Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

L'ORA dans la région R2 par Boris de GUEYER
11-11-1942

©  par Boris de GUEYER

Avec son aimable autorisation

L'O.R.A. DANS LA RÉGION R2 La zone Sud, zone dite "non occupée" jusqu'au 11 Novembre 1942, avait été divisée en six régions.

Ce découpage mis au point par le Mouvement Combat, avait été adopté à quelques nuances près par toutes les organisations de la Résistance à l'exception des F.T.P.F., mais par coïncidence leur inter région correspondait à la Région R2.

La Région R2 désignée successivement sous les noms de code "Marsoin", "Marchands", "Mutilés" comprend huit subdivisions représentant sept départements : Bouches-du-Rhône, Gard, Vaucluse, Hautes-Alpes, Basses-Alpes, Alpes-Maritimes, Var, plus l'agglomération de Marseille qui forme une subdivision séparée.

Cependant pour 1'O.R.A. sur demande de son Chef Régional, le Gard dépendra de R3 (Montpellier) tout en gardant des liaisons avec le PC. de la R2, tandis que les Hautes-Alpes sur demande du Colonel Descours, seront rattachées à la Région R1 (Lyon).

L'implantation de l'O.R.A. en R2 commence au début de l'année 1943.

En effet sur les instructions du Général Verneau, les Colonels Henri Zeller et Georges Pfister entreprennent le tour de la zone Sud - l'un s'occupant du sud-est, l'autre du sud-ouest - pour établir les premiers contacts.

Au mois de Février 1943 le Colonel Zeller arrive à Marseille et a une entrevue avec le Commandant Agostini, lui demandant de prendre en charge la R2.

Ce dernier décline cette offre car il a la ferme intention de rejoindre en Afrique du Nord, le Général Giraud dont il avait été l'un des officiers d'Etat-Major, projet qu'il réalise en Juillet 1943 par une filière via le Pays Basque et l'Espagne.

Il présente au Colonel Zeller le Capitaine Jacques Lécuyer qui avait été son adjoint à l'Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr alors repliée à Aix-en-Provence, en même temps d'ailleurs que l'Ecole de Saint-Maixent, ces deux Ecoles ayant été dissoutes dès l'arrivée des Allemands en zone Sud.

Il connaît l'état d'esprit de cet ancien instructeur, les "adieux" qu'il avait signifiés à ses élèves au moment de la dissolution de l'Ecole de Saint-Cyr, qui n'étaient qu'un "à bientôt", ses contacts avec le réseau S.O.E. Carte, et sa tentative de rallier l'Angleterre.

Compte tenu de ses qualités, il estime que le Capitaine Lécuyer est tout fait apte à assumer le poste de Chef de Région ; cette proposition est acceptée par le Colonel Zeller. Le Colonel Zeller qui avait déjà pris un certain nombre de contacts dans les départements de la R2 demande au Capitaine Lécuyer de les rencontrer afin de mettre sur pied dans leur subdivision respective l'ORGANISATION DE RÉSISTANCE DE L'ARMEE.

Six départements se trouvent ainsi pourvus d'un Chef Départemental O.R.A.

=  Alpes-Maritimes : Colonel Journois à Nice, remplacé en Mars 1944 après son arrestation par le Lieutenant Gautier.

= Var : Lt. Colonel Lelaquet à Hyères.

= Basses-Alpes : Commandant Vigan- Braquet à Digne, remplacé en Août 1943 par le Capitaine Chaumont. (Vigan-Braquet expulsé du département par les Italiens deviendra Chef Départemental du Gard.)

= Hautes-Alpes : Commandant Daviron à Gap (rattaché par la suite à la R1).

= Bouches-du-Rhône : Commandant de Saint- Opportune, qui sera remplacé par le Capitaine Ceccaldi.

En Octobre 1943 le département est scindé en deux : Marseille-Ville et son agglomération, qui reste sous les ordres de Ceccaldi et Marseille-Campagne, qui sera confiée à M. Franchi.

Il est à noter que Franchi, instituteur de métier, est le seul civil à qui Lécuyer confie un tel poste.

= Vaucluse : Lieutenant Gautier remplacé par le Capitaine Juan en Mars 1944.

Bien que tous ces officiers à l'exception du Lt. Gautier soient d'un grade plus élevé, aucun ne refuse de se placer sous les ordres du Capitaine Lécuyer.

Leur première tâche est le recrutement auprès de leurs anciens camarades de l'armée ou autres hommes et femmes prêts à entrer dans la lutte.

Le Capitaine Lécuyer recrute d'abord des "Maixentais" dont beaucoup sont restés dans la région d'Aix, et demande à l'un de ses anciens élèves de Saint-Cyr le Lt. Cheylus, de réunir chez lui à Paris tous les Saint-Cyriens de son ancienne section qu'il pourrait toucher de sa part. Lorsqu'il arrive à Paris, en Mars 1943, il trouve réuni à peu près la moitié de son ancienne section.

