Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

TEMOIGNAGE de Marcel BRONZINA, MAUTHAUSEN-LINZ. Matricule : 59652
13-09-2018

 TEMOIGNAGE de Marcel BRONZINA,

MAUTHAUSEN-LINZ. Matricule : 59652

arrêté et déporté à MAUTHAUSEN en même temps que Denis MONOD

 

Publié avec l'aimable autorisation de  l'AFMD13

 

Le département de l’Ain situé à la limite de la Zone libre jusqu’en Novembre 1942, à proximité de Lyon et près de la Suisse a été une grande région de Résistance. L’arrestation et la déportation  des 34 employés et ouvriers du barrage de Génissiat en apportent une preuve.

 

«  Arrestation : 12 Février 1944 à GENISSIAT avec une quarantaine de camarades par les troupes allemandes et la milice, au cours de représailles contre les maquis du RETORD qui se retirent en SAVOIE et passent par GENISSIAT où ils ont la possibilité de traverser le Rhône.

A noter que deux ou trois cents personnes sont arrêtées mais qu’après un tri, nous restons une quarantaine.

Actuellement, je suis en mesure de communiquer l’adresse d’un seul camarade rescapé de cette arrestation, les autres étant décédés soit en Allemagne, soit depuis le retour, ou ayant quitté la région par suite de la fin des travaux de GENISSIAT.

Il s’agit de Monsieur Auguste CAROLI. INJOUX - GENISSIAT. 01 200 BELLEGARDE/VALSERINE. 

 

Trajet : Après l’arrestation vers 17 heures, transport en camion à SEYSSEL où nous passons la nuit du 12 au 13 dans une école, assis aux tables des élèves.

Le 13 au matin, transport à LYON (prisons de la Santé – Montluc) pour interrogatoire. Après quelques jours, nous rejoignons COMPIEGNE par chemin de fer en wagons de voyageurs où nous restons jusqu’au 20 Mars 1944.

Le 21 Mars, départ en wagons à bestiaux jusqu’à MAUTHAUSEN. Transport particulièrement pénible au cours duquel quelques camarades deviennent fous.

Certains hurlent. Si le train stoppe pour une raison quelconque, alors les SS n’hésitent pas à tirer au hasard dans les wagons.

Plusieurs tentatives d’évasion sont vite réprimées. Arrêt immédiat du convoi4 que ce soit dans une gare ou en rase campagne.

Evacuation alternative de tous les wagons avec obligation de ne conserver que le pantalon, c'est-à-dire de se démunir des pardessus, vestes, chemises, chaussures…

Tous ces articles sont rassemblés pêle-mêle dans un seul wagon dont les occupants se trouvent répartis ailleurs d’où un entassement encore plus insupportable que les SS parvient à obtenir en hurlant, en distribuant des coups de pieds, de crosses, de cravaches.

Pendant tout le trajet, un fois seulement nous avons eu droit à une boisson chaude, espèce de tisane servie dans un petit récipient en carton.

Chacun descend et attend son tour. Pour éviter de perdre le minimum de ce précieux liquide, nous revenons lentement au wagon, mais un magistral coup de pied produit l’effet inverse et nous pouvons tout juste humecter nos lèvres

A la gare de MAUTHAUSEN, un bon nombre de SS accompagnés de leurs chiens nous attendent.

Il fait froid et nous descendons du train avec nos seuls pantalons. Les vêtements, chaussures sont jetés sur le quai. Les coups pleuvent à nouveau. Il faut faire vite pour prendre l’indispensable dans ce méli-mélo et se mettre en rang par cinq. Peu importe, dès l’arrivée au camp, tout sera retiré, même les alliances, montres etc ….

La colonne s’ébranle. De temps à autre, on entend un coup de feu. Un camarade qui ne peut pas suivre, vient d’être assassiné ».

1- Ce témoignage, remis par Denis Monod fils, se trouve aussi sur le site « Mémoire de la Déportation dans l’AIN ».  (R. Lopez)

2- Étant donnée la longueur du texte, il a été décidé de le scinder en deux parties : l’arrestation et le trajet sont traités dans le bulletin 34, tandis que la libération et le retour en France seront présentés dans le bulletin 35.

3 - Auguste CAROLI, né à CAPIZZONE (Italie) le 15.01.1926. Déporté à MAUTHAUSEN, Kommando : Loibl Pass. Matricule : 59 676. Il avait juste 18 ans lors de son arrestation.

