Résistants, Personnalités liées à la Résistance

Résistants, Personnalités liées à la Résistance

Charles DELESTRAINT

 Le général Delestraint, alias VIDAL, un soldat, un Résistant

Le général Delestraint, un soldat, un résistant

Le colonel DELESTRAINT à Saint Cyr en 1934

Des rues, des places, des avenues de nombre de villes françaises portent le nom du général Delestraint. Pourtant, bien des Français ignorent tout ou presque de ce soldat qui devint en 1942 le chef de l'Armée secrète sous le pseudonyme de « Général Vidal ». Et fut assassiné par les SS à Dachau le 19 avril 1945, dix jours avant la libération du camp.

Né à Biache-Saint-Vaast (Pas-de-Calais), le 12 mars 1879 dans une modeste famille du Nord, Charles Delestraint manifeste dès son enfance la volonté de devenir soldat. Élève sérieux, cet homme, dont l'action réfléchie est en harmonie avec ses convictions, va vivre intensément sa foi chrétienne. Sorti de Saint-Cyr en 1900, il sert dans les Chasseurs à pied et entre à l'École de Guerre début 1914.

Dès le début de la guerre 1914-1918, le capitaine Delestraint, à la tête de sa compagnie du 58e BCP (Bataillon de Chasseurs à Pied) interrompt la progression d'une division saxonne, mais quelques jours plus tard, il est fait prisonnier et interné en Allemagne jusqu'en décembre 1918. À son retour en France, officier breveté, il opte en 1923, pour l'arme nouvelle, le char de combat, convaincu de son efficacité devant le danger allemand. Lorsque, devenu colonel, il commande le 505e RCC (Régiment de chars de combat) de Vannes, il prône son emploi en grandes formations et non pas en soutien de l'infanterie, mais se heurte sur ce point au haut commandement français.

Promu général de brigade en 1936 à Metz, Charles Delestraint commande trois régiments de chars de combat, parmi lesquels le 507' RCC dont le colonel de Gaulle prend le commandement en 1937. En parfait accord, tous deux reprennent en détail leur conception sur l'emploi des chars en grandes unités, véritable combat qu'ils mènent jusqu'en mars 1939, date de la mise au cadre de réserve du général. Ils ne sont entendus qu'en 1940. Rappelé en août 1939, Delestraint déploie son énergie à pousser la production des chars B1 bis. Il obtient la sortie de 20 chars par mois. Le 16 janvier 1940, seulement, sont créées les deux premières divisions cuirassées. Après l'offensive allemande du 10 mai, Delestraint, d'abord à la tête de ce qui reste de la 2' division, commande le groupement des 2e et 4e divisions cuirassées, jusqu'à l'armistice. Au cours de cette campagne, il retrouve le colonel de Gaulle, bientôt promu général, commandant la 4' DCR (Division Cuirassée de Réserve). Ils connaissent des succès, tel à Abbeville, malheureusement incomplets du fait de l'incompréhension du haut commandement trop frileux pour accepter l'engagement simultané des deux divisions. Le général de Gaulle est appelé au gouvernement. Le groupement de chars entreprend une longue retraite, se battant cependant partout, notamment sur la Loire.

La demande de l'armistice, proclamée le 17 juin par le maréchal Pétain, n'arrête pas pour autant la progression allemande et la capture de nombreuses unités françaises à laquelle, cependant, échappe le groupement de chars. Charles Delestraint qui, à Valençay, entend à la TSF l'Appel de son ancien subordonné, y adhère totalement. Lorsque les restes des deux divisions de chars se regroupent au camp de Caylus (Tarn-et-Garonne), l'esprit de Résistance est déjà né chez Delestraint. Les paroles d'adieu qu'il adresse à ses soldats en sont la preuve, quand i I leur demande « de se comporter en Français, et non pas avec une mentalité de chiens battus ou d'esclaves. Si nous savons vouloir, la France ressuscitera un jour du calvaire présent ».

