Actualité générale

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Denise TOROS-MARTER élevée au Grade de Commandeur de la Légion d'Honneur
29-09-2016

 Denise TOROS-MARTER élévée au grade de Commandeur de la Légion d'honneur.

 

Suite au discours de Serge KARSFELD lors de la Cérémonies aux Milles , Denise évoque de manière poignante son histoire.

 

Chers Amis,

Je tiens à vous remercier d'avoir accepté mon invitation ou plutôt celle de la Fondation des Milles, pour laquelle vous connaissez mon attachement, afin de participer à l'Honneur qui m'est fait aujourd'hui

Cet Honneur, je désire le partager avec ma Famille et mes Amis, venus souvent de loin pour me faire montre de leur affection.

Je ne pouvais commencer ce message sans rendre un vibrant et sincère hommage à ce grand Ami qui vient de disparaître en la personne qu'était Elie Wiesel, mon frère de détresse.

Ce frère qui a su par son érudition et sa sensibilité apporter son vécu sur la déportation et sur la Shoah, tout en manifestant son attachement à l’État d'Israël et à la France refuge de si nombreux rescapés des camps de la mort et de la barbarie nazie.

Un autre hommage qu'il m'est indispensable d'apporter c'est celui que je dédie à Madame Simone Veil, la femme politique la plus aimée de France, pour son intelligence et sa dignité de survivante de la Shoah.

Chers Amis,

Devant cet aréopage de personnalités, j'ai préféré laisser le soin avant moi à celui que je considère affectueusement comme mon filleul, Alain Chouraqui, pour saluer les personnalités qui ont apporté leur présence et leur amitié à cette cérémonie de distinction qui m'est faite aujourd'hui

Est-il besoin de dire que je suis particulièrement sensible que cette distinction de « Commandeur de la Légion d'Honneur » me soit remise par mon Ami Serge Klarsfeld. Serge dont le parcours, avec Beate, est connu de tous, et demeure un exemple de persévérance dans le juste châtiment des criminels de guerre et dans la Mémoire de la Shoah. Merci à Jacques Toros d'avoir tenu à les accompagner, car ce cousinage avec mon époux nous avait été révélé par Serge et nos relations en ont été renforcées.

Je suis également très fière d'être reçue et décorée dans ces lieux qui nous rappellent tant de drames, cet ancien camp d'internement et qui est devenu, avec Drancy, l'un des premiers lieux de Mémoire de la persécution des Juifs en France.

Notre travail de Mémoire a commencé en 1985 par la création de l'Amicale d’Auschwitz, Région Marseille-Provence.

Ce fut à la suite d'un voyage à Paris pour une Rencontre annuelle des Déportés, qu'il me fut suggéré par Marie Elisa Cohen, ancienne déportée, et Présidente Nationale de l’Amicale, de créer une Association à Marseille, d'autant que les négationnistes faisaient leur apparition.

Il fallait alors réagir. C'est ce que nous fîmes en organisant une rencontre nationale à Marseille avec d'anciens déportés et aussi avec des familles orphelins de leurs parents « terminés dans les camps d'Europe de l'Est.

Ce fut aussi, sous l'impulsion de Simon Hochberg et d'un collectif d’Historiens, que fut édité notre livre « Marseille-Vichy, et les Nazis, k Temps des Rafles, la Déportation des Juifs.

Le Coordinateur en fut Christian Oppetit, alors Directeur des Archives Départementales, secondé par des Historiens comme Robert Mencherini, Jean Marie Guillon, Suzette Hazzan, Renée Dray-Bensoussan, Jacqueline Ribaud.

Dans la même période, nous devions apprendre pour les Milles que cet ancien camp d'internement était en pourparlers par un projet de pseudo-historiens pour devenir un lieu de réconciliation franco-allemande. Pour nous, il n'en était pas question.

Nous étions quelques-uns à en avoir été alertés, André Claverie, Sydney et Alain Chouraqui, Alain, devenu bientôt le moteur de ce groupe, Louis Monguilan, le parrain de ma nomination, Yvette Impens, Yvette Rizbourg, et moi-même, Présidente de l'Amicale d'Auschwitz.

Il nous fallait rétablir la vérité sur ce qu'avait été réellement ce lieu d'internement en rappelant qu' il fut un tremplin pour la déportation et la Solution Finale.

Ceci, après avoir été un lieu de regroupement de brigadistes espagnols réfugiés, puis de familles de juifs repliés par force d’Europe de l'Est.

Nous avons donc sollicité la SNCF, grâce à notre regretté Albert Rouby.

Celle-ci répondait illico à notre demande, et à l'exemple de Drancy, mettait aussitôt un wagon type 1940 à notre disposition.

