Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

La Résistance dans le Vercors par le Lt. Colonel Régis de Miol-Flavard

Résistance dans le Vercors

1943-1944

par le Colonel Régis de Miol-Flavard

Si soixante-six ans après la bataille du Vercors je porte témoignage, c’est tout d’abord pour rendre hommage à mes camarades qui sont morts pour la France et surtout pour un Ami très cher que j’ai assisté dans ces derniers moments.

Témoignage pour mes petits-enfants.

Il s’agit d’un résumé des conférences que j’ai eu l’honneur de donner dans les différents collèges et lycées, et dans les Associations patriotiques à l’aimable invitation de leurs dirigeants.

Impressionné par les nombreuses questions qui me furent posées au cours de mes interventions, je comprends l’intérêt, donc la nécessité, que présente pour les jeunes générations, la relation de certains faits, par les vétérans, les rescapés. Notre mémoire est certes parcellaire. Nous ne détenons pas toute la vérité, mais celle que nous exprimons en est une partie. C’est ce que nous avons vécu, à l’échelon où nous trouvions.

Je ne suis pas historien, ni professeur d’histoire, c’est donc sans aucune prétention, mais avec sincérité que je présente ces quelques souvenirs. Puissent-ils contribuer, si peu soit-il, à la compréhension de cette période. Le Vercors, comme l’ensemble de la Résistance, ne reste-t-il pas un chantier ouvert pour les historiens ?

Alors soixante-six ans après « c’est une cure de jouvence », de rappeler des souvenirs exaltants, souvenirs tragiques, ceux aussi qu’on essaye d’oublier, souvenirs que je vais évoquer, dans les pages qui vont suivre, avec beaucoup d’émotion, en toute simplicité et en toute honnêteté.

Nous habitions Valence avec ma mère et mes deux sœurs.

Mon père, mobilisé comme officier supérieur, est « quelque part en France ».

Le 3 septembre 1939, (je viens d’avoir seize ans) la France déclare la guerre à l’Allemagne. Nous étions fiers de notre Armée, en qui nous avions une confiance absolue. Fiers de la France.

Puis le 10 mai 1940, (je n’ai pas encore 17 ans), c’est comme un coup de tonnerre dans un ciel serein.

Le gouvernement du Maréchal Pétain signe l’armistice le 22 juin 1940. En six semaines l’Armée française est battue. Nous ne voulions pas le croire. Un général nommé de Gaulle, totalement inconnu de nous, appelle à la Résistance. Nous commencions à l’écouter malgré les difficultés que cela représentait. Tout n’était donc pas perdu ? Une lueur d’espoir ?

24 octobre « Entrevue de Montoire ». Poignée de main entre le Maréchal Pétain et Hitler. Le Régime de Vichy entre officiellement dans la collaboration, quatre mois après l’armistice.

Dans la mémoire des Français, la photographie du Général de Gaulle, lisant son appel à poursuivre le combat, appel à la résistance, au micro de la BBC, s’oppose à celle de la poignée de main entre le Maréchal Pétain et Hitler.

Documents symboles : D’un côté la poursuite de la lutte avec l’Angleterre, de l’autre l’organisation de la collaboration avec l’Allemagne, avec nos ennemis.

Nous comprenons ce que signifie l’occupation de notre pays par une armée étrangère, la collaboration de son gouvernement avec l’ennemi. A 17/18 ans nous cherchons le moyen de résister ! Nous voulons, combattre l’occupant, combattre ceux qui occupaient notre Pays. Cette situation était insupportable, nous ne pouvions l’accepter. Il fallait faire quelque chose. Mais quoi et comment ?

Résister c’est une affaire de conscience et de volonté. Je me souviens très bien de ces discussions animées. Il faut se replacer dans cette époque.

L’Armée Secrète, organisme composé d’anciens militaires plus âgés que nous, met en place des structures et des équipes d’encadrement.

