Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

MAQUIS du MORVAN : La Compagnie André du 5 juillet 1944 au 28 septembre 1944 - par Hubert CLOIX - Partie I
05-11-2011

par Hubert CLOIX O.LH CVR

Préface

Le MORVAN, été 1944

La France espère des jours meilleurs

Souffrances, peur, deuils, drames…

Entrer dans la clandestinité

Le bonheur perdu d’avant guerre

 

PREFACE

Le Colonel Georges André Guyot m'a demandé de rédiger l'histoire de la compagnie ANDRE : sa création, ses faits et gestes durant l'été 1944, puis sa dissolution après la retraite des Allemands et des garnisons qui occupaient la région.

Ce travail, je l'ai fait avec ardeur, parce que j'ai toujours eu beaucoup de respect et d'admiration pour le lieutenant ANDRE, pour tout le travail qu'il a fait pour nous et pour la France. Ce respect et cette admiration ont créés entre nous une bonne et fidèle amitié, toujours aussi solide après plus de 60 ans. Je ne suis ni historien ni écrivain, cependant j'ai respecté la rigueur de l'historien et j'ai ajouté un peu d'émotion et de passion à l'égard de mes compagnons de combat, Corps francs VENGEANCE, maquisards, et de mes chefs qui ont mené des opérations contre la Wehrmacht allemande avec le succès qu’on connait maintenant.

Dans ce document, j'ai voulu informer les historiens et les générations futures sur les conditions de vie difficiles qui furent celles les résistants et les maquisards du Morvan durant l'occupation allemande.

Le Morvan, qui est déjà une région naturellement pauvre, a été ruiné par les réquisitions imposées par l'armée allemande (bétails, fourrage, bois…)

Bien qu’elle fasse partie du maquis BERNARD, la compagnie ANDRE a bénéficié d'une certaine autonomie qui lui a permis de se distinguer à plusieurs reprises.

Pourquoi la réputation de cette compagnie est-elle intacte et vivace dans la population après plus de 60 ans ? Il y a bien sûr la personnalité du lieutenant André, mais il y a aussi toute l'équipe qu'il a constituée à partir d'éléments issus des corps francs VENGEANCE de la région parisienne et des départements de la zone Nord : Nièvre, Loiret, Bretagne... et de jeunes volontaires venus de la région.

Pourquoi l'arrivée des résistants de VENGEANCE va-t-elle lui faciliter sa tâche ? Bien que n'ayant connu ni le service militaire, ni les combats de la campagne de France de mai et juin 1940. Ils n’ont aucune expérience de la vie militaire et pourtant ils seront un apport considérable au lieutenant André.

Par rapport aux jeunes qui arrivent directement aux maquis, les résistants de VENGEANCE ont déjà vécu la clandestinité et ses contraintes : la rigueur indispensable à la survie, l'acceptation des risques, la domination de la peur lors des grands bombardements de la région parisienne, la participation pour certains à l'école des cadres organisée par la direction de VENGEANCE à Cerizy-l'Etoile, en Normandie, au nez et à la barbe des Allemands. Certains ont suivi des séances de formation aux maniements des armes et au tir. Certains ont étudié le manuel de l'officier mitrailleur de l'infanterie.

Certains sont élèves dans les « Corniches » (classes clandestines préparatoires au concours d’entrée à Sain-Cyr ou Navale). Tous savent se déplacer à la carte : cartes Michelin ou cartes d'état- major éditées par l'IGN, cartes interdites à la vente par les Allemands. Certains sont des scouts capables de se débrouiller et de vivre en pleine nature. Tous ont le sens de l'ennemi.

Pour toutes ces raisons, le lieutenant André attribue des grades de sous-officiers pour le commandement de groupes et de sections. (Ces petits grades n'ont pas été reconnus par l'armée régulière après la Libération).

Le lieutenant André a mis en valeur les capacités des jeunes maquisards de la région et leur confie des commandements. Par exemple, un jeune gendarme, Pierre Demongeot de la brigade de Blismes, devient son second dans la compagnie. Louis Aubin, dit "BERNARD", gendarme retraité chef du maquis, a fait confiance au lieutenant André et lui a demandé de créer et former une unité capable d'assumer toutes les missions difficiles : embuscades, combats classiques, déplacements extérieurs, surveillances...

