Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

L'occupation à Marseille par le Professeur Ivan BELTRAMI
Année 1943

© Ivan BELTRAMI, Juste des Nations

Extrait de l'ouvrage "Mémoire d'un Juste"

Avec son aimable autorisation

Dès ma libération des Chantiers de Jeunesse, en juin 1942, bien que ce fussent les congés universitaires, le Professeur Moiroud m’admit dans son service de l’Hôtel-Dieu. Je pouvais ainsi partager mon temps entre le Service de Chirurgie et l’École Dentaire, qui était située à 50 mètres en passant par la montée des Accoules.

Dès que le Patron avait fini sa visite, si je n’étais pas occupé à donner une anesthésie (les médecins anesthésistes n’existaient pas) ou une aide opératoire pour une intervention, je courais travailler à l’École Dentaire.

À cette époque, malgré les restrictions qui commençaient à se faire sentir, la vie à Marseille était très active. Nous étions en zone libre et beaucoup de gens avaient fui la zone occupée, principalement des Parisiens. Les bars à la mode ne désemplissaient pas, le Cintra, sur le Vieux Port, le bar du Grand Hôtel, Linder, rue Grignan, le Fouquet’s rue Beauvau.

Le marché noir sévissait et, pour celui qui pouvait y mettre le : prix, on trouvait des restaurants où sous un plat de pâtes on vous servait une belle tranche de viande. Inutile de chercher où vous procurer 200 tubes de rouges à lèvres ou 100 kilos de sucre, si ce n’est dans ces endroits selects !

Je revis Jean Bernard qui habitait avec son père et ses sœurs, Boulevard de la Corderie.

Un jour, mes parents reçurent la visite d’un garçon que nous avions connu avant la guerre qui était médecin oto-rhino, juif d’origine roumaine qui était réfugié à Marseille : René David.

Il vint déjeuner chez mes parents et, apprenant ma situation, m’offrit de me préparer au concours d’externat des Hôpitaux.

Ce n’était pas ce que l’on appelait « un galop d’essai », car n’ayant pas travaillé pendant tout mon séjour aux Chantier, je n’avais aucune chance. Je suivais en même temps ce que l’on appelait « les écuries d’externat » avec un interne, Michel, mais je me rendais compte que mes chances étaient minimes.

Nous nous réunissions donc toutes les semaines, pour des séances de travail. C’est à cette époque que je fus contacté par la Résistance mais, quitte à ce que l’ordre chronologique en souffre, vu l’importance et la personnalité des participants, il est préférable que ce sujet soit abordé à part.

En octobre les cours reprirent et, avec eux, les séances de dissections au Pavillon d’anatomie ; la salle de dissections était immense, avec une quarantaine de tables en pierre sur lesquelles étaient allongés des cadavres. Quatre étudiants étaient affectés à chaque table.

J’avais en face de moi un garçon blond, type anglais et lors d’une conversation, dans laquelle je me plaignais d’avoir perdu huit mois aux Chantiers de Jeunesse, il me dit :

  • « Ne te plains pas, je viens de perdre trois ans dans l’Armée d’Armistice ».

Le courant de sympathie ne passait pas vraiment, mais au fil des séances, nous nous aperçûmes que nous partagions les mêmes idées, que nous réagissions de la même façon en face de nos camarades collaborateurs et une amitié sincère naquit.

À cette époque, ma grand-mère maternelle occupait un appartement au 2 boulevard Michelet ; malade, ma mère décida de la prendre chez elle. L’appartement étant libre, je demandais à mes parents de l’occuper et comme Michel Meyer qui habitait Cannes était très mal logé sur Marseille, c’est tout naturellement que je lui proposais de venir partager l’appartement. Un autre étudiant, Jean-Pascal Guérin se joignit à nous et nous formâmes une équipe studieuse.

Cette situation allait durer jusqu’au 7 novembre 1942 où l’on apprit que les troupes américaines avaient débarqué en Afrique du Nord. La réaction des Allemands ne se fit pas attendre et le 11 novembre 1942, ils pénétraient en zone libre. Le 12, les tanks allemands défilaient sur la Canebière.

À Marseille, ce fut la panique. Le Grand Hôtel vidé, le Cintra était désert. Fin novembre, en sortant du Pharo, je rencontrais Jean Bernard. Son père qui était, comme je l’ai expliqué, particulièrement repéré par les Allemands, avait quitté précipitamment Marseille ; il n’avait aucune nouvelle, il n’osait pas retourner dans l’appartement du Boulevard de la Corderie, qui avait déjà reçu la visite de la police allemande ; il était sans argent, et c’est donc spontanément que je lui proposai de venir habiter avec nous, l’appartement étant assez spacieux.

Notre revenu étudiant étant assez limité, mes parents augmentèrent notre budget pour subvenir aux besoins de tous. Cela nous permettait, entre autre, d’améliorer notre ordinaire dans un petit restaurant situé dans notre immeuble.

Quelques jours après notre installation, appel téléphonique de René David : Les Allemands étaient venus perquisitionner dans l’hôtel où il se trouvait, fort heureusement il n’était pas présent. il ne savait pas où aller, qu’à cela ne tienne, il y aura encore une place pour lui. ils sont restés plus d’un mois dans l’appartement qui continuait à être, pour nous, un lieu de travail.

Si Jean ne me donnait aucune inquiétude quand il sortait (son nom, son aspect physique et le fait qu’il ne portait pas l’étoile jaune, ni le tampon Juif sur sa carte d’identité), le mettant à l’abri de tout soupçon. En revanche, René David, bien que de nationalité Française, avait un type sémite très prononcé et un horrible accent Roumain et, malgré ce, il s’absentait souvent, faisant preuve d’une totale inconscience.

Un matin, vers la fin janvier, Michel et Jean-Pascal étaient déjà partis à l’hôpital. Il était environ 8.30 heures ; j’allais partir à mon tour, René David venait de sortir et soudain, je le vis remonter le visage livide :

  • « Les Allemands ont cerné le quartier ; ils perquisitionnent dans les maisons... Que faire ?

Une partie de l’appartement donnait sur une terrasse, mais il y avait ceci de particulier, c’est que la salle de séjour faisait une légère avancée sur cette terrasse. Je leur conseillais alors de se cacher sous l’avancée... Quelques instants plus tard, on sonne à la porte, j’ouvre et me trouve en présence de deux Feldgendarmes et d’un civil :

- " Police allemande. Il y a des Juifs qui habitent ici "

- « Pas le moins du monde ! Nous sommes trois étudiants en Médecine et mes camarades sont déjà partis à l’hôpital »

Ils inspectent la pièce où nous travaillons, voient le tableau noir avec des dessins anatomiques, des livres de médecine, puis visitent toutes les pièces :

-" Et là, qu’est-ce qu’il y a ?

-" C’est une terrasse » dis-je sur un ton anodin..

L’un d’eux se dirige vers la fenêtre qui surplombe l’avancée, l’ouvre juste au-dessus de mes deux amis cachés et ils ne voient rien ! Ils referment la fenêtre, me demandent mes papiers d’identité et surtout, ma carte d’étudiant en médecine, les noms de Michel et de Jean-Pascal.

- « C’est bon » disent-ils et ils se retirent.

J’ai laissé mes amis sous l’avancée et au bout d’un certain temps, je descendis pour vérifier que les Allemands étaient partis. Je les délivrais alors de leur cachette... Je me rendis compte aussi, avec effroi, que si le policier allemand, au lieu d’ouvrir la fenêtre qui surplombait l’avancée avait ouvert celle de la cuisine qui était à côté, il les aurait certainement aperçus.

J’avais les jambes qui flageolaient et je fus obligé de m’asseoir car, si nous avions été pris, c’était ou la déportation, ou le peloton d’exécution !

Mais il fallait prendre des décisions : Jean Bemard venait d’avoir des nouvelles de son père et de ses sœurs qui étaient réfugiés dans la Drôme et il décida de les y rejoindre. Mais que faire de René David ?

Je téléphonais à ma mère qui était au courant de l’hébergement de mes deux pensionnaires :

- "Amène-le immédiatement » me répondit-elle.

