Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Une audience de la Section spéciale d'Aix-en-Provence

Nous quittons la prison de Nice vers 16 heures, fers aux mains et aux pieds, mais grâce à TOLNAY tout le monde est prévenu, Famille, Résistance. Nous nous sommes mis d'accord avec BROWN par l'intermédiaire de COTTA pour nous évader pendant le trajet.

Nous n'attendons qu'un signal de Léon (BROWN). Dans le grand hall de la gare nous sommes regardés comme des bêtes curieuses. Nous nous mettons à chanter la Marseillaise, puis crions "Vive de Gaulle".

J'entends une jeune femme dire à son fils qui la questionne sur nous : « ne regarde pas mon chéri, c'est laid, ce sont des forçats » !

Je lui dis, « oui Madame, ceux qui libèreront la France sont laids, ils devraient pourtant servir d'exemple à vous et votre fils. »

Le Brigadier ne sait pas où se mettre, il nous fait rejoindre le quai de départ où toutes les familles sont là. Pleurs et baisers à travers les vitres. Le train part, CARISIO et moi guettons le signal. Rien jusqu'à TOULON ou j'entends le Kouac de Léon, je le dis à CARISIO.

Arrivée à MARSEILLE, toujours rien sinon que CARISIO a vu Léon. Il lui fait comprendre que cela se passera entre MARSEILLE et AIX.

Nous, nous ne pouvons rien avec nos bracelets aux pieds et aux mains.

Dans la gare de MARSEILLE, nous tournons plus d'une heure et grâce à notre imbécile de chef nous ratons le train d'AIX qui a emmené Léon et son équipe (LONGUI, MAIGRET, ISSAURAT, LEON, CIAIS,) qui nous chercherons en vain !

Deuxième évasion ratée.

Pour la première, je devais simuler une crise d'appendicite et le toubib complice, Docteur RAYMOND contacté par Médecin, Maire de NICE, devait m'envoyer à l'hôpital, d'où l'évasion serait facile. Mais la guigne y était, le jour où je devais avoir ma crise ce fut le transfert à AIX.

MAIGRET m'avait dit, lors d'une visite (le 10/04/43) « tu te feras « porter raide » le 21. Le toubib diagnostiquera une appendicite. On te transfèrera à l'hosto et on te fera évader pendant le transfert. » Beau rêve !

Donc nous arrivons à AIX où nous sommes reçus comme des chiens dans un jeu de quilles.

Au bout de quelques jours un Avocat arrive. Il est gonflé de son importance, nous reproche tout ce que nous avons fait. Il nous déplaît.

Renseignements pris, c'est le chef du PPF. On va à l'abattoir.

En effet, en section spéciale on n'a pas le choix de l'avocat ni la connaissance du dossier.

Je contacte VALLIERE (le gardien gaulliste). "Il faut nous faire changer cet avocat."

JUVENAL intervient à AIX, l'Évêque de NICE Monseigneur REMOND contacte l'Archevêque d'AIX, enfin MEDECIN, Maire de Nice intervient de son côté.

Ouf, j'apprends que c'est fait.

Nouveau parloir, les parloirs Avocat à la prison d'Aix sont curieux, un long couloir où il y a une dizaine de portes s'ouvrant sur une pièce de 1m2. Ce sont les parloirs.

Puis il y a une pièce de 10 m2 où les avocats reçoivent leurs clients s'il y en a plusieurs. Nous avons ce bénéfice.

Arrive un jeune de 30 à 35 ans, chapeau melon, gants couleur beurre frais, souliers avec guêtres, noeud papillon, le tout accompagné d'une canne à pommeau d'ivoire.

"Qu'est ce que c'est que ça ?"

En 3 minutes nous sommes conquis. Parler franc, c'est un gaulliste convaincu.

"Seul moyen de vous sauver de la peine de mort, c'est d'éviter les attentats sur voie ferrée. Perpète, on s'en fout, vous sortirez à la fin de la guerre."

Nous sommes requinqués, nous venons de voir la chrysalide du plus grand avocat français.

Le futur grand Bâtonnier FILIPPI nous a pris en main.

Deux ou trois visites puis FILIPPI nous avise que c'est pour demain. J'ai oublié de dire qu'à AIX il y a tous les âges de détenus. Je l'ai compris lorsqu'un jour, en l'attente de l'avocat, j'étais dans les grilles du parloir.

Un gosse de cinq ou six ans s'approche de moi, me donne un petit coup d'épaule et me dit : "t'aurais pas une clope par hasard ! ". "Mais qu'est ce que tu fais ici?". "Je suis détenu comme toi." "Il y en a d'autres de ton âge ? " "Une pleine cour de gars de cinq à treize ans."

Je suis stupéfait, je lui donne une cigarette en lui disant que cela faisait du mal.

Il rit et dit "Moins que la prison. Merci" et il s'en va philosophe. J'en suis encore aujourd'hui stupéfait.

Le 26 Avril, réveil, "souliers, vêtements, cravate, vous passez ce matin." Avec les menottes aux mains on nous fait traverser un long couloir souterrain reliant la prison au Palais de Justice, un banc à la fin du souterrain. On nous fait asseoir en attendant que la précédente fournée soit passée. 2 peines de mort.

On nous fait monter un escalier en colimaçon et nous débouchons dans la grande salle qui sert de Cour d'assise, toute tendue de noir. 100 ans en arrière ou 50 ans en avant ; C'est toujours la même salle, les mêmes fauteuils, la même estrade. La seule chose qui a changé, c'est le box des accusés, on y a ajouté une grille pour que les détenus ne puissent enjamber la balustrade et on a supprimé les tentures. C'est la section spéciale créée par la loi du 14 Août 1941.

