Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

La prison d'AIX EN PROVENCE en 1943

PRISON d'AIX-EN-PROVENCE

Description faite par .

Edouard ALEXANDER alias AUER, ...

Heureusement qu'en 1997 cette prison a été démolie pour y installer la Cour d'Appel palais MONCLAR. En 1942 c'était une honte pour le genre humain.

On y accédait par une grande porte en bois qui donne sur un vestibule de 20m2 environ où il y a trois grilles avec des barreaux énormes.

La plus longue barre tout le vestibule et a une porte en grille qui donne sur un couloir grillagé des deux côtés. Derrière ces deux grilles perpendiculaires, il existe un petit espace pour les détenus et de l'autre côté il y a un espace pour les visiteurs. Le curieux de ce système fait que les visiteurs (5 ou 6 à la fois) ne peuvent pas entendre les détenus et réciproquement. On ne peut que se dévorer du regard ! D'ou un brouhaha permanent, chacun criant plus fort que son voisin pour se faire entendre.

A droite du vestibule, le greffe, à gauche un escalier aboutissant à l'appartement du surveillant Chef.

Lorsqu'on a franchi ce couloir grillagé, on arrive dans un large vestibule d'où l'on peut aller dans 4 cours différentes de 200 m2 environ.

Lorsque l'on entre au greffe, un crapaud hurle " nom, motif".

Pour la énième fois "gaulliste".

Nouveau hurlement "ordures !".

Il aurait préféré que nous soyons des assassins ;

Il est 22 h, nous n'avons rien mangé depuis la veille ; nous demandons quelque chose à manger. Réponse "crevez".

On nous met dans une cellule de 3 x 5, sans lit ni paillasse ; nous nous couchons sur le béton, sans même une couverture.

Le gardien éteint la lumière et nous laisse dans le noir.

CARISIO toujours pratique, allume un bout de chandelle ; il l"éteint au bout de quelques minutes.

Soudain DENOIZE pousse un cri : " allume".

Lorsque la bougie est rallumée nous regardons les murs.

Ils étaient blancs et maintenant il y a des raies tout le long des murs, des raies mouvantes : ce sont les punaises qui partent à l'assaut.

Nous en tuons tant que nous pouvons, au début avec un papier puis avec la main, une fois notre première réaction de dégoût surmonté mais elles sont trop nombreuses.

Nous sommes jeunes, épuisés, nous sommes vaincus par le sommeil et par les punaises qui nous dévorent à leur aise !

Au matin un gardien vient nous chercher et nous amène dans une des 4 cours. "Allez-vous laver". Dans un coin de la cour un robinet laisse passer un filet d'eau froide ; c'est tout ce que nous avons pour nous laver nous faisons donc la queue pour nous débarbouiller et nous laver les dents avec nos doigt. Il y a 150 détenus à la faire.

Pas question de pouvoir se raser ; la barbe sera faite par le barbier chaque semaine.

À 9 heures le gardien crie : " Au chauffoir".

On nous enferme dans une pièce de 5 m sur 10, dans laquelle nous sommes si serrés que l'on peut à peine se retourner. À côté de moi mon voisin me semble sympathique ; je lui demande : "tu es là pourquoi ? ". Tranquillement il me dit : " J'ai tué ma femme". Je suis refroidi !

Comme on nous laisse 3 ou 4 heures dans cette pièce, on fait ses besoins devant tout le monde dans des latrines qui sont dans un coin! Au début c'est difficile après on est bien forcé de s'y habituer.

Pour surveiller le chauffoir il y a, à l'autre bout de la pièce un guichet de 10 cm sur 20 qui sert à un gardien pour nous surveiller. Celui-ci ne rentre jamais dans le chauffoir, il serait étripé en 10 secondes.

Les détenus peuvent se tuer entre eux nul gaffe, gardien en argot de prisonnier n'interviendra jamais.

Dans le chauffoir il y a 3 ou 4 caïds qui règnent sur les lieux. Les caïds ont une table qui leur est réservée. Nul n'oserait s'y asseoir s'il n'y est invité, nous, eûmes cet honneur en qualité de gaullistes.

Les caïds sont en même temps, les policiers qui font régner l'ordre entre les détenus et les tribunaux qui prononcent des sanctions sans appel.

Leurs décisions sont toujours exécutées et rapidement exécutées.

Un jour une cloche, c'est-à-dire un individu non assisté, est jugé pour avoir a volé 1/2 pain à un caïd. Crime de lèse-majesté.