Mes parents occupaient une villa, sise 30 Promenade de la Plage (détruite depuis l’aménagement du 3ème Prado). Cette villa présentait, sur le devant, une grande terrasse qui surplombait un garage et celui-ci était occupé par les troupes allemandes.

Nous arrivâmes et nous nous installâmes : René dans une chambre du second étage, avec interdiction d’en sortir ; ma mère ne voulait pas qu’il se fasse repérer et dénoncer, d’autant plus qu’avec son physique et son horrible accent roumain, il était particulièrement repérable !

Jean-Pascal partit chez lui à Aix-en-Provence et Michel m’invita à venir passer quelques jours au Cannet de Cannes où il me présenta à ses parents et à sa sœur (qui allait devenir mon épouse). Nous pouvions manquer quelques cours, car notre sécurité était en jeu.

De retour chez moi au bout de 4 ou 5 jours, je rendis visite à ma mère. Les nouvelles n’étaient pas bonnes.

René souffrait énormément. Le Docteur Aubert, qui était un ami de mon père, s’était exceptionnellement déplacé et avait diagnostiqué un phlegmon péri-néphrétique, il fallait l’hospitaliser d’urgence et l’opérer. il consentit à l’admettre dans sa clinique à Saint-Julien sous un faux-nom. Je réussis à trouver un taxi à gazogène et amenais René à la Clinique.

Le voyage en taxi n’était pas de tout repos. Les Allemands avaient posté des barrages dans les différentes artères de la ville et arrêtaient les véhicules pour contrôler leurs occupants. II fallut demander au taxi d’emprunter des petites rues, de faire d’importants détours.

Je dois dire qu’à l’aller comme au retour, les chauffeurs de taxi se sont prêtés à ce jeu dangereux.

Le Docteur Aubert me dit :

- « Les Beltrami, je ne veux vous voir ici sous aucun prétexte et, surtout, n’essayez pas de téléphoner pour avoir des nouvelles. »

Quelques jours après, nous reçûmes un appel téléphonique du Docteur Aubert :

  • « Les Allemands fouillent les hôpitaux, les cliniques, venez vite chercher votre malade, d’urgence ! »

Je fis à nouveau le voyage en taxi et le Docteur Aubert m’expliqua qu’il n’était pas encore guéri et qu’il fallait lui refaire son pansement. Je retournais donc à la villa de mes parents, dont le garage était toujours occupé par les Allemands, je mis ma mère et mon père au courant, mais ma mère, se doutant de mes activités, m’intima l’ordre de ne plus revenir à la villa tant que René David y serait.

  • « Ton père et moi sommes capables de refaire un pansement ».

René David est resté près d’un mois chez mes parents, puis il est allé se réfugier à Paris. C’était le dernier lieu que je lui aurais conseillé et pourtant.... Il s’en est sorti indemne.

De même, profitant que la police française et allemande fût occupée par la rafle du Vieux-Port, je suis allé chez nos amis juifs leur dire de s’enfuir. ils étaient tous partis.

Mais je n’aurais pas mentionné cet épisode si je n’avais pas été décontenancé par la réponse d’une amie de ma famille, une dame âgée (c’étaient les propriétaires d’un établissement de bain « Le Roucas Blanc », à qui que je conseillais vivement de partir, elle me répondit :

- « Je ne peux pas, mon mari est hospitalisé à l’hôpital de la Conception et dès qu’il pourra sortir, nous serons dirigés par les Allemands à la campagne où nous seront réunis à l’abri des bombardements. »

Inutile de dire qu’ils ont été tous les deux brutalement déportés et n’en sont pas revenus.

Mais qui a pu faire croire de tels mensonges ? Bien que l’on ne se doutait pas des horreurs des camps de la mort, connaissant le régime hitlérien, on était certain qu’ils n’allaient pas être logés dans des hôtels trois étoiles.

Dès la sortie de la Faculté qui était située au Palais du Pharo, nous avions coutume de prendre un verre au bar du Cintra ; je rencontrais un pilote, ami du beau-frère de mon frère, le Lieutenant Albert Durand, qui avait gagné Gibraltar au nez et à la barbe de la Commission d’Armistice Italienne à Oran. Je l’avais connu lors d’une permission d’Albert. Ce garçon cherchait à tout prix à gagner l’Espagne pour continuer la lutte. Mais trouver une filière n’était pas facile, Il me présenta un jour un de ses amis, un homme d’environ 45 ans, un peu fort, avec lequel je sympathisais, car nous partagions les mêmes idées. Après plusieurs entrevues, il me dit :

  • « Je connais vos idées, mais que faites-vous de positif pour lutter contre les Allemands et contre Vichy ? »

J’avouais qu’effectivement je ne faisais rien. La victoire sera longue à obtenir, mais il faut commencer dès maintenant à agir. Devant mon acquiescement, il me dit :

  • « Seriez-vous prêt à œuvrer pour nous en portant des messages à des lieux qui vous seront indiqués ? »

J’acceptais et me trouvais ainsi agent de liaison, ainsi qu’il me l’apprit par la suite, à l’Etat-Major de l’Armée Secrète, Région R2. Je recevais des ordres et ne connaissais que mon contact : Boirau, dont le nom de code était Lavenue.

Ma première mission fut d’aller dans un bar Place de la Joliette où, après les paroles de reconnaissance, on me remit une enveloppe, qu’après avoir camouflé, je transmis à Lavenue.

Ainsi, dans des endroits les plus divers de Marseille, ou bien j’allais remettre des plis, des paquets ou des messages ou bien, j’allais en chercher pour les remettre à un lieu indiqué.

Parfois je m’asseyais à une terrasse de café, quelqu’un (un homme ou une femme) s’asseyait à la table d’à côté et après un mot de passe qui n’était jamais le même, je donnais ou recevais un pli ou un paquet.

Lors d’une entrevue avec Lavenue, il m’annonça ma nouvelle affectation : j’étais dorénavant l’agent de liaison du patron de l’A.S. : Keller, et mon premier contact eut lieu avec lui un matin d’octobre, sur un banc du Prado ; après des signes de reconnaissance dont je ne me souviens plus la teneur, il me dit « ex abrupto » :

  • « Dorénavant, vous êtes Karl. »

Je me trouvais en présence d’un homme d’une cinquantaine d’années, grand, mince, porteur de lunettes, au visage presque ascétique, avec un comportement qui imposait immédiatement le respect.

Après quelques contacts à l’extérieur, je fus autorisé à assurer la liaison chez lui : 4 rue Borde ; c’est là que j’appris que j’avais affaire au Général Schmitt.

J’assurais donc la liaison depuis son P.C. avec les différents contacts que l’on m’indiquait. J’eus l’occasion de faire la connaissance de Madame Schmitt : c’était ce que l’on appelle une forte femme qui s’exprimait avec un accent alsacien. On était immédiatement frappé par sa personnalité, il émanait d’elle une force tranquille et, par la suite, les évènements auxquels nous fûmes confrontés, confirmèrent cette impression.

Le réseau était en place, mais je dois dire que tant que les Allemands n’avaient pas envahi la zone libre, je n’avais pas trop la notion du danger.

Ce fut toute autre chose lorsque, à partir du 11 novembre, les Allemands envahirent la zone libre.

Nous reçûmes des ordres pour nous montrer vigilants et prudents. Combien de résistants ont été arrêtés par les Allemands à cause de leur imprudence ?

Mais environ 15 jours après l’occupation de Marseille, le Général Schmitt m’appela :

  • « Karl, je viens de recevoir du commandement de la Résistance, d’avoir à leur communiquer les plans de la défense allemande, du littoral entre Cassis et l’Estaque. Pouvez-vous vous en charger ? »

J’acceptais, d’autant plus que, par passion, je connaissais parfaitement toutes les différentes armes en service dans les différentes armées du monde et je me mis en campagne.

J’achetais une carte des calanques.

Mais, dès ma première inspection sur la Promenade de la Plage, en face de la maison de mes parents, je me rendis compte que cette défense était totalement inexistante et, le comble, était qu’ils avaient installé au bout de la plage, à hauteur du Roucas Blanc, un canon quadruple de 20 m/m - Flak 38 - sur la plage même où il n’était pas à l’abri d’un coup de vent d’Ouest que nous appelons La Largade.