La compagnie ANDRE a refusé toutes sortes de pillages et a respecté les habitants. (Ex: alors que des combats se déroulaient autour d'une ferme, les œufs fournis par le fermier ont été payés avec l'argent personnel de chacun à un bon prix).

LE MORVAN, ETE 1944

En ce mercredi 5 juillet 1944, la campagne morvandelle est belle. On entend dans les bois le bruit des bûcherons qui travaillent sur les coupes de bois. Ils éclaircissement les taillis à coup de cognées. On perçoit le mouvement des scies qui débitent les arbustes pour en faire du bois de chauffage. Les bûcherons empilent les bûches suivant des usages ancestraux. Tous ces métiers du bois utilisent encore les vieilles mesures datant du Moyen Age. La moulée est constituée de grosse tiges coupées en morceaux de un mètre quatorze. On décompte la production avec une pige. Chaque coup de pige correspond à un stère. Les tas correspondent à une corde, soit en général cinq stères (dans certaines régions la corde ne représente que deux stères et demi).

Les petites branches coupées en longueurs de deux pieds, soit zéro mètre soixante-six, forment la charbonnette utilisée pour la chauffe des fours de boulanger. Les branchettes transportées en scierie sont débitées en petite longueurs de huit à dix centimètres. On les utilise comme carburant pour les moteurs à gazogène pour les voitures et les camions.

On entend les bûcherons qui blanchissent à coup de cognées le bas des gros arbres à abattre. C’est ensuite le bruit des passe-partout qui scient la base du tronc et marquent ainsi la fin du bel arbre. C’est toujours un moment d’émotion que de voir tomber un arbre marqué par les ans.

Le houppier dégagé du tronc devient du bois de chauffage. Le décor serait incomplet si l’on oubliait les équipes qui récoltent les branchages, les enfournent dans des fours de charbonniers pour obtenir du charbon de bois, par une combustion spéciale.

En fin de coupe, quand le travail est terminé, les débardeurs transportent tous les bois coupés sur le bord des routes. La tâche est dure dans les terrains souvent accidentés. On admire l’effort des bœufs du Morvan qui tirent les troncs. Sans brusquerie, ils s’accrochent au sol, et doucement ils arrachent les charges les plus lourdes. Pour le bois de chauffage, on empile moulées et charbonnettes sur des chariots à quatre roues de bois ceinturées de fer. Les chevaux conviennent bien en terrain facile. Plus rapides que les bœufs, ils travaillent par à coup et s’arrêtent si l’obstacle devient trop difficile à franchir. Le bœuf franchit ruisseaux, pierrailles, zones marécageuses, terrains pentus.

Au bord des routes des transporteurs professionnels ou bien souvent des cultivateurs chargent avec des crics les grumes sur des chariots appropriés. Tous ces produits de la forêt sont livrés aux scieries ; Les bois débités sont livrés à l’usage des habitants locaux, chargés sur wagons pour les besoins des villes et aussi malheureusement un peu le moins possible pour les exigences de l’armée allemande qui occupe toute la France.

On livre aussi les petits bois de chauffage aux usines de produits chimiques de Prémery (Lambiotte), et Clameçy (S.P.C.C. : Brücefer) ; Ce bois distillé va devenir un bon charbon de bois pour les moteurs à gazogène et des produits de base pour l’industrie chimique.

On y tire notamment un carburant synthétique. Il fait le bonheur des maquis car à cette époque il est impossible d’obtenir l’essence de pétrole pour camions et voitures.

Après des mois d’activité intense, les coupes de la forêt débarrassées du bois de chauffage et des troncs d’arbres abattus, vont retrouver leur calme. Le soleil va réchauffer le sol, la nature va reprendre le cours de la vie. Les jeunes plantes, gênées par les gros arbres, vont jaillir du sol, la forêt va pouvoir se préparer à de nouvelles coupes, dans trente ou quarante ans.