Le caïd assis à la table, la cloche comparait devant son tribunal qui se trouve être également la victime.

Le Caïd "pourquoi tu as volé ma boule".

La cloche " je ne savais pas que c'était la tienne".

Ah bon ! dit le caïd qui part à l'horizontale et qui écrase le nez de la cloche sur la table.

Bien que le sang coule à flots la cloche ne dira jamais qui lui a fait cela. C'était la sanction qu'elle méritait et qui a été aussitôt exécutée.

Peine complémentaire, le caïd décide : " tu seras privé de boule pendant trois jours !"

Le pauvre type déjà mourant de faim sera obligé de donner sa boule de pain au caïd déjà royalement assisté.

Dans cette prison il n'y a pas de mouchard, vu la vie en commun il serait exécuté dans les 24 heures.

La devise des caïds. " Avant moi, il n'y a rien ni personne."

C'est dans ces conditions que la vie s'écoule entre les punaises, les morpions, les poux et les caïds.

La proximité est telle qu'on ne peut pas se protéger.

De 9h à 18 h chauffoir puis la cellule.

Celle-ci est comme celle de l'entrée mais chacun a sa paillasse et ses punaises. Mais il est interdit de mettre un produit pour s'en défaire. ! Encore faut il l'obtenir.

De plus avant d'entrer en cellule le soir on est obligé de se mettre nu comme un ver, les vêtements laissés dans le couloir et le gardien examine chacun, mettant quelques fois un doigt dans les trous naturels pour voir si on n'y a rien caché !!

Au bout de quelques jours je suis contacté par un gardien. " Je m'appelle VALIERE, je suis de COMBAT et suis chargé de vous dire que CHEVANCE et MAXENCE (Max JUVENAL) préparent votre évasion. Je vous aviserai quand ce sera le moment".

Quel bonheur d'entendre cela, c'est comme si un rayon de soleil venait nous réchauffer. Toute la nuit nous ne parlons que de ça. Toute la journée aussi, en tout cas dès que l'on peut s"isoler entre nous.

Cette évasion rata puisque CHEVANCE s'était cassé la jambe la veille du jour J et que le transfert en centrale eut lieu 3 jours après. On ne put donc pas organiser une nouvelle tentative.

En un mois de séjour, pas une douche ! Quand on peut, on s'épouille ! (quand on est dans la cour).

Autre rayon de soleil, le révérend père AUNE dominicain, qui est venu me rendre visite, des entretiens d'une haute spiritualité me ramenant à Dieu.

Dès la première visite d'AUNE je lui avais dit « Je suis protestant, de plus je ne crois pas en Dieu. Vous n'avez donc rien à faire ici. »

Réponse de ce saint « je ne te demande pas qui tu es, tu es un homme cela me suffit ; prie Dieu, il t'entendra. »

Ce saint avait crée un établissement pénitentiaire exemplaire l'Etape, pas de barreaux ni de clôtures dans lequel aucun des 30 détenus ne s'est jamais évadé.

À AIX la nourriture est la pire de toutes celles que j'ai vue dans les prisons où je suis resté. Eau absolue matin et soir, appelée soupe !

La cour où nous passons de 7 h du matin à 9 h, les murs paraissent lisses. À nos yeux ignorants un gars nous montre. Il enflamme un journal et l'approche d'un mur. Des trous de la grosseur d'un ballon de foot naissent, des milliards et des milliards de punaises ont été dérangées. Dès que le feu s'arrête les trous disparaissent.

Nous passons en section spéciale le 26 et le 29 Mai puis nous sommes expédiés en Centrale.

Nous ne regrettons pas la prison d'AIX ni ses punaises très intelligentes. Lorsqu'on a de la poudre anti-punaises on en met entre la paillasse et le sol. On croit être tranquilles, que nenni, les punaises montent au plafond et se laissent tomber sur la paillasse où elles peuvent se repaître.

Ce sont les parachutistes !

Nous avons été surpris de trouver beaucoup de collaborateurs en prison, pour espionnage ou collaboration économique au profit de l'Allemagne. Comprendra qui pourra !

J'ai oublié de dire qu'à AIX nous sommes en « gourbi » CARISIO, moi et MANIERA, ancien Commandant des brigades internationales. On ne nous vola jamais rien à AIX car on avait des égards pour les Gaullistes ; de plus nous étions les « protégés » des caïds qui étaient, curieusement, tous contre VICHY. Sinon à AIX c'était la loi de la jungle, même les gardiens fauchaient tous les colis !!
 



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