Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Du Fort VAUBAN aux Maquis des Cevennes quinze jours de cavale et de calvaire
Février 1944

par Edouard ALEXANDER, alias Auer, Thibaud, etc...

Décrire le calvaire de ces 15 jours de fuite est impossible, il faudrait la plume de Victor Hugo pour en rendre toute l'horreur.

Le froid, la faim, la soif, la souffrance et la fatigue pour ces squelettes vivants n'est pas descriptible.

La privation de nourriture et la faim, nous étions déjà entrainé à ne pas manger ; le régime des prisons de Vichy avait fait que de 80 kg lors de mon arrestation je ne pesais plus que 50 kg lors de mon évasion.

Pour mes camarades il en était de même.

Nos pauvres corps décharnés devaient fournir un effort inhumain ; mais notre volonté inébranlable nous faisait avancer.

La soif était terrible et il n'était pas toujours facile de trouver de l'eau pour boire dans les petits chemins de campagnes que nous devions prendre la nuit pour éviter d'être repérés.

Le froid dans la glace et la neige nous paralysaient et nos tenues de bagnards n'étaient pas faites pour nous protéger du froid.

Le pire fut pour les pieds ; nous avions essayé de les protéger avec des chiffons. MARIN, à qui il manquait les deux pouces des pieds, souffrit le plus et nous fumes obligés de le laisser sur le bord de la route.

Après nous être éloignés de la centrale nous nous dirigeons à travers la garrigue.

" Où allons-nous ?" Nul ne répond ! Nul ne le sait. »

Tout ce qui importe est de s"éloigner le plus vite possible sans se faire repérer.

On marche vite, très vite aussi vite que l'on peut, mais très rapidement les pantoufles en cheveux se déchirent au contact des silex droits ; nos pieds en sang mais nul ne se plaint.

Nous faisons notre possible pour les laver, lorsque l'on trouve une flaque d'eau, ou pour les protéger dans un tissu trouvé.

Il faut essayer de laisser la moindre trace possible.

Ce n'est pas la peine de faciliter le travail des chiens ; ils n'en ont pas besoin.

En silence on marche ; vers 5 h du matin, on traverse une route.

Je lis Montpellier 4 kms.


Je hurle, « on rentre en ville. Où devons nous aller ? »


Réponse : « dans les Cévennes ».


Moi " mais c'est au nord pas à l'ouest !"


Frantz : " je me suis perdu !"


Moi : " je vous dirige."

Avec la lune je situe le nord et nous refaisons le chemin en sens inverse !

Par chance cette erreur nous a sauvés. Les Allemands n'ont pas pu imaginer que nous pouvions nous diriger vers Montpellier alors que les maquis des Cévennes étaient à proximité.

Nous traversons des vignes à perte de vue avec des fils de fer à 50 cms du sol. C'est épuisant d'enjamber pendant des heures et surtout pour des squelettes.

Nous marchions la nuit et nous nous reposions le jour en nous cachant. Le deuxième jour nous n'avions fait que 4 à 5 kilomètres dans la bonne direction.

Pendant ce temps la milice et les Allemands nous cherchent .. beaucoup plus loin ! Leurs avions Storchs sont sur ALES où nous arriverons que 4 ou 5 jours plus tard.

Cachés toute la journée nous repartons la nuit, sans manger, sans boire autre chose que de l'eau croupie pendant des jours.

Le 4ème jour, à St CHAPTE nous lâchons les gendarmes qui nous donnent leurs chaussures.

Nous les supplions de ne pas dire où nous sommes mais nous gardons leurs armes : ils ont été corrects et n'ont rien dit.

Nous franchissons le GARDON à ALES à la nage, écartant la glace qui flotte sur l'eau glacée de février 44.

Les gardes allemands sur le pont sont trop occupés à se réchauffer pour nous remarquer.

À chaque brasse je bois une longue gorgée d'eau.

Puis nous poursuivons notre route. Nous sommes partis à 24 mais la moitié de l'équipe est épuisée ; les autres ne valent guère mieux.

Un jour nous voyons une ferme isolée et nous pensons que c'est pour nous l'occasion d'avoir quelques nourritures et de nous réchauffer.

En nous en approchant les chiens se mettent à aboyer. Le fermier sort sur le pas de la porte, il nous voit et nous interpelle.

« Partez de là ! Ou je vous tire dessus. »

Nous essayons en vain de nous expliquer.

« nous sommes des résistants évadés, aidez-nous ! »

Un premier tir de chevrotine part en notre direction, mais personne n'est blessé. Sans doute à t'il tiré en l'air ?

Nous partons.

C'est vrai que nous sommes hideux et que nous pouvons faire peur dans nos tenues de bagnards.

Par chance, lors d'une pose nous constatons avec surprise que nous nous sommes arrêtés sous un châtaignier.

Mais comment manger les châtaignes sans faire de feu et sans attirer l'attention.

Nous avons trop faim, nous les mangeons tel quel et tant que nous en trouvons. Puis avant de partir le ventre plein mais avec une soif terrible, nous ramassons toutes les châtaignes que nous trouvons pour nos futurs repas.

Notre marche reprend, BESSON 44 ans, militant communiste est épuisé. Je le soutiens comme je peux.

C'est la règle ; dans le groupe les plus forts aident les plus faibles. Mais les forts sont déjà si faibles !

