Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les maquis en Loire-Inférieure, et la libération du département
16-10-2011

Par Jean-Robert FECAN

Extrait de son site http://www.ww2-derniersecret.com avec son autorisation

Si l'on se réfère à "l'Histoire de la Libération de la France" de Robert Aron (tome II juin 1944-mai 1945, chapitre III consacré à la "Libération de la Bretagne"), en juin 1944, "les effectifs des maquis installés en Loire-Inférieure étaient estimés à 6.500 hommes non mobilisés" et quasiment désarmés. Fin juillet, ces effectifs étaient toujours de "6.500 hommes, dont seulement 250 étaient armés". Il ressort clairement de cette observation que la Résistance en Loire-Inférieure a été quelque peu négligée aussi bien par les alliés que par l'Etat-Major du général Koenig de Londres

Le rôle militaire des maquis sera donc limité, à l'inverse de ce qui s'est passé dans les autres départements Bretons. Mais la stratégie de l'armée américaine s'en accomodera facilement : il s'agissait, semble-t-il, avant tout d'isoler les unités d'assaut allemandes stationnées en Bretagne de la Normandie en coupant en deux la zone géographique assignée à la 7ème armée allemande et de boucler les unités allemandes non détruites dans des réduits côtiers.

En Loire-Inférieure, seule la voie ferrée entre Redon et Châteaubriant sera coupée dans la nuit du 5 au 6 juin 1944 par l'équipe des parachutistes français "Pierre 408" du 4ème Régiment des S.A.S., constituée par le lieutenant François Tisne et les parachutistes Robert Bernard et Max Perles.

Le raid de Saint-Nazaire

Le raid Anglais de Saint-Nazaire, qui s'est déroulé les 28 et 29 mars 1942, (opération "Chariot") en s'appuyant de fait sur les renseignements fournis par le réseau Fillette de la Confrérie Notre-Dame dirigé par Rémy, a notablement contribué à promouvoir la combativité des réseaux de résistance qui y ont participé, et a bien constitué un exploit pour les Anglais qui ont lancé avec succès une des plus importantes opérations combinées de la deuxième guerre mondiale dépassant l'envergure de l'opération de commandos "coup-de-poing" de Bruneval (en Seine-Maritime).

Il s'agissait pour l'Amirauté britannique, et tout particulièrement pour les commandos de Louis Mountbatten d'interdire au Tirpitz l'accès à la forme de radoub de Saint-Nazaire appelé à se substituer aux raids que le Bismarck, super-cuirassé allemand de la même classe que le Tirpitz, n'avait pu mener à bien à partir de Brest après avoir été coulé ou sabordé le 27 mai 1941 à un millier de kilomètres à l'ouest de Brest.

Pour y parvenir, il s'agira de précipiter précisément contre la porte de la forme Joubert (celle qui a hébergé la construction du "Normandie") un vieux destroyer américain bourré d'explosifs, le destroyer obsolète HMS Campbeltow, commandé par le Captain Stephen Halden Beattie, qui ménera à bien l'opération qui lui était confiée aux environs d'une heure 30 du matin. L'opération comportait un accompagnement par 18 vedettes rapides lance-Torpilles et 611 commandos dont un peu plus de 200 réussirent à accoster dans les docks où ils causèrent de gros dégâts aux formes et abris de sous-marins. Beaucoup de vedettes lance-torpilles ont été coulées, et 27 des commandos ayant accosté ont été tués ou capturés après 36 heures de combat. 22 sont revenus en Angleterre après avoir été récupérés au large et 5 d'entre eux, pris en charge par la Résistance, sont retournés en Angleterre via l'Espagne.

Les Allemands croyaient avoir désarmorcés toutes les charges explosives du "Campbeltow" quand 4 tonnes de TNT allumées par un système de retard (Ndr : cet explosif puissant a déclenché sans nul doute les charges désamorcées) pulvérisèrent la seconde porte de la forme et l'ensemble des officiers et marins allemands qui avaient investi le destroyer désemparé.

Commentant cette opération à la fin du chapitre 6 du tome 2 de ses "Mémoires d'un agent secret de la France Libre" Rémy a notamment écrit : "C'était la première fois, depuis le désastre de juin 1940, que des Français demeurés sur le sol national, avaient pris les armes contre l'Occupant, nous laissant ainsi prévoir quelle serait l'attitude de nos compatriotes à l'heure du débarquement."