Tous les présents acceptent de le rejoindre dans le Midi. D'eux d'entre eux -bretons- demandèrent cependant l'autorisation de tenter auparavant, un troisième essai de traversée de la Manche. (cet essai réussit, ce qu'ils regrettèrent par la suite ayant été mal reçus et mal employés.).

Les Saint-Cyriens arrivent progressivement entraînant petit à petit des camarades de promotion ou des anciens, soit au total 46 jeunes s/lieutenants. Ils sont affectés à chaque département de la R2, au P.C. fixe d'Aix et de Marseille ou au P.C. mobile.

De son côté le Colonel Zeller avait fait parvenir au Capitaine Lécuyer les fonds indispensables et annoncé que la liaison avec Londres et Alger serait établie.

Ces liaisons furent effectivement établies quelques mois plus tard, par l'envoi de postes de radio avec leurs servants. (voir ci- après).

Il donne à Lécuyer un pseudonyme de la série géométrique, "Perpendiculaire" et un code de chiffrement strictement personnel. Afin d'avoir une plus grande liberté de mouvement Lécuyer (pour simplifier le récit les personnes seront appelés par leur nom sans mention de leur grade) prend Ceccaldi comme adjoint et organise son groupe de commandement en confiant à un certain nombre d'officiers (en général des sous- lieutenants anciens de Saint-Cyr ou de Saint-Maixent) les liaisons indispensables :

= Deux officiers de liaison avec l'échelon national.

= Deux officiers de liaison dirigeant la section Radio.

= Douze officiers de liaison avec les chefs départementaux.

= Deux officiers assurant les liaisons entre le P.C. et Lécuyer lorsqu'il se déplace.

Pour des raisons évidentes de sécurité, il avait été décidé que toute communication se ferait oralement et par conséquent confiée à des hommes responsables.

À titre d'exemple on peut citer le travail de trois de ces hommes : Lieutenant Curtet : liaisons avec les Maquis du Champsaur (Hautes-Alpes) et de la région de Digne où il conduit les jeunes réfractaires au S.T.O. et apporte les fonds nécessaires à leur subsistance

- liaisons avec le Capitaine Beyne, chef du Maquis du Ventoux

- expédition en Corrèze pour l'implantation d'un Maquis à Bugeat où avait été signalé un char camouflé, (ce Maquis sera par la suite transféré dans les Basses-Alpes)

- missions de reconnaissance des lieux de sabotages des voies ferrées

- réception des parachutages dans la région de La Motte d'Aygues (Vaucluse)

- transports d'armes et d'explosifs. Après son arrestation et son évasion il assure les liaisons avec Daviron, Chef Départemental O.R.A. des Htes.-Alpes rattachées à la R1.

En juin 1944 il rejoint Lécuyer à Barcelonnette. S/ Lieutenant Tilly : liaisons également avec les Maquis des Basses-Alpes et des Hautes-Alpes pour constituer de nouveaux Maquis, organiser leur ravitaillement ou instruire les jeunes au maniement des armes - missions à Bordeaux, Paris, Avignon, Orange, ou Clermont-Ferrand pour essayer de débaucher des jeunes à l'Ecole de Cadres de Theix

- liaisons enfin dans le Gard, rattaché à la R3, auprès de Vigan-Braquet, ce qui implique d'incessants va-et-vient entre Marseille et les différentes villes et un risque de contrôle multiplié. Le 6 Juin il reçoit l'ordre de gagner Barcelonnette. S/Lieutenant Betemps : de Septembre 1943 à Juin 1944 il a la charge des liaisons avec l'échelon national de l'O.R.A.-zone-sud à Vichy et la Région R1 à Lyon, passant pratiquement trois jours par semaine dans les trains -en outre des liaisons spéciales lui sont confiées avec les responsables départementaux de la R2

- ces liaisons l'obligent à avoir parfois sur lui des papiers compromettants, voire des fonds importants

-une mission l'emmène avec Ceccaldi, représentant Lécuyer, pour une rencontre avec les partisans italiens au col de Sautron. Arrêté à Digne au retour de cette mission, il réussit à se faire libérer. Le 7 Juin 1944 il rejoint Barcelonnette.

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La mise en place de l'O.R.A. ne s'effectue pas sans accroc.

Les 13, 15 et 17 Septembre 1943 trois officiers de liaison sont arrêtés, Viger qui s'évadera de la Gestapo de Marseille mais sera repris six semaines plus tard à Nimes, Saint-Macary et Curtet. Les deux premiers seront déportés mais reviendront de déportation.

