Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Protestants dans la Résistance
12-03-2020

Résistants politiques ou armés, des protestants français le furent à l'égal de leurs compatriotes. Mais il n'y eut pas d'organisation clandestine spécifiquement protestante, pas plus que catholique du reste. En revanche, bien des protestants engagés en accord avec leurs églises dans la résistance spirituelle et l'aide aux persécutés prirent individuellement part au combat contre Vichy et l'occupant.

Lorsque se déclenche en 1939 la seconde guerre mondiale, suivie des quatre années d'occupation, le protestantisme existe en France depuis près de quatre siècles, dont 150 années de persécution ou d'exclusion totale. Ainsi les protestants sont des Français comme les autres, mais avec une histoire et une mémoire particulière.

À la veille de la guerre, leur nombre s'élève à environ 800 000, et leurs églises, environ 700 à 800, sont regroupées dans deux grandes organisations: l'Église réformée de France (ERF), la plus nombreuse, et la Fédération protestante de France, qui regroupe cette ERF et d'autres églises parmi lesquelles l'Église luthérienne. Ces organisations, qui se trouvent alors avoir le même président, le pasteur Marc Boegner, fonctionnent de façon qu'on appelle synodale, c'est-à-dire aumoyen de conseils élus démocratiquement.

Chaque paroisse constitue une cellule autonome, choisissant elle-même son pasteur, lui-même marié et père de famille le plus souvent. Cette absence de hiérarchie, l'implication très forte des laïcs, en particulier des femmes, dans la vie religieuse, l'intégration complète des pasteurs dans la société, ont certainement rendu la minorité protestante particulièrement disponible pour réfléchir et agir librement durant les temps d'épreuve, d'autant que l'éducation réformée met l'accent sur la responsabilité personnelle, le croyant n'ayant à répondre de son comportement que devant Dieu et sa conscience. Ainsi les protestants ne sont certainement pas meilleurs que les autres, mais leur passé et leur identité les rendent parfois différents. C'est pourquoi ceux d'entre eux qui, collectivement ou individuellement, se sont engagés dans une démarche de résistance, l'ont fait principalement au nom des droits de la conscience et de la personne humaine.

La Résistance de l'esprit

Instruits par l'expérience, les protestants éprouvent souvent une certaine méfiance à l'égard de l'État, dont ils ne reçoivent pas les commandements sans examen critique. Si donc ils ne contestent pas plus que d'autres la légitimité du gouvernement de Vichy, certains s'inquiètent assez tôt des décisions qu'il pourrait prendre sous la pression du vainqueur, d'autant qu'ils sont bien informés, par leurs nombreux contacts à l'étranger et en particulier en Allemagne, de la réalité du régime hitlérien. Par exemple, six jours à peine après l'armistice, les pasteurs A. Trocmé et E. Theis, en Haute-Loire, concluent ainsi leur sermon : « Le devoir des chrétiens est d'opposer à la violence exercée sur leur conscience les armes de l'Esprit. Nous résisterons, lorsque nos adversaires voudront exiger de nous des soumissions contraires aux ordres de l'Évangile». La résistance spirituelle devient ainsi un thème fréquent dans la prédication de bien des pasteurs dès 1940 et par la suite, par exemple Pierre Cadier à Montpellier.

En septembre 1941, à Pomeyrol dans Ies Bouches-du-Rhône, quatorze pasteurs et trois laïcs adoptent un ensemble de « thèses », dont la huitième ainsi rédigée: « L'Église considère comme une nécessité spirituelle la résistance à toute influence totalitaire ou idolâtre. » Ces textes eurent et conservent, dans le protestantisme français, un écho considérable. C'est encore sur ce mot d'ordre que le pasteur de Pury participa, au côté des pères Chaillet et Fessard, à l'élaboration des Cahiers du Témoignage chrétien à la fin de 1941. En mai 1943, la Gestapo arrêta Roland de Pury revêtu de sa robe de pasteur pour avoir prêché l'insoumission dans son temple de Lyon. Le refus, à partir de 1942, de prêter serment au Maréchal chef de l'État, sous la forme prescrite, et les extrêmes réserves exprimées envers« relève » puis le Service du Travail Obligatoire, appartiennent également à l'attachement aux droits de la conscience.

La sympathie envers les persécutés

Les protestants français se distinguèrent plus encore, même si là encore ils ne furent pas les seuls, par leur sensibilité précoce à l'égard de l'antisémitisme. Par l'importance, dans les églises réformées, de l'enseignement biblique, par leur situation commune de minorité souvent tenue à l'écart, les protestants se sentent en sympathie avec les israélites. C'est ce que le pasteur Boegner, par une lettre publique adressée au grand rabbin de France, exprime le 6 avril 1933, trois jours seulement après les premières mesures discriminatoires prises contre les Juifs allemands par le tout nouveau régime nazi : « Les fils spirituels des Huguenots tressaillent d'émotion et de sympathie chaque fois qu'une minorité religieuse est persécutée, et ils savent trop ce que les Églises de la Réforme doivent aux prophètes qui ont frayé la voie à l'Évangile pour ne pas se sentir meurtris des coups qui frappent les fils d'Israël. »

L'action en faveur des victimes des persécutions sur le territoire français à partir de l'été 1940, juives pour leur immense majorité, fut certainement la principale participation des protestants à la résistance contre l'ordre établi et imposé. Les représentants des églises multiplièrent les déclarations et les interventions auprès des autorités gouvernementales, et les manifestations de solidarité envers les Juifs français et étrangers.