Le Commandant Descour, saint-cyrien, cavalier, a participé, parmi les premiers, à la mise sur pied d’une organisation clandestine au sein de l’Armée d’armistice. Ainsi quand les Allemands entrent en zone Sud, Descour opte, tout naturellement et immédiatement, pour la clandestinité. L’objectif était le même qu’avant mais il n’avait plus de couverture officielle.

Celui qui est devenu « Bayard » pour ses camarades de l’ombre reçoit du général Revers, chef de l’ORA (Organisation de la Résistance Armée) le commandement de la région R1. C’est-à-dire une superficie équivalente à l’actuelle région Rhône-Alpes. C’était un chef calme et décidé. Homme très accueillant. Je suis allé quelques fois, de son P.C. du Vercors, à Lyon.

Ainsi se met en place une organisation territoriale pour coordonner les efforts de ceux, civils et militaires, qui veulent résister contre la présence de l’occupant. Il s’agissait pour de nombreux officiers de reconstituer dans la clandestinité leur unité dissoute.

C’est à ce moment que je rencontre un sergent du 6ème bataillon de chasseurs alpins, Jean Etienne Durand. Depuis ce jour-là nous sommes toujours restés amis. Même parcours, le Vercors, la 1ère Armée, la 5ème Division blindée, la « Marche Glorieuse » jusqu’au Rhin et du Rhin jusqu’au Danube. Puis membres, ou Présidents des mêmes Associations patriotiques. Le lt. colonel Durand est décédé l’année dernière le 21 août 2009, dans sa quatre-vingt-neuvième année.

C’est grâce au médecin de famille de mes parents que tout a commencé. Il habitait Chabeuil et faisait parti d’un réseau de l’Armée Secrète. Nous parlions en toute confiance. Il m’explique être, sous les ordres du Commandant Bayard, (commandant, puis colonel Marcel Descour) et être en contact avec Londres.

Mes Parents avaient le colonel Descour dans leurs relations. Son fils Jacques était au Prytanée militaire de La Flèche, école militaire, repliée à Valence, depuis septembre 1940. C’est donc tout naturellement que je devins ami de Jacques qui venait à la maison aussi souvent que ses études le lui permettaient.

C’est ainsi que tout naturellement aussi, j’entrais « en résistance », dans l’Armée Secrète (AS) comme agent de liaison et de renseignements.

Je fus d’abord chargé de recueillir toutes sortes de renseignements sur les troupes d’occupation, leurs mouvements, la localisation des dépôts de munitions, horaires des trains de marchandises en direction de l’Allemagne, IL s’agit bien sûr de collecter des renseignements de valeur militaire : effectif des unités de l’armée allemande dans un secteur déterminé, etc.

De jour comme de nuit je circulais à bicyclette, c’était le véritable moyen de transport. Le plus discret aussi.

Une fois à la maison je cachais ces documents dans les dictionnaires Larousse en six volumes du Bureau de mon père et le Docteur G., sous prétexte de visite médicale, venait les récupérer

La plupart du temps, je n’étais pas très rassuré, j’ai même souvent eu peur. Peur de mettre ma famille en danger. Mais quand on avait décidé de devenir « résistant » ce n’était pas pour cesser de l’être à la première difficulté ?

Aucun doute n’a jamais assailli notre esprit, aucun doute n’y entrera jamais au cours des années suivantes.

Nous devions nous battre sur deux fronts : les Allemands, bien sûr, et la milice : des Français qui dénonçaient leurs compatriotes aux Allemands. La Milice, police politique et militaire du gouvernement de Vichy, créée pour combattre ce qu’on appelait les « terroristes ». On apprenait ainsi à se méfier de tout le monde. Même dans les familles il y avait des différences de choix.

On avait plus peur des collaborateurs français, disons des miliciens qui pourchassaient les résistants, les « terroristes », que des soldats allemands. Naturellement on avait peur de la police allemande, des SS plus que tout. Et surtout de la Gestapo. Puisque c’était la Gestapo qui incarnait, en quelque sorte, le terrorisme nazi.