Curtet sautera du train qui l'emmenait en déportation dans les environs d'Avignon et reprendra sa place au combat. Lécuyer, chez qui la Gestapo fait irruption en même temps que chez Viger - ils habitent l'un en face de l'autre- arrive à s'éclipser de justesse, Madame Lécuyer sera maintenue en état d'arrestation pendant six semaines, puis surveillée dans l'espoir d'un retour furtif de son mari. Cette manoeuvre, bien entendu, échouera.

Madame Agostini dont le mari avait rejoint l'Afrique du Nord est aussi arrêtée. Déportée. elle reviendra de déportation.

De leur côté les chefs départementaux ont dans leur secteur une liberté et une responsabilité totale d'organisation et de décision : recrutement, ravitaillement, recherche de lieux de parachutages ou implantations de Maquis, contacts avec les autres organisations de Résistance, voire avec les services de Londres ou d'Alger tel que la S.A.P. (Section des Atterrissages et Parachutages) ou les chefs des missions S.O.E. (Special Operation Executive -Direction des Opérations Spéciales Britanniques). Lécuyer garde sous sa seule responsabilité :

1- La répartition des fonds.

2- Les demandes de parachutages.

3- L'établissement du Plan d'Opérations et son exécution. 4-Les liaisons avec Londres et Alger.

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Le Service Radio est définitivement mis en place au début 1944 par le Lt. Arniaud et son adjoint le Lt. Bertrand après l'arrivée successive de sept équipes.

Chaque équipe est composée d'un officier d'opération et d'un radio. Ils sont en général issus d'une unité spéciale créée en Algérie en 1943 appelée "Premier Bataillon de Choc."

L'appellation "bataillon" ne correspond pas à la réalité car il est composé d'éléments disparates où se mêlent gradés et 2è classe ainsi que des spécialistes les plus divers.

C'est parmi ces hommes que le service de Renseignements et d'Action recrutent les volontaires dont la mission consiste à être parachutés en France pour coordonner avec la Résistance la préparation du débarquement. Ils reçoivent un entraînement intensif au S.P.O.C. -Special Project Operation Center-, organisme créé par les Britanniques dès leur arrivée en Afrique du Nord. (voir annexe.), près de Sidi Ferruch entre Alger et Cherchell au lieu-dit le Club des Pins.

Cet entraînement leur est dispensé par des instructeurs anglais pour le sabotage et le combat rapproché à l'arme blanche et américains pour le saut en parachute, le maniement des armes et des explosifs de toutes natures.

C'est ainsi qu'ils apprennent l'art de saboter une locomotive, faire dérailler un train, détruire un pont, éliminer une sentinelle sans donner l'alarme, supprimer un agent ennemi. Pour parfaire leur entraînement il leur est demandé de s'introduire dans un état-major, ou un aérodrome militaire après avoir été largués en pleine nature dans une zone où les contrôles sont nombreux.

Le chef de mission apprend en outre le chiffre, le codage et le décodage des messages qui seront transmis par son radio.

a) Equipe François/Marius parachutée en Octobre 1943 dans la Drôme où elle effectue un certain nombre de missions, puis sur ordre, elle s'installe à Puget-Théniers dans les Alpes-Maritimes. Repérée par les Allemands, Marius est tué, tandis que François, blessé, arrive à s'enfuir et rejoindre Lécuyer à Colmars.

b) Archimède parachuté dans le centre de la France en Février 1944, rejoint Marseille où il fera équipe avec Arniaud puis avec Hubert. Ils sont chargés d'assurer les liaisons avec Londres et transmettre les messages de Zeller, Lécuyer, Burdet, et souvent ceux des autres régions de la zone sud.

c) Equipe Modeste/Octave parachutée dans la Drôme, elle s'installe dans le Vaucluse près de La Motte d'Aygues. Sa mission est de réceptionner les armes, les agents interalliés et de transmettre les messages de Lécuyer. Octave sera arrêté le 21 juin 1944.

d) Equipe Dominique/Ferdinand parachutée dans le Vaucluse sur le terrain de Modeste, elle opère depuis Toulon pour passer les messages de Lécuyer et s'occuper des parachutages dans le Var.

e) Equipe Rubens/Paul parachutée en même temps que l'équipe Dominique/ Ferdinand à la Motte d'Aygues, est chargée depuis St. Raphaêl et Draguignan des liaisons maritimes par vedettes. Tous deux, dénoncés, seront arrêtés

f) Equipe Armand/Jean arrivée par voie maritime, s'installe dans la région de Pertuis (Vaucluse) pour transmettre des informations météo. Après l'arrestation d'Octave, Modeste rejoindra cette équipe pour continuer ses transmissions.

g) Equipe Noêl/Alexandre parachutée en Novembre 1943 dans la Drôme, est basée à Marseille. Alexandre s'occupe des messages de Lécuyer et de la mission Hercule. Noël () doit s'occuper des liaisons par vedettes entre la Corse et le Continent. NOTA BENE : Noël faillira à son devoir et se mettra au service de l'ennemi.

