Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

La centrale de NIMES en 1943/1944
15-03-2010

LA CENTRALE DE NIMES en 1943/1944

Par Edouard ALEXANDER alias AUER, BREVILLE, THIBAUT, FRANCK etc
Voi que intrate laschate ogni speranza

Vous qui entrez ici abandonnez toute espérance DANTE

La centrale de Nîmes a été construite par VAUBAN sur une des collines de la ville hors des murailles de celle-ci. Ses bâtiments situés au Nord Ouest de Nîmes dominent toute la plaine. Sa citadelle, ses quatre bastions, sa place d'armes carrée, au centre, et ses fossés subsistent encore.

On y entre par une majestueuse porte en chêne, piquée de gros clous et rouillée sur ses gonds.

On traverse la ville puis on prend la rampe d'accès au Fort situé sur une colline ; et l'on se retrouve au pied d'une bâtisse énorme construite par VAUBAN où il n'y a qu'une ouverture barrée par un portail avec des grilles, de la grosseur d'un poignet, partout des gardiens, c'est impressionnant.

On entre par le poste de garde puis on découvre une grande cour entourée de 4 ou 5 immenses bâtiments. C'est la place d'armes carrée, ou "Cour d'honneur" ou nul n'a le droit d'aller, deux portes blindées en interdisent l'accès.

Nous continuons sous un tunnel et nous nous arrêtons face au bureau du gardien Chef.

Il sort et nous dit :

"Ici c'est la loi du silence, celui qui la viole : cachot !. C'est aussi le pas cadencé et le face au mur. C'est tout, allez aux douches !"

Nous passons sur un pont, 15 mètres plus bas de chaque côté du pont, une fosse avec 120 types assis, bras croisés. Le silence règne dans la fosse aux lions.

Nous montons un escalier et arrivons à l'infirmerie.

Un hurlement " tous à poil" puis le gardien fait un signe à un autre détenu, " rasez-les".

Avec une tondeuse bancale, il rase les cheveux, les parties sexuelles etc... tous y passent, de partout avec la même tondeuse.

Le gardien : " tu as oublié la moustache de celui là". Et avec la même tondeuse qui venait de raser les parties et l'anus du précédent détenu, on rase les moustaches oubliées. Il fallait voir la tête du moustachu serrant les lèvres et reculant la tête.

Puis arrivent deux autres détenus, avec des arrosoirs d'eau froide C'est la douche !

Après la douche, on nous passe des habits « en cheveux » et des sabots.

Cà y est, sommes vraiment devenus des bagnards !

Nous sommes d'abord placés en cellules d'isolement pour 15 jours, couchés sur le sol en béton. Ces cellules voient le jour par une meurtrière de 30 ou 40 cm, dans un mur épais de 2 mètres.

Dès notre arrivée en atelier, nous sommes contactés par GAZANIERE député communiste.

"Nous sommes plus de 100, vous serez en gourbi par 4. Ne fumez pas, ne vous laissez pas insulter par les gardiens."

Le chauffoir est une salle immense glaciale, bordée de bancs en béton le long des murs et des bancs en bois au milieu.

Environ 150 bagnards sont rassemblés et respectent la Loi du silence ; heureusement on peut décroiser les bras pour lire, si toutefois on a quelque chose à lire ou une lettre.

En centrale, tout le monde meurt de faim, la nuit et le jour on rêve de steak frites !

Au bout de 15 jours, vu la nourriture que l'on nous donne, on peut à peine marcher. C'est dans cette salle que j'ai vu un bagnard affamé attraper et manger une souris vivante.

Un jour une souris traverse le chauffoir. Trois ou quatre détenus se précipitent sur elle, malgré les coups de sifflets du gaffe. Elle échappe au premier, elle échappe au second ; la corse poursuite met le chauffoir en émois chacun pariant sur la souris ou sur celui qu'il l'attraperait, pour un temps la loi du silence est rompue.

Elle échappe au troisième et au quatrième mais le premier des bagnards, habilement replacé l'attrape et sans hésitation, la porte vivante à sa bouche et la mange !

J'en étais dégouté mais il fallait voir la mine satisfaite du bagnard avec le sang de la souris qui lui dégoulinait des lèvres.

Nous étions devenus des bêtes en tout cas c'est ce que l'on avait voulu que nous devenions.

Bien que je puisse comprendre la réaction du détenu, je ne l'acceptais pas et une telle attitude ne faisait que donner raison à nous geôlier.