Pendant mon inspection, je mémorisais les différents moyens de défense et les reproduisais sur la carte, une fois rentré chez moi.

Aucune défense solide, ils n’en avaient pas eu le temps. Le matériel consistait en mitrailleuse MG 42 et 34, des Feld Kanones LG.N. de 75 m/m, quelques rares obusiers de 105 et comme des monotubes qui pouvaient servir d’antis-tanks.

Il faut dire que l’inspection n’était pas difficile, les Allemands n’ayant pas encore évacué et interdit le littoral ; quelques tanks Mark 3 constituaient le complément de ce système de défense. Dans certains endroits, les Français pouvaient passer non loin des pièces d’artillerie.

Le seul problème délicat que j’ai rencontré fut au niveau des Goudes, un dimanche matin.

J’abordais la côte après la Madrague pour accéder aux Goudes, quand je rencontrais une patrouille Allemande qui m’arrêta :

- « Où allez-vous ? »

- « Promenade. »

  • « Nichts promenade, Raus ! »

Pourtant, les habitants des Goudes et de Callelongue n’avaient pas encore été évacués. Je décidais donc de faire cette inspection de nuit, des Goudes à Callelongue. Je me rends compte maintenant que c’était une folie due à l’inconscience de ma jeunesse, j’avais alors 22 ans.

Profitant d’un rayon de lune, j’arrivai jusqu’aux Goudes en ayant remarqué quelques points de défense qui ne se différenciaient pas du reste de l’armement. Brusquement, je vis arriver une patrouille allemande ; j’eus juste le temps de sauter dans une calanque voisine où je restais blotti, avec de l’eau glacée jusqu’aux cuisses.

Mais où les choses se sont compliquées c’est que je me trouvais en présence d’un petit chat, probablement abandonné, qui me voyant, se mit à miauler. Je nie sentis glacé de terreur ; si les Allemands, attirés par les miaulements du chat décidaient d’aller le chercher, j’étais pris et pourtant je ne pouvais me résoudre à étouffer ce petit animal.

Heureusement, les Allemands passèrent sans faire attention ‘à lui. Dès qu’ils furent partis, je pris le petit chat dans la veste de ma canadienne et renonçant à poursuivre ma mission (Callelongue étant un cul-de-sac qui ne présentait pas grand intérêt) je rentrai chez moi.

Transi de froid, j’arrivai chez mes parents pour me réchauffer et leur confiai le petit chat qui vécut heureux pendant 17 ans.

Le reste de l’inspection se passa sans encombre ; sur le port, mon livret maritime me fut d’un grand secours. Je remis la carte avec tous les emplacements d’armes au Général Schmitt ; Il me fit en 1995, une attestation manuscrite de sa main, certifiant ces faits que je conserve précieusement. Il me conseilla de faire authentifier cette attestation par le Ministère des Anciens Combattants, chose que je négligeai de faire. Le Général Schmitt m’apprit, par la suite, que la personne à qui il avait confié les documents, avait été pris par les Allemands et fusillé.

Rétrospectivement je me demande qui avait pu donner cet ordre, en sachant que les Alliés étaient incapables de faire le moindre débarquement cette époque.

Mais je n’étais pas au bout de mes émotions. Peu de temps après, je montais au premier étage de la rue Borde ; Madame Schmitt m’ordonna de vite partir car les Allemands cherchaient le Général Schmitt pour l’arrêter. Au moment où j’arrivais à la porte d’entrée qui était en vitres opaques, je devinai la présence de deux silhouettes, d’autant plus qu’ils secouaient la porte. Je me jetai contre le mur, du côté du battant, la porte fut violemment poussée et je vis de dos, deux hommes qui sans se retourner, montaient quatre à quatre les marches d’escaliers, le second individu était vêtu d’un long manteau de cuir. Dès qu’ils furent au premier, j’ouvris la porte et je sortis.

Je revins de longues années après sur les lieux et, au regard de la largeur de la porte, il m’a paru impossible de m’être caché là, pourtant je n’avais pas rêvé ! Je finis par trouver l’explication, s’il était impossible à un homme de mon poids actuel de 80 kilos de se glisser derrière le battant de la porte, cela l’était pour un jeune homme de près de 60 kilos, par suite de restrictions alimentaires.

Le Général Schmitt resta caché deux mois puis, put gagner l’Espagne et l’Afrique du Nord où il fut désigné comme membre du tribunal militaire qui jugeait Pucheu, le condamnant à mort.

Plus tard, on a calomnié les Généraux Chadelec, de Lava, Lade, Cochet et Schmitt d’avoir prononcé leur verdict sous la pression des communistes : c’est une calomnie attentatoire à l’intégrité de ce grand homme.

D’ailleurs, dans un livre paru en 1963, qu’il a écrit, intitulé « Toute la Vérité sur le Procès Pucheu », il a posément démonté cette calomnie, avec textes officiels à l’appui. Ses détracteurs se sont bien gardés de dire que dans les conclusions du jugement, le Tribunal avait fait une demande de non-exécution de la peine, qui n’a pas été respectée.

Par la suite, le Général Schmitt fut chargé de mission en Afrique du Nord et en Afrique Noire, afin de faire connaître les activités de la Résistance en France occupée et, surtout, les exactions de l’occupant et des traîtres français, comme la Milice de Darnaud, qui se montrait parfois encore plus cruelle que la Gestapo elle-même : tortures, exécutions sommaires et déportations.

Je n’eus, par la suite, plus de nouvelles de Lavenue et j’appris, beaucoup plus tard, qu’il avait été arrêté. Il est mort au camp de Bergen Belsen. Je fus très affecté par cette succession d’émotions, je n’avais plus de contact avec l’A.S., mes amis Juifs étaient partis, je me remettais lentement, j’avais besoin de récupérer car, rétrospectivement, la peur m’avait envahi.

Je me jetai à corps perdu dans mes études, au 2 boulevard Michelet, avec Michel et Jean-Pascal.

Je veux aborder ici un des épisodes les plus pénibles de cette période.

Le 24 mai 1943, mon père me téléphona :

- « hier, ton frère Francis a été arrêté par la Gestapo chez Madame Erivaux, Boulevard Pasteur ; il y a, paraît-il de nombreuses arrestations »

Où est il

- « Personne ne le sait, on pense qu’il est au siège de la Gestapo : 425 rue Paradis ».

Pendant près de trois semaines, aucune nouvelle.

Il n’était évidemment pas question d’aller aux nouvelles à la Gestapo,

Certains s’y sont hasardés et n’en sont jamais ressortis. Puis vers le 4 ou 5juin, je reçus un appel téléphonique de l’hôpital Salvator :

- « Beltrami, c’est l’externe du Service des Consignés, ton frère vient d’arriver, il est dans un piteux état ».

Je mis mon père au courant de mon intention de remplacer l’externe de service.

II me dit :

- « Tu sais ce que tu risques ? »

- « Oui, Patron » (mon frère et moi l’appelions affectueusement Patron, comme tous ses élèves). II m’embrasse et me dit simplement "Va ! »

Quand j’arrivai, mon père avait déjà téléphoné au Chef de service, le Docteur Bonnal, qui m’accorda immédiatement le remplacement, non sans m’avoir averti des dangers courus. La salle des Consignés était située dans les sous-sols de l’hôpital, au fond d’un couloir sombre, une porte : l’infirmière, Sœur Saint Joseph, frappe ; un policier nous ouvre :

- « C’est le nouvel externe ».

Je me trouvai en présence d’un corps de garde occupé par quatre policiers français ; une nouvelle porte et l’on pénétrait dans une pièce d’une quinzaine de mètres, mal éclairée par des soupiraux. De chaque côté de la pièce, six lits occupés par des malades. J’avisai immédiatement mon frère ; il gisait sur son lit, pâle, amaigri, une barbe de trois semaines, un bras plâtré et le thorax fortement bandé, le dos plein d’ecchymoses. J’appris qu’il avait été jeté par la Gestapo par terre, dans le hall de l’hôpital. Je m’avançai les larmes aux yeux ; il eut la force de plaisanter :

Tu as vu ce qu’on fait les amis de mon cousin Adolphe » (C’est ainsi qu’il appelait Hitler).