Dans les prés, de jeunes veaux près de leurs mères, découvrent la nature et ses prairies recouvertes d’une herbe verte et tentante. Les fermiers commencent la fenaison et se réjouissent d’un foin abondant et de qualité.

La France espère des jours meilleurs

En ce 5 juillet 1944, après quatre ans de souffrance et d’occupation allemande, les français espèrent des jours meilleurs. Le 6 juin, les alliés ont réussi le débarquement de leurs troupes en Normandie.

Les combats sont durs, les Allemands luttent dans le bocage normand. Ils s’accrochent autour de Caen. Cependant, la Wehrmacht ne peut que retarder l’avance des troupes alliées.

Cherbourg est libéré le 26 juin. Les résistants et F.F.I. entravent les mouvements des troupes ennemies. Ils réussissent toutes les opérations prévues par les plans organisés par Londres :

-         Plan Tortue : contre le déplacement des troupes vers la Normandie,

-         Plan vert : opérations contre les voies ferrées,

-         Plan violet : contrôle ou destruction des réseaux téléphoniques,

-         Plan bleu : contrôle ou neutralisation des réseaux électriques.

 

 

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Souffrances, peur, deuils, drames…

Ce mercredi 5 juillet 1944, la campagne morvandelle est belle et pourtant le pays morvandiau pleure. Il pleure toutes les misères du temps, tous les malheurs et tous les drames qui endeuillent les villages, la population, les fermes, les familles.

Depuis cinq ans, les familles attendent le retour des prisonniers capturés en mai et juin 1940, au moment de l’avance victorieuse de la Wehrmacht. Des résistants arrêtés par la Gestapo sont soumis à la torture, souvent fusillés ou expédiés en Allemagne (à cette époque on ignore la réalité des camps de concentration).

Les juifs se cachent pour échapper aux arrestations et à un voyage aux destinées inconnues.

Tous les jeunes de la classe de 1942 et bientôt de la classe 1943, sont appelés au S.T.O. (Service du Travail Obligatoire) pour travailler en Allemagne. Ceux qui refusent de se mettre au service des Allemands sont appelés des réfractaires. Ils se cachent dans les fermes ou dans les bois. Certains malheureusement, sont dénoncés et livrés aux Allemands.

En juin 1944, trois villages sont pratiquement rayés de la carte. A Montsauche, Planchez-en-Morvan, Dun-les-Places, toutes les maisons sont incendiées. A Dun-les-Places, les hommes sont tous fusillés. Le curé est précipité du haut du clocher. Un seul échappe au massacre, Monsieur Blandin, le restaurateur.

On imagine l’angoisse de tous ces jeunes qui reçoivent l'ordre de réquisition transmis par l’administration française sous contrôle des autorités allemandes. Il est vrai que les listes des jeunes en partance pour l’Allemagne sont remises aux autorités locales pour exécution. Il est vrai aussi que la plupart des mairies, des gendarmes, des policiers communiquent aux intéressés la date du jour de départ. Ainsi le jeune homme peut s’y soustraire et entrer dans la clandestinité.

 

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Entrer dans la clandestinité

Mais alors, sa situation n’est pas facile. Il faut quitter son métier, sa famille, arrêter ses études. Il faut aller vers une condition nouvelle, pleine d'embûches, une vie clandestine, sans papiers, sans identité. Il faut trouver un abri loin des regards. Au milieu des bois, me dira-t-on, c’est vrai, mais il faut se nourrir, donc garder le contact avec la population afin obtenir la nourriture et les objets indispensables. C’est un risque énorme car dans la campagne, tout le monde connaît l’enfant du pays et très vite les commérages signalent son séjour dans une ferme ou au détour d’un chemin. Pour celui qui n’est pas du pays, la situation est pire encore car on a vite fait de le repérer… et de le soupçonner.