Le 8 juillet, après avoir reçu la troisième étoile de général de division (il est le seul général à avoir connu alors une promotion), il est versé à nouveau au cadre de réserve et quitte l'armée. Ne voulant pas voir les Allemands occuper le Nord, son pays, il refuse d'y retourner et se retire à Bourg-en-Bresse avec sa famille dès l'été 1940. Convaincu de la victoire finale, il organise sa résistance avec l'aide du fidèle commandant Perrette. Il rameute « ceux des Chars », les réunit en des journées soi-disant de commémoration entre anciens combattants, en assemblées et repas au cours desquels, toutes portes fermées, il évoque de Gaulle, l'esprit de Résistance, la reprise de la lutte et la libération certaine de la France. Ces réunions se multiplient, à Lyon, à Bourg-en-Bresse, à Lons-le-Saunier, en d'autres villes, même à Vichy. Des officiers et des sous-officiers se déclarent prêts à le suivre.

La propagande qu'il a entreprise ne se limite pas aux militaires. Il parle aux civils à Bourg-en-Bresse, parfois avec imprudence, de la certitude qui l'anime, du général de Gaulle, de sa confiance en l'obstination de la Grande-Bretagne dans sa lutte, de la victoire finale. Il ne craint pas d'exprimer sa suspicion de la collusion de Vichy avec l'ennemi. En février 1942, une lettre anonyme le dénonce au cabinet militaire du maréchal Pétain. Il reçoit un sévère rappel à l'ordre. S'il en tient compte dans la mesure où il lui faut observer plus de prudence, il n'en poursuit pas moins ses activités. Delestraint est soutenu par un cercle d'amis, parmi lesquels des jeunes dont l'un se mit à son service et devint, en 1942, son secrétaire ( l’auteur François Yves GUILLIN). Il est aussi sérieusement épaulé par un général en retraite réfugié à Bourg, gaulliste convaincu, le général Desmazes, qui sera son adjoint au sein de l'Armée secrète.

Delestraint devient « Vidal »

Le Général DELESTRAINT quatre mois après son arrestation.

Dans le pays, la résistance se structure. Après avoir mis sur pied en zone sud l'union des Mouvements de Résistance, Jean Moulin (Max), délégué du général de Gaulle, entame la seconde partie de sa mission : parvenir à la fusion des groupes paramilitaires de ces mouvements en une Armée de la Résistance. Il lui faut trouver un chef. Grâce au capitaine Gastaldo du 2e Bureau de la subdivision de Bourg-en-Bresse, ardent gaulliste qui connaît bien les opinions de Delestraint, ce dernier est pressenti pour assurer ce commandement. Max le rencontre à Lyon le 28 août 1942. L'entente entre les deux hommes est scellée ce jour-là. Max lui attribue son pseudonyme : « Vous serez le général Vidal ». De Gaulle, informé par radio, donne son entier accord. Le général Vidal devient le chef de l'Armée secrète, d'abord pour la zone sud. À la suite de sa nomination officielle au cours d'une réunion à Londres début octobre, le général de Gaulle lui adresse une lettre par laquelle il lui confie la charge d'organiser et de commander l'Armée secrète. Cette lettre a été conservée et enterrée par son secrétaire.

 C'est le 11 novembre, le jour de l'envahissement de la zone sud par les Allemands, que le commandement de l'Armée secrète prend effet. Vidal participe, à titre consultatif, le 27 du même mois, à la création du Comité de coordination des Mouvements à Collonges-au-Mont-d'Or. Le même jour Hitler supprime l'armée d'armistice et donne l'ordre à ses troupes de s'emparer de la flotte de Toulon, ce qui provoque son sabordement. Dans cette zone sud, Delestraint suit, à l'instar de Jean Moulin, « une route minée par les pièges des adversaires et encombrée des obstacles élevés par les amis » (Phrase du Général DE GAULLE).