Intervenant un mois tout juste après l'opération "coup-de-poing" de Bruneval, l'opération "Chariot" eut le don de mettre Hitler dans une fureur noire...

Les principaux maquis du département

Pour des raisons probablement locales et surtout en raison d'une organisation policière allemande sachant très bien gérer les dénonciations, les groupes de maquisards sont, à quelques exceptions près, d'une taille modeste. Ainsi, les maquisards dûment nantis de faux papiers travaillent chez des fermiers ou des artisans et ne s'exercent aux maniements des armes que la nuit...

Au début de l'année 1944, il existe en plus du réseau Buckmaster-Oscar, également connu sous le nom de groupe Letertre, deux maquis importants : le maquis de Teillay à cheval sur les deux départements de Loire-Atlantique et d'Ille-et-Vilaine et celui de Saffré :

  • Le réseau Buckmaster-Oscar :Si la tête du réseau est à Rennes, il existait des succursales au Nord du département de Loire-Inférieure qui sont dirigées par Bernard DUBOIS, pseudo BONZO, un jeune universitaire d’une vingtaine d’années qui se fait appeler André BERNARD, et loge dans la Maison Cavé à Châteaubriant. Au bilan, trois parachutages d'armes réussis. Mais hélàs une profonde désorganisation à partir du mois de novembre 1943 faisant suite aux dénonciations qui n'étaient pas toujours anonymes mais payées comptant par la Police allemande.
  • Le maquis de Teillay :La création de ce maquis est l'oeuvre de Georges LAURENT, responsable de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) du secteur Segré-Châteaubriant, un chrétien fervent qui travaille aux Mines de fer de la Bruz. Le maquis vivait grâce à l'aide de fermiers tels Emile et Eugène MASSON à la Reboussière, ou M. MAHEUX du Bas Vallon, et d’autres. Ils s’entraînent au tir avec un revolver trouvé sur la route et avec un fusil-mitrailleur récupéré lors de la débâcle de 1940, dans l’étang de Vioreau... Finalement, un premier regroupement de 84 maquisards s'opère dans la forêt de Teillay, à cheval sur les deux départements d'Ille-et-Vilaine et de Loire-Inférieure et d'une superficie de 2.500 ha, dans laquelle les Allemands n'oseront pas s'aventurer. Pourtant, ce maquis ne possède comme armes que deux mitraillettes, un pistolet à barillet, un pistolet espagnol, un pistolet automatique et trois fusils de la guerre 1914-1918 réparés par le forgeron de Teillay, M. MORDRET. Après une première attaque sur la forêt du Teillay, les maquisards rejoignent le maquis de Saffré.
  • Le maquis de Saffré :Au cours de l’année 1943 et début 1944, vingt-trois groupes de maquis se sont constitués en Loire-Inférieure. 18 d'entre eux sont dispersés au Nord de la Loire (La Maison Rouge (a), les Touches, Rougé, Châteaubriant, forêt de Teillay, Nozay, Saffré, Nort-sur-Erdre, Blain, Guéméné-Penfao, Héric, Bouvron, Joué-sur-Erdre, Fay-de-Bretagne, Saint-Emilien-de-Blain, Notre-Dame- des-Landes, La Chevallerais, La Meilleraye-de-Bretagne) dépendent du Maquis de Saffré, les cinq autres, au Sud de la Loire, forment le Maquis Sud-Loire. Huit des groupes de maquisards dépendent de Briac LE DIOURON (plus connu sous le nom Commandant Yacco dans le Maquis) qui est considéré comme un adjoint du général Audibert (le chef de l'Armée secrète de l'Ouest et détient, à ce titre, le double des instructions émanant de Paris en cas de débarquement des alliés. C'est d'ailleurs à ce titre que le commandant Yacco se rendra juste après le débarquement au camp de Saint-Marcel dans le département voisin du Morbihan, en réclamant des parachutages pour le maquis de Saffré. Après le regroupement du maquis du Teillay et le retour, accompagné de deux officiers de la D.M.R. (Délégation militaire régional) , dont le nom de guerre était Hauteur et Fonction et de plusieurs maquisards, (dont le lieutenant Philippe Ragueneau, nommé quelques jours plus tard Délégué militaire départemental (D.M.D.) de la Loire inférieure, qui deviendra Compagnon de la Libération), venant à pied depuis le maquis de Saint-Marcel à la suite de l'ordre de dispersion donné par le Commandant Bourgoin. Le maquis de Saffré comprenait donc à ce moment environ 310 hommes, à savoir : une compagnie de 160 hommes à la ferme des Brées, P.C. du maquis, une compagnie de 110 hommes au Pas du Houx, La Volante (20 hommes), l’état-major, l’intendance, et des aviateurs récupérés, soit encore une vingtaine d'hommes ainsi que cinq officiers parachutistes qui ont rejoint le maquis.