Restait alors pour nous de louer les services d'une grue pour l'implanter sur une voie désaffectée de la petite gare des Milles et d'en assumer la décoration intérieure avec les éléments historiques qui nous étaient dévoilés par les témoins de l'époque.

Nous constituions donc un groupe de bénévoles avec Maurice Finkestein mon époux Samy Toros, deux amis Professeurs engagés, Anny Guyot et Jacques Soussan, André Claverie Résistant de la Région Aixoise, et Ar Sydney Chouraqui, combattant de la 2° D.B., et enfin Alain qui en prenait le gouvernail.

Ce fut donc le début de l'Aventure...

Les Ets Lafarge, propriétaires de la Tuilerie, allaient par la suite nous rétrocéder les bâtiments, et participer comme Mécènes à la création de ce qui allait devenir plus tard la Fondation du Mémorial du Camp des Milles .

Dans un premier temps, une plaque était apposée sur la façade de la Tuilerie par mon amie Eva Tichauer qui y avait été internée avec son Père avant d'être expédiée à Guis, puis à Auschwitz

Au début, nos réunions avaient lieu dans un petit local de la Mairie des Milles, puis dans un préfabriqué mis à notre disposition.

Certains Millois ne regardaient pas toujours d'un bon œil les intrus que nous aurions pu être. Pourtant l'un d'entre eux, Auguste Boxer, avait été par sa bravoure et son héroïsme, un de ceux, parmi les nombreux « Justes des Nations », qui sauvèrent des Juifs au péril de leur vie.

Depuis sa création, et son officialisation par le Président François Hollande, le Mémorial a beaucoup apporté à cette belle Région entre Air et Marseille, par ce site dont le passé historique et douloureux était si peu connu.

Pourtant des hommes de foi y apportèrent leur aide, comme le Grand Rabbin Salzer et le Pasteur Manen qui essayèrent de limiter le nombre d’hommes, femmes et enfants voués à la déportation par les nazis et leurs complices.

La connaissance historique de ce lieu et l'ouverture à tous de son site, nous le devons à cette merveilleuse équipe dirigée par Alain Chouraqui, qui en est devenu le moteur, à Odile Boyer, à Cyprien Fonvieille, à Dinesh Teliuck, à Romain, à Olivia, et à tous ces jeunes qui sont devenus pour nous nos Passeurs de Mémoire ».

Que de changements depuis la petite baraque ou nous nous réunissions. C'est le prix de tous les efforts entrepris avec l'aide précieuse que nous ont alors apporté les autorités, la Sous-Préfecture, avec Monsieur Milhaud, la Mairie avec Madame Maryse Joyssains, l'Education Nationale avec Monsieur Joutard, les Historiens, les Enseignants et leur Comité Scientifique, et tous ceux qui ont apporté leur pierre à cet édifice.

Il m'a été dit que chaque jour, près de 300 personnes viennent le visiter, non seulement des groupes scolaires, mais aussi des délégations étrangères, parmi lesquelles des Allemands qui apprennent ainsi k poids des exactions commises par leurs grands-parents et dont ils porteront longtemps la responsabilité et le fardeau.

Mes Amis, je viens de situer en quelques mots l'origine de la création de la Fondation des Milles, Mémoire et Education, mais Alain aura a su le faire avant moi et mieux encore.

Maintenant, avant de vous parler de moi et de mon cursus, je tiens à rappeler le grand honneur que m'apporte la présence et le parrainage de mes Amis Serge et Beate Klarsfeld.

Leur réputation n'est plus à faire, car ils auront marqué l'Histoire de notre siècle par le travail de recherche et d'application de la Justice par la poursuite des criminels de guerre, les Barbie, les Eichman, les Papon, les Touviers, les Bousquet, qui auraient pu échapper au jugement et à la punition qu'ils méritaient

L’entreprise de recherches de, Serge et de Beate fut étayée par leurs actions de Mémoire, notamment par le travail gigantesque que fut le « Livre des Convois », et l'énumération précise et combien longue hélas, des noms et des origines des victimes « transportées » par les nazis vers les camps de la mort

Après la Libération, on nous préconisait d'ensevelir le souvenir des persécutions dont avaient été victimes les Juifs, les Tziganes, les Antifascistes. La Paix devait être reconstruite, et il fallait oublier.

Comment oublier Auschwitz, Birkenau, les chambres à gaz, les crématoires ? Comment oublier la séparation avec votre Mère sur le quai de cette Planète qui devait engloutir des milliers d'êtres humains ?

J'avais 16 ans à Pitchipoï ! Et Pitchipoï c'était Auschwitz..