Convoqués à Londres par de Gaulle, Max et le général Vidal s'envolent dans de petits avions britanniques Lysander » qui ont atterri dans la nuit du 13 au 14 février 1943 près de Villevieux (Jura). À Londres, ils rencontrent de Gaulle, des membres de Comité français, du BCRA (Bureau Central de Renseignement et d’action), des responsables civils et militaires britanniques et américains. Le chef de la France Libre étend les missions de Rex (A Londres les pseudonymes de Jean MOULIN étaient REX et MERCIER)) et de Vidal aux deux zones, en précisant leurs pouvoirs et les rapports vis-à-vis des Mouvements. Vidal demande aux Alliés la fourniture d'armes et de matériel pour l'Armée secrète, besoins devenus urgents à la suite de l'arrivée des réfractaires au Service du travail obligatoire (STO) et de la création des maquis. Les décrets d'application du STO ont en effet fortement accru l'arrivée au maquis de jeunes réfractaires qu'il faut héberger et nourrir, et auxquels il faut donner une instruction militaire et des armes. Le Lysander qui ramène en France Max, Vidal et Christian Pineau atterrit à Melay (Saône-et-Loire) dans la nuit du 19 au 20 mars.

De retour à Lyon, ils reprennent mission et commandement. Mais pendant leur séjour londonien, des arrestations par la police française (le chef d'état-major, Morin Forestier, Aubrac et d'autres) ont mis gravement en péril l'Armée secrète. Vidal doit reconstituer son état-major, nommant le commandant Gastaldo/Gal ibier chef d'état-major; il conserve le commandement du 2' bureau, aidé de son adjoint André Lassagne ; Henri Aubry/Thomas devient son chef de cabinet.

Vidal visite le Vercors, ses possibilités, et s'intéresse au maquis de l'Ain. Il prend des dispositions de sécurité et d'organisation en fonction de ses nouvelles missions. Mais il manque d'officiers pour le seconder. Son rôle nécessite des déplacements nombreux; il fait plusieurs séjours à Paris, prend contact avec les chefs militaires des Mouvements de la zone nord. Recevant un accueil cordial, il travaille à la structure des régions militaires de cette zone, en tenant compte de sa spécificité.

Voulant prévoir le sabotage des voies ferrées au jour J en zone nord, il charge son chef de cabinet de prévenir le responsable de « Résistance-Fer» d'un rendez-vous à Paris le 9 juin. Thomas commet des « imprudences » : message non codé qui ne parvient pas au destinataire. La boîte aux lettres était « brûlée». Le billet tombe entre les mains allemandes. Thomas, qui en est informé, néglige d'en prévenir Vidal qui est arrêté par l'Abwehr (Contre-espionnage de la Wermarcht) et le SD (Service de sécurité de l’armée allemande) sur le lieu de rendez-vous, à Paris, au métro de la Muette, le 9 juin 1943. Interrogé en vain, incarcéré à Nebel (Narcht et Nebel NN) au camp de concentration de Natzweiler Struthof, puis à Dachau. Dans l'un et l'autre camp, il est reconnu comme le chef des Français. Parlant à tous de la victoire prochaine, de la détermination des Alliés, de la Résistance française, il sait redonner l'espoir à ceux qui sont confrontés à la désespérance.

À Dachau, le 19 avril 1945, dix jours avant la libération du camp par les Américains, les SS annoncent au général qu'il est libéré. En fait, ils l'emmènent en dehors du camp et l'assassinent sauvagement sur ordre personnel de Kaltenbrunner (Chef de l’office central de sécurité du Reich.). Son corps est immédiatement incinéré. Compagnon de la Libération à titre posthume, son nom, en lettres de bronze, figure au Panthéon depuis le 10 novembre 1989.

En août 1942, lorsqu'il accepte le commandement de l'Armée secrète, il écrit ces phrases, sur un papier retrouvé plus tard : 1 - «Me désapproprier de moi-même. Vivre intensément pour Dieu, à qui je confie ma famille, tous ceux qui me sont le plus chers, pour ma patrie, pour mes frères. 2 - Vivre libre et joyeux, patient, en dépit de la botte allemande et de l'étouffement français. 3 - Etre exact ».

 

Texte de François-Yves GUILIN  secrétait du Général DELESTRAINT en 1942 et 1943.

Extrait des Chemins de la Mémoire #150 avec son autorisation.

Le Lien vers la revue en ligne des Chemins de la Mémoire.

https://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/revue/1940-repondre-lappel-0



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