Mais, dans la région, les maquis poussent dans la haine et la vengeance comme champignons sous la rosée du matin. La fin du maquis de Saffré dont les rescapés vont se réfugier à Sion-les-Mines, fait naître au Nord de la Loire un maquis F.T.P. d'un millier d'hommes commandés par Robert Cadiou. Ils formeront le deuxième bataillon de marche de la Loire-Inférieure au moment de la Libération du département. Au Sud de la Loire, le maquis Guénégaud (60 à 80 FFI) va héberger les 3ème et 5ème bataillons F.F.I.

La fin du maquis de Saffré

En fait le maquis de Saffré, installé dans une forêt de moins de 500 ha au Nord de Saffré, se compose de 130 hommes armés et 170 hommes désarmés et attend toujours en vain un parachutage d'armes. Et le 28 juin 1944 au petit matin à 5h45 précisément, 1.500 SS et quelque 600 miliciens Français débarquent des camions avec des canons légers et commencent l'assaut de la ferme des Brées à partir des Gouvaloux. pendant que le commandant Yacco et les officiers présents représentant la D.M.R qui l'accompagnait depuis la chute du maquis de Saint-Marcel, suivent l'ordre, donné par le commandant Willk, dit Olivier, d'évacuation et de dispersion des autres camps du maquis.

La veille, deux miliciens prétendument en panne d'essence, qui s'étaient fait passer pour des maquisards, avaient obtenu la localisation de la ferme des Brées en faisant parler un jeune et naïf ébéniste du village...

Pendant que les maquisards de la ferme des Brées soutenus par leurs camarades résistent pendant plus de deux heures aux assaillants, qui tirent au canon de 37, plusieurs centaines de maquisards passent en silence dans un sentier qui longe la ferme à 400 mètres de là en direction du Nord. Les 13 hommes qui se sont sacrifiés, trouveront tout de même le moyen de tuer 180 Allemands assaillants et d'en blesser environ 200 avant d'avoir épuisé leurs munitions. Quatre des défenseurs sont morts. Les autres plus ou moins blessés sont achevés à coups de gourdins et de bottes.

Le lendemain, des maquisards isolés seront capturés. En général, il s'agissait de réfractaires aux S.T.O. cependant que la milice s'est acharnée à retrouver et tous ceux qui pourraient avoir des liens réels et supposés avec les maquisards :

  • 27 d'entre eux seront fusillés le 29 juin 1944 au château de la Bouvardière à Saint-Herblain, ;
  • 2 fusillés à la prison Lafayette, le 13 juillet 1944
  • 18 personnes arrêtées par la milice et la Gestapo, seront déportées peu après.

La chute du maquis de Saffré coûtera assez cher à la Résistance bretonne : les maquis étaient comme bon nombre de maquis en France, les yeux de Commandement allié par Services de renseignement interposés. Or, du fait de cette disparition, les services de renseignements américains manqueront de renseignements objectifs sur la région de Nantes Saint-Nazaire. Et ils ignoreront que le port breton qu'ils recherchaient désespérément pour accroître leur capacité d'approvisionnement de leur armée pouvait être les 4 et 5 août 1944 celui de Nantes évacué précipitamment par la Wehrmacht, alors qu'il n'existait entre les blindés empruntant la route de RENNES à REDON, aucune force constituée pouvant résister à la 4ème division blindée. C'est du 6 au 11 août 1944 que des forces allemandes venant de la rive Sud de la Loire, vont réoccuper Nantes et saboter le port, miner les routes et ponts y conduisant avant de se retirer dans la poche de SAINT-NAZAIRE.

Les otages de Chateaubriant

Il est impossible d'évoquer la Résistance en Loire-Inférieure sans évoquer les otages de la prison de Chateaubriant, que l'exécution du jeune communiste Guy Moquet a rendu célèbre. Mais ce que l'on sait moins, c'est que les habitants de Chateaubriant en ont été les premières victimes. Le site www.chateaubriant.org a établi qu'outre les sacrifiés du maquis de Saffré, 76 habitants de cette cité ont été déportés pour faits de Résistance ou fusillés, ce qui fait beaucoup, même pour une petite sous-Préfecture rurale de quelque 10.000 habitants.