Les allers et venus des uns et des autres sont faciles à repérer. Pour un paysan, les traces laissées par le passage d’un homme sont aisées à distinguer dans les prés et les champs. En hiver, il neige longtemps dans le Morvan, des jours, des semaines. Et la neige garde la trace des pas…

Pour bien des raisons, un homme isolé ne peut mener longtemps une vie clandestine. On pense qu’il peut se réfugier dans un maquis où la vie collective est plus facile. Mais en réalité, jusqu’au mois de juin 1944, les maquis n’existent pas réellement. Quelques-uns vivotent avec une poignée de résistants locaux et quelques résistants de Paris ou d’autres régions, recherchés par la Gestapo. Fautes de moyens, ils ne peuvent accueillir toutes les demandes, de plus, il est souvent nécessaire de déménager le camp.

Jusqu’aux mois de juin/juillet 1944, les maquis n’ont ni les moyens ni la logistique permettant d’accueillir une arrivée massive de clandestins. Il ne reste plus que deux solutions aux jeunes, ce qui explique les premières lignes de cette belle histoire de la compagnie ANDRÉ.

Le jeune peut travailler aux champs dans les fermes. S’il ne reçoit que peu ou pas de salaire, il se sent abrité et nourri. Il passe inaperçu au milieu  des équipes, pour la fenaison des prés ou la moisson des champs de blé, d’orge, de navets pour la production d’huile. La rentrée des récoltes occupe beaucoup de monde. On empile le foin ou les gerbes de blé sur des charrettes ou des chariots. On rentre le tout à l’exploitation. On remplit les fenils et les greniers à coups de fourches. Le clandestin se mêle aux équipes de journaliers pour le battage du blé, un blé dur du Morvan, peu propice à la préparation du pain. L’équipe de battage vient à la ferme avec tout son matériel : une batteuse qui reçoit les gerbes et égrène le grain des épis. La paille est séparée et rentrée dans les greniers. Une machine à vapeur mobile actionne le matériel. Le travail est épuisant sous la chaleur, au milieu d’une poussière qui dessèche les poumons. On boit beaucoup, on boit des cruches entières d’eau additionnées de coco, c’est le nom local de l’antésite, poudre à base de racine de réglisse. Le jour du battage, on tue le vieux dindon de l’an dernier, et surtout, après le travail, on ouvre le fût de vin, un petit vin local léger de moins de dix degré d’alcool, souvent âcre. Il faut se cramponner aux tables pour le boire. Le vin est léger mais après une journée de labeur, on boit, on boit beaucoup, on boit jusqu’à plus soif. Il y a de l’ambiance, nombreux sont ceux qui vont dormir sur place à même la paille.

Journée de batteuse, journée de labeur, mais aussi de joie pour le travail terminé et la fin de la récolte. Ainsi les travaux agricoles ont caché et protégé bien du monde.

La forêt aussi va cacher une partie des clandestins. Il faut du monde pour faire tourner les scieries installées un peu partout dans les campagnes. Il y a des spécialistes pour faire tourner les scies à rubans ou les scies circulaires. Il faut des ouvriers qualifiés pour l’affutage des scies. C’est un travail délicat. On affûte chaque dent, puis on écrase la pointe pour faire du champ et éviter que la scie se coince. L’opération doit se faire toutes les deux h environ. A coté des hommes de métiers, on trouve des manœuvres qui manipulent les grumes vers les scies. Ils empilent après sciage les plots pour qu’ils sèchent pendant de longs mois ou même des années. Une fois bien secs, on les envois aux menuisiers ou ébénistes.

Les bois occupent une grande superficie du Morvan. De tout temps, ils ont joué un rôle dans la vie économique de la région. Mais en cette année d’occupation ils vont devenir des lieux de refuges. Les exploitants forestiers embauchent tous ceux vivent en situation irrégulière. Partout il y a des coupes de bois, partout on voit la fumée des fours à charbon, on voit les bûcherons qui coupent, empilent, transportent le bois. La plupart des clandestins sont issus de la Résistance et petit à petit, ceux qui refusent le départ en Allemagne pour le S.T.O. Tous ce monde mène une vie clandestine. Les contrats d’embauche, cela n’existe pas. Pour la paye, on n’imagine plus les pratiques de l’époque : Chaque semaine le vendredi matin, le travailleur donne au chef d’exploitation un papier sur lequel il indique sa production de la semaine : nombre de stères sciés et façonnés, nombre de sacs de bois à gazogène, poids du charbon de bois. Le comptable, au vu des papiers, calcule la paye de chacun. Dès le vendredi soir, chacun reçoit une enveloppe qui contient une feuille de paye indiquant le décompte et la paye correspondante. Il n’y a qu’une retenue pour l’assurance agricole sociale. L’argent est contenu dans l’enveloppe sous forme de billets et de pièces de monnaie. Personne n’a de compte en banque ni de carnet de chèques. Ces modalités sont valables pour les ouvriers déclarés. En ce qui concerne les travailleurs clandestins (la clandestinité est alors la bonne cause), les modalités différent. On retrouve une enveloppe, l’argent liquide, mais pas de bulletin de paye. Une feuille de papier libre avec le décompte de la somme à toucher, mais pas de retenues. Il n’y a même pas de tampon pour identifier l’employeur.