C'est sans doute en Mai 44 qu'il entre en rapport avec Ernst Nordma, plus connu sous les pseudonymes de Dunker ou Delage, chef de la section IV de la Gestapo de Marseille.

Contre la promesse d'une somme de trois millions de francs, il livre des pans entiers de la Résistance des Bouches-du-Rhône -21 personnes responsables sont arrêtées, 17 sont exécutées, 4 déportées- il donne les lieux de rassemblements des Maquis de Jouques, Sainte- Aime et Charleval.

Quatre-vingt-six patriotes y trouveront la mort au cours d'une seule opération. Il est à l'origine des arrestations des radios Octave, Rubens, Paul. Noël ne recevra pas le prix de sa trahison, car il sera lui-même abattu par Dunker.

Toutes les preuves de cette forfaiture ne seront connues qu'après la Libération grâce au rapport Catilina que Dunker avait rédigé.

Dunker sera arrêté en Septembre 44. Jugé,

il sera condamné à mort et fusillé le 6 Juin 1950. Ces équipes bien que réparties sur plusieurs départements, ne sont en aucun cas à la disposition des chefs départementaux.

Lécuyer est seul habilité à envoyer des messages pour l'O.R.A. Le D.M.R. Burdet mettra son équipe radio sous la protection d'Arniaud.

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Sur le plan national le début de l'année 1944 est marqué par le regroupement de l'ensemble des mouvements de Résistance qui deviennent les Forces Françaises de l'Intérieur -F.F.I.- placées sous les ordres du Général Koenig à Londres. L'organisation des F.F.I. en R2 se présente de la manière suivante :

- Délégué Militaire Régional -D.M.R.- Louis Burdet alias Circonférence, parachuté le 6 Février - 1944 (Opération ORION), arrêté fin Juin, mais libéré le 8 juillet ; il est remplacé par Camille - Rayon, puis par Guillaume Widmer qui en fait n'exercera pas sa fonction. - Chef Régional M.U.R. : Max Juvénat alias Maxence, Ovide.

- Chef Régional O.R.A. : Jacques Lécuyer alias Sapin, Perpendiculaire. - Chef Régional GROUPES FRANCS : Jean Garçin alias Bayard. - Chef Régional FRANC-TIREUR : Frédéric Fortoul alias Gardel. - Chef Régional LIBERATION & ACTION IMMEDIATE : Jacques Renard alias Thiboni, Tuipin. - Chefs Régionaux F.T.P.F. : Paul Bouy alias Jacques Derval, Commissaire aux Effectifs, Gaston Beau alias Callas, Commissaire aux Opérations.

- Chef Régional M.N.R.P.G. : Pierre Merli alias Neckli. Lors de la constitution des F.F.I, Robert Rossi alias Levallois, (M.L.N.) est nommé Chef Régional des F.F.I.

Il forme un Etat-Major Régional dont Lécuyer sera le Chef avec Henry Simon (F.T.P.F.) comme adjoint. En outre un Officier Régional d'Opération Camille Rayon alias Archiduc parachuté en Septembre 43 dirige la Section d'Atterrissages et de Parachutages (S.A.P.), organisme totalement indépendant, disposant de ses propres équipes et liaisons radios.

Cependant les équipes de la S.A.P. sont souvent imbriquées dans d'autres groupes de Résistance et par conséquent mettent les armes à leur disposition. Compte tenu des moyens matériels, des effectifs, de la faiblesse relative de l'organisation et des possibilités d'action, Lécuyer établit un "Plan d'Opérations" dont le facteur essentiel est le terrain qu'il divise en trois zones :

I.) La zone alpine proprement dite comprenant la vallée du Haut-Var, du Haut-Verdon et de l'Ubaye avec une forte implantation de Maquis dont le but serait d'occuper les vallées après nettoyage des quelques petites garnisons allemandes, puis d'interdire les communications ennemies entre Nice, Cannes, St. Raphaël d'une part et Digne, Gap, Grenoble d'autre part, et garder à tout prix le contrôle de cette zone.

II) La zone des massifs isolés : le Ventoux, le Luberon, la Trévaresse, les Maures et l'Estérel à partir desquels il faudrait faire régner un climat d'insécurité aux forces ennemies.

III.) Les zones urbaines pour la préparation de l'insurrection avec le maximum de précautions en prenant en compte la proximité des forces alliées. Ce plan est soumis à Juvénat, Simon et Levallois en présence de Burdet.

Il est approuvé et communiqué aux différents chefs départementaux.

