques secondes. Les maquisards respectent scrupuleusement les ordres.

Alerté par le tir de semonce, le groupe P.I.A.T. se met en position de tir. Raymond Bletty, très calme, vise le véhicule de tête et attend que je donne l'ordre de tir. Moment de patience. Dès qu'il reçoit le feu vert, Raymond tire avec précision. Son projectile arrive directement sur la voiture et explose. C'est un obus à charge creuse qui peut transpercer le blindage des chars. Il explose dès qu'il rencontre un obstacle rigide, comme le radiateur de refroidissement du moteur. L'explosion se produit sur l'avant de la voiture ou du camion. Le véhicule n'est pas détruit mais il devient ingouvernable. Les passagers sont choqués par le souffle de l'explosion mais ne sont ni tués ni même blessés.

Dans cette embuscade, l'objectif est une voiture. Elle n'est plus contrôlée, elle dévie directement sur le groupe P.I.A.T. qui doit reculer précipitamment dans le bois pour ne pas être écrasé.

La voiture, une traction avant 11 CV Citroën, franchit la bordure de la route et s'immobilise en contre bas de la route, arrêtée par des soliveaux.

Aussitôt, je me précipite. Deux Allemands en sortent. Je tire avec ma mitraillette STEN. Sept à huit balles seulement. Les deux hommes sont tués. L'adjudant Moreau arrive sur les lieux pour constater le résultat de ce tir et ses conséquences. Par précaution, l'adjudant donne le coup de grâce à chacun des passagers de la voiture.

Sous la chaleur de l'explosion, le véhicule prend feu. Quand les flammes atteignent le réservoir d'essence, on entend une forte déflagration et des flammes qui jaillissent de tous côtés. La voiture est entièrement détruite. Tout cela ne dure que quelques minutes, quatre ou cinq au plus.

Très inconscient et très imprudent, je traverse la route et marche dans le bois à la recherche des rescapés qui auraient échappés aux attaques des autres groupes. Mais pas d'Allemands en vue, je rejoins le 3° groupe qui a détruit la 2° voiture avec son fusil-mitrailleur. Dans cette voiture deux morts et un blessé. Comme je connais la langue allemande, je prends en charge le blessé. La blessure semble superficielle. Malgré tout, il faut le maintenir car il est incapable de marcher seul. C’est un gradé, Hauptmann, c'est-à-dire capitaine. J’ai sa sacoche pleine de documents. Ses papiers personnels indiquent qu'il était chef de la Kommandantur de Nantes. Il y a aussi les plans de la défense de Nantes et une circulaire destinés aux Allemands qui traversent la France pour rejoindre les zones de combats. Cette circulaire de plusieurs pages indique les précautions à prendre face aux « Terroristes », c’est ainsi que les Allemands appellent les résistants et les maquisards.

Dans ce document, à chaque ligne, on sent la crainte et même la terreur, d'une rencontre ou d'une embuscade organisées par les F.F.I..

Depuis la fin du mois d'août, changement de ton. Les Allemands - La Gestapo, l'Abwehr, la Wehrmacht - qui pourchassaient par tous les moyens, y compris la torture, les résistants, les maquisards ou les Français Libres tombés entre leur main, sont aujourd’hui le gibier.

Tout le monde quitte le lieu de l’embuscade car on craint l'arrivée de la garnison de Château-Chinon situé seulement à huit kilomètres de Saint-Péreuse. Les groupes quittent la route et abordent le sentier forestier en direction de Saint-Péreuse On constate aussitôt que le blessé est incapable de poursuivre en marchant. On l'allonge sur un brancard improvisé avec des branches. Dès qu'on retrouve le chemin, on demande à un paysan de nous prêter une charrette à bois. On transporte ce Haupfmann allongé jusqu'à Saint-Péreuse. On attend le camion qui doit nous reconduire à Savault. Il est en retard, sans doute à cause d'une panne. Barbotte avec sa moto se rend à Savault pour réclamer un camion pour le retour et informer au lieutenant les résultats de l'expédition et son succès total. Au cour du trajet de retour, Barbotte rencontre un groupe d'Allemands en traversant un carrefour sur la route RN 977 bis.

Quelques coups de feu. Roger Barbotte est blessé au bras mais peut heureusement s'échapper et rentrer à la compagnie.