Je consultais le dossier médical ; l’examen radiologique révélait six fractures de l’avant-bras, onze factures de côtes, un tympan perforé et des ecchymoses sur tout le dos.

Je me tournai vers Sœur Saint Joseph :

- Comment se fait-il que des patriotes soient hospitalisés dans de telles conditions ? »

- « Mais, il n’y a pas que des patriotes il y a aussi des « droits communs » me dit-elle. (On appelait ainsi les condamnés pour des peines infamantes, vol, assassinat..)

Je contins mon indignation devant le regard de Sœur Saint Joseph. Des patriotes gardés par des policiers français, mêlés à des condamnés de droit commun ! Après cinquante ans, je me pose encore la question : qui aurait gardé ces résistants, si les policiers français avaient refusé ?

Comment les Allemands auraient-ils pu organiser les rafles du Vieux Port les 22 et 23 janvier 1943, si les douze mille policiers et gendarmes français ne s’étaient pas prêtés à une telle ignominie alors que cinq mille Allemands regardaient s’accomplir cette tragédie ?

Sans parler de la rafle du Vel d’Hiv à Paris.

En juin, cette année-là, (l’externat se passait en juin), je réussis et eus aucune peine au choix de me faire affecter aux Consignés. Ce concours avait une importance considérable, car les externes, des hôpitaux titulaires, étaient dispensés du S.T.O. (Service du Travail obligatoire) en Allemagne.

Aucun prisonnier ne pouvait aller, soit à la radiologie, soit à une autre consultation, s’il n’était accompagné par un policier qui restait devant la porte du service, mais ne pouvait assister à la consultation. Cela permettait à mes parents de voir mon frère, soit dans la salle des pansements, soit dans le bureau du Patron, l’agent de faction étant toujours surveillé par une religieuse.

Il faut dire qu’à cette époque, à l’hôpital Salvator, le personnel infirmier était des sœurs. Je dois, ici, rendre hommage à celles-ci pour leur courage, leur dévouement et leur abnégation. Le matin, quand j’arrivais et que je voyais leur air attristé et, pour certaines, les yeux rougis par les larmes, je savais que la Gestapo était venue chercher un détenu, principalement Sœur Saint Joseph et Sœur Marie (qui est devenue Mère Marie). Après la libération, quand les patriotes furent remplacés par des miliciens et des agents de la Gestapo française, malades, elles ne purent les soigner et quittèrent le voile, comme Sœur Saint Joseph.

Je comptais faire beaucoup de choses pour retarder, sinon empêcher que la Gestapo ne vienne prendre ceux que l’on appelait les Consignés. Je passais à tout ceux qui me le demandaient, des messages à l’extérieur ou je leur remettais du courrier, j’essayais de leur remonter le moral. Je dois dire que jamais les policiers français n’ont fait la moindre tentative pour me fouiller.

J’avoue que nous n’avions que peu de moyens : provoquer des vomissements incoercibles, des dysenteries et même, comme me l’avait enseigné un détenu de « droit commun », (qui purgeait une peine de vingt ans de prison et avec lequel je m’étais montré aimable en lui procurant les soins avec le même dévouement qu’aux autres), cela consistait à prendre une épingle, la mettre dans la bouche, la laisser au contact du tartre un certain moment, puis la planter dans le mollet, ce qui provoquait invariablement un phlegmon de la jambe.

Mais malheureusement mes efforts ont été vains car lorsque l’équipe de la Gestapo décidait de reprendre un résistant détenu, même à moitié mort, ils l’enlevaient..

À côté de mon frère, il y avait un jeune garçon qui avait été jockey et qui me parlait de sa mère qui montait les chevaux de course à l’entraînement. ; malgré son état de santé déficient, la Gestapo est venue le chercher pour l’interroger et il est mort sous la torture ; on a retrouvé son corps à la Libération, dans le fond du cimetière Saint Pierre au Carré des Suppliciés. Mais ce qui m’a fait le plus mal, c’est que trente ans plus tard, sa famille m’a reproché de n’avoir pas tout fait pour le sauver.

Ai-je pu sauver mon propre frère ?

À ce sujet, je voudrais parler des agents de la Gestapo à qui ma famille avait eu à faire.

  • Deux Allemands, le grand patron Muller qui ne participait jamais à des séances de torture, condamné à mort le 30 janvier 1954 par le Tribunal des Forces Armées de Marseille, jugement cassé ; condamné le 31 mars 1955 à 20 ans de travaux forcés, libéré par remise de peine. Il a dû donner de solides renseignements aux Alliés.
  • Les trois qui ont torturé mon frère : Dunker Delage, un fou sanguinaires condamné à mort le 24 janvier 1947, exécuté le 6 juin 1950.
  • Deux Français : Tortora, le boxeur, une espèce de brute bornée, exécuté par la Résistance en juillet 1944.

On a prétendu que Dunker Delage, à la suite de l’exécution de Tortora, avait ordonné le massacre de Signes ; aucune preuve n’a pu être apportée à cette affirmation. Quand on connaît le peu d’estime que Delage avait pour ses collaborateurs français, n’hésitant pas à les abattre de sa propre main..

Gaston Daveau, adjoint zélé de Dunker Delage, a été condamné à mort le 27 juin 1947 ; c’était un ancien de la L.V.F. (Légion des Volontaires Français contre le Bolchévisme) ; il avait combattu sur le front Russe à Smolensk, il a procédé à l’arrestation de 50 patriotes ; Le jour du procès, il a eu l’audace - quand mon frère témoigna qu’il l’avait torturé - de le traiter de « menteur », ce qui lui valut, de la part de Francis, une magistrale paire de gifles.

Il y a eut des gens pour s’indigner du geste de mon frère !

Gaston Daveau fut gracié à la demande de Monsieur Henri Teitgen. Je connais beaucoup de résistants qui regrettent de l’avoir livré à la justice.

“ Une allemande : Madame Berne ; une virago cruelle qui s’exprimait très bien en Français. Elle téléphona un jour à ma mère pour lui dire que si on tentait de faire évader son fils, la Gestapo prendrait ses deux enfants, alors âgés de 4 et 2 ans. On prétend qu’elle est morte au bombardement de Dresde, évitant ainsi un châtiment mérité.

Mais, même après cinquante ans, je trouve qu’il y a vis-à-vis de ces monstres, trop de grâces et de remises de peine. Pourquoi ?

Le seul détenu qui a pu être momentanément sauvé, fut un garçon que l’on était en train d’opérer pour un traumatisme vertébral, provoqué pendant une séance de torture. Quand Dunker Delage est entré comme un fou dans la salle d’opération, il s’est attiré les remarques cinglantes de Sœur Saint-Joseph :

-"Monsieur, je vous prie de sortir immédiatement ! »

et le plus étonnant, c’est qu’il a obtempéré ; peut-être que ce fou assassin était impressionné par l’atmosphère d’une salle d’opération !

Heureusement, je n’étais pas présent lors de cette scène et j’ai eu la chance de ne jamais rencontrer Dunker Delage.

J’ai entrevu un jour Tortora, le boxeur et me suis empressé de me cacher.

Il est vrai qu’à part les jours où j’étais de garde, l’après-midi j’étais à la Faculté.

Au mois de Novembre 1943, j’étais chez moi quand on m’a téléphoné de l’hôpital pour me dire que la Gestapo venait d’enlever mon frère. Je savais qu’il ne resterait pas à Marseille et que le jour même, il ferait partie d’un convoi qui allait sur Compiègne.

Un agent de la S.N.C.F. me fit entrer dans le wagon d’un train qui ne devait partir que le lendemain matin. Vers 22 heures je vis, arrivant de la rue Honorat, une file de patriotes entourés par des Fe1dgendarmes enchaînés deux par deux et, par une nuit presque noire, je finis par reconnaître mon frère, sans possibilité de lui faire un signe ou un geste de réconfort.

Mon stage se terminant fin décembre, je fus obligé de revenir à l’hôpital Salvator aux Consignés.

Il y avait là un résistant qui avait été torturé. C’était un homme de 50 ans, avec une personnalité extraordinaire, général d’aviation, le Général Guillot, avec lequel je discutais souvent.