Par contre je savais que deux de mes camarades de lycée étaient dans la milice. M’auraient-ils dénoncé, s’ils avaient connu mes activités ?

Personne ne peut ignorer la peur. En ce qui me concerne et en ce qui concerne les camarades qui étaient avec moi, je peux vous dire que nous avons connue la peur. Mais nous avons toujours trouvé le courage de la surmonter.

Puis de Valence où habitaient mes parents, de Chabeuil où exerçait ce médecin, me voilà parti dans le massif du Vercors avec mon ami Jacques Descour rejoindre son père, le colonel Descour.

Quitter sa famille c’est aussi parfois la mettre en danger. Lorsqu’on demandait où est votre fils ? Où est votre frère ? Que pouvait répondre la famille ? Nous étions tous, toujours sur le qui-vive ! Je mesure avec l’âge ce que mon engagement dans la résistance a du coûter à mes parents. Mais c’était pour la France.

Alors le Vercors :

Comme on l’a écrit il est comme « une sorte d’île en terre ferme ». Les entrées sont peu nombreuses, toutes taillées dans le rocher. C’est en effet un bastion naturel qui se dresse à mille mètres d’altitude dominant, tout à la fois les vallées du Rhône, de l’Isère et du Drac Les routes carrossables, sont peu nombreuses en 1944. Elles peuvent être facilement coupées ? Elles sont d’ailleurs menacées par de fréquentes chutes de pierres. Au sommet le plateau est accessible par des sentiers de chèvres jusqu’à des « Pas » (non local des cols). Et en hiver tout est bloqué par la neige. Pour y accéder par les routes on passe par des gorges. Sur le plateau, des forêts, des bois touffus où l’on peut très facilement se perdre, surtout par temps de brouillard, ce qui nous est arrivé !

C’est un pays né pour abriter des résistants, pour être selon l’expression consacré « une plate forme d’invasion sur les arrières de l’ennemi ».

D’où ce surnom de Forteresse naturelle qui témoigne bien de l’accès difficile de la plaine, au Massif du Vercors et, encore seulement, aux randonneurs pédestres. En effet le Vercors semble édifié, par la nature, pour constituer une citadelle complète, presque aussi parfaite qu’un ouvrage de Vauban. C’est un quadrilatère de 50 kilomètres, environ, du nord au sud et sur 25 kilomètres, environ, de l’est à l’ouest. C’est 140 Km de pourtour. Pour connaître le Vercors il faut y monter à pied ou à bicyclette. « Les montagnards doivent continuer à gravir les cimes » Ce message diffusé par la radio d’Alger était bien trouvé.

Ce relief est la source d’un rêve militaire. Il consiste à profiter de la topographie du Vercors « une île en pleine terre » pour en faire une tête de pont, un « cheval de Troie » sur l’arrière des Allemands.

Il s’agit bien d’un projet offensif, et non de faire du Vercors un réduit défensif. Enfin c’est ce que j’ai toujours entendu, et compris, étant assez proche du Colonel Descour.

Ce plan cohérent et audacieux était conçu et accepté sous l’appellation de « Plan Montagnards ». D’ailleurs toutes les missions qui me furent confiées allaient dans ce sens.

Cependant chacun en avait bien conscience, et surtout nous, au modeste échelon où nous trouvions, que les maquis, pas plus au Vercors qu’ailleurs, (je pense au plateau des Glières qui dépendaient aussi du Cdt. Bayard), que ces maquis soient encadrés, ou non par des militaires de carrière, comme c’était le cas ici, ne seront jamais en mesure d’affronter, en combat ouvert, l’armée allemande. Seuls ceux qui mèneront une véritable guérilla pourront porter plus de coups qu’ils n’en recevront. Mais nous n’en étions pas là.

Nous assistons au premier parachutage en novembre 1943.