Moi, à 16 ans, j'étais héritière de 4 générations de juifs provençaux de juifs alsaciens et de juifs de Constantine. Tous ayant fui l'antisémitisme en venant faire souche en Provence, les Cohen, les Marter, et les Tubiana.

Je ne vais pas vous donner ma généalogie, pourtant notre arbre remonté à la 9° génération. Il est devenu un « patchwork » pour lequel la famille interroge les plus anciens avec curiosité, dès qu'on en fait étalage.

Oui, en 1938, nous étions une famille heureuse.

Pourtant mon père Lucien, avait vu sa carriere d’ingénieur des arts et métiers Arts & Métiers brisée par la guerre de 14-18 sur l'Yser.   

A sa démobilisation, il s'était lançé dans la mécanique automobile et avait finalement acquis un grand garage en 1937, après avoir été taxi. Il était fiancé et ne voulait pas reprendre ses études.

Il se mariait donc avec ma douce Mére, Marcelle Tubiana, sa cousine au 3° degré, avec bientôt une nichée de 3 enfants.

Une famille issue des Cohen, des Tubiana, et des Marier.

Mon arrière-grand-père, Moïse Cohen, aurait été ce que l'on appelle aujourd'hui « un shipchandler », mais lui n'avait qu'ne barque dans le port de Marseille, pour ravitailler les bateaux au large.

Mon arrière Grand-Mère, Berthe, de situation modeste, cultivait le provençal dont nous étions friands lorsque nous étions petits.

Ma Grand-Mère Clémentine Tubiana, puis veuve, remariée avec Achille Marier, mon Grand-Pére, Conservateur durant 47 ans du Cimetière Israélite de la Timone. La grand-Mère gâteau qui ne nous refusait jamais rien.

Des Tantes, des Cousins..

Le lycée Thiers, puis Montgrand pour moi, des hautes études d'Ingénieur Chimiste pour mon Frére ainé André, l'apprentissage au Garage de mon Pére pour René le cadet, qui se destinait à la mécanique aéronautique.

Les vacances dans les Pyrénées ou la Savoie, les dimanches à La Ciotat en voiture familiale ou nous étions 9 ...et le chien ! Le Bonheur...

La mobilisation, mon Père envoyé en Syrie, les affres de la défaite et de l’occupation, l'angoisse de l'arrestation comme Juifs, et le sentiment pour moi et mes 16 ans, qu'il fallait fuir et se cacher chez des amis . Ce fut moi qui eut la première le pressentiment de notre arrestation.

C'était trop tard !

Ce sont des Français qui sont venus nous arrêter moyennant 50 frs par tête que leur a jeté la Gestapo au visage.

Notre triste parcours fut alors le 425 Rue Paradis, siégé de la police nazie, ou nous fûmes rejoints par ma Grand-Mère et mon frère aîné André. Ensuite, la Prison des Baumettes à Marseille, le camp d'internement de Drancy près de Paris, et enfin, le départ en wagon à bestiaux pour le camp de la mort d'Auschwitz., la fin du voyage pour le plus grand nombre d'entre nous.

A l’arrivée, sous les hurlements et les coups de trique, la première « sélection ».

Moi, j'étais encore jeune et valide. Je pouvais encore servir pour l'industrie du « Grand Reich allemand »

Alors que mon Père et André étaient considérés et tatoués comme « aptes au travail « ma Mère à qui on avait confié un garçonnet de 10 ans, ainsi que ma Grand-Mère, suivaient un autre chemin.

Ce chemin allait les conduire dans une salle de douches dont les pommeaux ne diffusaient pas de l’eau, mais un gaz mortel, le Zyclon B.

Je ne vous parlerais pas de ce séjour horrifiant subi avec des jeunes filles de mon âge dans ce camp d'extermination qu'était Auschwitz-Birkenau..

En Janvier 1945, j'ai eu « la chance » d'avoir les pieds gelés, et d'échapper à la « marche de la mort » par — 30°..

Nous étions alors environ 5000 détenus confinés au camp et condamnés à mourir, lorsque les Russes ouvrirent les portes, abasourdis par ce qu'ils y trouvèrent.

Ils soignèrent nos plaies grâce à des chirurgiens compétents, eux aussi prisonniers dans ce camp. Ils nous réapprirent doucement à manger et à marcher, aidés par la Croix Rouge Polonaise, et par des religieuses venues d'un couvent proche du camp d'Auschwitz.

Je dus attendre 4 mois avant de pouvoir me lever et faire quelques pas.

Le retour à la vie, ce fut alors, après une prudente alimentation, et des soins pour mes pieds gelés et amputés, pouvoir sortir du bloc, retrouver quelques amies de toutes nationalités sur les bords de la riviére. Contempler les cohortes d'officiers nazis prisonniers et levant haut les bras, puis voir évoluer les cosaques sur leurs montures.