- « Que venez-vous faire ici ? Votre frère n’est plus là...». Il faut que j’assure la fin de mon stage ».

- « Faites-vous remplacer. »

- « Je n’ai plus qu’un mois à faire et tous les détenus me connaissent bien. »

- « Mais quand vous aurez changé de service, ne revenez plus ici, vous m’entendez, vous avez assez joué avec le feu. »

Peu de temps après, avec la complicité d’un policier, en passant par les sous-sols, il a pu s’évader, une voiture l’attendait. Ceci était le travail de mon chef de groupe, Adrien.

Inutile de dire la colère de Dunker Delage quand il apprit cette évasion.

Cinquante après, Adrien Bonfil, qui est âgé de 87 ans, a pu me donner des détails au sujet de l’évasion du Général Guillot qu’il avait organisée.

Il fallait d’abord trouver un itinéraire discret pour l’évasion, ensuite, et ce n’était pas la moindre difficulté, s’assurer la complicité d’un des policiers français de garde. Et pourtant le temps pressait, car la Gestapo pouvait à tout instant prendre le Général. Après des contacts discrets, Adrien put trouver un policier qui voulait bien participer à l’évasion.

Pour l’itinéraire, on avait remarqué au fond des sous-sols, une petite porte qui était toujours fermée ; ce fut un jeu d’enfant pour un serrurier résistant de faire des clefs pour ouvrir la porte. L’opération eut lieu de jour, car il était impossible de prétexter une consultation, soit à la radio, soit dans un autre service, la nuit.

À l’heure dite, le Général, prétendant qu’il est appelé à la Radio, le policier complice se propose immédiatement de l’accompagner. Ils empruntent le couloir dans les sous-sols de l’hôpital, la petite porte s’ouvre, une voiture démarre rapidement. Ils arrivent chez Adrien où le policier est pris en charge par des résistants. Le Général Guillot demeure cinq jours chez Adrien, puis est dirigé vers un maquis dont il va prendre la direction. Adrien avait pris soin de refermer la petite porter car à la suite de cette évasion personne y compris la Gestapo, ne sut comment cette évasion avait pu se produire.

Je me demande, à l’heure actuelle, si le Général Guillot, sachant qu’il allait s’évader, n’avait pas voulu m’éloigner, persuadé qu’à la suite de cette évasion, la Gestapo aurait procédé à l’interrogatoire de tout le monde.

Dès fin décembre, j’ai quitté la Salle des Consignés pour ne plus y revenir. Mais, au cours du mois d’octobre 1943, un autre incident se produisit : un matin, on sonna à la porte au 2 boulevard Michelet, j’ouvrai et me trouvai en présence d’un individu, petit, la sale gueule :

- Service des Réquisitions de l’Armée Allemande »

- « Je viens réquisitionner- votre appartement »

- Qui me prouve qui vous êtes, ce que vous dîtes »

Il me tendit une carte avec photographie le tout écrit en allemand.

- « Si vous voulez, je peux revenir avec la police allemande ! »

Ce n’était vraiment pas le moment

"Vous avez 24 heures pour déménager, je reviendrai avec le bon de réquisition. »

"De quoi s’agit-il ? »

Il m’interrogea pour savoir qui était le propriétaire le locataire, en l’occurrence ma grand-mère. Heureusement, nous avions peu de mobilier et les meubles furent entreposés au garde-meubles dans les 24 heures.

Il revint deux jours après avec un bon de réquisition écrit en deux langues et j’abandonnai l’appartement pour aller me réfugier chez mes parents, promenade de la Plage.

De toute façon, l’atmosphère depuis 1941 avait complètement changé. On n’entendait plus ces paroles « Car vous ne croyez pas à la victoire de l’Allemagne ? Mais elle ne fait aucun doute ! ».

Le 7 décembre 1941, les Japonais attaquent Pearl Harbor et après les défaites retentissantes des Américains : Bataan, Corregidor, dans le courant 1942 donnent un coup d’arrêt à Guadalcanal, puis c’est la victoire navale de Midway.

Enfin, en 1943 c’est le début de la reconquête sur le front russe. Hitler, fin 1942 après avoir subi une terrible défaite à Stalingrad ne peut, en juin 1943, arrêter l’offensive soviétique. Les anglos-américains, après la victoire d’El Alamein sont parvenus à occuper toute la Tunisie, après avoir débarqué en Afrique du Nord, en novembre 1942. :

À Marseille, les gens qui évitaient de nous saluer, traversaient la rue pour nous demander des nouvelles de mon frère, nous assurant que dans peu de temps l’Allemagne serait vaincue et ce sont ceux qui prônaient la victoire de l’Allemagne, qui assurent maintenant avec force que les Alliés vaincraient. D’ailleurs, à la Libération, beaucoup se sont trouvés résistants. Certains, parmi les plus virulents, commençaient à avoir peur car il venaient de recevoir, par courrier, des petits cercueils, avec la promesse de ce qui les attendait le jour de la Victoire.

Au mois de janvier 1944, j’obtins une place d’externe au service du Professeur De Vernejoul. Mais, auparavant avant d’être déporté1 mon frère me sachant fiancé et apprenant que nous avions décidé avec nos parents respectifs d’attendre son retour, me fit promettre de nous marier avant son retour.

Ce fut un mariage tout simple, la mariée était en tailleur et moi en complet de tous les jours. Après la mairie et la bénédiction en l’église de Saint Giniez, un repas fut organisé où à part la famille, seuls assistaient le Professeur De Vernejoul et deux voisines, Madame Raphaelle et sa fille.

Peu de temps après notre mariage, le 8 janviers nous reçûmes des autorités allemandes, l’ordre d’évacuer la villa de la Plage, le littoral devenant une zone interdite, de plus, l’organisation Todt avait commencé les travaux de défense de la côte. Murs de béton, blockhaus qui faisaient partis du mur de la Méditerranée, certains étaient énormes, d’ailleurs il en subsiste un sur le Prado, en face du Parc Borely que l’on n’est jamais arrivé à détruire, sans risques ‘endommager les immeubles avoisinants.

Il nous fallut trouver d’urgence un appartement. Nous en trouvâmes un petit, sis 171 avenue du Prado, jouxtant le 4 de la rue Borde, dont les terrasses se faisaient face et toujours occupé par Madame Schmitt et son fils Maurice, âgé de treize ans.

C’était un tout petit appartement de quatre pièces où nous habitions, mon père, ma mère, ma grand-mère notre vieux valet de chambre, ma femme et moi. La contiguïté avec le 4 rue Borde, faisait que mon père et ma mère, pouvaient s’entretenir avec Madame Schmitt.

Avec Monsieur De Vernejoul, sans jamais nous être fait la moindre confidence, nous nous sommes vite compris. Je ne tardais pas à faire appel à Monsieur De Vernejoul dans des circonstances particulières.

Un de mes bons amis, Gabriel Armand, qui était chef de poste à un cinéma appelé « Les Trois Salles », avait réussi jusqu’à présent, à éviter le Service de Travail Obligatoire, en Allemagne. Il me téléphone, un matin, affolé : il vient de recevoir sa convocation et doit se présenter dans les 48 heures, rue Honnorat, en vue de son départ pour l’Allemagne.

Je réfléchis et sachant qu’il avait une ectopie testiculaire, je vais trouver le Patron et lui demande s’il serait possible d’opérer d’urgence. Il me répondit immédiatement par l’affirmative et Gabriel Armand entra d’urgence à l’hôpital de la Conception, avec le diagnostic : Hernie étranglée. Le Patron me demanda de l’aider pour l’opération qui eut lieu dès le lendemain.

Par la suite, Gabriel fut installé dans une petite chambre au fond de la Salle Roggero où il resta le plus longtemps possible. A sa sortie, un certificat mentionnant des complications lui fut établi, interdisant tout effort.

L’intervention a été providentielle pace que les Allemands venaient contrôler dans les hôpitaux et dans les cliniques pour déceler les fausses opérations, les faux tuberculeux etc.. et les fautifs étaient immédiatement dirigés sur l’Allemagne et parfois même, dans les camps de la mort.