En fonction de ce plan, Lécuyer fixe son P.C. à Barcelonnette.

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Bien que ce ne soit pas ici le propos de reporter les relations extrêmement difficiles qui régnèrent entre le Général de Gaulle, Winston Churchill et Eisenhower quelques jours avant le débarquement du 6 Juin, celles-ci ont eu une répercussion directe sur le déclenchement des opérations par la Résistance.

La transmission d'un certain nombre d'instructions aux organisations de la Résistance se faisait par messages codés diffusés par la B.B.C. Pour le débarquement du 6 Juin il avait été convenu de transmettre à chaque Région cinq messages ayant chacun une signification propre, sans pour autant indiquer qu'il s'agissait du débarquement lui-même et de l'endroit où il aurait lieu.

- Message n°1 : mise en état d'alerte.

- Message n°2 Plan Vert : sabotages des voies ferrées et routes.

- Message n°3 Plan Violet : sabotages des télécommunications.

- Message n°4 Plan Tortue : paralysie des moyens blindés.

- Message n°5 Plan Rouge : guérilla généralisée.

Pour la Région R2 les messages furent les suivants :

- "Le Gendarme dort d'un oeil" diffusé le 1er Juin.

- "Nous roulerons sur le gazon".

- "Il n'y aura plus de friture".

- "Les reproches glissent sur la carapace de l'indifférence".

- "Méfiez-vous du Toréador".

Ces quatre derniers messages diffusés simultanément le 5 Juin pouvaient faire espérer que des opérations de grandes envergures étaient imminentes.

C'est l'Etat-major d'Eisenhower et en particulier le Général Bedell-Smith qui décida d'envoyer les quatre messages en bloc à toutes les régions afin de déclencher sur tout le territoire français une action généralisée de guérilla et de sabotages.

Seul le Général Koenig en fut informé le 4 juin. Il rendit compte au Général de Gaulle qui entérina la décision.

Cette tactique, selon l'Etat-major, forcerait les Allemands de ne pas porter immédiatement toutes leurs forces disponibles vers l'endroit où aurait lieu le débarquement et de douter également du lieu même du débarquement.

Position tactique tout à fait acceptable mais qui aurait du être discutée avant avec l'Etat-major français. Cette discussion aurait notamment permis de poser le problème crucial de l'armement des F.F.I qui eut, dans bien des circonstances, des conséquences dramatiques.

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Quoi qu'il en soit les messages étant passés, le Général de Gaulle confirmant ces instructions par sa proclamation du 6 juin : "Pour tous les fils de France où qu'ils soient, quels qu'ils soient, le devoir simple et sacré est de combattre l'ennemi par tous les moyens dont ils disposent... agissant en son nom, ou de l'officier français de la Mission Interalliée qui s'est fait récemment son interprète auprès de nos troupes.......et donnant la priorité à la grève générale insurrectionnelle ..sans égard à aucune considération relative au débarquement sur nos côtes.... Dégliame-Fouché, Chef d'Etat-Major pour la Zone Sud en tournée d'inspection avait entériné la décision de Rossi qui était également celle de Juvénat, et demandé au COMAC la destitution de Lecuyer.

Lecuyer aurait souhaité rencontrer Rossi pour essayer de remettre les choses au point.

Malheureusement ce dernier fut arrêté par la Gestapo et fusillé à Signes le 18 Juillet. Le D.M.R. Burdet qui avait été arrêté fin Juin mais libéré le 8 juillet fera dans son rapport sur son activité en France le commentaire suivant : (...) À mon retour de prison, ayant pris connaissance de cette lettre, j'en ai parlé à Levallois en présence de Bob Rousseau et je lui ai démontré que cette sanction s'appuyait sur des faits inexacts.

Après mes explications, qui durèrent plus de deux heures, Levallois fut d'accord pour envoyer un autre message, qui annulerait les ordres précédents.

Cette promesse me fut donnée le dimanche 9 juillet, le lendemain de ma libération, mais, à ma connaissance, la deuxième lettre n'a pas été envoyée et, malheureusement, Levallois fut arrêté le dimanche 16 juillet. Son corps fut retrouvé à Signes (...)

De son côté dans son rapport Zeller dira : (...) "Je ne m'attarderai pas à la critique de cette circulaire et signalerai cependant :

1°- Qu'aillant rencontré Levallois, le 8 juin, à Aix-en-Provence, il m'avait dit, en propres termes qu'il espérait rejoindre Perpendiculaire à Barcelonnette, devrait-il marcher sur les genoux.

2°- Qu'en dehors de toute question de personne, les principes avancés dans la lettre de Levallois étaient en contradiction flagrante avec les instructions du COMAC reçues vers la même époque.