Il est facile aujourd’hui de refaire la guerre sur des cartes. Il est plus difficile d’approcher la réalité du temps, même avec des témoignages forcément parcellaires. Nous ne nous connaissions pas les uns les autres, ou presque pas. Nous l’avons vu le Vercors c’est I35 000 ha.

Nous devions « nomadiser ». Changer souvent d’endroit. Rien n’était sûr. C’est-à-dire « maquiser dans le maquis ». Nous méfier de tous et, aussi nous faire accepter par la population qui, surtout au début, n’était pas spontanément acquise à la Résistance, loin de là ! Mais cette population a été par la suite formidable. On ne lui rendra jamais assez hommage, elle qui a été martyrisée de la plus horrible façon, comme nombreux d’entre nous.

Il faut se souvenir que dans ce climat de délation permanent, ravitailler les camps, les renseigner, héberger des évadés, des isolés menacés, des radios avec leurs appareils dans une valise, des aviateurs alliés abattus, servir de boites aux lettres, constituait, aux yeux de l’ennemi, un acte de complicité passible de la destruction de la maison, de la confiscation des biens et de la sanction capitale ou de la déportation.

Or ceux qui nous aidaient, à la différence de nous, les clandestins, avaient, comme on dit, pignon sur rue, ils étaient chaque jour un peu plus, repérables et exposés à la délation. Leurs mérites est immense et a été le plus souvent méconnu.

A mon avis l’Histoire ne semble pas encore s’être intéressée aux rapports entre population et maquis. Populations à la fois « volontaires et contraintes ». (A l’exception d’une enquêteen1982du « Club d’histoire » d’un Lycée de Villars de Lans). De même qu’à « l’Administration de la brève République du Vercors ».

Quel spectacle attend le garçon qui rallie le maquis ?

A son arrivé venant de Valence ou de Chabeuil, par exemple, il est intercepté par un premier guetteur, généralement sans arme, puis par un second guetteur casqué, armé et muni d’un brassard tricolore à large croix de Lorraine noire. Devant lui le camp, difficile à deviner. Il s’agit le plus souvent de granges ou de huttes semblables aux huttes de bûcherons et qui servent de dortoir, de cuisine et parfois de prison. Le P.C. du chef, en général un sous-officier, est aussi dans une grange, une chambre à coucher qui se transforme en salle à manger et un « bureau » où un secrétaire règne sur les « papiers » du maquis. Quelquefois on a pu aménager des chalets destinés à abriter les troupeaux pendant l’été. Ailleurs les parachutes servent de toiles de tentes, des grottes et des rochers, d’abris. Il faut préciser tout de même qu’à partir du début de l’année 1943 jusqu’au 21 juillet 1944 le Vercors fut un territoire libre. Les maquisards étant soutenus par la population.

Mais avant de parler des évènements de l’été 1944 dans le Vercors passons une journée dans le maquis. Maquis militaires.

Dans les jours calmes la vie quotidienne se développe suivant le même rythme.

Réveil à 6 h 30, toilette, couleurs, (c’est-à-dire honneur au drapeau), saluées au son d’un clairon, mais toujours prétexte à cérémonies émouvantes. Puis corvées générales et nettoyage. Déjà les cuisiniers s’affairent depuis l’aube. Comment nourrir tous ces hommes qui ont rompu avec le monde des carte de pain, de viande, de sucre, avec le monde du travail régulier et du gagne pain quotidien ? Les maquisards vont vivre sur le pays. Les fermes des environs et les épiceries de village constituent les premiers objectifs. Au début nous devons bien entendu nous contenter de ce que les fermiers nous donnent, le plus souvent de bonne grâce. Et la grande préoccupation était de savoir ce qu’on allait manger. Nous avions faim. Avec quelques camarades il nous est arrivé de manger des trognons de choux ! Surtout dans les débuts.

La vie entre 900 et I200m d’altitude est très rude. Les nuits sont froides. Il pleut et il vente.