Le lendemain nous arrivons à la GRAND COMBE transis de froid.

Un de nos escorteurs nous dit :

" Ici je connais des gens qui nous aideront ; je vais essayer de vous apporter des sandwichs".

Il nous ramène du pain et quelques morceaux de fromage.

Nous fîmes un festin délicieux dont je me délecte encore ; malheureusement trop bref pour nos ventres affamés.

Dans notre fuite en avant nous avons été obligés d'abandonner les plus faibles, et les mourants, nous ne pouvions faire autrement. MARIN est de ceux là.

Je dis à BESSON « nous sommes tous crevés, restons avec MARIN, demain nous repartirons reposés ».

BESSON « Non, nous ne pouvons pas nous le permettre. C'est mettre en péril tout le groupe si on s'arrête pour que l'un d'entre nous se repose ; s'en suivit une discussion puis un vote. »

Nous décidons de poursuivre notre route.

Si BESSON avait accepté nous aurions été repris et sûrement tués !!

Pour les réconforter nos camarades nous leurs promettons de les faire récupérer dès que nous pourrons rencontrer des résistants. Ils ne se font pas d'illusion.

Pour nous nous préférons laisser un camarade épuisé au bord de la route plus tôt que de le voir mourir dans nos bras. Au moins nous pouvons penser qu'une fois reposé il pourra repartir et s'en tirer.

Quand un camarade meurt, nos derniers mots sont de lui promettre de poursuivre notre action jusqu'à la libération de notre pays et d'essayer de retrouver sa famille pour l'informer des conditions de sa fin tragique.

Nous ne pouvons même pas l'enterrer, nous le dissimulons sous des branches et nous reprenons notre route dans un silence pesant.

Chacun de nous pense sans doute la même chose ; » À qui le tour ? ».

Après la guerre j'ai appris que la milice les avait repris et torturés à mort ces camarades qui déjà étaient agonisants.

Nous marchons encore 4 ou 5 jours, la nuit, nous cachant le jour, dans la glace des montagnes ; sans manger et en se gelant, avec à l'esprit le souvenir de nos camarades mais la volonté ferme d'échapper au boche et à la milice.

Enfin nous arrivons au maquis de SAINT FLORENT.

Ils ne nous attendaient plus.

Ils pensaient que nous étions soit morts, soit repris, soit allé vers an autre maquis.

Ils nous donnent un verre de lait chaud et un morceau de pain.

Nous pouvons enfin nous coucher et dormir en nous sentant relativement protégés, par les camarades des maquis qui veillent pour notre sécurité.

Dans la grange, sur une litière qui nous semble un matelas moelleux, nous nous effondrons.

Mais notre sommeil est entrecoupé des cris des camarades qui font des cauchemars.

Vers 23 heures après seulement quelques heures de sommeil, on nous réveille sans ménagement « vite, vite, il faut repartir les allemands attaquent tous les maquis de la région ; ils ont déjà pris 18 hommes chez les FTP. »

Tout endoloris les 14 survivants repartent.

Etape terrible, vent, pluie, neige en montagne glacée où nous dérapons en nous gelant. Vite, toujours plus vite, 4 nuits comme cela.

Nous perdons deux gars : j'ai les mains et les pieds en sang.

Enfin nous arrivons un soir dans une cahute. Nous faisons du feu et Frantz nous dit - on arrive demain !

Vers 22 heures deux gars apportent deux marmites de soupe de farine de châtaignes. Un régal.

Nous dormons au chaud, pour la première fois.

Au petit matin, nous partons à nouveau dans la glace et le brouillard.

À VIALAS, un hameau d'une dizaine de maisons à 1800 mètres, comme le froid est terrible nous enfonçons une porte de grange et nous nous serrons tous les uns contre les autres toute la nuit.

Au matin nous repartons trempés, glacés, sanglants, glissant et tombant sur la glace, puis redescendons sur 10 kms et arrivons aux BOUZEDES, deux granges et une  villa qui sert de cuisine, d'infirmerie, de réfectoire et salle d'étude et de réunion. Un rêve quoi.

Au point de vue stratégique le maquis des Bouzèdes est remarquablement placé.

Au bas de la colline de VIALAS il y a un plateau d'un kilomètre de long et 500 m de large qui surplombe un ravin d'au moins 300 m.

On arrive au plateau par deux sentiers très raides, aux deux extrémités du plateau. Nul ne peut monter ans être vu.

Nous restons couchés deux ou trois jours tant nous sommes épuisés.

Il y a une dizaine de maquisards FTP. Mes ongles des pieds ont tous sauté ; ils ont mis deux ans à repousser !

Nous ne sommes arrivés que douze sur vingt-quatre. C'est dire que chaque jour ou presque nous avons eu un mort ou nous avons dû abandonner un camarade.

Ces quinze jours de cavale ont marqué mon esprit de façon indélébile. Des années plus tard, que dis-je des dizaines d'années plus tard il m'arrive de revoir dans mon esprit des images de la mort d'un amis ou d'un moment particulièrement difficile que nous avons vécus.

Aujourd'hui encore, je ne peux m'endormir sans avoir près de moi mon 7.65.

Aujourd'hui encore, je me réveille en criant et il faut que ma femme me rappelle que la guerre est désormais finie depuis bien longtemps.
 



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