 

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Le bonheur perdu d’avant guerre

À cette époque, le Morvan peut se suffire par lui-même. Sur les rivières, on trouve des moulins pour transformer le blé en farine. Il existe encore un ou deux moulins à huile pour écraser les graines de colza et d'œillette. Avec ces graines on produit une huile brute, au goût très prononcé.

Dans chaque village, dès le matin, on entend les cloches de l’église, le maréchal ferrant qui ferre les chevaux et les bœufs, le marteau du forgeron. On entend le roulement du tambour qui rassemble la population. On écoute le garde champêtre qui, de sa haute voix, lance son « Avis à la population ». Il proclame les nouvelles locales : l’arrivée d’un marchand ambulant, les avis du maire et les informations à caractère administratif.

A cette époque, la circulation automobile est pratiquement inexistante. Il n’y a pas de bruit de fond. On écoute et on peut compter le nombre de sons : bruit du marteau, cloche de l’église, braiment de l’âne, cri du cochon qu’on égorge, mugissement des vaches, cloche de l’école.

La vie à la campagne évolue aussi. Autrefois, chaque semaine, dans les bourgs, il y avait beaucoup d’animation les jours de marché. Les cultivatrices et les fermières s’y rendaient à pied, à bicyclette, en charrette à âne ou en calèche. Elles apportaient les produits des jardins et des poulaillers : légumes, fruits, beurre enveloppé dans de belles feuilles de choux, fromages étalés sur de la paille au fond des paniers. On était assourdi par le bruit que faisaient les poules, les canards et les oies. On discutait fort sur les prix. Chaque ménagère s’occupait de les tuer les volailles, de les plumer, de les vider de leurs entrailles. Les lapins bien vivants, étaient silencieux eux et ils faisaient un bon plat pour les jours de fête. Sur le marché, on vendait de tout : vêtements, tissus, chaussures et tout ce qui servait aux bonnes ménagères : sel, sucre, vin, huiles, lessives…

Avant la guerre, les places de marché étaient pleines d’animation, pleines de vie, pleines aussi du folklore des forains. On trouvait de tout sur les marchés et chez les commerçants. Hélas… la guerre, la défaite de mai et juin 1940, une armée d’occupation qui prend tout…

La France, si riche en denrées alimentaires, va connaître la pénurie et même la disette. On manque de tout. Les cultivateurs ne se déplacent plus pour vendre leur production, les  gens se rendent dans les fermes pour obtenir un peu de lait, un petit morceau de beurre, quelques œufs, du fromage. Les jeunes à pieds ou en vélo, quêtent et achètent un peu de nourriture. La plupart des paysans vendent à des prix raisonnables, mais certains, peu nombreux, pratiquent les prix du « marché noir ».

Les jours de marchés sont des jours tristes. Les chalands circulent, mais il n’y a rien à acheter. Quelques marchands forains proposent quelques rares produits, avec ou sans tickets. On trouve un peu de tissus, des robes, des blouses, des chaussures. Oui, mais avant tout achat, il faut pouvoir payer et donner les rares tickets nécessaire.

Autrefois, les ménagères discutaient les prix, mais aujourd'hui elles acceptent tout et achètent sans récriminer les rares articles, de qualité médiocre et même parfois mauvaise. Par exemple, la composition des savons comporte de la terre glaise. Le savon lave mal.

