Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Souvenir d' Edouard ALEXANDER
14-12-2015

 

Le Tunnel Riquier

Première voie ferrée - Zone sud

 

Je vais vous raconter le premier sabotage de la voie ferrée zone sud, je dis zone sud parce que je n'ai pas pu savoir s'il y en avait eu, avant, en zone occupée.

Précisons les dates : en novembre 1942, l'Afrique du Nord est délivrée par les forces alliées.

La zone sud est violée par les Allemands, sans réaction de VICHY, sauf De LATTRE qui se rebelle avec un baroud d'honneur.

Notre belle flotte, sacrifiée sans combat. Honte à LABORDE, MARQUIS, PLATON (que WEIGAND appelait la honte de la France" et PÉTAIN.

Je rappelle que les seuls marins qui ont refusé la défaite sont l'Amiral MUSELIER et le Commandant L'HERMINIER.

Le 15 novembre .1942, LEON et moi recevons BOIS, Chef National des Groupes Francs qui nous demande d'effectuer de nombreux sabotages. Nous en faisons 4 (des magasins collabo).

Mais BOIS en veut plus, et mieux. Il en veut un "gros".

Toute la journée, nous cherchons. Puis quelqu'un nous apprend que MUSSOLINI va en Espagne, par la voie ferrée, voir FRANCO : c'est le sabotage rêvé.

C'est la voie ferrée par où passe la ligne de chemin de fer NICE-CONI'.

Objectif décidé. Léon et moi allons voir les lieux. La voie est très encaissée. On l'atteint en descendant une colline d'une centaine de mètres. Un mur de deux mètres entoure la colline.

Objectif vu, préparation : bombe, plastic, détonateur, pas de bickford et de crayons allumeurs. LEON fabrique une mise à feu avec un fil électrique dénudé, il fait un tortillon qu'il glisse dans un détonateur fixé par de la cire.

Du tortillon partent deux fils, l'un à la plaque de plomb, l'autre aux piles. On essaie, ça marche. C'est un circuit électrique branché sur deux piles, que je suis allé me procurer chez mon oncle TAFANI, qui mettront le feu par deux plaques de fer qui se rejoindront au passage du train.

Les 4 seront MAIGRET (mon frère), BROWN (LEON dans la Résistance), ISSAURAT, et moi pour la protection. Comme toujours CARISIO est en retard.

Armement : une mitraillette STEIN - 3 revolvers - 4 gamons.

21 h : départ. 21 h 3o sur place au pied du mur que je franchis le premier. Assis sur le mur, je voie mes trois amis, face tendue, mitraillette braquée, j'en souris encore. Nous passons tous et descendons la colline. On n'imagine pas le bruit que peut faire une feuille sèche dans le silence !

Pendant que la sentinelle parle près du poste de garde, nous entrons dans le tunnel et parcourons I0 à15 mètres. ISSAURAT et moi des deux côtés de la voie ( j'ai pris la mitraillette) en garde.

LEON et MAIGRET, deux mètres plus loin, installent la bombe. Cela demande 4 à 6 minutes.

Ils ont une petite lampe électrique pour pouvoir travailler. Je vois cette lampe comme un luminaire. Je leurs dis "cacher la lampe en mettant les deux mains en coquille, car on la voie à Nice", ce qu'ils font et je vois plus que le halo.

ISSAURAT m'appelle tout le temps. "Si la sentinelle arrive, qu'est ce qu'on fait ?" "Ferme-là". J'ai l'impression qu'il a peur. Plus que nous. Je vais le rejoindre de l'autre côté de la voie pour le calmer et je m'allonge. Je trouve que cela sent mauvais. Je dis "ça pu ici". Réponse d'ISSAURAT "C'est moi qui me suit fait dans le pantalon". Salaud !

Nous entendons très bien les souliers cloutés de la sentinelle crisser sur les pierres de la voie. A ce moment LEON dit "Messieurs, c'est prêt, nous pouvons tous sauter !"

Au moment où nous allons sortir, la sentinelle arrive, je lui saute dessus. "Silenzio o sei morte !". MAIGRET dit "qu'allons-nous faire ?" LEON, toujours pratique, dit "ça". Il lui fait sauter le casque et avec son 7,65, il l'assomme. Nous le sortons du tunnel et l'allongeons dans le fossé.

Nous remontons. Quel bruit ces broussailles, et nous rentrons par le train, très tranquillement, nous nous séparons LEON et moi d'un côté, MAIGRET et ISSAURAT de l'autre.

Je dis "LEON, cette fois on risque vraiment de sauter" et je lui explique. Je mets ma main sur la poche pour éviter un nouveau débobinage, et LEON, main dans la poche pour sortir la grenade et le ruban. Très lent mouvement, elle sort à moitié déroulée.

Nous ré-enroulons et prenons un café royal pour l'époque, avec grosse rigolade. On n'a pas fini le café qu'on entend un grand boum.

Le lendemain matin, je vais travailler et je longe le boulevard Rambaldi, sur le pont il y a 5 sentinelles alors que d'habitude il n'y en ci qu'une. Je ne fais pas la liaison !

Arrivé au bureau, LANTERI me saute dessus.

- 'Tu sais, cette nuit on a fait sauter le tunnel du Riquier".

Moi

-"Ah bon !"

Lui

- "Je les connais, ce sont de drôles de durs !

"Ah !

(A la libération, j'ai dit à LANTERI 'Tu les connaissais ceux qui ont fait sauter Riquier ? Tu ne croyais pas si bien dire, c'était nous." Il fallait voir sa tête.

Le soir LEON et moi avions rendez-vous avec BOIS au Claridge, en face le Paris Palace.

BOIS, en nous voyant, se lève et nous embrasse. Il nous raconte que toute la police est sur les dents, les occupants aussi. Nous apprenons que le trafic est stoppé pour 16 à 20 heures. Mais nous avons raté MUSSOLINI.

La loco a été soulevée par le souffle et collée au mur. Les Italiens n'ont pas osé entrer dans le tunnel et ils ont envoyé les Milices français.

Effet indirect : les allemands, furieux du laxisme italien, prennent en garde tous les points stratégiques des Alpes Maritimes.

Autant d'ennemis en moins sur le front de l'Est.



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