3°- Que dans cette circulaire de deux pages dactylographiées, il n'était fait allusion à aucun moment à la lutte contre l'Allemand.

4°- Que cette lettre n'a jamais été adressée directement à Perpendiculaire...

Ce problème eut un début de solution le 3 Août au cours d'une réunion au Col St. Jean près de Seyne-les-Alpes présidée par un envoyé d'Alger, le Colonel Sorrensen, et à laquelle assistaient Juvénat, Chef Régional M.U.R., Cusenier, adjoint de Zeller, Lécuyer, Chaumont, Bonnaire, Chef F.T.P.F. des Basses-Alpes, Cammaert et Christiane Granville du S.O.E., Morin, le nouveau Chef Départemental F.F.I. nommé le 5 Juillet, Fournier, Hasley, Gunn de la Mission Chasuble ainsi que Paul Meyer représentant le C.D.L. Dans un esprit de conciliation Lécuyer propose que Bonnaire remplace Morin.

Cette proposition est acceptée par Juvénat et les autres participants à l'exception de Morin. Sorrensen annonce de son côté que Lécuyer doit être proposé au poste de Chef Départemental F.F.I. des Alpes-Maritimes, lors d'une rencontre réunissant les Chefs de la Résistance des A.M. qui doit avoir lieu le 14 Août à Valberg.

Cette réunion eut lieu en fait le 18 à la suite de l'arrestation et l'évasion de Sorrensen à Digne. D'autre part Cuseer pour éviter toute équivoque, confirme que Lécuyer est et reste le Chef Régional O.R.A de la Région R2.

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La mise en application des Plans Vert et Rouge dès le 6 Juin (voir les chapitres consacrés à chaque département) provoque des réactions inégales de l'ennemi :

1- Alpes-Maritimes.. Les Allemands montent deux opérations l'une au nord de Cannes contre le groupe Beauregard qui se disperse ; l'autre, plus importante, un millier d'hommes comprenant des miliciens, sont engagés contre le P.C. de Gautier dans le Massif du Férion où s'étaient rassemblés de nombreux patriotes. Le secteur est évacué vers le nord.

2- Var. La réaction allemande est quasiment nulle contre les Maquis du nord du Département qui seuls ont bougé. Aups occupé par les F.T.P.F. et les C.F. puis évacuée, subit des exactions allemandes.

3- Vaucluse. Les Allemands réagissent dans la région de Vaison avec artillerie et aviation. Le Maquis se replie sur le Mont Ventoux. Les Maquis du Luberon ne sont pas inquiétés.

4- Bouches- du- Rhône. Plusieurs Maquis sont surpris et anéantis : Jouques, Ste. Anne, St. Antonin- sur- Bayon. Ces maquis ont été 'donnés' par le traître Noël. Mais on ne l'apprendra qu'après la Libération. Les camps de Mirabeau et de Meyzargues sont évacués sur ordre de Franchi.

5- Basses-Alpes. Quatre secteurs subissent les attaques allemandes.

Le 9 Juin une colonne ennemie venant de Gap est stoppée par le groupe Lorrain au Pas de Latour dans la Vallée de l'Ubaye.

Deux autres colonnes venant de Digne et de Nice convergent vers Saint André-des-Alpes. L'une d'elles est stoppée par la 5ème Compagnie F.T.P. commandée par Hutinet au Col des Robines. Cette action permet au Maquis Fort-de-France d'arriver et de renforcer les positions F.T.P.. Les Allemands reviennent à la charge le 11.

Les Maquis après avoir infligé de lourdes pertes à l'ennemi se retirent. Le même jour venant de Manosque les Allemands prennent Pont de Manosque et se dirigent vers Valensole qu'ils occupent. Le 12 Juin d'importantes forces allemandes progressent depuis le Col de Vars vers Barcelonnette qui est évacuée le 13, malgré un important parachutage d'armes reçu le 12 (huit avions). Les maquisards se réfugient en partie dans la haute vallée du Verdon, en partie en Italie où ils sont recueillis par les Maquis italiens.

En effet le 22 Mai 1944 Lécuyer avait signé un pacte avec Galimberti, Chef des Partisans du Piémont, pour une aide réciproque en cas de coup dur. Cette aide sera rendue le 18 Août lorsque les Allemands bousculeront les groupes italiens qui se replieront par la vallée de la Tinée. Il est bon de souligner que ces accords dits de "Saretto" entre les deux Résistances ont pu se réaliser malgré les griefs que les Français portaient dans leur coeur envers l'Italie.

Trois rencontres ont permis d'aboutir, l'initiative revenant aux partisans italiens. La première a lieu au col du Sautron le 12 Mai 1944. Elle met au point les accords militaires qui seront signés à Barcelonnette par Galimberti et Lécuyer.

