Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Mon évasion de la Centrale de NIMES le 4 février1944 par Edouard ALEXANDER

Mon évasion de la Centrale de NIMES le 4.2.1944 (quatre jours avant la déportation).

Par Edouard ALEXANDER alias AUER, BREVILLE, THIBAUT, FRANCK etc


"La liberté il faut la prendre". Ignazio Silone

Notre évasion était prévue le 28 Janvier mais CASAUD, gardien appartenant au P.C, n'était pas de garde et il fallut la renvoyer au 4 Février.

Après l'échec de l'évasion d'AIX le 28 Avril 43, du fait de la jambe cassée de CHEVANCE BERTIN, nous sommes transférés à la Centrale de NIMES le 29 Avril 43 (ou Mai 43, je ne me souviens plus) MANIERA, CARISIO et moi.

Notre arrivée fut un triomphe, les communistes pour Maniera, les Gaullistes Dr Fuchs et RAFFINI journaliste, pour CARISIO et moi, tout le monde avait été prévenu de notre arrivée par le gardien VALIERE de Combat.

La centrale n'a que deux mots " Silence",  "Face au mur et le pas cadencé".

Il y a 8 cours de 150 détenus toujours assis, sauf autorisation pour besoin urgent, ou pas cadencé, bras croisés, il y a une immense tinette et un robinet d'eau glacée qu'il faut casser pour se laver. (1 robinet pour 150 détenus).

À 17 h 30 : Réfectoire
À 18 h : On est enfermés dans des cages à poules de 1 m sur 2X2 jusqu'au matin 6 h.

Toujours loi du silence.

Il y a 80 cages par dortoir surveillé par un prévôt (détenu de longue peine qui exécute les punitions données par les gardiens) qui ne vit jamais longtemps après sa libération.

Pour les sanctions quartier cellulaire et mitard (cachot)

Je suis placé à la 1ère cour avec Maniera, sans CARISIO qui est à la deuxième :

Nourriture : de l'eau noire le matin avec un sucre et 1/2 boule de colle noire.

Midi : un plat de légumes " pois chiche - lentilles"
soir : un jus d'eau avec par chance des vers qui flottent et un rognon de rutabaga. (la ligne est vite de rigueur)


Mes kilos : de 80 descendent à 50.

Sans colis les détenus meurent de faim (souris, lapin WC , herbe)

Je suis élu au comité directeur de la prison composé de :

  • Pagetta Bureau National P. C :
  • Schiaparelli Comite central PC
  • MANIERA responsable M. O I
  • Moi, responsable gaulliste


Dès le début, je parle d'évasion. D'accord, SCIAPPA réussit le contact avec l'extérieur grâce à un gardien PC, un dénommé CASAUX qui n'a pas voulu nous suivre lors de notre évasion. Il est resté, a été pris, torturé, déporté.

Il est décidé que tel jour attaque extérieure de la centrale et nous devrons maîtriser les gardiens.

A l'intérieur la liaison se fait par 4 droits communs (ceux de l'attaque du train d'or Rossi etc.) ROSSI, SALICETTI, LANGE, SELCE.

10 mois de préparation puis attaque par M. O I et FTP Le chef Cristino Garcia est blessé, grosses conséquences car il est le seul à connaître notre destination et le rendez vous aux camions).

Seul problème : Comment les détenus pouvaient-ils sortir de leur cellule, bloqués par un loquet central ?

PAJETTA imagina un morceau de zinc à placer entre la gâche et son logement. En général cela a fonctionné ;

En ce qui me concerne, ce ne fut pas le cas, j'essayai en vain de forcer la porte. Ne pas pouvoir s'évader pour une grille de poule !.

Je me lance de toutes mes forces contre ce grillage qui plie mais ne cède pas.

Je me pends au plafond et je balance tout le poids de mon corps à deux ou trois reprises et je me lance... la grille saute et moi avec. Ouf ! Mon coeur battait à 400 pulsations seconde.

Nous capturons les gardiens et le central téléphonique mais les droits communs nous ont imités. 1000 détenus se retrouvent dans la cour.