Les marchés n'ont plus l'animation d'antan. Des contrôleurs surveillent le respect des prix imposés. Des soldats Feldgrau circulent souvent entre les étals, créant une ambiance pénible, un climat d'oppression.

La guerre a aussi changé les habitudes des Morvandiaux. Avant l'occupation les bourgs s'agitaient les jours de foire. A Corbigny par exemple, chaque deuxième mardi du mois, des troupeaux entiers se retrouvaient sur le champ de foire, un grand pré au bord des habitations. Dès l'aube, les bouviers armés de bâtons amenaient à grands cris les troupeaux. Les chiens de garde aboyaient autour des bêtes et regroupaient les attardés ou les échappés. On venait de partout, par les routes de Clamecy, Rennebourg, Cervon, Lentilly, Marcilly, Saint-Saulge, Prémery. Les maquignons, vêtus de blousons noirs ou bleus foncé, attendaient l'heure des ventes. Pour passer le temps, ils se réconfortaient dans les cafés avec une bonne charcuterie ou une tranche de jambon cru, avalaient canons sur canon, et du café renforcé en gnôle. On discutait sur les prochains cours. Il y avait de l'ambiance. Il faut dire que s’étaient levés dès 4 ou 5 h pour regrouper les bêtes et les conduire à pieds au village. Il n'y avait pas de camions pour le transport du bétail.

Dés l'arrivée au champ de foire, les choses sérieuses commençaient. Maquignons, éleveurs et fermiers se retrouvaient pour les ventes. On achetait les broutards - jeunes bœufs à engraisser dans les riches prairies du Nivernais, de l'Avalonnais, de l'Auxois, du Bazoiset – ainsi que les bêtes prêtes pour les abattoirs. On vendait aussi des taureaux reproducteurs, des porcs, des moutons, des ânes et des chevaux de selle ou de trait.

Acquéreurs et vendeurs discutaient fermement sur la qualité des bêtes, les défauts, le prix au kilo. Mais sur le poids, inutile de passer en bascule. Maquignons et vendeurs n'avaient pas besoin d'une pesée pour estimer le poids d'une bête. Ils étaient d'accord et l'écart ne dépassait jamais quatre à cinq kilos par tête.

Avant de prendre le chemin du retour, chaque paysan se nourrissait d'un casse croûte copieux ou déjeunait au restaurant.

Le soir, à la gare de Corbigny, on embarquait les bêtes dans des wagons pour Paris et les grandes villes. L'embarquement était souvent une opération à la fois héroïque et comique. Les bêtes ne comprenaient rien à la manœuvre. Elles s'égayaient au milieu des voies et sur les quais. On criait, on tapait, on gueulait et cela n'arrangeait rien. Cela pouvait durer des h en dépits des efforts des bœuftiers (patois du Morvan).

Pendant ce temps, les femmes emplissaient les paniers de leurs achats. Elles conversaient entres elles. Difficile de circuler en ville jours de foire et jours de marchés.

C’était avant la guerre, avant l’armistice de juin 1940, avant l’occupation du pays par l’armée allemande…

Aujourd’hui, les libertés n’existent plus. Des textes réglementent tout. Les éleveurs doivent fournir un certain nombre de bêtes à la vente. Les cours sont fixés par l’administration et les services des prix. Les bêtes sont achetées par des inspecteurs chargés des réquisitions au profit des services du ravitaillement institués par l’Etat et des besoins de l’armée allemande. Les éleveurs doivent déclarer tout l’effectif de leur cheptel et sont tenus de livrer les bêtes à la réquisition. On n’entend plus les marchandages animés, parfois virulents, mais vite apaisés autour d’un pot. La méfiance règne. Chaque bête est pesée à la bascule. Malgré tout, l’esprit frondeur des Français et la nécessité de se nourrir permettent de se débrouiller. Un certain nombre de veaux, moutons et porcs sont camouflés et échappent à la vue des contrôleurs. On les tue d’une façon clandestine. C’est interdit et pourtant !

On verra dans les pages suivantes la situation des éleveurs à partir de juillet 1944 en Morvan.



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