Le 30 Mai à Saretto (Italie) les accords militaires sont complétés par un accord politique signé par Max Juvénat et Lippmann. Ce dernier, chef O.R.A. du Maquis de Laverq a été certainement l'un des principaux artisans de cette entente.

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Après l'évacuation de Barcelonnette la période de "calme relatif" qui suit (18 Juin/17 Juillet) est mise à profit pour une réorganisation et un renforcement des Maquis.

L'arrestation de deux "faux maquisards" le 14 Juillet et les S.R. des différents départements permettent d'apprendre que les Allemands préparent d'importantes opérations pour dégager la Route Napoléon, ils attaquent en même temps les vallées de la Tinée, du Cians et du Daluis dans les Alpes-Maritimes et celles du Verdon, de l'Asse et de la Bléone dans les Basses-Alpes (voir chapitres -L'O.R.A. dans les Alpes-Maritimes et les Basses-Alpes).

Cette situation renforce la coordination entre les Maquis des Basses-Alpes et des Alpes-Maritimes depuis la vallée de la Basse-Durance jusqu'à la moyenne vallée du Var.

Les combats se prolongent pendant une dizaine de jours, les Maquis suivant la tactique de la guérilla se retirent en infligeant de lourdes pertes à l'ennemi qui n'occupe pas le terrain. Lécuyer peut dès le 28 Juillet convoquer les principaux Chefs de Maquis à Eaux-Chaudes pour faire le point de la situation en R2 qui se résume ainsi :

- Alpes-Maritimes : les Maquis amorcent le mouvement de retour dans les vallées.

- Basses-Alpes : les Maquis ont bien résisté malgré les pertes, les arrestations et l'exécution de 18 membres du C.D.L. des B.A. Comme dans les Alpes-Maritimes, les Maquis reprennent pied dans les vallées.

- Vaucluse : maintien de la pression par les Maquis après une forte attaque allemande dans la région de Sault.

- Var : le sud de la vallée du Verdon est bien tenu par les frères Gouzy.

- Bouches- du- Rhône/Campagne : après les drames du début Juin le département se réorganise sous l'impulsion de Franchi. Cette réunion se termine mal. Les Allemands renseignés, surviennent dans la nuit du 29 au 30, l'obscurité permet à tous de déguerpir à l'exception du Capitaine Lippmann qui sera fusillé, et de deux aviateurs américains qui seront faits prisonniers.

Lécuyer dont le bruit de l'arrestation et même de sa mort s'était répandu se fixe à Seyne-les Alpes où il doit prendre contact avec une Mission interalliée, parachutée quelques jours auparavant au Col du Fanget.

Cette Mission a à sa tête le Colonel Sorrensen, chargé entre autre de régler le problème O.R.A./M.U.R. (voir ci-dessus) et bien entendu de préparer le débarquement : installation de balises pour le guidage des avions, liaisons avec les troupes alliées. Il a avec lui le Capitaine Fournier et un Britannique, le Major Gunn.

D'autre part à cette même époque, Zeller qui était le chef ORA pour la région alpine, couvrant les Régions R1 et R2, s'envole le 2 Août depuis un petit terrain entre Sault et Apt (Vaucluse) pour Alger. Il rencontre le Général de Gaulle et lui rend compte de la situation dans les Alpes.

Il apprend que le débarquement allié en Provence est fixé au 15 Août et que le plan des forces alliées prévoit une lente progression dans la vallée du Rhône pour atteindre Lyon à J+90. Ce plan ne tient aucun compte de l'action de la Résistance dans les Alpes.

Aussi Zeller suggère une manoeuvre audacieuse et rapide à travers la zone alpine, nettoyée et contrôlée par les Maquis, avec un rabattement brusque le plus au nord possible pour couper l. vallée du Rhône sur les arrières allemands. Ce plan permettrait d'atteindre Lyon à J+ 15 au maximum.

De Gaulle approuve et demande à Zeller d'aller exposer cette tactique au Général Patch, Commandant les forces de débarquement, qui se trouve à Naples.

Ce dernier lui répond que l'on en tiendra compte, si les circonstances le permettent, ne pouvant modifier le plan initial.

Le Colonel Zeller connaissant désormais les plans alliés de débarquement n'est pas autorisé, raisons de sécurité, de retourner en France.

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Nommé Chef Départemental FFI. des Alpes-Maritimes, mais agissant surtout en tant que Chef Régional de l'O.R.A., Lécuyer établit son P.C. à Valberg - la région de Beuil ayant été réoccupée par le Groupe Rodolphe. Il envoie ses officiers de liaison dans les Bouches- du Rhône/Campagne, Marseille, le Var et le Vaucluse afin d'informer les responsables des secteurs des nouvelles consignes.