Finalement, un camion arrive. La marche à pied se termine. Tout le monde embarque et s'entasse sur le plateau d'un camion. La fin du retour se passe sans ennuis.

Le capitaine allemand décède le lendemain. Sa blessure qu'on croyait superficielle était très grave. Il a reçu une balle à l'avant de la poitrine. Cette balle a traversé un poumon et est sortie par le dos en arrachant la peau. Pratiquement pas de sang. C'est pourquoi des jeunes qui n'étaient pas médecins se sont trompés sur la gravité du cas.

Joie à Savault, la compagnie est heureuse des résultats de cette mission : trois véhicules détruits, cinq tués chez les Allemands, aucune perte et un seul blessé léger dans la compagnie ANDRÉ.

 

Mardi 5 septembre 1944 :

C'est une journée de repos, mais on maintient les postes de garde avancée. Le groupe Fromonot tien le poste de garde à La Maison.

 

Mercredi 6 septembre 1944 :

L’état d'esprit de la compagnie évolue. Nous comprenons qu'on approche du moment de la Libération du Morvan. Chacun sait qu'il peut trouver des unités allemandes en déroute, qu'il peut encore se battre, qu’il y a encore des risques. On se sent vainqueur d'un ennemi pourtant implacable, mais on est obligé de rester sur la défensive.

Cet état d'esprit occasionne des plaisanteries douteuses : le valeureux tireur du PIAT qui a détruit un véhicule ennemi, s'est affublé d’un uniforme allemand et s'est promené dans le village entouré de camarades de la section. Ils veulent jouer à la capture d'un prisonnier. Le lieutenant André n'apprécie pas cette farce. Jouer au « Schleu » n'est pas de bon ton alors que chaque jour des groupes allemands circulent encore sur les routes. Comme toujours dans l'armée, le gradé qui a laissé passer cette pantalonnade est puni de prison. Comme on l’a déjà vu, cette punition sévère est une question de principe. En l’occurrence, la peine de prison n’est que symbolique car il n’y a pas de prison à Savault. En outre, le lieutenant André, après avoir prononcé la sanction, a jugé plus utile de garder toute sa troupe au complet, prête à intervenir en cas d'éventuels combats. Le groupe P.I.A.T. qui vient de faire ses preuves à Saint-Péreuse, doit rester opérationnel à tout moment.

Vers 16 h, plusieurs groupes se préparent à rejoindre différents postes de garde. La section Engins, le groupe Mines de Jean Gateau et le groupe P.I.A.T. vont à Bonin, au nord de Savault, sur la route départementale D 235. Le groupe Mortier du caporal-chef Bertrand de la Rocque, part en embuscade vers Montgirault, un hameau sur les berges de La Cure, une rivière qui coule entre Gouloux et Dun-les-Places.

Le rôle des chefs de poste est double, alerter de l'arrivée d'ennemis, éventuellement les neutraliser s'ils ne sont pas trop nombreux, et contrôler l'identité des passants pour arrêter des collaborateurs de passage ou en fuite. Ce dernier travail, fait avec sérieux, est inefficace, d’abord parce que les maquisards n'ont aucune formation de gendarmes, d'autre part parce qu’ils doivent contrôler les cartes d'identité, mais à cette époque, il n'y a pas un modèle unique... donc, on nous présente des cartes différentes. Comment reconnaître celles qui sont vraies de celles qui sont fausses ? Comment déjouer le milicien, le pire ennemi de la Résistance, qui présente sa carte d'identité… vraie ou fausse ? Que faire de la jeune fille du coin qui circule sans ses papiers ? La décision est prise en fonction de la tête des gens, des vêtements qu’ils portent, des maisons ou des fermes qu'ils habitent. Heureusement, l'expérience des résistants et le bon sens des Morvandiaux ont évité les méprises.

Que de pluie, que de pluie toute la nuit !

Jeudi 7 septembre 1944 :

Le ciel se dégage un peu. La garde des groupes de la section Engins à Bonin est interrompue par l'arrivée de la première section du sergent René Baud. La section Engins reçoit une nouvelle mission et doit retourner à Savault avec la première section. On déjeune, on se repose un peu, puis, préparatifs pour une grande opération.

 

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