Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Barthélemy OLIVER et son frère Antoine Matricule 64 748 (Sachsenhausen)
06-08-2016

 Renée Lopez

Extrait du Bulletin de AFMD N°-31 de juin 2016

 

Barthélemy OLIVER et son frère Antoine

22.11.1922 — 3.01.2016

Matricule 64 748 (Sachsenhausen)

 

Barthélemy Oliver nous a quitté le 3 janvier 2016.

Il soutenait nos actions et était un adhérent fidèle de l'AFMD.

Afin d'honorer sa mémoire et celle de son frère Antoine, nous écrivons ces quelques lignes.

Un enfant du Vieux Port

D'origine espagnole, il arrive en 1923 à Marseille dans les bras de sa mère à l'âge de trois mois.

Il a passé son enfance dans les quartiers du Vieux Port où il vivait heureux, entouré de ses parents et de son frère Antoine de trois années son aîné.

« J'ai longtemps souffert de la réputation que 1 'on a faite au Vieux Port .... Pour moi, pour tous les gens pauvres qui y habitaient, le Vieux Port c'était autre chose. Là, avant la guerre vivait tout un petit peuple de Napolitains, de Juifs d'Afrique du Nord, d'Espagnols, de Grecs, d'Arméniens, de Corses ... Ils étaient peintres de bateaux, dockers, pêcheurs ....Mais à l'école lorsque le maître nous parlait de Vercingétorix et de Victor Hugo, nous nous sentions tous Marseillais.

Je ne suis pas allé au dessus de La Canebière avant l'âge de dix ans.

Mon père était cordonnier, ma mère faisait des ménages. Nous n'étions pas riches mais nous étions heureux »

Peu attiré par les études, Barthélemy souhaite travailler le plus tôt possible. Son frère alors employé dans une usine de chaussures située au pied de notre Dame de la Garde, lui trouve un emploi d'apprenti au même endroit.

En 1936, lors des grandes grèves qui ont précédé l'élection du Front Populaire, il participe à des collectes pour ravitailler les grévistes. Son frère milite à la cellule du Parti communiste du Mazeau (un quartier du Vieux Port), engagement qui leur vaudra un licenciement en 1939 à la suite du Pacte germano-soviétique. « Mon père était vaguement socialiste, mais notre famille était antifasciste à 100% »

Barthélemy, trop jeune, et Antoine, réformé pour cause de typhoïde, échappent à la mobilisation de 1939. Le manque de main d'oeuvre consécutif à la mobilisation leur permet de retrouver du travail ce qui n'empêche pas Antoine de continuer clandestinement ses activités politiques dans le quartier : « de temps en temps je partais avec Antoine , coller des papiers sur les boîtes à lettres et les murs... »

Ces activités ne seront pas étrangères à l'arrestation des deux frères!

La rafle de Janvier 1943

Barthélemy n'est pas au courant de ce qui se passe dans les autres quartiers de la ville, mais il se souvient parfaitement du déroulement des expulsions du Vieux Port.

« Dans la nuit du 22 au 23 janvier, des policiers français sont venus taper à la porte de notre appartement. Ils nous ont demandé nos papiers d'identité : très bien, vous êtes en règle, mais interdiction de sortir... ». Le lendemain nous sommes sortis dans la rue. Des barrages de la police allemande interdisaient tous les accès au Vieux Port, nous étions enfermés dans le quartier. Nous sommes restés ainsi durant toute la journée du samedi, à attendre...

Le dimanche matin, des voitures munies de haut-parleurs ont sillonné les rues... « Vous allez quitter les lieux pour 48 heures, vous serez hébergés et vous toucherez des indemnités » Nous nous sommes retrouvés aux barrages, avec des milliers de gens du quartier. Selon les autorités, ceux qui avaient de la famille ou un autre lieu de résidence dans la ville pourraient partir avec un laissez-passer ... Nous n'avions rien, ni personne... Nous avons été embarqués dans des tramways réquisitionnés et nous nous 'sommes retrouvés à la gare d'Arenc ».

Embarqués dans des wagons de marchandises ou des wagons de 3ème classe, encadrés par les GMR (groupe Mobile de Réserve,unité para militaire de Vichy) le convoi s'ébranle vers 15 heures pour arriver à 19 heures à Fréjus.

«Le lundi, ils ont recommencé les contrôles. d 'identité. Le jeudi mes parents sont partis. Nous n'étions pas vraiment inquiets, notre tour viendrait. Le dimanche matin, nous sommes à nouveau montés dans des wagons à bestiaux. Nous étions une majorité de jeunes entre 18 et 22 ans.... Arrivés à la gare d'Arenc, nous étions tous contents... Mais le Feldgendarmerie et la police française nous ont interdit de descendre. La Croix Rouge est passée et elle nous a distribué une boule de pain et une sardine. Puis ils ont fermé les wagons en quelques secondes.. »

Compiègne

Après un voyage d'une journée et une nuit, les détenus arrivent à Compiègne.

« A l'arrivée, la police française avait disparu et nous avons été accueillis à coups de crosses par les Allemands. En rang par cinq, nous sommes partis en colonne dans les rues de la ville.

Evidemment nous ne comprenions pas ce qui nous arrivait... Au bout de quelques km, nous sommes arrivés au camp de Royallieu où il y avait foule. Là, j'ai retrouvé deux copains, Aron Sebaoun et Jean Charbit. Tous deux m'ont raconté la rafle des Juifs dans le quartier de l'Opéra. J'ai aussi retrouvé les copains de mon immeuble, Raymond, Eugène, Alexandre, François, des Grecs du Mazeau ... Nous sommes restés là pendant trois mois... Durant ce séjour à Compiègne, personne ne pensait sérieusement aux camps de concentration, la plupart en ignorait même 1 'existence. Certains évoquaient l'organisation Todt... »

Le 10 mars 1943, 786 juifs arrêtés à Marseille sont acheminés à Drancy pour être exterminés dans les camps d'Auschwitz et de Sobibor : « Tout le monde a cru qu'ils allaient partir à la maison ! César Ferrari a même donné à l'un d'eux, David, des bijoux qu'il avait gardés, afin qu'il les remettent à sa femme ».

