Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

MAQUIS du MORVAN :La Compagnie André du 5 juillet 1944 au 28 septembre 1944 - par Hubert CLOIX - Partie XIII _ APPEL A L'HISTOIRE
05-11-2011

APPEL A L'HISTOIRE

par Hubert CLOIX

Que restera-t-il dans l'« Histoire » de cette épopée du Morvan ?

En dehors d'un gros titre à sensation paru dans un journal parisien en septembre 1944 « Le Morvan à feu et à sang », rien… ou presque rien ! Deux émissions historiques sur « la bataille de Crux-la-Ville » sur France-Inter par l'historien. Deux ou trois ouvrages à diffusion très restreintes publiés par des auteurs locaux. Aucune mention dans les cérémonies commémoratives nationales. Aucun chapitre dans les grands ouvrages sur la guerre et la Résistance. Aucune vitrine consacrée au Morvan dans les grands musées nationaux présentant les étapes de la Libération.

Pourquoi ce silence qui ressemble fort à une injustice à l'égard de ceux qui ont repoussé victorieusement les Allemands ?

Pourquoi ce silence sur les combats dans cette région dont l'importance stratégique n'a échappé à personne, ni du côté des Alliés libérateurs ni du côté des états-majors de la Wehrmacht ?

On peut avancer un certain nombre d'explications.

Tout d'abord, les opérations dans le Morvan et la bataille de Crux-la-ville en particulier, se sont terminées sans massacre et on connaît l'intérêt du public relayé par les medias pour le « sang à la Une ».

Ensuite, les unités engagées contre les Allemands étaient constituées essentiellement de résistants et de gars du pays. Il n’y a pas d'unités de parachutistes venues de Londres avec tout le prestige attaché à leur uniforme. Les deux escadrons de S.A.S. britanniques largués sur le Morvan n'ont pas participé à la bataille de Crux-la-ville, ce qui ne retire rien à leur mérite. Ils ont rendu d'immenses services et sauvé à différentes reprises des maquisards en difficulté face aux Allemands, notamment à Montigny. Ils ont réussi de très nombreux sabotages et détruit un matériel ennemi très important.

Autre cause de silence, le Morvan n'a pas compté parmi ses combattants un chantre à la plume épique, comme un Saint-Exupéry, un André Malraux, ou un Roland Dorgelès.

Mais, à toutes ces raisons, qu'on peut dire « de forme », « de prestige », « de publicité », il y a une raison beaucoup plus profonde, une raison qui tient au comportement de la population du Morvan et du Nivernais pendant ces années sombres. Un comportement sérieux et pondéré, un comportement issu du bon sens paysan, un comportement de sagesse.

Comment s'est manifesté ce comportement dans les faits ? Sans nier qu'il y ait eu dans la population des opinions divergentes face aux événements, qu'il y ait eu des gaullistes, des communistes, des partisans du maréchal Pétain, à part les quelques traitres collaborateurs, les partisans du vieux Maréchal sont restés de bons Français et ont laissé faire, sans pourtant les approuver, les actions de la Résistance.

La très grande majorité des fonctionnaires, à tous grades de la hiérarchie, étaient acquis à la Résistance.

On a vu les postiers de Corbigny et d'ailleurs, mettre sur écoute au péril de leur vie les lignes téléphoniques réservées aux Allemands et intercepter leurs communications.

On a vu des gendarmes poursuivre très mollement leurs enquêtes après toutes les opérations contre les perceptions, les dépôts de tabac ou les bureaux de poste. On a vu des gendarmes renseigner la Résistance sur les opérations commandées par les Allemands. On a vu des gendarmes instruire et encadrer les jeunes recrues du maquis.

On a vu des prêtres, tel l'abbé Prugnot curé de Corbigny, apparemment fidèle au Maréchal Pétain, mais en réalité authentique résistant, décoré de la croix de chevalier dans l'ordre de la Légion d’Honneur après la Libération par François Mitterrand, alors tout jeune ministre.

Cet élan de la population pour chasser l'ennemi du territoire national, cet amalgame de toutes les classes de la population, en petit dans la Résistance d'abord, puis en grand dans les maquis, ont eu des conséquences très décisives.

À la Libération, contrairement à ce qui s'est produit dans d'autres régions, la passation des pouvoirs s'est effectuée sans heurts dans le Morvan et la Nièvre. L'épuration n'a pas pris l'allure de massacres injustifiés.

Toutes ces raisons expliquent le silence sur une région et une population qui ont apporté une forte contribution à la Libération du pays.