À l’origine, le camp Choisel de Châteaubriant faisait partie de quatre camps localisés à Bouguenais, Savenay, Châteaubriant et Nantes, où ont été enfermés 35.000 soldats français après la débacle de 1940. C'est autour de l'évasion de ces soldats, puis des aviateurs abattus, que se sont créés les premiers réseaux et les premières arrestations et condamnations à mort.

Après le déclenchement le 22 juin 1941 de l'opération "Barbarossa" de l'envahissement de l'Union soviétique, les choses vont se gâter : les communistes estimaient que les prises d'otages par les Allemands devaient favoriser le recrutement des partisans. Dans le même temps, Pucheu et les collaborateurs ordonnancaient officieusement le rassemblement des communistes au camp Choisel, dans la foulée des ordonnances prises par von Stülpnagel à la suite de l'attentat du métro Barbès (réalisé le 21 août 1941 par Pierre Georges, le futur colonel Fabien) décidant que chaque attentat contre l'armée allemande sera sanctionné par la mort d'ortages choisis parmi les détenus.

Et c'est justement à Nantes que le drame va se nouer et prendre une envergure nationale. Le lundi 21 octobre 1941, à l'heure du laitier, deux officiers allemands sortent au petit matin du "café du Nord" à Nantes pour se rendre à la Kommandantur. Deux coups de feu claquent : l'un des officiers est justement le chef de la Kommandantur, le Feldkommandant Karl Hotz et il meurt. L'opération a été menée par le commando des jeunesses communistes "Spartaco-Brustlein-Bourdarias". Hitler, avisé, exige la mort de 100 otages, pour l'exemple. 48 otages seront fusillés le lendemain 22 octobre : 27 à la Sablière de Châteaubriant, parmi lesquels Guy Môcquet amené au camp Choisel bien qu'il ait été acquitté par la 15e chambre correctionnelle de Paris, et condamné à une mise en liberté surveillée, 16 autres otages sur le terrain de Bêle à Nantes et 5 autres au Mont-Valérien. Et comme cela ne suffisait à apaiser la colère du Fürher, 50 autres otages seront fusillés à Bordeaux le surlendemain.

Un courrier (voir ci-avant) du Commissaire de la République de la région d'Angers daté du 21 septembre 1944 indique que le sous-préfet de Châteaubriant a établi d'une manière certaine :

  • d'une part, que le nom de soixante communistes déclarés dangereux ont été remis par PUCHEU (à l'époque secrétaire d'Etat à l'Intérieur) à STULPNAGEL (il s'agit d'Otto von Stülpnagel, commandant du Militäersfehlshaber in Frankreich - MBH installé à l'Hotel Majestic à Paris, c’est-à-dire du Gouverneur militaire de la France occupée, zone de guerre au Nord de la Somme et de l'Aisne exclue, lequel devait viser toutes les décisions exécutoires de Vichy),
  • et d'autre part, que les 20 otages désignés pour être fusillés à Nantes ont été désignés directement par la Gestapo. (n.d.l.r. : on sait maintenant que depuis le mois d'août 1941, le général SS Oberg était consulté systématiquement quant à la désignation des otages à fusiller).

Après quoi, aura lieu en 1943 le procès de quarante-deux Résistants arrêtés par la SPAC (il s'agit d'une section de police anticommuniste) et la Gestapo, qui, le 15 janvier 1943, sont condamnés "comme bandits" dans une cour d'assise drapée de croix gammées et exécutés dans l'heure suivant ces procés jugés d'avance après une absolution collective délivrée par un prêtre allemand... dans la salle de la cour d'Assise! Comme on peut le constater dans le chapitre ci-après, c'est vrai que, pour le Gouvernement collaborationniste de Pétain, à partir de 1943, être communiste, résistant, franc-maçon, juif ou tzigane, ou plus simplement encore, détenir une arme sans y être autorisé était un crime passible de la peine de mort, comme on peut s'en convaincre en référant aux textes publiés au J.O. de l'Etat français, qui publiaient à pleines pages des listes de franc-maçons répertoriés par la Police des renseignements généraux...