Nous réapprenions à vivre, malgré nos blessures physiques et morales, mais certaines de nos compagnes nous quittaient, mortes d'épuisement

Le rapatriement semblait plus proche si nous étions en état de voyager à travers des pays encore en guerre, mais qu'allions nous trouver à notre retour à la « civilisation » .. , et qui de notre famille aurait survécu.

Le rapatriement semblait plus proche si nous étions en état de voyager à travers des pays encore en guerre, mais qu'allions nous trouver à notre retour à la « civilisation » et qui de notre famille aurait survécu.

Lorsque je suis rentrée en France, avec mon amie Maud Bloch, j'ai eu la chance de retrouver mon frère René qui s'était battu dans le maquis des Cévennes avec ses deux cousins, Georges Glasberg, et René Almeras. J'étais alors accueillie par ma Tante Reine et son Mari et leur fille Jeanine.

J'apprenais ainsi que mon frère André était vivant et soigné sur les bords du Lac de Constance.

Nous nous retrouvions alors trois orphelins, et il fallait réapprendre à retrouver un certain équilibre après les épreuves que nous avions mâles, sans beaucoup d'aides d'ailleurs des institutions françaises.

J'ai aujourd'hui 88 ans. Je me suis mariée avec un Juif Grec dont 23 membres de sa famille ont été assassinés durant la Shoah.

Je n'ai pas eu d'enfants.

Mais nous avons été heureux, car nous avions un passé qui nous rapprochait, et malgré nos petits moyens, nous avions soif de vivre.

Plus tard, j'ai consacré une grande partie de mon existence à témoigner auprès des jeunes scolaires, collégiens, lycéens. J'ai milité afin d'expliquer à cette belle jeunesse que nous devions bannir toute forme de racisme et d'antisémitisme.

Ce contact avec les Jeunes m'a largement payé de mes efforts par une compréhension plus sensible de cette Sème génération qui était plus à notre écoute que ne l'avait été la nôtre ou celle d’après, tous alors désireux d'oublier les affres de la guerre et de l'occupation.

J'ai réalisé ces témoignages avec mes camarades de l'Amicale d'Auschwitz, en mémoire de nos parents, et des millions de juifs, slaves, tziganes, et combattants antifascistes, qui ont perdue vie pour la Liberté de notre Monde et de notre Civilisation.

Cette civilisation pourtant bien malade aujourd'hui avec la montée du radicalisme, du terrorisme, et d'un avenir assombri pour notre Jeunesse.

Lorsque nous sommes revenus d'Auschwitz, le Monde proclamait « Plus jamais ça », en pensant aux internés, aux prisonniers, aux torturés, et aux déportés *assassinés sous nos yeux.

Mais qu'en serait-il advenu, si des Institutions comme la Fondation du Camp des Milles n'en instruise les jeunes générations.

Dans mon engagement, et à mon retour, j'ai voulu, de mon écriture d'adolescente, retracer sur un cahier ce qu'avait été ce « passage » dans l'enfer d'Auschwitz.

Je pressentais alors, après l'indifférence manifestée par certains, que cette partie de notre Histoire serait niée ou amoindrie par des négationnistes qui considéreraient cette période inhumaine et tragique comme un « détail de l'Histoire » pouvant aller à l'encontre de leur idéologie.

Qu'ils aillent donc voir sur place ces baraquements sordides dans cette plaine lugubre peuplée de corbeaux, qu'ils aillent donc voir ces vitrines du camp ou sont conservées des layettes de bébé, des jouets, des prothèses d'handicapés, des cheveux, des appareils dentaires prélevés sur les gazés et les brûlés.

Qu'ils me disent ce que sont devenus non Père, ma Méré et ma Grand-Mére ,

Et ces millions d'innocents juifs, prêtres catholiques ou protestants slaves, tziganes, antifascistes de toutes origines...

Peut-être les indifférents comprendront-ils alors l'amplitude de ce qu'a été la Shoah et le génocide qui aurait pu emporter notre civilisation si l'idéologie du nazisme avait étendu son spectre sur notre planete.

 

Chers Amis,

Cette distinction de « Commandeur de la légion d’honneur » qui m’est décernée aujourd’hui, et qui m'honore profondément,

Je la dédie à mes Chers parents et je voudrais la partager avec tous ceux qui ont été exterminés au nom d’une idéologie contre laquelle il faut toujours se battre et jamais se soumettre.

C'est mon message de conclusion pour les jeunes qui prendront notre relais, et qui deviendront

NOS PASSEURS DE MEMOIRE

 

Denise TOROS-MARTER



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