Maintenant les armes : Ces armes si difficiles à se procurer, les chefs de groupe nous en expliquent longuement le mécanisme. Mais auparavant il fallait déchiffrer le mode d’emploi rédigé en anglais. Nous étions quelques uns à avoir appris l’anglais, mais un anglais plus littéraire que technique !

L’entraînement se fait dans les clairières. On apprend à utiliser au maximum le terrain qui est l’allié naturel du maquisard. Bondir, monter à l’assaut, se camoufler. Absolue nécessité du camouflage, de la discrétion.

Le soir vient. Les hommes se regroupent pour la soupe, mangée avant la nuit, car aucune lumière ne doit paraître. Ceci jusqu’à fin 1943. A cette époque nous étions déjà, au moins 500 maquisards bien encadrés par une organisation militaire. Alors surtout lorsque la nuit est tombée des patrouilles s’éloignent, pour tendre des embuscades, pour inquiéter l’ennemi allemand et ses collaborateurs français.

Le P.C. du colonel Bayard est à la maison forestière du Rang- des- Pourrets. C’est à peu près le centre des dix départements qu’il commande. Une sorte de nid d’aigle au flanc de la montagne, au dessus du hameau des Brunets. On y accède par une route forestière assez étroite.

Il faut souligner que dans la Résistance, cette armée de guérilla avait sa discipline, aussi et surtout, une très forte fraternité d’armes, et son honneur, nous étions donc trois amis : Jacques Descour, Jean Etienne Durand, et moi.

Quels souvenirs me restent-ils de cet été 1944 ?

Nous étions heureux, le débarquement en Normandie avait bien réussi. Nous étions insouciants. Nous étions à Vassieux le 14 juillet. Un beau soleil et dans le ciel bleu, des centaines et des centaines de parachutes. Des containers. Il y en a des bleus, des blancs, des rouges. Quelle émotion c’était merveilleux. Hélas ! Notre joie sera de courte durée.

Une vague d’avions allemands bombarde et mitraille la zone de parachutage. Nous sommes très éprouvés. Tout va très vite. Huit jours après nous sommes encerclés.

Nous attendions des renforts, nous attendions des armes, nous ne demandions qu’à nous battre, ce sont les allemands qui surgissent dans ces planeurs…

L’attaque a été si brutale que nous n’avons pas eu le temps de réagir. Nombreux camarades sont massacrés avant même d’avoir pu essayer de se défendre. C’est ainsi que nous courrons à notre poste de mitrailleuse, Jacques, y est mortellement blessé. Je suis auprès de lui. Je l’ai assisté dans ses derniers moments. Souvenir tragique. Il repose à la nécropole de Vassieux. (Nous montions presque chaque année, avec Jean Etienne, nous recueillir sur sa tombe).

Entre le 21 juillet et le 15 août, débarquement en Provence, ce fut une période très difficile. La situation est confuse. C’est autour du 23 juillet, je crois, que nous recevons l’ordre de dispersion. Ce plan extrême avait été préparé, pour sauver le Vercors d’une destruction totale. A partir de cette date le Vercors est totalement encerclé et l’ennemi poursuit méthodiquement son infiltration. Nous devons nous rassembler dans la forêt de Lente. (Je parle pour le camp où nous étions). C’est une immense forêt, très dense, difficile d’accès, quelques prairies, quelques fermes pour assurer notre ravitaillement et surtout de l’eau. En effet l’eau est rare dans le Vercors. Nous allons y rester quelque temps. Méthodiquement, les Allemands ratissent le plateau. La Résistance agonise. Nous avons toujours gardé espoir et nous avions des chefs qui savaient nous montrer l’exemple. Nous allons demeurer ainsi « nomades » pendants au moins trois semaines. Nous changeons très souvent d’endroit.

De nombreux livres ont donné le récit de ces jours effroyables, d’angoisse et d’extrême fatigue. L’armée allemande est d’une cruauté inimaginable. Nous avons été témoins d’atrocités, d’horribles massacres qui, rien que de les rappeler ici soixante-six ans après me ronge encore d’effroi. Nous ne pouvons oublier. Nous avons eu personnellement beaucoup de chance.