La libération de la Loire-Inférieure

Après le "break out" d'Avranches, s'engage une véritable "Blietz Krieg" comme les Allemands aimaient la pratiquer en 1940 et 1941, excepté que, cette fois, c'est le général Patton qui en est le chef d'orchestre. Car le raisonnement suivi par PATTON qui consiste à utiliser le 8ème Corps d'armée de Middleton comme fer de lance sur les grands axes de circulation de la péninsule bretonne et les maquisards bretons pour "nettoyer" les villes et les campagnes et pour garder les flancs des colonnes US est le bon. Il reste que la Guerre éclaire de Bretagne aurait dû fournir au groupe d'armées US l'occasion de libérer un port de commerce breton de bonne capacité afin de compléter la capacité du port de Cherbourg très endommagé et en réparation. Le complexe portuaire Nantes-Saint-Nazaire, aurait très bien pu remplir cet objectif

Si on date du 3 août 1944 le début de l'offensive PATTON sur la Bretagne, on constate que le lendemain, le huitième Corps d'armée s'était divisé en trois groupes :

  1. Le premier groupe, numériquement le plus important, avait pris la route de Brest par la route Paris-brest suivant le littoral Nord.
  2. Le second groupe, se scindait en deux parties, la première pénétrait le 4 août 1944 à partir de 10 heures dans Rennes, tandis que la seconde partie contournant Rennes par l'Ouest, rejoignait la route de Nantes puis suivait la voie ferrée Rennes-Chateaubriant-Redon en libérant Châteaubriant à 4h45 et Redon le soir même! (trajet marqué en bleu sur la carte).
  3. À propos de Nantes, l'Etat-major de la 3èmeArmée US était pour le moins dans l'expectative le 8 août 1944 : le compte-rendu de l'armée indique : "The situation at NANTES remained obscure, it not being clear whether the enemy intended to use the city as an assembly point for elements of scattered and disorganised divisions in BRITTANY or whether it was being prepared for a siege." [trad : "La situation à NANTES demeurait obscure, il n'était pas clair cependant que l'ennemi ait eu l'intention d'employer la ville comme point de concentration des éléments dispersés de ses divisions désorganisées en Bretagne ou s'il se préparait pour un siège...". C'est ce qui va conduire la 5ème Division blindée US qui entame sa progression vers le Sud et NANTES à changer d'objectif et à effectuer un virage à 90 degrès vers la Mayenne le lendemain.
  4. Quatre jours plus tard, un régiment de la 66ème Division d'Infanterie US fraichement formée empruntera la route de Nantes (trajet marqué en bleu foncé sur la carte).

En réalité le XVème Corps d'armée, constitué au départ de la 5ème Division blindée US (la 90ème DI US tenait la ligne SAINT-HILAIRE-DU HARCOUET-FOUGERES tandis que la 83ème DI US était en cours de formation à l'Ouest de la 90ème U.S. D.I.), a conquis facilement Fougères, puis suivie de la 83ème D.I. a pris la route d'Angers, conformément à sa nouvelle feuille de route modifiée le 2 août 1944, pour pénétrer en Anjou. Au lieu de prendre la route de Nantes comme primitivement prévu, elle a fait sa jonction, à partir du 7 août 1944, avec les résistants conduits par le lieutenant-colonel Eynaud du Faÿ, commandant l'ensemble de la résistance militaire de la région d'Angers, ce qui va permettre aux forces U.S. de tenir en échec les Allemands dans leurs tentatives de contre-attaque et surtout de sauver de la destruction le pont du "petit Anjou" sur le Maine (Angers sera libérée le 10 août, deux jours avant Nantes à partir de 17 heures)(trajet cavalier en jaune sur la carte).

 

Il a paru intéressant de rechercher les raisons de changement de programme à travers les documents que le service historique du Pentagone a bien voulu publier.