BARTHELEMY gardien au central appelle longuement « Allo Police », il a fallu l'assommer pour le calmer. (Il ne risquait d'ailleurs pas d'obtenir la ligne puisqu'un FTP avait coupé tous les fils téléphoniques): Il a fallu abattre le molosse qui aboyait tout le temps : BARTHELEMY a reçu la médaille pénitentiaire pour son beau ( ?!) courage.

Un instant amusant, le jour de l'évasion au réfectoire CARDELLA (peintre en bâtiment Niçois) voyant ma musette pleine me dit : " Qu'est ce que tu fous de tout ce barda pour aller roupiller, on dirait que tu vas t'évader." Je réponds : « je voudrais bien, mais c'est pour me changer. » Quelle a dû être sa tête le lendemain !

Le soir qui précédait notre évasion nous marchions au pas pour rejoindre nos dortoirs. Tout à coup le surveillant chef hurle " halte, Schappareli au prétoire", un bon gros sort du rang et suit le gardien.

Je questionne PAJETTA " Est-ce que la Direction de la Centrale sait quelque chose sur notre évasion ? Est-ce que Schrappareli parlera ?"

PAJETTA "sois tranquille, c'est un dur, il ne parlera pas'.

Inquiétude toute la nuit, le lendemain l'explication faite en riant "c'est MOSCHATELLI à l'infirmerie, qui connaissait notre date de départ qui nous écrivait (sous prétexte qu'il allait à l'hôpital) nous souhaitant bonne chance !

Nous ne pouvons pas lâcher 1000 bandits et assassins dans le pays.

Nous les repoussons du revolver et la grenade et fermons la grille du souterrain nous menant à l'entrée.

Je ne vois pas CARISIO, je vais le chercher à son dortoir. J'appelle, pas de réponse, je n'ai pas le temps.

Nous arrivons au portail d'entrée, il est fermé avec des barreaux gros comme le poignet. Le directeur est au poste de garde, il sourit, pas longtemps.

Frantz M. O I polonais lui met un revolver sur la tempe : " si à 3 je n'ai pas la clef, je vous tue" il l'aurait fait. un deux, "voilà la clef " dit un gardien.

On ouvre, nous prenons les armes du poste ; il m'échoit un fusil Gras et une cartouche et nous sommes sur la rampe du fort.

Nous voyons des uniformes en bas. On s'arrête et on entend " venez ce n'est rien, c'est moi qui ai fait 4 gendarmes prisonniers"

Que s'est il passé ? un FFI nommé Léon (pas le mien Léon BROWN) était resté en garde au bas de la rampe du fort.

Lorsque GARCIA s'était tiré dans le pied, une dame habitant rampe du fort, presque en face de l'entrée de la Centrale, s'est mise à la fenêtre.

Elle hurlait « au secours », un de nos hommes a tiré sur elle et l'a ratée. Elle a eu peur, elle rentre chez elle et appelle la Police, Gendarmerie, Milice en disant qu'on titre à l'extérieur de la Centrale.

La plus rapide fut la Gendarmerie qui envoya deux hommes.

Au bas de la rampe ils voient Léon, s'en approchent et lui demandent s'il n'a pas entendu un coup de feu. Léon répond en sortant son révolver « non, mais vous, vous allez en entendre si vous ne me donnez pas gentiment votre révolver ».

Ce qui fut fait et Léon fit prisonniers les deux gendarmes.

Quelques minutes après, arrivent deux autres, voyant des collègues ils s'approchent sans méfiance. Léon réitère et c'est ainsi que nous avons eu 4 pistolets et 4 paires de chaussures pour nos plus mal chaussés !

La police et la milice ne se pressèrent pas et arrivèrent après que nous soyons partis.

J'ai su plus tard que VALETTE le Directeur, qui avait appris que CASAUD avait ouvert la grille, l'avait fait mettre nu et avec un fouet de charretier, l'avait battu jusqu'à ce qu'en sang il tombe à moitié mort. Il fut remis aux allemands et déporté.

Je ne sais pas s'il est revenu.
 



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