 

 

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Après la bataille de Crux-la-Ville, en ce matin du jeudi 17 août 1944, après les derniers tirs d'arrière-garde d'armes automatiques - mitrailleuses et F.M. - Tous les combattants valides ont reçu des instructions pour marcher à pieds jusqu'à des points de regroupement : Egreuil, Saint-saulge, Achun. C'est là que des camions et des autocars doivent les prendre et les conduire au maquis BERNARD.

Pendant trois jours, les conducteurs embarquent des sections entières et des isolés. Chaque chauffeur réalise cinq à six convois. Ils sont tous à la limite de l’épuisement et ils doivent circuler avec des véhicules usés et en mauvais état.

Il faut saluer ces hommes courageux et endurants, à la merci d'un groupe d’Allemands ou de miliciens français inféodés à l'ennemi.

Il faut les remercier : André Bouché-Pillon, René Julien, André Deglisse, Raymond Lisani, Albert Sert, Gaston Roncin.

Les blessés sont évacués d'urgence, généralement par des voitures de tourisme dont les conducteurs ne sont pas directement engagés dans les batailles. Pourtant, les dangers qu’ils courent sont aussi importants que ceux des combattants. À chaque déplacement ils peuvent tomber sur une patrouille ennemie ou dans une embuscade meurtrière. Bien évidemment, les attaques aériennes portent principalement sur le parc auto où vivent les conducteurs et les mécaniciens.

Merci à tous pour leur dévouement et leur courage, dans des conditions matérielles difficiles : pas d'abris contre les intempéries, réparations des véhicules en plein air, manque d'outillage, difficultés d'obtenir les pièces de rechange, improvisation et bricolage pour se substituer aux conditions normales de travail dans un atelier de réparations.

Le lecteur qui ne connaît la guerre que par les films de guerre n'imagine pas ce qu'un combattant vit réellement au cours des combats.

Durant la première guerre mondiale, la stabilisation des fronts continus a empêché les mouvements de troupes. Les soldats se protégeaient dans des tranchées profondes. Le front pouvait rester de longs mois sans attaques sérieuses.

Les deux armées ennemies connaissaient bien leurs positions respectives mais il fallait rester caché faute de quoi, on pouvait être tué par un bon tireur. Bien sûr, au moment des attaques, les fantassins avançaient en vagues successives, au vu et su des ennemis. Chacun risquait sa vie, sans bien connaître le but à atteindre. Seuls les officiers avaient connaissance des objectifs, mettaient au point une stratégie et donnaient des ordres aux commandants de compagnie.

Dans la bataille de Crux-la-Ville - certains l'appellent « bataille de Forcy-Moussy » - les Français ignorent presque tout des positions allemandes et des mouvements des troupes ennemies. En revanche, les Allemands utilisent le clocher de l'église comme observatoire. Ainsi ils dominent la campagne et peuvent suivre le déplacement des unités français et les tirs des canons et des mitrailleuses sur leurs positions.

Du côté des maquisards, la situation est toute différente. Les dotations en munitions de la compagnie de secours seront épuisées en moins d'une heure de combat. Pour le mortier, cinq obus, pour le P.I.A.T., cinq projectiles, pour chaque combattant, cinquante cartouches. Les ordres sont de ne tirer qu'à coup sûr. Durant la bataille, on constate que la compagnie ANDRÉ, au secours des assiégés, n'a pas tirer un seul obus de mortier ni un seul projectile du P.I.A.T.. Il y a eu des tirs de fusils, de mitraillettes et des rafales de fusils-mitrailleurs.

Les Français doivent deviner les positions des allemands en entendant le bruit des départs de tirs et en voyant la trajectoire de certains projectiles qui laissent une trace lumineuse qui doit épouvanter les jeunes maquisards.

La leçon de cette bataille victorieuse est que des jeunes sans aucune formation militaire, des jeunes qui viennent pour la première fois au feu, mais qui ont la foi de la jeunesse et qui sont sous les ordres d'officiers exceptionnels, comme le commandant Vessereau, le lieutenant Lardry, épaulés par des sous-officiers courageux comme le capitaine Egeley et le lieutenant André, ont pu résister aux assauts des Allemands et les ont même obliger à battre en retraite.

 

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Après cette bataille de Crux-la-ville, la situation change du tout au tout dans le Morvan.

Les maquisards, toujours traqués par les Allemands avant la bataille, vont maintenant semer la terreur parmi les soldats de la Wehrmacht.

Les maquisards obtiennent une permission autour du camp. Une anecdote : avant la bataille, on se moquait du seul maquisard qui portait un casque, mais après tous ont compris le rôle du casque et en veulent un.