  1. La première raison qui apparaît est que les plans primitifs du blietzkrieg breton dataient du mois de mai 1944 et n'avaient pas été révisés après la chute des maquis de SAINT-MARCEL et de SAFFRE. En fait, les Services de renseignements US manquaient d'informations précises sur la région de Nantes- Saint-Nazaire.
  2. La seconde raison est beaucoup plus surprenante : à la date du 25 juillet 1944 de l'opération COBRA, que PATTON avait pour mission d'exploiter, la troisième armée U.S. avait encore près de 150 unités en formation et surtout en attente de matériels au Royaume-Uni. L'impossibilité d'utiliser rapidement le port de Cherbourg faisait bien courir un risque d'étranglement des armées US. Le risque a été pris par Eishenhower après qu'il ait été convaincu que l'aviation américaine pouvait éventuellement assurer l'approvisionnement des troupes de tête de la 3ème Armée et que la première Armée pouvait prêter sans risque à la 3ème Armée les unités qui lui manquaient. Tel sera en particulier le cas des unités d'artillerie antiaérienne (canons de 40 et de 90 avec détection radar par IFF) chargées de défendre le secteur d'Avranches et les ponts sur la Sée et la Sélune contre les attaques aériennes allemandes).
  3. Or la nomination de PATTON à la tête de la 3ème Armée US en Normandie faisait courir le risque d'une arrivée rapide des troupes d'élite de la 15ème Armée allemande et en particulier de celles qui attendaient PATTON et son armée sur le littoral de la Côte d'Opale.
  4. Mais il vient s'ajouter à ces trois raisons une quatrième raison stratégique : le Commandement Américain comptait sur la Loire (dont l'étiage était encore très haut, sur la destruction des ponts enjambant la Loire) et sur les maquis qui occupaient de nombreuses troupes Allmandes pour couvrir le flanc sud de la 3ème Armée de PATTON. Et ce pari sera le bon!

Telles sont les raisons qui paraissent avoir conduit Eisenhower à presser l'exploitation du "break out" et à miser sur la solidité de la résistance française en général et bretonne en particulier. C'est également ce qui explique qu'un rapport daté du 29 août 1944 du Commissaire de la République d’Ille-et-Vilaine indiquait au Commissaire Régional de Bretagne que les troupes américaines étaient entrées dès le 1er août 1944 (NDR : il s'agit vraisemblablement des premières unités de reconnaissance du VIIIème Corps d'Armée de Patton) dans son département totalement libéré dès le 4 août 1944 et nettoyé de ses occupants Allemands de façon concertée par les troupes américaines, les F.F.I. et la gendarmerie, ce qui paraît tout à fait vraisemblable.

La libération de Nantes

Le lieutenant-colonel Kinley a fait partie de l'Etat-major du maquis de Saffré et connaissait particulièrement bien le Commandant Yacco. C'est également un officier de renseignement qui avait l'oreille de l'état-major de plusieurs unités américaines intervenues en Ille-et-Vilaine et surtout c'est un officier référant (en fait conseil) écouté à Londres. Or, le 15 juin 1944, rapporte "Ouest-France" dans son numéro électronique du 12 août 2008, cet officier avait fait désigner Gilbert Grangeat, un jeune homme d'à peine 22 ans, résistant de Libération-Nord, comme commandant du 5ème bataillon de F.F.I. sous le nom de code d'Alain. Il faut dire que ce jeune homme, qui se destinait à la carrière des armes (préparation de Saint-Cyr), travaillait au service des Ponts et Chaussées de Nantes, un poste d'observation très utile pour nourrir les services de renseignement alliés.

 

En fait, les Allemands avaient pensé que les troupes américaines, qui étaient déjà parvenues à Chateaubriant le 4 août, allaient occuper Nantes dans la foulée. Mais comme il n'en fut rien, ils commencèrent à réoccuper Nantes dès le lendemain, 5 août, pour en saboter soigneusement le port et les ponts sur la Loire pendant une toute semaine au terme de laquelle ils se regrouperont sur la poche de Saint-Nazaire.

 

À partir du 7 août 1944,les Forces françaises de l'Intérieur seront appelées par la troisième Armée US à entamer la fermeture et le siège des poches allemandes en Bretagne, en particulier celles de Saint-Nazaire, Lorient, Brest et Saint-Malo. Le 11 août 1944, . Alors que le groupe de Commandement de Combat "B " de la 4ème Division blindée US entame le siège de la poche de LORIENT avec l'aide des maquisards bretons, le groupe de Commandement "A" de cette division blindée est déployé au Nord de NANTES afin de renforcer le seul régiment U.S. de la 66ème Division d'infanterie U.S.présent sur les lieux. Les premières patrouilles américaines reconnaissent les quartiers Nord de Nantes. Le 12 août 1944 au matin, Grangeat a envoyé un émissaire, le capitaine Jaunet, sur la Route de Rennes afin de prévenir le commandement du régiment de la 66ème Division d'Infanterie US (symbolisé par une panthère noire) que les Allemands venaient de quitter Nantes. Le Commandement de ce régiment américains fraichement formé et donc peu expérimenté demande que le bataillon de F.F.I. démine les accès et sécurise la ville. C'est ce qu'exécutera Grangeat avant que les troupes américaines ne pénètrent dans la ville. Il faut toutefois préciser que la zone sud de la ville ne sera vraiment sécurisée qu'à la fin du mois d'Août 1944.