Depuis l’arrestation de mon frère, des bruits les plus étranges couraient au sujet de personnages qui avaient des accointances avec les plus hauts dignitaires et qui seraient susceptibles de faire libérer des patriotes qui avaient été arrêtés par la Gestapo. La raison invoquée était qu’ils voulaient donner des gages pour l’après guerre.

Comment avons-nous pu avoir l’adresse d’un dénommé Schissie, je ne m’en souviens pas. Toujours est-il que l’on nous a affirmé qu’il aurait pu faire libérer certaines personnes, Il faut avouer qu’en pareilles circonstances, on se rattache à toutes les hypothèses même les plus folles. Mes parents décidèrent qu’il fallait tenter la chance, je leur proposais d’y aller à leur place.

Nous étant procuré l’adresse et le téléphone de ce Monsieur, nous lui avons demandé un rendez-vous à Paris. Ce fut un voyage dans un train qui mettait quatorze heures pour atteindre Paris. Train bondé, avec des gens serrés les uns contre les autres dans les couloirs, dans les soufflets et mêmes d’autres occupants d’autorité les toilettes.

Arrivé le soir, je couchais chez des amis, il n’était pas question d’aller à l’hôtel, bien qu’en tant qu’externe des hôpitaux j’avais un Ausweis. Vers la fin de la matinée, je fus reçu par le dénommé Schissie, c’était un petit homme rondouillard qui s’exprimait avec un fort accent, prétendant être Alsacien, pourtant mon beau-père étant Alsacien, je ne reconnaissais pas cet accent. ii m’interrogea sur les circonstances de l’arrestation de mon frère, sur ma famille, mais où je commençais à me méfier, c’est quand il me demanda pourquoi il avait été arrêté, à quel groupe de résistance il appartenait.

Je lui. répondis que nous ne savions même pas s’il appartenait à un groupe et que nous pensions qu’il avait arrêté par erreur. (En réalité, comme nous l’avons su après la libération, mon frère était sous-chef du réseau Gallia. Schissie m’invita à déjeuner dans un restaurant à marché noir où rien ne manquait et, à la fin du repas, il m’avoua que pour toucher des hommes très hauts placés, cela coûterait très cher et m’avança une somme énorme. Je lui rétorquais que nous ne savions pas si nous pourrions réunir une pareille somme, mon père avait été chassé de la Faculté, mais que nous allions essayer de réunir cette somme.

Nous nous gardâmes bien de refuser, arguant devant ses demandes que nous avions des difficultés à réunir la somme. Nous apprîmes par la suite, que des familles lui avaient confié de fortes sommes, mais sans résultat.

Je repris le train pour Marseille, le soir, aussi bondé et je passais une nuit harassante.

Après la libération, je retournais à Paris pour essayer de faire arrêter le dénommé Schissie. Des amis qui appartenaient au B, C.R.A. qui allait devenir la D.G.E.R., qui était le service du contre-espionnage, me promirent de s’en occuper, mais je n’ai jamais plus eu de ses nouvelles.

Au début mai 1944, mes parents reçurent la visite, à notre nouveau domicile 171 avenue du Prado, d’Allemands se présentant comme de l’Abwer. Rien à voir au point de vue attitude avec la Gestapo, s’exprimant parfaitement bien en Français, l’un d’eux prétendant qu’il était Tchèque. ils commencèrent par demander à mes parents s’ils avaient connu le Général Schmitt.

- « Non, nous ne le connaissons pas »

- « Bien sûr, c’est une voisine, nous parlons souvent des problèmes de ravitaillement... »

Puis, ils revinrent sur l’arrestation de mon frère, les circonstances de son arrestation, où étaient sa femme et ses enfants ? Ensuite, il fut question de moi-même. Avais-je été inquiété lors de l’arrestation de mon frère ? Devant la négative, ils demandèrent pourquoi ?

Mes parents répondirent que j’étais un jeune marié, passionné par mon métier d’étudiant en médecine et indifférent des questions de résistance.

Ils prirent congés en disant qu’ils auraient peut-être l’occasion de revenir. La menace semblait sérieuse.

Un de mes amis me suggéra :

  • « Les Chantiers de Jeunesse dans l’Ain, réclament des Médecins ou des étudiants en médecine, cela serait une planque excellente, tu ne peux pas rester à Marseille, cela va mal finir pour toi ! »

Renseignements pris, je fus engagé comme moniteur médical à Bourg-en-Bresse. Je ne me doutais pas, en signant cet engagement, que j’allais au-devant d’aventures dangereuses.

Après deux jours passés au P.C. du Groupement, je fus affecté comme moniteur médical, ce qui correspondait dans l’armée à Médecin auxiliaire d’un groupe, basé à proximité d’un petit village : Gevrieux. Les jeunes étaient essentiellement occupés aux travaux des champs.

Je m’empressais de faire venir ma femme, car il y avait à Gevrieux, une petite pension de famille qui, si elle était d’un confort spartiate, offrait une nourriture abondante. Elle arriva avec un vieil ami de la famille, Bruno Robery, vieux monsieur porteur d’une barbe blanche, que les gens dans le village appelèrent : « Le Professeur ».

Les jours s’écoulaient calmement, j’essayais (sans beaucoup de succès) de faire comprendre aux jeunes qu’ils allaient être obligés de faire un choix et qu’ils ne pourraient rester toujours neutres. Quand, le matin du 6 juin, on apprend que les Alliés ont débarqué en Normandie et immédiatement l’ordre est donné par les Allemands, de replier sur Bourg-en-Bresse, tous les groupes disséminés dans la région, afin qu’ils ne puissent rejoindre le maquis.

Nous évacuons le camp et gagnons, à pieds (35 kilomètres), Bourg-en-Bresse où nous arrivons dans la soirée dans une école où nous dormons à même le sol. Là j’apprends qu’il faut que je regagne d’urgence Lyon où je viens d’être nommé : Médecin de la Place. Mon rôle était d’assurer le service médical, visites des jeunes malades, hospitalisation... J’avais à ma disposition une ambulance à gazogène.

Le 9 juin, j’apprends au P.C. des Chantiers que les Maquisards ayant commencé leur offensive, les Allemands ont réagi et des troupes comprenant des Allemands, mais aussi des Russes de l’Armée Wlassov entreprennent une action de représailles à Gévrieux, Châtillon La Palud et Ambérieux ; sachant que mon épouse et Monsieur Roberty étaient au milieu des combats, je décidai d’aller les rejoindre pour les ramener à Lyon. Je pars donc à bicyclette vers la fin de l’après midi et arrive à la tombée de la nuit à quelques centaines de mètres de Gévrieux.

Brusquement j’entendis crier :

  • « Halte!"

et je suis jeté à bas de mon vélo et amené à l’hôtel Laise où, brutalement, je subis une fouille minutieuse, quoiqu’ils soient intrigués par mon uniforme et mon caducée de médecin.

On me fait asseoir le long du mur, avec interdiction de bouger et refus catégorique de prendre contact avec ma femme. Au lever du jour, je suis interrogé par un Officier Allemand, parlant parfaitement le français. Je lui explique les raisons de ma présence : rechercher ma femme pour la soustraire aux dangers qui la guettaient ici.

Quand je lui fis part de mes inquiétudes à son sujet, il me répondit :

- « Tant que je serai là, elle ne craint rien, mais faut qu’elle quitte Gévrieux avant, car avec les soldats de l’armée Vlasov, je ne réponds de rien...»

- « Est-ce que je suis libre ? »

- « Non, car il faut qu’on vous amène à Lyon pour vérification ».

- « Puis-je voir ma femme ? »

- « Oui, mais deux minutes »

Elle apparut effrayée, n’ayant pas dormi de la nuit, craignant des exactions de la part de cette soldatesque.

Je lui conseillais de quitter Gevrieux sur le champ et l’on se rejoindrait à Lyon chez le Docteur Quintero, un ami de mon père.

À 9 heures, un side-car venait me chercher, conduit par un géant, porteur d’un grand manteau de cuir vert qui nie jette littéralement dans le side. À mon arrivée, je suis enfermé dans une pièce où, au bout d’une heure environ, paraît un officier Allemande : gros, le visage congestionné qui se met à m’insulter en Allemand (du moins, je pensai qu’il ne s’agissait pas de paroles de sympathie !), puis il me bouscula, me faisant sortir de la pièce et, tout en continuant à m’insulter, me fit monter dans un camion militaire et asseoir sur un banc latéral, en face de deux soldats armés de mitraillettes et au milieu, mal recouverts d’une bâche, les corps de trois soldats Allemands morts.