La Cour, j'en ai parlé, c'est là que les détenus passent leur journée, soit assis sur les bancs de béton, soit à la queue leu-leu autour de la cour, au pas cadencé donné par le gaffe. Dans cette cour j'ai vu la faim.

Un jour un détenu reçoit un colis. C'est tout pourri. Il jette le lapin dans la tinette.

Un détenu se précipite, met son bras dans la merde et retire le lapin, puis va à la fontaine, lave le tout plus ou moins bien et... se met à manger tout le lapin. C'est écœurant.


Seule la volonté pouvait nous faire résister à cet avilissement.

Dans cette même cour, j'ai vu manger toutes les feuilles des arbres, comme toute l'herbe qui poussait !... et une couverture, le type en est mort !

Le dortoir. J'en ai déjà parlé, 80 cages à poules en 4 rangs, fermées par une tige qui s'abat sur vingt portes. Un seul individu, le prévôt, n'est pas enfermé.

On passe en gros 12 heures dans ces cages de 1,20 m de large sur 2 de long et d'une hauteur de 2 m ; elles ne comportent qu'une tinette et.... un lit.

Toujours le silence.

Dans l'obscurité le gardien note à la craie sur la porte les bavards puis le matin c'est le passage au cachot.

Seuls avantages des cages, il n'y a presque pas de punaises, quel bonheur par rapport à la prison d'Aix.

Le repas, j'en ai parlé. Eau le matin, midi et soir. Les politiques n'ont droit qu'à un colis par mois. Nous sommes en gourbi de 4, ce qui fait qu'il y a une bricole pour chacun, chaque semaine. Ceux qui ne sont pas assistés deviennent des bêtes.

J'oubliais, les politiques font des cours d'instruction générale. Je suis chargé de cours de grammaire ; ce sont VERNET et CONSO qui les organisent.

Le tour de la centrale est fait, sauf le quartier cellulaire.

On y pénètre par le "prétoire".

Cette pièce est ainsi nommée parce qu'un Tribunal hebdomadaire s'y tient présidé par le Directeur de la centrale, assisté par le Sous-directeur et le gardien chef, Le Tribunal sanctionne toutes infractions par 4 jours de cellule minimum. Ce peut être aussi la peine de mort et pas question de faire appel de la sentence.

Oui vous avez bien lu, la peine de mort.

Oh la mort n'est pas donnée par pendaisons ou par guillotine au petit matin mais cela revient au même.

En effet la plus grave des sanctions le cachot ; c'est un cube creux de 1,50 X 1,50, sans lumière ni lit, où on ne peut être ni debout, ni allongé. Avec une soupe tous les 4 jours, c'est la mort certaine pour 90 jours et souvent dès 60 ou 30 jours.

Après quinze jours de cachot on était déjà obligés de porter le détenu pour le faire sortir du cachot. Il ne pouvait tenir debout tout seul d'autant qu'il était déjà bien affaibli par le régime normal avant même de rentrer au cachot.

Etait mieux traité de détenu qui était condamné à quelques jours de détention en cellule car le soir le détenu recevait une couverture ; comme toute nourriture il ne bénéficiait que d'une soupe tous les 4 jours. De plus il avait interdiction de s'asseoir par terre ; le Prévôt qui le surveillait signalait toute infraction à la règle. Encore mieux, la salle : c'est une pièce de 50 m2 bordée de pains de sucre en ciment. Les détenus punis drivaient trotter 50 minutes derrière un prévôt et devant le sous-prévôt. Après cinquante minutes, repos dix minutes assis sur un de ces pains de sucre!

Avec un tel régime pendant douze heures d'affilées et une soupe tous les quater jours la situation n'était pas brillante d'autant que ceux qui ralentissent avaient droit au nerf de boeuf du prévôt de queue.

La nuit les détenus punis de salle de discipline étaient enfermés dans des cercueils superposés de 50 cms X 50 cms et 2 mètres enchaînés les uns aux autres.

Avec tous ces traitements indignes d'un pays civilisé il était normal qu'il n'y ait peu de survivants aux quartiers cellulaires. Ceux qui survivaient à ce régime étaient tous des assassins en puissance et les prévôts le savaient ; il faillait qu'ils soient encore plus durs pour s'imposer et se faire respecter..