Finalement, si les Américains avaient occupés Nantes dès le 5 août au soir, alors que les ponts sur la Loire et même sur la Vilaine n'étaient pas encore coupés, ils auraient été en bonne position pour contrecarrer la constitution des défenses allemandes de la poche de Saint-Nazaire et pour contrebattre son artillerie lourde depuis la rive sud de la Loire (En effet, toutes les unités d'infanterie US disposaient de canons de 155 longs de campagne, ou autotractés, appelés familièrement "Long Tom"). Et de plus, l'armée américaine aurait bénéficié d'infrastructures portuaires en parfait état qui lui manquaient cruellement, l'armée allemande n'ayant pas eu le temps de les saboter.Encore lui fallait-il le soutien d'au moins deux croiseurs de la Flotte alliée, pour contrer l'artillerie lourde allemande de Saint-Nazaire et de belle-île et Groix

 

Pour protéger le flanc Sud de la progression de la 3ème Armée, le Groupe d'armées (en l'occurrence Omar Bradley) confiera à la 5ème Division d'Infanterie US basée à Angers le soin de sécuriser une ligne NANTES - CHATEAUBRIANT - VITRE et pour surveiller les passages de la Loire, une tâche qui sera spécialement confiée à un bataillon de reconnaissance détaché de la 5ème DI, qui sera la première unité américaine à progresser vers NANTES par le Nord-Est.

 

À partir du 7 août 1944,les Forces françaises de l'Intérieur seront appelées par la troisième Armée à entamer la fermeture et le siège des poches allemandes en Bretagne, en particulier celles de Saint-Nazaire, Lorient, Brest et Saint-Malo. On voit que la chute des maquis de Saint Marcel et de Saffré ont finalement coûté très cher en vies humaines jusqu'à la fin de la guerre en etant la cause indirecte, par défaut d'information du Commandement allié, du renforcement de la poche de SAINT-NAZAIRE. L'absence de contrôle des passages obligés que constituaient les ponts sur la Loire et la Vilaine, cumulé avec le difficile déplacement de la 66ème DI US, a donc favorisé la résistance de la poche allemande de Saint-Nazaire qui a pu tenir tête aux assauts franco-américains, en faisant beaucoup de morts et de gros dégâts jusqu'au 11 mai 1945.

 

Impossible également d'évoquer la libération de Nantes sans relater sa citation comme "compagnon de la Libération" par décret du général de Gaulle daté du 11 novembre 1941, "Ville héroïque qui, depuis le crime de la capitulation, a opposé une résistance acharnée à toute forme de collaboration avec l'ennemi" et qui, bien que "soumise aux plus dures mesures d'oppression, a donné aux Français, par de nombreuses actions individuelles et collectives, un magnifique exemple de courage et de fidélité." On ne saurait non plus oublier que c'est tout près de Nantes, à Chantenay-sur-Loire, qu'Honoré d'Estienne d'Orves, capitaine de frégate rallié au Général de Gaulle et créateur notamment du réseau Nemrod, a été arrêté par les Allemands avec plusieurs membres de son réseau à la suite de la trahison de son radio. Condamné à mort par la Cour martiale de Paris, le 23 mai 1944, il a été exécuté avec deux autres de ses camarades, dont Jean Doornik, autre compagnon de la Libération, le 28 août 1944 au Mont Valérien.

La poche de Saint-Nazaire

En réalité, si les Allemands se sont retirés dès le 12 août 1944 de la Ville de Nantes, après l'avoir déjà quittée une première fois le 4 août, c'était pour y revenir le lendemain soir, faute de voir les blindés américains intervenir. Ainsi, l'armée allemande eut tout le loisir pendant près de six jours de faire passer le maximum de troupes du Sud de la Loire au Nord, de saboter le port de Nantes, de faire sauter les ponts et de miner les accès de la ville avant de se regrouper dans la poche de Saint-Nazaire avec armes et bagages. Auparavant et dans le département voisin du Morbihan, les Allemands avaient utilisé la même technique en évacuant Redon et l'embouchure de la Vilaine, en minant les routes et en faisant sauter les ponts dès le 3 août 1944 avec l'objectif d'isoler Vannes et de renforcer la poche de Lorient.