4 – Il s’agit du convoi I 191. Il transporte 1218 hommes (matriculés entre 59 479 et 60 696). 640 d’entre eux meurent ou disparaissent dans le camp de MAUTHAUSEN et ses Kommandos.

5- Marcel BRONZINA est né le 6 novembre 1921 à MONTRÉAL dans l’AIN.

 6- Boris TASLITSKY est né le 30 novembre 1911 à Paris de parents juifs russes réfugiés dans la capitale après la Révolution de 1905. Orphelin de la Première Guerre mondiale, il est reconnu pupille de la Nation et la Seconde Guerre mondiale lui enlèvera sa mère dans les chambres à gaz d’Auschwitz.

En 1939, il est déjà connu dans le monde artistique. Fait prisonnier en 1940, il s’échappe et intègre un réseau de Résistance. Arrêté en novembre 1941, il passe par plusieurs prisons avant d’être déporté à Buchenwald le 31 juillet 1944. Dans le camp, au péril de sa vie, il réussit à produire quelque 200 dessins. A son retour, un ami, le poète Aragon, organise une exposition de ses œuvres, témoignages des conditions de vie dantesques des déportés. Il meurt en 2005 à  Paris en laissant un témoignage artistique exceptionnel.

 

La libération des déportés du Kommando de Linz

Une libération chaotique.

 

 « Fin avril, début mai 1945. Après 40 ans, il est difficile de préciser exactement combien de jours les survivants du camp de LINZ (Kommando de MAUTHAUSEN) entendent un bruit sourd au lointain.

 Apparemment ce grondement se précise de plus en plus.

 Nous savons grâce aux prisonniers de guerre Français transformés en travailleurs libres occupés à l’usine GOERING (fabrique des chars « Tigres ») que les troupes alliées se rapprochent et que c’est du peu !!!

 Nous nous trouvons pratiquement à la jonction des armées américaines et soviétiques.

 Mais par qui serons-nous libérés ?

 Le 5 Mai au matin, nous sommes tous rassemblés sur la place d’appel, même ceux qui ont travaillé de nuit mais excepté toutefois les occupants de l’infirmerie : malades, infirmiers, médecins avec lesquels restent quelques gardiens.

 Surprise ! Un demi pain est remis à chacun et peu après une interminable colonne s’ébranle encadrée par les SS et leurs chiens.

 Que se passe-t-il ? Habituellement notre ration de pain beaucoup plus réduite est distribuée le soir avec la louche de soupe au retour du travail.

 D’autre part, nous ne prenons pas la direction de l’usine GOERING mais le sens opposé.

 Nous suivons des voies de fer et bientôt traversons le DANUBE grâce à un pont ferroviaire resté miraculeusement intact.

 Après plusieurs heures de marche, nous nous retrouvons dans les bois et l’ordre est donné de s’arrêter.

 Nous comprenons que le chef de camp a décidé de faire procéder à l’évacuation  avant l’arrivée des troupes libératrices.

 Mais que vont-ils faire de nous ? Quels sont les ordres ? Chacun s’interroge. L’attente est interminable. Certains très éprouvés par la marche et la station debout s’assoient timidement. Les SS n’ayant aucune réaction, peu à peu tous les imitent et commencent à se restaurer avec le pain.

 Deux ou trois heures se sont écoulées depuis notre pause.

 Soudain, coup de sifflet, et de nouveau rassemblement. Le bruit circule que nous retournons au Kommando qui a été libéré. Est-ce bien la réalité ?

 Effectivement, nous empruntons le même chemin qu’à l’aller. Peu avant notre arrivée, arrêt. Des coups de feu retentissent. Les camarades infirmiers et médecins ont par surprise désarmé leurs sentinelles et viennent à notre rencontre après avoir au préalable envoyé un émissaire pour confirmer la libération du camp.

 Quelques SS qui nous encadrent tentent vainement de résister. Deux ou trois seulement réussissent à s’enfuir dans la nature, et la marche reprend.

 Bientôt, nous voici à nouveau sur la place d’appel.

Les miradors sont vides et chose étrange, nous n’apercevons ni un soldat américain ni un soldat russe.

Les libérateurs américains sont déjà partis pour détruire les derniers nids de résistance et sans doute libérer d’autres kommandos et le camp central de MAUTHAUSEN.