Un des soldats porteurs de mitraillettes me dit, en guise de bienvenue :

- « Si terroriste, toi Kaput, en m’appuyant la mitraillette sur le ventre »

À cette époque, le maquis interceptait beaucoup de véhicules allemands. Je ne pouvais détacher mon regard de cette mitraillette et de ces trois cadavres. Je pouvais à peine avaler ma salive, pris de sueurs froides.

Le voyage me parut un siècle ! Je commençais un peu à me détendre quand nous atteignîmes les faubourgs de Lyon et, finalement, le camion s’arrêta Place Bellecour, devant le siège de la Gestapo où l’on me fit descendre, accompagné d’ordre en hurlant. Je n’ai jamais compris pourquoi ces abrutis ne pouvaient pas dire deux mots sans hurler !

Je fis donc mon entrée dans la cour de la Gestapo avec une mitraillette appuyée dans le bas des reins et le soldat me confia à un militaire en donnant des explications, ceci toujours e..n hurlant !

Je fus poussé dans une pièce sombre où se trouvaient déjà une quinzaine de personnes ; nous étions assis à 4 ou 5 sur les bancs, j’avais à côté de moi deux juifs, dont la femme pleurait. Plus loin, deux hommes entre 30 et 35 ans dont l’un portait des traces de coups. Et l’attente commença ; pour tromper le temps je m’adressais à mon voisin. Je reçus un coup de crosse de mitraillette dans les côtes :

  • « Nichts parler ! »

et l’attente continua... Au bout d’un long moment, je fus reçu par un officier parlant français et à qui je dus répéter tout mon histoire.

  • « Nous allons vérifier et si vous mentez vous serez fusillé comme maquisard ! »

Nouvelle attente angoissée ; heureusement que j’avais, avant de partir, prévenu le P.C. des Chantiers du motif de mon voyage à Gévrieux.

L’officier revint :

  • « Vos déclarations sont en tous points exactes, cela vient de nous être confirmé, mais interdiction de retourner dans l’Ain, si on vous attrape, vous serez fusillé ! »

Mais, au moment de sortir, nouvelle émotion, près de la porte d’entrée, discutant avec des S.S., une femme de la Gestapo que j’avais vu à Marseille, personne ne se doutant de son rôle, une rouquine, mauvais genre ; elle me regarde étrangement... N’ayant rien à perdre, comme j’étais en uniforme, je passai à côté d’eux en les saluant militairement. ; après avoir hésité, ils me rendirent mon salut ! Peut-être m’ont ils pris pour une formation, genre L.V.F.

En arrivant chez les Quintero, pas de nouvelles de ma femme, ni de Monsieur Robert Y. je passai une nuit d’angoisse. Au matin, appel téléphoniques ils avaient passé la nuit dans un hôtel sordide.

Tout le monde se réunit chez les Quintero pour un repas frugal et nanti d’une permission en règle, nous prîmes le train pour Marseille où grâce à la complicité du Médecin C1onel

Blanc, je fus hospitalisé à l’hôpital Michel Lévy pour anémie grave.

Dès que je me suis rendu compte que je n’avais plus de nouvelles des Chantiers, je quittais l’hôpital Michel LEVY et réintégrais le service De Vernejoul.

Entre-temps, Madame Raphaël qui avait une maison de disques au 44 La Canebière, me téléphone et me demande de passer au magasin car elle a des disques à me montrer, en me fixant une heure précise. En arrivant, son cousin Monsieur Trouche dit « Gu » - que je connaissais bien - me demande si j’ai des contacts avec la Résistance, je lui réponds par la négative et il me propose de me mettre en rapport avec un groupe de l’O.R.A. (Organisation de Résistance de l’Armée). C’est ainsi que je fis la rencontre d’Adrien qui fut mon chef de groupe pendant cette période qui précéda la libération et avec lequel, je participais aux combats de la libération.

Me revoilà donc dans le service De Vernejoul, j’avais comme interne Henry, celui qui deviendra célèbre en pratiquant à Marseille la première greffe cardiaque et qui mourut prématurément en 1972. J’avais déjà fait la connaissance d’un saint homme, l’Abbé Bonifay, qui était aimé de tous, pour son dévouement et que je soupçonnais de faire partie de la Résistance.

Il me mit en rapport avec un surveillant nommé Roustan qui, en présence de l’Abbé, me fit la confidence suivante :

  • « Je suis chargé de récolter du matériel chirurgical pour les maquis qui en ont absolument besoin, je sais que c’est très difficile, car nous-mêmes à l’hôpital nous manquons de tout ».

En effet, les compresses stériles servaient plusieurs fois. Après usage, elles étaient lavées, ébouillantées avant d’être stérilisées. On passait un temps infini à aiguiser les bistouris et le biseau des aiguilles intraveineuses à la pierre d’Arkansas. Les champs opératoires étaient souvent de la charpie et les pinces hémostatiques avaient du jeu, rendant l’hémostase parfois difficile. Sans hésiter, je suis allé trouver Monsieur De Vernejoul pour le mettre au courant de nos problèmes.

  • « Petit, je vais voir ce que je peux faire »

et l’on a cherché parmi les instruments réformés ceux qui pouvaient encore fonctionner. Quelques compresses et, de fil en aiguille, le Patron mit à notre disposition un lot non négligeable de matériel. Je l’en remerciais, il me fit comprendre que c’était naturel.

Cinquante ans après, je suis très fier d’avoir été un de ses collaborateurs modeste, mais plein d’admiration pour ce grand chirurgien doublé d’un grand patriote.

Début Août 1944, je reçus un coup de téléphone d’une 3 jeune fille que j' avais connue à l’institut Régional d’Education Physique et qui voulait me parler de l’avenir des Professeurs d’Education Physique. Bien qu’étonné que quelqu’un s’inquiète d’un tel sujet en pareil moment, j’acceptai son rendez-vous qui eut lieu Boulevard Baille devant le couvent des Pressentines détruit depuis et qui fait partie du nouvel Hôpital de la Conception.

Nous commençons à parler de l’institut d’Education Physique et je me demandais où elle voulait en venir.

Puis, sans transition, elle me demanda si j’avais des nouvelles de mon frère qui était déporté.

Je commençais a me méfier, quand elle me dit ex abrupto :

- « Tu as été interne aux services des consignés à l’hôpital Salvator ? » Oui pendant.6 mois, de Juin à Décembre 1943 ».

- « Connais-tu des internes et du personnel qui aient des sentiments de sympathie pour la résistance ?

  • « Tout le personnel hospitalier et principalement les Sœurs infirmières, dont je réponds.

J’étais de plus en plus intrigué.

- « Mais pourquoi me demandes-tu cela ? »

- « Ecoute Ivan, je suis autorisée à te le dire, car depuis quelques temps nous nous sommes renseignés sur toi., nous organisons une évasion dans le service des consignés et comme tu as passé 6 mois dans ce service, tu peux nous fournir de précieux renseignements ».

Je lui ai fourni par la suite un plan exact des lieux, le trajet le plus commode et le plus discret, la place exacte du corps de garde des policiers français chargés de garder les résistants mêlés aux repris de justice et leur comportement.

J’ajoutais qu’il était parfaitement inutile d’alerter le personnel médical et hospitalier, moins de gens seraient au courant, au plus l’effet de surprise serait total. Je proposais à Mado de les guider.

  • « Il n’en est absolument pas question, tu pourrais être reconnu et tu ferais tout rater. Rentre chez toi et ne te fâche pas si je ne te donne même pas la date de l’opération. Tu n’es au courant de rien ».

Cinq jours après l’opération eu lieu et n’y ayant pas. je ne peux que reproduire le compte rendu paru

  • la libération dans le journal V Magazine sous le titre :

Cinq jours avant le débarquement de Provence, sept détenus s’évadent l’Hôpital Salvator”, dans la Rubrique les évasions célèbres.