 

Leur objectif était donc bien d'empêcher le groupe d'Armées U.S. d'utiliser l'ensemble portuaire Nantes-Saint-Nazaire et celui de Lorient. Et ils y parviendront d'autant plus facilement qu'ils utilisaient des canons de gros calibre sur rail à partir du "grand Blockhaus", ou dans la presqu'île Quiberon, canons qui au lieu d'être tournés vers la mer comme prévu initialement devaient être sortis de leurs abris de béton pour battre l'intérieur des terres. Dans ces conditions, pour contrebattre l'artillerie allemande, il aurait fallu que les Américains occupent d'emblée la ville de Nantes, mission initialement confiée à la 5ème division blindée US.

 

Une partie de la ville de St Nazaire sera libérée le 2O août 1944, par des éléments de 4e Division Blindée de Patton. La ville dont les ponts étaient détruits par les Allemands restera toutefois sous la menace de l'artillerie allemande de gros calibre de la poche de Saint-Nazaire.

 

Au départ, la poche était très perméable puisque des F.F.I. passaient de l'Intérieur de la poche vers l'Extérieur : seuls les volontaires des bataillons F.F.I. de Loire-Inférieure montaient la garde autour de la poche dans une guerre de tranchées surréaliste afin de se mettre à l'abris de l'artillerie allemande. Mais les allemands sortaient également de la poche et réalisaient des incursions dans l'embouchure de la Vilaine, jusqu'à Redon.

 

Alors, la 94ème Division d'Infanterie U.S. va prendre place, le 17 septembre 1944, dans le dispositif du siège de la poche de Saint-Nazaire sur près de 35 kilomètres. d'autres unités FFI de Bretagne vont venir, et une mission « Shinoile » venant de Londres va renforcer l'état-major des FFI. Après diverses péripéties détaillées par le site "www.grand-blochaus.com" qui raconte en détail les opérations de la poche de Saint-Nazaire (voir sources ci-après), parmi lesquels l'arrivée du colonel Chomel et de sa brigade "Charles Martel" composée d'éléments de métier issus de l'armée de l'Armistice et le remplacement de la 94ème Division d'infanterie américaine par la 66ème Division d'infanterie US, le siège de la poche de Saint-Nazaire se poursuivra jusqu'au 11 mai 1945, date de la reddition des unités allemande à BOUVRON.


Quelque 25.OOO civils pourront quitter la zone de Saint-Nazaire au mois de novembre 1944. Mais on estimait à l'époque que quelque 175.000 civils ont préféré rester chez eux, qui ont constitué autant d'otages et un important obstacle aux entreprises militaires pour reconquérir la poche.

 

Par Jean-Robert FECAN

Extrait de son site http://www.ww2-derniersecret.com avec son autorisation

 

Sources:

  1. "Ceux des maquis": documents détaillés publiés par le site "Chateaubriant.org"
  2. "Histoire de la Libération de la France" (juin 1944-mai 1945) de Robert Aron, édition librairie Arthème Fayard (chapitre IV-Libération de la Bretagne.
  3. Le Drame du Maquis de Saffré
  4. Soldat de l'ombre, de Briac le Diouron (Commandant Yacco)
  5. L’ENCADREMENT DU MAQUIS DE SAFFRÉ AU 28 JUIN 1944
  6. La libération de la Loire-inférieure
  7. Espace pédagogique de l'Académie de Nantes: lettre de Guy Môquet : les ressources des Archives départementales du Maine-et-Loire
  8. Académie d'Amiens: Commémoration du souvenir de Guy Moquet.
  9. Ministère de la culture.
  10. Le dernier convoi de Rennes dit "train de Langeais" - La progression des Américains.
  11. Ordre de la Libération: Citation de la ville de Nantes.
  12. Nantes, ville compagnon de la Libération.
  13. "World war II : official army history" (archives du service Histoire du Pentagone), "Third Army, after action reports". Voir par exemple le site "www.paperlessarchives.com"
  14. La poche de Saint-Nazaire 1944-1945
  15. Seuls, les F.F.I. font face aux 100.000 Allemands qui se maintiennent sur l'Atlantique.
  16. BREAKOUT AND PURSUIT (chapitre XXI) par Martin Blumenson pour le compte du "CENTER OF MILITARY HISTORY UNITED STATES ARMY WASHINGTON, D. C., 1993


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