Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

La prison de NICE en 1943

PRISON DE NICE

Description faite par .

Edouard ALEXANDER alias AUER, BREVILLE, THIBAUT, FRANCK etc

Les prisons cellulaires ont commencé à être construites vers 1878. Elles avaient pour objectif de donner une cellule à chaque détenu ;

C'est une prison construite en étoile. Du centre partent 5 bâtiments de trois étages bordés par une cinquantaine de cellules.

Le gardien avec 5 danois au centre peut surveiller les 5 bâtiments.

Gros avantage, pas de rébellion possible et pas de punaises car on peut se tenir presque propre.

Ce voeu n'a pas résisté longtemps à l'évolution de la société. Dès 1940, du fait du marché noir, de la collaboration, de la résistance et de la tentation faite aux voleurs, la population carcérale a doublé puis triplé très rapidement, ce qui fait que ce n'est plus un habitant par cellule mais trois, qu'il a fallu loger.

Un lit en fer et un châlit superposé pour les deux autres lits, une tinette et suprême luxe, un lavabo avec un peu d'eau courante.

Pour la nourriture, comme ailleurs, nulle mais une cantine assez valable et les colis reçus librement.

Peu de punaises et de poux. En un mot, une assez bonne prison mais toute la journée... et la nuit en cellule, une demi-heure par jour de " promenade" dans une cour de 20 m2 entourée de hauts murs avec un grillage total au lieu du ciel.

Lorsque nous avons été transférés des cachots infects de la police nous avons revécu.

Il est encore 20 h quand nous arrivons au greffe. Nous sommes reçus avec sympathie au seul mot de "gaullistes" Formalités du greffe puis nous sommes mis dans des cellules de 1 m sur 1 et 2 m de hauteur.

Déshabillez-vous pour la fouille ! le gardien un nommé " Capitaine" ne nous fouille même pas. Habillez-vous !

Nous demandons " on ne peut rien manger", le Capitaine " mes pauvres enfants, à 18 h la cuisine ferme, je vais voir si je vous trouve quelque chose." Il nous laisse seuls et revient 5 minutes après avec deux sandwichs " c'est tout ce que j'ai pu trouver, mangez".

Nous avons appris plus tard que ce brave type nous avait donné son repas. Geste plus que rare.

En prison le tabac vaut très cher avec 3 pipettes (qui se font avec une cigarette coupée en 3) on à une boule de pain. Avec le tabac on achète tout : De même pour les allumettes, avec une épingle on la partage en trois.

Après ce repas, nous sommes amenés dans une cellule où il y a, couchés par terre une douzaine d'individus sur trois paillasses. Nous restons debout, la porte est fermée derrière nous par le capitaine qui a laissé la lumière.

Un type d'une quarantaine d'années s'assied et dit " mais ce sont des gosses ! Qu'avez vous fait ?"

En coeur nous répondons " gaullistes".

Tout le monde s'assied pour nous voir et celui qui a parlé le premier dit " Allons, faisons de la place à ces braves petits". C'est ainsi que notre tête a tous a pu reposer sur une paillasse.

Le lendemain chacun de nous est affecté à une cellule de trois membres. Nous l'ignorions mais la cellule de la première nuit n'était qu'une cellule de passage.

Je ne sais pas comment cela s'est fait mais toute la prison savait déjà que c'étaient des gaullistes, les premiers qui avaient été arrêtés.

En réalité, en prison toutes les nouvelles se transmettent par les « gamelleurs », qui ont une grosse planque car ils monnayent grassement leur service d'agent de liaison entre cellules.

C'est d'ailleurs par un « gamelleur » que TOLNAY a pu faire aviser mon épouse du transfert à AIX.

Tout le monde a essayé de nous serrer la main lorsqu'on est allés à la promenade et de nous favoriser pour la soupe ou le café. Nous avons été tous séparés mais les relations cellulaires sont extraordinaires.

Très peu de vrais délinquants, beaucoup de marché noir, des étrangers sans papiers et curieusement quelques collaborateurs.

Je suis dans une cellule avec un émigré, avocat Roumain TOLNAY d'une instruction rare qui m'explique que nous gagnerons obligatoirement la guerre et m'instruit sur un tas de choses. L'autre un homme de 50 ans condamné pour marché noir à trois mois. Il sort dans 8 jours, sans intérêt.

CARISIO est avec deux petits cambrioleurs basques entrés clandestinement en France.

Au bout de 3 ou 4 jours on nous amène au Palais de Justice pour être présentés à un Juge d'instruction. Vu l'importance de notre prise on nous avait désignés le Doyen, un juge collaborateur nommé SEGUIN, nous serions chargés au maximum.

Ce transfert au Palais mérite d'être décrit. À 14 h 30, 12 agents de Police nous prennent en charge avec 4 gaffes, sur le parcours plus de 30 Agents. Les autorités ont peur que l'on essaye de nous faire évader.

Ils ne savaient pas que nous étions les seuls capables d'une telle opération !

Sur la Place du Palais il y a toute la Résistance, LAURON, COMBOUL, mon père, mon frère, ADRIANT, ISSAURAT etc..

COTTA le futur Maire de NICE et l'Évêque de NICE Monseigneur REMOND sont intervenus auprès du Procureur pour que l'on change le Juge et c'est ainsi que nous avons eu M. ARLES seul gaulliste du Palais.

Nous sommes accueillis au Palais par les meilleurs Avocats de NICE, COTTA, CAPONI, TASSY, LEANDRI, PASQUALI.

J'avais précisé à tous les détenus de ne pas parler de voie ferrée comme l'avait fait DENOIZE.

Il eut beaucoup de mal à se rétracter mais M. ARLES l'y aida. À moi il ne posa même pas la question.

15 jours après notre arrestation les Allemands nous demandent, 10 jours après ARLES répond : " ils sont partis en section spéciale."

C'est ainsi que nous avons été transférés à AIX.

Le transfert, 8 policiers pour 6 détenus, fers aux mains et aux pieds.

J'ai pu, grâce à TOLNAY, informer ma femme enceinte. Elle est là avec toutes les familles sur le quai.

Nous gueulons tous " Vive de Gaulle".

Ma femme me demande "Comment nous l'appellerons ? " " Raymond comme mon frère, Franck comme Roosevelt, Charles comme de Gaulle." Ce qui fut fait au grand dam de l'employé de l'état civil qui ne voulait pas inscrire Franck.

Mon frère lui a fait une peur bleue à la libération. Il est allé à la Mairie avec 4 gars armés, il arrive, pointe le bras et dit, " c'est lui, arrêtez-le". On l'emmène à mon P.C et mon frère l'a gardé toute la journée avant de le libérer, lui disant " ne dites jamais de mal des Gaullistes."

Nous sommes un peu réconfortés par des gars comme TOLNAY, LAKATOS etc.. mais la nuit dans le silence, l'angoisse nous reprend.

Puis s'élève un chant. Un détenu tous les soirs chante Lili Marlène.

Je n'ai jamais pu, depuis, entendre ce chant sans émotion, écoeurement, dégoût car pour nous il représentait l'occupant.
 



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