 C’est du délire. Nous nous embrassons tous sans distinction de nationalités et rejoignons nos blocks respectifs. Mais nous n’avons pas de répit. Il nous faut ressortir des baraques presque aussitôt. Les cuisines des SS ont été dévalisées et il y a distribution de victuailles.

C’est la ruée. Pour la première fois depuis des mois, voire des années pour certains, le rétrécissement des estomacs aidant, nous mangeons à notre faim.

 La nuit est calme. Le 6 au matin, le camp semble désert. Nous restons en effet peu nombreux, car pratiquement tous les Russes sont partis pour essayer de rejoindre leurs collègues de l’Armée Rouge qui doit être proche.

 Qu’allons-nous devenir ? Des groupes se forment et chacun émet des hypothèses sur notre retour.

 Fort heureusement, des prisonniers de guerre Français dont le Stalag est peu éloigné, viennent nous rejoindre et décident de nous emmener avec eux.

 Après une bonne réception, nous passons à la désinfection. Nos tenues rayées sont brûlées et nous recevons des vêtements civils.

Ainsi, pendant quinze jours, nous partageons la vie de P.G (prisonnier de guerre) et retrouvons également des S.T.O se trouvant dans un autre camp proche.

Quelques fois, l’ordinaire est amélioré par du ravitaillement en provenance des fermes voisines, ramené par des Français et qui nous permet de reprendre quelques forces et kilos.

 Malgré une existence nettement améliorée, le leitmotiv c’est notre retour ».

 

Les premières heures de la libération

Dessin de Stefan KRYSZAK, déporté polonais à Flossenburg

Source : en.wikipedia.org

 

 

Le retour en France

Entre joie et tristesse

 

«  Hélas l’aéroport de LINZ est engorgé par le va-et-vient des troupes alliées et tous les rapatriements divers.

 Le jour tant attendu arrive enfin et c’est par un convoi de camions GMC  américains que commence l’opération retour dans notre patrie.

 Assis sur des bancs de bois sans aucun confort, ballottés dans tous les sens, les os entrant dans la chair, nous atteignons la frontière suisse après avoir traversé les rivières à gué, les ponts étant détruits. Impossible de dire combien a duré ce premier transport.

 Excellente réception des autorités suisses qui mettent un train sanitaire à notre disposition et nous ravitaillent. Puis c’est le départ en direction de MULHOUSE où nous attend une réception identique de la part des organismes français.

 Hélas, sur le quai, nous devons supporter des moments excessivement pénibles. Des parents s’inquiètent d’un époux, d’un père, d’un fils, d’un frère … Avez-vous connu un tel ?

Quoi répondre puisque la plupart du temps nous ne connaissons pas !!

 Nous sommes alors pris en charge par la Croix Rouge.

 Interrogatoire : Quand avez-vous été arrêté ? Où ? Pour quelles raisons ? D’où venez-vous ? Avez-vous eu des maladies en Déportation ? Lesquelles ?

 Enfin, nous adressons un télégramme à la famille l’informant de notre arrivée et nous nous restaurons.

 Chacun s’inquiète des horaires des trains. Après d’ultimes recommandations (lettres, visites), c’est la séparation. Mélange de pleurs et de joies. Quand reverrons-nous ces amis qui ont partagé notre vie pendant des mois ?

 Nous nous retrouvons quelques-uns pour le Sud. A LYON, nouvelle séparation, et là, se pose le problème des correspondances. Dans notre malheur, fort heureusement que les cheveux tondus et la raie au milieu de la tête permettent  de nous faire reconnaître car des camarades sont déjà rentrés.

 Les chauffeurs de voitures et camions ne se font pas prier pour nous prendre en charge.

 Le 23 mai 1945 après midi, je retrouve mes parents. Emotion extrême- Pleurs.

 Mais je m’inquiète aussitôt de mon frère prisonnier et de mon beau-frère arrêté également le 12 février 1944, transféré à MAUTHAUSEN en même temps que moi et que je n’ai jamais revu. Il me rejoint dans la soirée et mon frère n’arrive que la semaine suivante.

 Par deux fois, c’est la même émotion que lors de ma propre arrivée. Dès le 24 Mai, commencent les visites des familles. Nous savons que certains ne reviendront pas. Par contre, avec d’autres, dont nous nous sommes séparés simplement par ordre alphabétique, nous ne pouvons rien affirmer.

Moments tragiques difficilement supportables mais auxquels il n’est pas possible de se soustraire ».

 

Bulletin n°34 et 35 de l’AFMD 13, R. Lopez



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