Nous nous asseyons, un garde entre chacun de nous, devant nous, ce sont nos avocats. Trois jeunes stagiaires et FILIPPI.

« Messieurs la Cour ». Tout le monde se lève.

"Assis" dit le Président, sec, maigre, grand air sévère, en rouge, ses deux collègues insignifiants.

C'est donc ce monstre qu'on appelle VERDUN et qui a, à son actif, 1 ou 2 peines de mort par jour . Il prononce le huis clos. Il n'a pas encore jugé de gaullistes. Nous l'étrennons.

Le Procureur général qui va requérir contre nous ? Quelconque. Mais ce qu'il y a de bizarre, c'est que quelques années après, c'est lui qui me recevra comme avocat.

Le Président : "Nom, prénom. Greffier lisez l'acte d'accusation."

C'est complet, il y a tout y compris RIQUIER ! Inquiétant.

Interrogatoire, chacun répète sa petite histoire.

DENOIZE, mon premier dénonciateur, est harcelé par VERDUN. "Vous êtes une lavette, une girouette, y avez-vous été à RIQUIER ? "J'ai inventé pour me rendre intéressant !". "Bon, asseyez-vous."

"Faites entrer les témoins". Le seul entendu est le Commissaire CECCARELLI. Il minimise au maximum, nous sommes des patriotes et nous utilisions des explosifs inoffensifs.

VERDUN l'interrompt, " Huit bâtons de trinotoluène ! Vous appelez ça inoffensif ! C'est bon vous pouvez vous retirer."

Et le commissaire avocat se retire m'adressant un regard navré.

"Monsieur l'Avocat Général vous avez la parole."

Le réquisitoire est accablant, il demande le maximum pour Léon, CARISIO et moi parce que nous « gênons PETAIN » et nous sommes de « dangereux illuminés ».

Les Avocats plaident : jeunesses patriotes aiment la France. Ont été entraînés par leur professeur CARISIO. Ils regrettent.

FILIPPI commence avec un humour caustique. Puis il devient féroce.

"Ce ne sont pas ces jeunes qui devraient être ici, ils montrent le chemin de l'honneur au pays, ce sont d'autres plus anciens, sans courage, ni volonté, qui détruisent l'image de la France. »

Je tape sur l'épaule de FILIPPI et lui dis : "pas la peine de plaider, vous allez venir nous rejoindre pour rien. Regardez ! Il se fout de ce que vous dites."

Effectivement pendant toute la durée de la plaidoirie de FILIPPI, le Président VERDUN a lu un journal, grand ouvert devant lui.

FILIPPI s'arrête, VERDUN lève les yeux. "Vous avez fini Maître ?" "Oui Monsieur le Président."

VERDUN s'adresse à nous et dit « Avez-vous quelque chose à ajouter ? »

Un des flics nous souffle : « dites que vous regrettez vos gestes inconsidérés ».

Nous nous tournons vers lui et le regardons avec un mépris si incommensurable qu'il baisse les yeux.

Nous « nous regrettons de ne pas avoir fait plus et mieux ».

Le Président "levez-vous" et sans même consulter ses assesseurs annonce : "perpétuité, 20 ans, 10 ans, 5 ans.

"Je ne condamne pas à mort car je n'ai pas la preuve que l'attentat du tunnel de RIQUIER a été fait par les accusés. Gardes emmenez les condamnés."

Quand VERDUN a prononcé son verdict, je lui ai dit :

« Vous ne nous avez pas condamnés à mort. C'est bien. Mais lorsque nous aurons gagné, nous, nous vous condamnerons à mort !"

Et CARISIO d'ajouter: " Nous ; nous vous exécuterons."

VERDUN : "Emmenez les condamnés !"

Nous ne pensions pas être si bon prophètes.

Le 27 Janvier 1944 VERDUN était exécuté par deux M. 0 I ! Mais le plus fort et le plus scandaleux c'est que VERDUN figure encore aujourd'hui dans l'annuaire de la Magistrature au Tableau d'Honneur des Magistrats "Mort pour la France", alors qu'il est mort pour l'ALLEMAGNE en condamnant des Français qui se battaient contre l'ennemi.

Il n'y a pas de pourvoi possible, la décision est exécutoire immédiatement.

Pour nous, tout ce qui importait était d'éviter la peine de mort. Nous y avons échappé c'est l'essentiel. Nous embrassons nos avocats et repartons par le même chemin vers nos punaises.

Nous ne savions pas que c'était l'une des dernières séances de VERDUN (il ne siègera que sept fois encore). Il sera exécuté dans huit mois. Nous ne savions pas également que nous ne ferions pas la peine, puisque l'évasion l'interrompra, sauf pour DENOIZE qui fut déporté, et CARISIO qui s'évadera un mois après moi.

REVIGLIO et COULLARD libérés en raison de leur jeune âge, ne sont restés que 3 jours chez eux.

La Milice est venue les chercher, ils ont pu s'échapper et rejoindre le maquis jusqu'à la Libération.

Enfin à la libération la Cour d'appel d'Aix en Provence en séance solennelle et habit rouge, cassera l'arrêt qui nous avait condamnés.

La Cour nous réhabilitera en déclarant "que nos actes avaient été utiles à la libération de la France."
 



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