La consigne était de sortir du Vercors (manœuvre très difficile) et de débouler sur les Allemands en retraite. De nombreux accrochages et, après quelques missions compliquées notre groupe, sous les ordres d’un sous-officier, sort du Vercors au nord de Romans. Cette ville est libérée. Les Allemands battent en retraite dans la vallée du Rhône. La route est continuellement bombardée par l’aviation américaine. Ils reprennent Romans, pour se dégager de la route nationale qui relie Valence à Lyon. La Résistance a de grandes pertes.Valence et Vienne sont libérées.

Puis, après Romans et Bourg de Péage, définitivement libérées, nous sommes arrivés, je crois, la nuit précédant la Libération de Lyon. Des accrochages jusqu’au matin. Jonction avec les FFI lyonnais.

Je me souviens de cet enthousiasme des Lyonnais, des habitants qui ont vu entrer dans Lyon des FFI., à la tête desquels le colonel Descour. Il réalisait ainsi son vœu le plus cher : libérer Lyon avec, aussi, ses « Maquisards du Vercors ». L’entrée dans Lyon de l’armée de Lattre, qui arrivait du sud, provoqua un tel enthousiasme que ce fut un spectacle inoubliable.

Il faut citer quelques lignes écrites par le Général de Lattre de Tassigny « Histoire la 1ère Armée française) : C’est par l’itinéraire prévu, que la 1ère DFL pénétra dans Lyon, le 3 septembre, à 8 h du matin, le commandement allemand aura réussi à en retirer ses dernières troupes. Depuis la veille au soir, les F.F.I. de Bayard y bordaient la rive gauche, dont tous les ponts sont détruits.

Les combattants sans uniforme ont ainsi la fierté légitime d’entrer en tête dans la grande cité qui avait mérité d’être appelée la capitale de la Résistance. Avec délicatesse la 36ème D.I.U.S., qui en a atteint les portes à l’est et au sud, arrête son mouvement pour laisser à la D.F.L., l’étrenne d’un enthousiasme indescriptible

Je me souviens que, place Bellecour, le lendemain, le Général de Lattre et le colonel Descour passent en revue les troupes. Il y a là, coude à coude, les soldats de l’armée d’Afrique, des Maquisards (sans uniforme) au premier rang desquels, ceux du Vercors et ceux de la région lyonnaise. Le colonel Descour nous remet une médaille. Lorsqu’il me remet la mienne je lisais dans ses yeux que c’était aussi celle de son fils Jacques qu’il me remettait. Je n’oublierai jamais son regard.

Puis quelques jours après le général de Gaulle est à Lyon. On nous donné des effets militaires pour défiler, avec ceux de l’Armée de Lattre.

Quand on retourne dans le Vercors, ou quand on y va pour la première fois, on est ému par la beauté des lieux.

Dans le silence qui favorise la méditation, on songe, nécessairement, en contemplant ce massif du Vercors que nous avons devant nous, « qu’il n’était pas une commune, pas une forêt, pas une clairière, pas une montagne de ce Vercors qui n’ait été le théâtre de combats ou d’actes de Résistance ».

Dernièrement à La Chapelle en Vercors, le Président de la République s’exprimait ainsi : « Retranchés dans leur montagne ils défièrent pendant des mois une des plus puissantes armées du monde. Le Vercors devint le point de ralliement de ceux qui ne voulait pas subir. Et il ajoutait : « Un instant le cœur de laFrance se mit à battre ici ». Ils se battaient disait André Malraux, à propos des Résistants « pour cette fierté mystérieuse, dont ils ne savaient au fond qu’une chose, c’est qu’à leurs yeux la France l’avait perdu ».

Je suis resté en relation avec le Général Descour.