J’organise des tournées dans les fermes pour rechercher des casques et équiper tous les hommes de ma section « Engins ». Les cultivateurs anciens combattants répondent à cet appel. Donner un casque est pour eux un gros sacrifice car il a une valeur symbolique, une valeur chère à leurs cœurs, une valeur de souvenir pour des actions antérieures. On récolte des casques français de tous modèles, depuis le premier casque ADRIAN de 1915-18, bleu horizons en deux pièces serties, jusqu'au dernier modèle monocoque kaki.

 

Vendredi 18 août 1944 :

La vie normale reprend à la compagnie ANDRÉ. Un groupe de fusiliers-voltigeurs renforcé par le groupe P.I.A.T. se rend en expédition à Mhère pour des approvisionnements.

Les habitants du village organisent un petit-déjeuner pour tous ces gars.

Au menu, une très belle omelette, bien appréciée car elle tranche de la popote de la compagnie qui propose matin, midi et soir de la viande bouillie. Le camion de retour tombe en panne à Ouroux. Pendant le temps nécessaire à la réparation, chacun cherche un habitant qui va le faire déjeuner et des casques chez les villageois. La récolte de casques est excellente.

Finalement, la panne étant plus importante que prévue, les groupes rentrent à pied jusqu'au maquis, huit kilomètres c'est peu de chose à l'époque.

 

Samedi 19 août 1944 :

Ce samedi est encore une journée normale. Équipe de jour pour les services variés et surveillance des deux prisonniers parachutistes allemands capturés durant la bataille de Crux-la-ville. Le groupe des Mines et plusieurs autres groupes font des exercices autour du lac Settons.

En fin de journée, le bruit circule d'un abandon du camp. Chaque compagnie devrait s'installer dans un hameau proche. La compagnie ANDRÉ quitterait les bois et serait cantonnée à Savault.

 

Dimanche 20 août 1944 :

En ce dimanche les bruits de déménagement du camp se confirment. Le maquis BERNARD devient une véritable fourmilière. Ceux qui le souhaitent peuvent assister à une messe célébrée à côté du PC.

Dans la compagnie ANDRÉ, chacun s'organise pour les préparatifs du départ.

Malgré tout, dans l'après-midi le groupe P.I.A.T. doit faire un exercice réel avec le P.I.A.T.. L'instructeur est un parachutiste SAS britannique. La formation se limite à un tir pour le moniteur et un tir pour le tireur du P.I.A.T., Raymond Blétti. Le P.I.A.T. est une arme efficace mais dangereuse à manier. La portée théorique ne dépasse pas 75-80 mètres. En réalité, face à un véhicule ennemi, il faut que la cible soit à 35 ou 40 mètres avant de tirer. Attendre l'approche d’un véhicule ennemi à moins de 40 mètres de distance exige beaucoup de calme et de sang-froid de la part du chef de pièce et du tireur.

Pendant ce temps, dans la compagnie chacun organise son paquetage en vue du départ.

Il y a très peu de chose à emballer, un petit sac avec une chemise, un sous-vêtement de rechange et le nécessaire de toilette. Une couverture et un couchage constitué de parachutes. C'est tout. Pas nécessaire d'avoir une cantine ou même une valise. Il suffit d'un sac à dos ou d'un sac de toile attaché avec une ficelle. Après le déjeuner, le gros du travail consiste à démonter tout le matériel de cuisine, marmites, ustensiles, réserves alimentaires et le pinard..

Le lieutenant André s'est rendu plusieurs fois à Savault ces derniers jours pour préparer l'arrivée de sa compagnie : locaux pour dormir, organisation de la cuisine, locaux pour l'armurerie, local radio, pièces pour les services techniques...

Bien sûr, les Allemands sont au courant de ces projets par leurs informateurs et par les bruits qui circulent dans la région à la suite d'indiscrétions malheureusement inévitables.

Vers 16 h, le lieutenant André donne l'ordre de départ à ses trois sections de voltigeurs. En quelques minutes, on supprime le camouflage des tentes de façon à tromper les observateurs aériens. Les hommes de la compagnie descendent le sentier qui mène à la gare de Cœuson. Ils se mêlent aux camarades du bataillon BERNARD et du bataillon JOSEPH (Pelletier) qui se préparent à se rendre dans d'autres villages. Pour éviter la route nationale 77bis, fréquentée par les unités allemandes en retraite vers l'est, les hommes d'André font un détour par Ouroux. Ainsi, ils ne font que couper cette route nationale à proximité de Savault.