Un jour un superbe athlète voulut résister aux ukases des prévôts ; mis à nu et battu jusqu'au sang à coups de nerfs de boeuf, il s'est rebiffé. Un autre prévôt est intervenu à coups de barres de fer. Les deux prévôts s'acharneront sur lui tant qu'il bougera.

Pendant ce temps le gardien regardait sans intervenir ; peu importe si le prisonnier devait décéder devant lui ; c'est ce qui arriva

En Centrale si vous vous tenez bien pendant quatre mois, vous avez droit à un galon. Au bout de huit mois deux galons avec une lettre par semaine et faveur ultime vous aurez droit à garder quatre centimètres de cheveux.

Le 14 Juillet 1943 était une date qui se devait d'être fêtée.

MOSCATELLI à l'Infirmerie a confectionné 180 drapeaux et le matin du 14 la centrale est décorée en Bleu Blanc Rouge et nous arborons tous notre drapeau.

Le gardien chef nous voit et demande : " qu'est ce que c'est que ça ?" C'est le 14 Juillet. Chef"  " Enlevez ces drapeaux" dit il.

Alors GAZANIERE lui réponds " enlevez-les vous-même."

Et l'on vit le surveillant chef enlever tous les drapeaux, un à un, les jetant par terre.

Il nous les aurait sans doute laissés si c'était le drapeau Nazi.

Au réfectoire à midi arrive le Directeur, ce qui est très rare.

" Vous avez manifesté ce matin. Tout le monde est privé de colis pour un mois." dit' il.

Nous sommes punis pour avoir arboré le drapeau français dans une prison Française. C'était ça VICHY.

En se mettant bien avec le gardien du chauffoir ou de l'atelier, on pouvait avoir l'autorisation d'organiser des jeux. C'est ainsi que j'ai fait un tournoi de jeux de Dames. Les vainqueurs de chaque cour se rencontrant en finale, cela nous a fait passer 15 jours.

Malheureusement il n'y avait pas de joueurs très forts ; le meilleur était un deuxième série qui joua contre moi la finale, mais il ne faisait pas le poids contre un maître national. Dommage. (NOTA : Edouard ALEXANDER faisait partie à l'époque des meilleurs joueurs Français. Il avait même fait jeu égal à Nice contre DE JUNG champion du monde de l'époque).

Nous avons aussi fait un journal avec des dessins et de nombreux articles. C'était moi l'imprimeur : Ce journal est aujourd'hui au Musée de MOSCOU. Pauvre civilisation ! (NOTA :ce journal a sans doute été transmis par des détenus communistes pour montrer la vie quotidienne dans les prisons Françaises.).

C'est AUZIAS dessinateur Niçois qui l'a merveilleusement décoré. C'est sa dernière oeuvre car il a été fusillé par les Allemands après la révolte d'EYSSES et l'évasion manquée. (NOTA : La révolte de la centrale d'Eysses sera déclenchée le 19 février 1944, par les Détenus Patriotes se rendront maître des lieux. Les révoltés furent transférés DACHAU ou ils moururent pour la plupart).

Je suis obligé, pour leur mémoire, de dire que c'est JACQUES, AUZIAS et CONSO qui m'ont déconseillé de demander à être joint au transfert pour EYSSES : entre Niçois on se soutient ; oh combien ils avaient raisons..

Dans toutes les prisons il y a des espions. Pour une soupe, un sucre, une pipette, un morceau de pain, on vendrait père et mère ; mais c'est en centrale qu'il y en a le plus. Tous les prévôts, les cloches, les ennemis politiques dénoncent à qui mieux mieux.

Je me souviens du Commissaire GA... mis en Centrale pour trafic, c'était un des rois du genre, il dénonçait tout, même ce qui était faux pour se mettre dans les petits papiers des Gardien. Haï de tous, nul n'osait le toucher.

Lors de l'évasion, toute la Centrale était dans la Cour d'honneur. Un de nos hommes Jean-Baptiste, victime de GA... nous dit : " je vais me le payer". Et avant de s'évader Jean-Baptiste lui donna une rouste mémorable ; il est vrai qu'il avait fait huit jours de cachot à cause de lui pour une fausse dénonciation.

L'infâme bouillon que l'on nous servait ne pouvait nourrir les détenus, comme je ne souhaitais pas manger des souris vivantes, j'attendais avec impatience de recevoir le colis mensuel que m'envoyais mon épouse.