De Boisfleury et Fournier partent en mission de reconnaissance sur les zones éventuelles de parachutages et d'atterrissages de planeurs alliés dans la région de Fayence-Le Muy. Granier est dépêché à Thorenc pour demander à la Résistance locale d'enlever les piquets anti-planeurs installés dans cette zone par les Allemands qui en fait ne sera pas utilisée.

Le 14 Août les messages annonçant une action de grande envergure passent à la B.B.C. Cette fois-ci, il n'y a pas de message de mise en état d'alerte. - "La burette coule" (Plan Vert). - "Le bombardement assourdi" (Plan Violet). - "Le chasseur est affamé" (Plan Tortue). - "Nancy a le torticolis" (Plan Rouge). Le 15 les Alliés débarquent sur les plages de Provence, tandis qu'une importante opération aéroportée a lieu dans la région du Muy, effectuée par la lst Airborne Task Force sous les ordres du Général Frederick.

C'est ce dernier que Lécuyer décide de joindre au plus tôt. Il part de Valberg avec le Major Gunn, un des membres de la Mission interalliée, et arrive à La Motte où le Général Frederick avait installé son P.C. le 16. Il expose la situation indiquant que la zone contrôlée par la Résistance peut permettre à la lst ABTF de pousser ses positions sans tirer un coup de fusil plus au nord et à l'est jusqu'au Var.

Après l'envoi le 18 Août d'un petit détachement blindé de reconnaissance, guidé par Lécuyer, au confluent du Var et de la Vésubie, le Général Frederick ayant obtenu l'autorisation du Général Patch encore en mer, accepte d'étendre son action sitôt le regroupement de ses forces réalisé, alors que sa mission initiale était la couverture du flanc droit de la tête de pont.

De retour le 18 Août, Lécuyer envoie à nouveau le Major Gunn accompagné de de Boisfleury accomplir une mission similaire auprès de la 36e Division US. à Draguignan pour lui indiquer que la route vers le nord était également ouverte.

Un escadron blindé de reconnaissance arrive sans coup férir jusqu'à Castellane ouvrant ainsi la marche à la colonne Butier qui foncera également plus à l'ouest depuis Venon.

Le 21 Août les troupes américaines libèrent Gourdon avec la participation du Groupe Rodolphe.

Le 26 les premiers éléments arrivent à Guette et Gattières.

À la demande de Gautier, ils donnent un appui d'artillerie permettant la reprise de Levens où avait eu lieu de durs combats depuis le 23 Août, tandis que Nice se soulève et se libère elle même.

Plus à l'ouest les Maquis engagés depuis le 6 Juin contrôlent maintenant la presque totalité de la Route Napoléon et de la RN 202. Puget-Théniers est libérée le 16 Août, le Logis du Pin et Séranon sont entre les mains du groupe Durival, Castellane est prise le 17.

La route est libre pratiquement jusqu'aux environs de Digne, le moindre convoi est attaqué, plusieurs détachements allemands déposent les armes après négociations à Château-Arnoux, St. Tuile, Manosque et Volx.

Les forces américaines peuvent ainsi appliquer le Plan Faisceau conçu par le Colonel Zeller. A la tête d'une importante brigade de cavalerie motorisée, le Général Butier fonce dès le 18 Août sur Digne et Gap qu'il libère le 19 et le 20.

À Gap la colonne se scinde en deux, une partie continue vers Grenoble, l'autre se rabat sur Montélimar pour bloquer la retraite allemande à la hauteur de Livron, le commandement américain ayant été averti que le pont sur la Drôme - seul pont disponible pour un passage en ordre des divisions blindées allemandes- a été détruit par la Résistance dans la nuit du 16 au 17 Août.

C'est en effet de Lassus, chef départemental ORA de la Drôme qui avait donné l'ordre de détruire le Pont de Livron dès qu'il eût connaissance du mouvement ennemi vers le nord. Il confiera cette tâche à une équipe de la S.A.R d'Henri Faure. Les 11e. et 14e. Panzer ainsi que deux divisions d'infanterie seront bloquées et pratiquement anéanties par l'artillerie et l'aviation américaine.

De son côté la 1ère Armée du Général De Lattre libère Toulon et Marseille avec le concours des F.F.I. et lance la 1er D.B. sur Avignon. On peut dire qu'à J + 13 soit le 28 Août l'ensemble de la Région R2 est libéré à l'exception de l'extrême est des Alpes-Maritimes et de Larche dans les Basses-Alpes. L'O.R.A., y aura, largement contribué.

La Résistance pour l'O.R.A. est terminée mais pas la guerre, les F.F.I. transformées en unités régulières poursuivront leur action sur la frontière italienne et dans le secteur de Tende et La Brigue jusqu'au 8 Mai 1945.

Par Boris de GUEYER

Avec son aimable autorisation



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