Par ailleurs, le matériel de la cuisine - casseroles, marmites de fonte, réserves - est porté à bras jusqu'à la gare de Cœuson. Là, tous ces équipements sont chargés dans un camion qui se rend directement à Savault.

En fin d'après-midi, le bois est abandonné, il semble vide. Pourtant quelques hommes de la compagnie ANDRÉ restent encore dans le camp. Il s'agit des armuriers. En effet, quelques armes, toute la réserve de munitions et les stocks d'explosifs représentant plus de deux tonnes, restent encore en place. Le déménagement ne peut se faire ce même jour faute de camion. Il faut attendre le lendemain, quand il y aura un camion disponible. Ce dépôt dangereux est à la merci des maraudeurs et éventuellement de l'attaque du camp par les Allemands. Pour protéger l'armurerie des convoitises, la section Engins de la compagnie ANDRÉ est désignée pour rester sur place et assurer la sécurité durant la soirée, la nuit, et jusqu'au moment où une équipe arrivera pour transporter les réserves de l'armurerie, soit le lendemain.

Comme la cuisine de la compagnie est partie, une équipe du maquis BERNARD apporte les repas à ceux qui restent sur place.

Il fait encore jour quand soudain des avions survolent le camp. Il s'agit d'avions allemands faciles à reconnaître par les Croix de Fer peintes en noir et blanc sous les ailes. (Pour les avions français et anglais : une cocarde tricolore, pour les avions américains : une étoile blanche cerclée d'un cercle blanc). Ces avions HEINKEL III à bimoteurs tournent en rond pour repérer les lieux et les objectifs à atteindre. Ensuite, à plusieurs reprises, ils lâchent des bombes et canonnent les objectifs désignés. C'est très impressionnant de se sentir visé sans possibilité de réagir, parce que les armes à la disposition des maquisards sont impuissantes face à un avion.

Quel bel objectif que ces camions mal camouflés sous les arbres, que cette belle tente blanche, bourrée d'explosifs. Heureusement, bien que les avions aient survolé et attaqué le camp pendant 3/4 d'heure, les résultats restent médiocres, les dégâts sont insignifiants. L’armurerie est intacte, quelques éclats au niveau du parc autos, mais peu de choses, aucun véhicule n'a été détruit, la carrosserie des camions et de certaines voitures de tourisme ont été perforées par les petits obus de 20 m/m. Ni mort ni blessé.

Après le départ des avions, la section ENGINS qui forme l'arrière-garde du maquis restée sur place se sent soulagée. Cependant, tout le monde est inquiet. En effet, l'expérience a montré que la bataille de Crux-la-ville avait été précédée par un raid aérien ennemi. Nous pensons que ce bombardement est précurseur d'un siège et d'une attaque terrestre du camp.

Que peut faire une vingtaine d'hommes contre un ennemi très supérieur en nombre et en armement ? Les hommes de la section ENGINS restent tout de même en alerte maximum et ce d'autant plus qu'ils doivent garder deux prisonniers, deux parachutistes allemands capturés pendant la bataille de Crux-la-ville. Ils sont logés dans une fosse profonde entourée de fils de fer barbelés. Avec les moyens du bord, ils sont traités correctement. Ces Allemands savent bien que le lieutenant André a pu les récupérer au moment où certains voulaient les tuer. C'est pourquoi la compagnie à pris en main leur charge. Leurs rations alimentaires étant insuffisantes, quelques maquisards leurs portent la nuit à la sauvette un peu de pain, un morceau de viande. La guerre est un jeu cruel. On avait tellement de raisons de détester ces prisonniers. On savait toutes les horreurs que la Gestapo et Wehrmacht faisaient subir aux Français que ce soit pendant la guerre de 1914/18 ou celle de 1939-45. (Oradour, la torture des Résistants arrêtés, le massacre d'otages...). Et pourtant, malgré le passé de ce pays ennemi, malgré le passé de ces prisonniers, ce geste montre qu'en chacun, il reste un éclair d'humanité. C'est un beau geste de la part des maquisards.

Remarque : la plupart des amis de VENGEANCE qui ont été déportés en camp de concentration, ont pu témoigner que certains travailleurs allemands et même parfois quelques S.S., ont pris le risque de soulager leurs souffrances et de leur donner en cachette un peu de nourriture : pain, pommes de terre...

Heureusement, la nuit est calme, l'aube aussi, tant redoutée, reste tranquille.

Il n'y a pas d'attaque de nuit, il n'y aura pas d'attaque de jour.

On comprendra dans les pages suivantes la raison de cette démonstration aérienne venue des aérodromes de Dijon-Longvic et même d'Avord, près de Bourges.

 

 

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