Je n'ai su qu'à la libération que celle-ci se privait de nourriture pour m'envoyer mon colis et quelques nourritures !!

Le détenu n'a en effet pas droit aux cartes de rationnement (pain, matières grasses etc..) et il faut donc qu'une personne libre se prive ou fasse preuve d'ingéniosité.

Je n'ai jamais compris pourquoi il était interdit en Centrale de recevoir du lait ou de la poudre anti punaises ; pour tourner l'interdit il fallait tromper les gardiens.

On pouvait pourtant recevoir du lait mais il fallait ruser. On m'avait donné la recette. Il fallait acheter du lait concentré sucré Nestlé ; enlever l'étiquette ; le faire bouillir 10 minutes la boite ; le sucre devenait marron et à la fouille nous disions au gardien que c'était de la marmelade.

Cela se passait très souvent !!

Si on oubliait d'enlever l'étiquette « lait » on nous interdisait de recevoir la boite.. TATOUAGE

Les tatoueurs sévissent en prison cellulaire ou en chauffoir et ils gagnent royalement leur repas.

Les jeunes voulant passer pour des « durs » se faisaient tous tatouer, malgré nos tentatives de dissuasion, leur rappelant que ces dessins étaient définitifs et qu'ils ne pourraient jamais les enlever !

Par contre, il n'y a pas de tatoueurs ou tatoués en Centrale car le détenu est toute la journée sous l'oeil du surveillant et la nuit il est seul dans sa « cage à poule ».

L'ENTRAIDE EN CENTRALE

Les communistes avaient instauré un service d'aide pour soutenir les détenus non assistés.

Au réfectoire, chaque détenu versait une cuillère de sa pitance dans une gamelle.

A la fin de cette collecte journalière, la gamelle est pleine : j'ai eu l'honneur de bénéficier de cette aide pendant huit jours.

Merci à JACQUES, CONSO, GAZANIERE, AUZIAS, VERNET et autres.

Je n'ai jamais voulu que ma femme vienne me voir à la prison de NICE ou en Centrale à NIMES.

Cela aurait été trop impressionnant et de plus en mai 43 elle était enceinte de 8 mois ; c'est ainsi que je ne l'ai revue qu'un an après.

J'ai déjà dit que Léon a été arrêté le 24 Avril avec le Colonel CAMILLE mais je n'ai pas parlé de sa première évasion.

Il est interrogé au siège de la Gestapo 3 jours durant par DUNKER qui ne réussit pas à lui faire dire grand chose. Léon comme toujours, se paie l'individu.

Il s'évanouit, tombe dans les pommes, bafouille. Au bout du compte, DUNKER le fait ramasser, porter évanoui dans une voiture et mené aux Baumettes par deux gars qui ne se méfient pas d'un type en sang, évanoui à qui ils ne mettent pas les menottes. A quoi bon, il ne peut plus bouger !

Léon est le plus dangereux quand il paraît à bout. La voiture n'est pas à moitié chemin des Baumettes que Léon assomme ses deux gardiens tête contre tête, prend un révolver et menace de mort le chauffeur, il le force à s'arrêter, à sortir de la voiture et à trainer les deux autres ; puis tranquillement, il leur tire une balle à chacun dans un pied pour qu'ils ne puissent pas le poursuivre.

Il prend la voiture, deux heures après il est à NICE. Il prend femme et enfants et gagne PARIS sous ausweis gestapo !

Je n'ai pas dit que pendant l'interrogatoire il a fauché un tampon !! à PARIS il reprend contact, loge sa famille et redescend sur NIMES pour me faire évader !

Il se présente à la Centrale en Juin 43, sous papiers GESTAPO et tenue adéquate. « je veux voir le Directeur. » On l'amène chez VILATTE, il demande avec accent « je viens chercher ALEXANDER, voilà papiers ».

VILATTE fonctionnaire, demande les ordres français de remise.

BROWN « Gestapo pas besoin papiers français pour être obéi ! »

VILATTE s'entête. Rien sans papiers français. Léon s'en va furieux en menaçant le Directeur.

Ainsi VILATTE, ce crétin, m'a empêché d'être libéré 6 mois plus tôt et le sous Directeur m'appelle pour se vanter de m'avoir sauvé des griffes de la Gestapo !

Léon ne m'a revu qu'en avril 44. il est repris début Mai par le piège poste restante. Mort après un mois de torture.

Une pensée pour un pur héros mort pour la France.
 

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