Le 4 octobre 1940, au lendemain de la promulgation du premier statut des Juifs, l'inspecteur de l'Académie de Paris Gustave Monod, fils de pasteur et invalide de guerre, écrivit à son recteur que la nouvelle loi était «contraire à toute une conception de l'honneur intellectuel qui a été puisée par nous tous au plus profond des traditions françaises, humaniste et chrétienne.» Ce refus, le seul de son espèce dans le monde enseignant, entraîna la révocation de son auteur.

De même, la lettre adressée par le président Boegner le 26 mars1941 au grand rabbin Isaïe Schwartz fut le premier geste officiel d'une Église chrétienne de France envers une communauté « jetée si brusquement dans le malheur. Plus encore, les pasteurs de l'Église réformée de France furent invités par leur Conseil national à lire en chaire, le dimanche 22 septembre 1942, un communiqué déclarant que, « devant tant de faits si douloureux, l'Église se sent contrainte de faire entendre le cri de la conscience chrétienne». Huit pasteurs seulement, sur environ quatre cents, s'y refusèrent. Concrètement, le soutien aux Juifs fut pris en charge par des paroisses, par des pasteurs, souvent en liaison avec des prêtres, parfois par des villages entiers de forte tradition protestante, comme le Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire, Vabre dans le Tarn, Dieulefit dans la Drôme... Une organisation laïque, la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués), fondée dès octobre 1939 et animée par des femmes protestantes, en particulier Suzanne de Dietrich et Madeleine Barot, joua un rôle considérable en faveur des internés et des réfugiés. Aussi les noms de protestants français sont-ils proportionnellement nombreux dans la liste des « Justes des Nations » de Yad Vashem, à Jérusalem.

Les Résistants 

Résistants politiques ou armés, des protestants français le furent à l'égal de leurs compatriotes. Mais il n'y eut pas d'organisation clandestine spé­cifiquement protestante, pas plus que catholique du reste. En revanche, bien des protestants engagés en accord avec leurs églises dans la résistance spirituelle et l'aide aux persécutés prirent individuellement part au combat contre Vichy et l'occupant. Ainsi André Philip, député socialiste qui refuse de voter les pleins pouvoirs à Pétain et deviendra commissaire à l'Intérieur du comité de la France combattante. Ainsi Yvonne Oddon, inspiratrice et membre du réseau du Musée de l'homme fondé dès octobre 1940, déportée à Ravensbrück. Ainsi encore Bertie Albrecht, compagne de Henri Frenay et fondatrice avec lui du mouvement Combat, morte en prison en 1943, et le philosophe Jean Cavaillès, fondateur avec Lucie Aubrac et E. d'Astier de La Vigerie du mouvement Libération, fusillé au début de 1944 dans la citadelle d'Arras. On pourrait encore citer, parmi tant de noms connus ou discrets, Marcelle Guillemot, assistante sociale du centre protestant de la Clairière, dans le Ile arrondissement de Paris, qui sauva des dizaines d'enfants juifs et abrita un relais du Conseil national de la Résistance, ou Jacques Monod qui, à 41 ans, s'engagea et trouva la mortdans un maquis en juin1944, non sans avoir par lettre demandé pardon, car pour un chrétien « le recours délibéré à la violence a besoin d'être pardonné.»

L'objection de conscience, ou plus généralement le principe évangélique de la non-violence, provoqua en effet, plus d'une fois, une déchirure à l'intérieur des protestants, collectivementfondé dans les Cévennes le maquis de La Soureilhade, dans le souvenir explicite des résistants Camisards de 1702-1703, dont ces maquisards s'affirment les héritiers, tandis que le pasteur Chaudier est élu président du comité de Libération de la Haute-Vienne.

Enfin, nombre de protestants combattirent dans le maquis du Vercors.

En conclusion, il convient de ne pas généraliser en parlant « des protestants» comme d'une communauté à part. La petite minorité de Français rattachés aux églises de la Réforme furent aussi divers dans leurs choix et leurs comportements durant l'Occupation que le reste de leurs concitoyens. Peut-être, simplement, furent-ils davantage préservés, par leur histoire et par leur éducation, à la fois de l'antisémitisme et de l'esprit de soumission.

Texte de Laurent THEIS

Président Honoraire de la société de l’histoire du Protestantisme Français.

Extrait des Chemins de la Mémoire #116 avec son autorisation.

Le Lien vers la revue en ligne des Chemins de la Mémoire.

https://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/revue/1940-repondre-lappel-0

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