Le 30 avril, c'est le tour des jeunes du Vieux Port, direction la gare de Compiègne.

Oranienburg-Sachsenhausen

« A notre arrivée, nous avons été accueillis par des jeunes SS de 18 ou 20 ans, avec des chiens et la matraque à la main... On nous a remis un nouveau costume : un pantalon et une veste rayée, une chemise bleue, un calot et des galoches... On m'a donné un numéro matricule : 64 748. « Ici vous n'êtes plus des hommes, seulement des matricules ».

Un copain alsacien de Marseille aide Antoine à apprendre ce numéro par coeur en allemand. Barthélemy, victime de la violence des kapos, se souvient d'un triangle vert allemand

(déporté de droit commun) « qui lui avait donné un grand coup de louche sur la tête » parce qu'il ne comprenait pas sa langue et je me suis fait le serment, qu'un jour, je lui ferai la peau ».

Après huit jours de quarantaine, il est envoyé au Kommando de Stacken comme manoeuvre. « A 1 'arrivée on m'a donné une gamelle et une cuillère. Ni fourchette ni couteau, ce qui In 'a fait dire qu'ici nous n'allions pas manger beaucoup de viande... Je me souviens qu'avec la fatigue, les coups, certains avaient rendu. C'est alors que nous avons vu des• Ukrainiens ramasser le vomi avec leur cuillère pour le manger ! ...Je me suis trouvé manoeuvre, ce qui était la pire des situations. »

Barthélemy travaille à la construction du futur camp de Falkensee situé à 5 km de Sachsenhausen. Levé à. 4 heures du matin, la journée commence à 6 heures. Les coups pleuvent sur la tête, les épaules ou les reins, « mais ils ne nous laissaient jamais KO. Ils n'étaient pas fous, il fallait que le travail se fasse. Le soir au retour, l'appel pouvait durer des heures ».

Parmi les chefs de block, il y a des brutes, comme Stéfan, un Allemand d'origine polonaise mais aussi d'autres comme Gustav, un ancien député communiste allemand qui respecte ses compagnons de malheur.

Barthélemy est aussi très inquiet pour son frère Antoine qui, atteint de dysenterie, a été envoyé au Revier (infirmerie) après quinze jours à Stacken. Il réussit à lui rendre visite avant qu'il ne parte pour « un camp de repos qui s'appelle Bergen-Belsen ». Barthélemy ne reverra plus jamais Antoine.

La libération

Alors que les déportés entendent distinctement les coups de canon qui annonce peut-être une libération proche, les Résistants du convoi des 84 000 organisent une défense des déportés pour éviter une évacuation. « Finalement, tout cela n'a servi à rien. Un beau matin, les SS ont disparu et les chars soviétiques sont arrivés, sans que nous ayons besoin de combattre... Je me suis rappelé de Robert, le vert allemand qui m'avait donné un coup de

louche sur le crâne à mon arrivée... C'était une brute, un mouchard, pire que les SS               Nous
l'avons massacré ».

Après la libération du camp de Sachsenhausen, Barthélemy se souvient que « les Russes ont été très bien avec nous. Par exemple pour enterrer les cadavres, ils ont réquisitionné les civils allemands et, à nous, ils nous ont dit de nous reposer._. ils nous donnaient du pain, de la confiture, des morceaux de viande. Cela m'a rendu malade .. J'y suis resté un mois et demi environ, puis les Soviétiques nous ont ramenés jusqu'à l' Elbe (fleuve) pour nous remettre aux autorités américaines ».

Les déportés sont installés dans un train de troisième classe qui traverse la Hollande et la Belgique pour atteindre Maubeuge. De là, il fait parvenir un télégramme à Marseille pour prévenir ses parents de son retour. Quand ils l'ont retrouvé à la gare St Charles « ils pleuraient et ils m'ont demandé tout de suite si j'avais des nouvelles d'Antoine .. durant les semaines qui ont suivi, nous regardions la liste des rapatriés dans le journal .. moi, j'avais rencontré des rescapés de Bergen-Belsen, et j'avais appris que c'était encore pire que ce que nous avions vécu, il y avait eu le typhus... Au bout de trois mois , nous avons été sûrs que c'était fini, qu'il ne rentrerait pas, qu'il avait fini dans une fosse commune, sans même une sépulture décente .. Sa mort a été un coup dur pour moi.. Jusqu'à la fin de sa vie, ma mère, chaque dernier dimanche d'avril, pour la Journée de la Déportation, n'arrêtait pas de pleurer. Deux ans après mon retour, mon père a crié au petit matin : « Antoine , réveille-toi, cela va être bientôt l'heure ».

Toute sa vie Barthélemy Oliver a oeuvré pour le souvenir de ses compagnons et a adhéré à l'Amicale de Sachsenhausen.

Il a offert son pantalon de déporté au Musée de Marseille (celui du Mémorial des Camps de la Mort ), nous le reverrons peut-être lorsque le Mémorial rouvrira ses portes ... il serait

question de 2019 !                                                                                                                  RLT

Renée Lopez

Ce texte a été réalisé à partir du livre : « Mémoire de déportés. Histoires singulières de la déportation de Patrick COIJPECHOUX. Editions La Découverte. 2003



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