Souvenir personnel entre autres : A la fin des années I950 je présidais l’association des Officiers de réserve de l’Ardèche, département dépendant de la VIII ème Région militaire, commandée par le Général Descour, Gouverneur militaire de Lyon. Il venait présider la réunion annuelle de notre petit groupe d’officiers. Nous savions que 15 ans avant, le 21 juillet 1944, j’avais assisté son fils Jacques dans ses derniers moments.

En I961, il venait d’avoir sa cinquième étoile, il nous a fait l’honneur « de terminer, avec nous », ses « dernièresheures de vie militaire ». Dans trois heures, nous avait il dit, je serai rendu à la vie civile ». Pourquoi à Privas, en Ardèche ? Pourquoi pas à Lyon ? Pourquoi pas à Grenoble ? Ou dans une grande ville de la VIII Région militaire ? La réponse était d’un autre ordre, que j’ai interprété ainsi : Témoignage affectueux à l’ami de son fils Jacques.

Des historiens, nés bien près la seconde guerre mondiale, ont écrit que le Vercors a été trahi.

Dans la « Revue d’histoire » de 1996 M. Gilles Vergnon, agrégé d’histoire, professeur à l’Institut politique de Lyon a réfuté cette thèse de la trahison.

« Cela relève pour moi, de la mythologie. Elle a été relayée par le Parti communiste pendant la guerre froide. On avait propagé l’idée d’une forteresse inexpugnable ; dans une certaine dialectique, la seule manière de faire tomber un bastion de ce genre, c’est la trahison. En fait la réalité est bien plus triviale, faite de circonstances, de malentendus, de rivalités, à laquelle s’ajoute la lourde responsabilité de ceux qui se sont engagés sur des promesses qu’ils ne pouvaient tenir. La réalité c’est qu’il y avait 4000 résistants, que les lieux permettaient aux Allemands de rassembler 15 000 hommes et que la défaite était inexorable."

On explique qu’il y a « une lecture gaulliste et une lecture communiste de ces événements ». Que ce soit dans la 1èrè Armée ou dans le Vercors, je n’ai jamais entendu un camarade parler d’une appartenance à un parti politique

Dans les camps où je me suis trouvé on ne parlait jamais de politique. Savions-nous ce que c’était que la politique ? Et puis, nous avions bien d’autres préoccupations. Notre état d’esprit était un profond patriotisme sans connotation politique partisane. C’est la raison pour laquelle, plus de soixante ans après, les quelques rescapés que nous sommes nous ne nous reconnaissons pas dans certains livres.

Beaucoup d’historiens sont de mes amis. Ils font un travail indispensable et passionnant. Mais dans certains récits historiques nous ne nous retrouvons pas, comme si nos traces s’étaient déjà effacées.

On a écrit et on répète, par exemple, que le Vercors a été abandonné. Mais non, d’après ce que j’ai vécu, avec le commandant Bayard, mon souvenir est tout autre.

C’est le chef d’État-major du Vercors qui a écrit :

Si au dernier moment nous avons eu, peut-être, la pénible impression d’être abandonnés, c’est qu’à cette époque tous les efforts des armées interalliées étaient concentrés ailleurs et que notre rôle s’est mué en mission de sacrifice. Ceux qui étaient venus dans le Vercors n’ignoraient pas le renoncement, le courage que leur geste comportait. Personne ne les y avait obligés. De telles missions ont toujours été nécessaires et le seront toujours.

Cette mission de sacrifice n’a pas été vaine. Lorsque le 21 juillet 1944 le commandement allemand a engagé dans le Vercors, pour une action de grande envergure, qui devait durer trois semaines, l’effectif de deux divisions, c’était deux divisions de moins, alors que la bataille de Normandie battait son plein.

En même temps un second débarquement allié se préparait en Provence. Les deux divisions allemandes engagées dans le Vercors n’étaient pas disponibles et l’on sait que dans le midi deux divisions de plus auraient été pour l’ennemi un accroissement appréciable de ses forces. On se plaît à répéter la phrase du général de Lattre : « A ceux qui ont voulu minimiser lemérite de nos maquis, le Vercors apporte son démenti. Ici on n’apas fait la petite guerre, on a fait la guerre ».