Marseille, 5 août 1944... Nous sentons que le débarquement proche et notre Groupe Franc se prépare à la rude besogne qui m'attend. Par malchance, ce jour-là un de nos camarades tombe aux mains de la police française. Il a été blessé au cours de sa capture.

Aussi est-il transféré à la salle des consignés de l’Hôpital Salvator où il rejoint six autres de nos camarades.

Cinq jours plus tard... Depuis 7 heures, Mado rôde aux bords de l’hôpital.

Elle guette d’une part la relève des agents. D'autre part, l’arrivée du camion amenant les amis.

7h.15 : C’est la relève. Les agents arrivent par petits groupes. 7h.30 : Voici le camion... Les camarades descendent.

Noëlle et Pierre resteront dans le parc pour assurer une garde discrète. Imbert se dirige vers le téléphone... Et c’est du vrai cinéma... Mado, en blouse blanche, frappe à la porte du poste de garde pour le faire ouvrir sans donner l’alarme aux agents.

La porte s’ouvre immédiatement, surgissent Templier et Lévis, accompagnés de deux S.S. avec la mitraillette menaçante :

- « Où est le brigadier ? » interroge Templier. Un homme se présente.

- « Ah ! c’est vous ! » reprend Templier. « Eh bien, j’ai une mauvaise nouvelle à vous apprendre. Lisez...» Et il sort de sa poche une feuille à en-tête du sinistre 425, rue paradis, tamponnée l’aigle

Fin Juillet, début Août, deux nervis de la milice se présentent au n° 4 de la rue Borde, la mettent en état d’arrestation et l’emmènent au 425 rue Paradis.

Le premier incident a lieu dès l’arrivée où des soldats du poste de garde interpellent son collègue en patois Rhénan :

  • « Qu’est-ce qu’elle vient faire ici, cette vieille »

Ce qui lui attira une réponse cinglante de la part de Madame Schmitt, toujours en patois rhénan : les deux hommes furent abasourdis !

Toujours accompagnée des deux voyous elle pénètre dans le bureau où siège Muller, le chef de la Gestapo qui lui demande, en Français, OU est son mari, le Général. En Allemand, elle lui dit qu’elle refuse de lui répondre en présence des deux miliciens. Muller leur ordonne de sortir.

  • « Vous le savez mieux que moi, puisque les journaux français de la Collaboration et même les journaux Allemands avaient parlé du Procès Pucheu et de la composition du Tribunal

On avait su, par la suite, que les Allemands avaient conservé en 1943, un réseau d’espions important en Afrique du Nord. Et Madame Schmitt, ajouta en parfait Allemand :

- « Il est d’ailleurs où VOUS seriez, i vous étiez un officier français ».

Muller lui répondit :

- « Je vous comprends Madame ». Et il ajouta : - « Vous êtes libre ».

Mais elle avait eu le temps de se rendre compte que déjà la Gestapo s’apprêtait à plier bagage à la vue des carts qui

Le lendemain, le professeur B...; Médecin-Chef dans la Résistance, vient apporter ses soins aux rescapés. Et notre camarade Allaire, photographie les blessés et leurs faux papiers... pour l’histoire...

Dans cet article, Lévis m’a rendu hommage en ces termes :

“Ce grand médecin de Marseille dont le frère a été déporté en Allemagne”... C’était flatteur pour le petit étudiant en médecine que j’étais.

Mais ce récit appelle certains commentaires.

Nous sommes début août 1944, l’armée Patton, après avoir forcé la Résistance allemande à Avranches, fonce avec la 2eme D.B. du général Leclerc sur Paris.

Les Russes pénètrent en Allemagne, le débarquement en Provence est imminent. Tout le monde comprend que les Allemands ont perdu la guerre.

Il se trouve donc encore des policiers français pour tirer sur des Résistants et d’autres pour les garder salle des consignés à l’hôpital Salvator, en attendant que la Gestapo vienne les prendre.

On est confondu devant une telle lâcheté ; le plus fort c’est qu’après la libération, ces mêmes policiers ont gardé, avec le même zèle, des collaborateurs, des miliciens, des agents de la gestapo française.

Je voudrais ici relater un évènement auquel je n’ai pas assisté mais qui me permet de rendre hommage au courage, à la volonté indomptable, d’une femme : je veux parler de Madame Schmitt, la femme du Général Schmitt, mon patron de l’A. S, et la mère de celui qui sera plus tard le chef d’Etat Major Général des Armées et le Gouverneur des Invalides, le Général Maurice

Fin Juillet, début Août, deux nervis de la milice se présentent au n° 4 de la rue Borde, la mettent en état d’arrestation et l’emmènent au 425 rue Paradis.

Le premier incident a lieu dès l’arrivée où des soldats du poste de garde interpellent son collègue en patois Rhénan :

  • « Qu’est-ce qu’elle vient faire ici, cette vieille ? »

Ce qui lui attira une réponse cinglante de la part de Madame Schmitt, toujours en patois rhénan : les deux hommes furent abasourdis !

Toujours accompagnée des deux voyous elle pénètre dans le bureau où siège Muller, le chef de la Gestapo qui lui demande, en Français, où est son mari, le Général. En Allemand, elle lui dit qu’elle refuse de lui répondre en présence des deux miliciens. Muller leur ordonne de sortir.

  • « Vous le savez mieux que moi, puisque les journaux français de la Collaboration et même les journaux Allemands avaient parlé du Procès Pucheu et de la composition du Tribunal"

On avait su, par la suite, que les Allemands avaient conservé en 1943, un réseau d’espions important en Afrique du Nord. Et madame Schmitt, ajouta en parfait Allemand :

- « Il est d’ailleurs où vous seriez, si vous étiez un officier français ».

Muller lui répondit :

  • «Je vous comprends Madame ». Et il ajouta : - « Vous êtes libre ».

Mais elle avait eu le temps de se rendre compte que déjà la Gestapo s’apprêtait à plier bagage à la vue des cartons qui s’empilaient de tous côtés.

Cette anecdote attire de ma part deux réflexions :

Muller a-t-il relâché Madame Schmitt pour avoir un témoin à décharge en cas de procès ? S’il avait un instant pensé à cela, c’était mal connaître Madame Schmitt.

Il faut vraiment que les deux miliciens aient été des gens bornés pour procéder à des arrestations, alors qu’ils auraient du penser à leur propre sécurité.

C’était le rôle du Groupe Adrien de s’occuper des miliciens et des agents de la Gestapo qui tentaient de quitter Marseille et de les exécuter...

Notre P.C. était situé dans un bar, rue de l’Obélisque, près de Castellane ; nous avions à notre disposition deux voitures 11 CV Citroên avec de l’essence à profusion (je me gardais bien de poser la question a Adrien) ; ses activités sont toujours restées secrètes et mystérieuses, elles devaient être très importantes puisque, peu de temps après la Libération, il fut décoré de la Légion d’Honneur à titre militaire. :

Etant intégré dans l’équipe, Adrien me demanda si j’étais volontaire pour participer à ces expéditions ; j’acceptai. Ma haine pour ces gens, après ce qu’ils avaient fait subir à mon frère et à mes amis, était vivace. Je participai donc à ces exécutions dont une du côté de Vaufrèges qui faillit mal tourner, car elle eut lieu à moins de 50 mètres d’un poste Allemand. Ce qui m’avait le plus frappé, c’était la rapidité de l’exécution : les miliciens ou les gestapistes, en voyant arriver une 11 CV Citroën, croyaient avoir affaire à une voiture de la Gestapo : une rafale de mitraillette et la voiture redémarrait en trombe.

Mais je dois dire que dès que le pays fut libéré aucune exécution n’a été perpétrée par notre groupe. J’ai été horrifié, après la Libération, de certaines exécutions qui ont été faites par des individus, sans risque pour eux. De même ces femmes qui, injustement ont été tondues car elles avaient pratiqué la collaboration horizontale, par une foule hurlante, par des gens qui étaient d’autant plus zélés qu’ils avaient eux-mêmes quelque chose à se reprocher.

 

© Extrait de l'ouvrage "Mémoire d'un Juste"

Avec l'aimable autorisation du Professeur BELTRAMI, Juste des Nations



Accéder aux archives