Le Vercors a donc incontestablement constitué une espèce d’abcès de fixation qui, attirant à lui une partie des forces vives de l’adversaire, dans les jours qui ont précédé le débarquement du 15 août 1944, a évité à certaines régions importantes du Sud-est de violents combats qui auraient provoqué des ruines plus grandes encore que celles que nos populations montagnardes ont subies.

Il est en effet extraordinaire que de petits groupes d’hommes, très mal préparés pour un combat difficile, armés sommairement, sur un terrain montagneux et de vallées encaissées, aient pu maintenir loin des plages de débarquement au moins deux des meilleures divisions allemandes.

Que disait le Général Descour : Nous fûmes au Vercors prisonnier de la mission reçue_ mission parfaitement valable si nous avions reçu l’ordre d’exécution, peu de jours avant le débarquement Sud. Le « Plan Montagnards » n’impliquait aucun recours à la guerre classique. Il devenait funeste à partir du moment où nous étions maintenus enfermés dans notre « forteresse ». Jamais il n’a été question d’enfermer les maquisards dans une forteresse et soutenir un siège. Il s’agissait, au contraire, après une rapide mise en condition, de jeter le trouble sur les arrières de l’ennemi « en concordance avec un débarquement allié dans le Midi ».

Le général Descour explique : En concordance, ce point capital avait été bien précisé : « un message personnel » devait, au moment opportun, déclencher l’exécution _ exécution en concordance...

La phrase convenue est diffusée dans la nuit du 5 au 6juin. Le général de Gaulle parle à la radio le 6 juin : « Pour les fils de France où qu’ils soient, quels qu’ils soient, le devoir simple etsacré est de combattre par tous les moyens, etc. » Ici le témoignage du général Koenig est capital : « Personne en R1 et R2 n’imaginait que le débarquement Sud n’interviendrait que le 15 août. La conviction des gars du Vercors était donc qu’on devait y aller, non seulement tout de suite, mais à fond.

Le général Descour poursuit : « Naturellement, nous ne pouvions imaginer que le général de Gaulle était laissé dans l’ignorance de la date du débarquement.

Là-dessus, le 10 juin, le général Koenig adresse à toutes les organisations de Résistance l’ordre de « freiner au maximum ». Si son ordre était parvenu le 6 ou le 7, ou même le 8, notre comportement eût été autre. En fait Koenig ignore le « plan Montagnards ».

En rédigeant ces quelques lignes j’ai surtout songé à mes camarades morts pour la France, à mon Ami Jacques.

Il est vrai que nous entretenons tous dans notre cœur le culte d’un compagnon disparu. Un lien secret semble continuer à unir les morts et nous, les vivants. Bientôt à notre tour nous nous en irons et l’Histoire s’installera.

En conclusion des conférences que j’ai eu l’honneur et le grand plaisir de donner devant les élèves, je leur dis ceci :

Lorsqu’à la fin de votre visite du Mémorial vous arriverez au Belvédère qui domine la plaine de Vassieux, vous serez ému par la beauté des lieux. Dans ce silence propre à la méditation, dans cette ambiance pesante, en filigrane une question se posera à chacun d’entre vous, qu’on peut formuler ainsi : « Qu’aurais-je fait confronté à la mêmesituation ? »

Je vous donne la réponse : vous auriez fait ce que nous avons fait c’est-à-dire votre devoir car, tout naturellement et tout simplement, nous n’avons fait que notre devoir.

 

Lt. Colonel Régis de Miol-Flavard

Chevalier de la Légion d’honneur

Chevalier de l’Ordre National du Mérite

Médaille de la Résistance

Lt Colonel de Miol-Flavard

Dans les Vosges 2 oct 1944

Mai 1945

Tettenang Juin 1945

Le Rhin 1er avril 1945

Septembre 1944



Accéder aux archives