Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Les Faits d'Armes, Ecrits, Récits

Souvenirs de Raymond BONNET
14-12-2015

 

Né le 10 mars 1920, en région parisienne, de parents modestes, j'ai fait mes études d'ingénieur à l'école des Travaux Publics de Paris.

Les années 1937 à 1939 sont pénibles pour la jeunesse (crise économique, bruits lointains de guerre). L'Allemagne envahit les territoires démilitarisés par le Traité de Versailles (1919), les pays étrangers de langue allemande (les Sudètes, l'Autriche (1938), mini mobilisation d'une partie de l'armée française (octobre 1938), les accords de Munich semblent calmer la tension mais pour beaucoup ce n'est qu'une grosse erreur de nos politiques français et anglais, ce qui se démontrera par la suite.

Au milieu de tous ces sinistres événements, la jeunesse n'y comprend plus rien. Faut-il contrer immédiatement Hitler, mais ce serait la guerre, avec son triste cortège d'horreurs (beaucoup de gens ont un membre de leur famille ayant fait la guerre de 14/x8), ou bien laisser faire et admirer l'arrogance d'Hitler ? Voilà l'état d'esprit de cette jeunesse avant la guerre. Le pacte germano-soviétique de septembre /939 "déboussole" une partie de cette jeunesse faisant une confiance absolue à l'URSS.

La guerre est déclarée en septembre 1939 !

Je suis mobilisé en 1940, j'ai juste 20 ans. Fait prisonnier de guerre le 18 juin je suis embarqué pour un "komando" près de Fulda en Allemagne. La jeunesse est abattue. Nous ne pensions pas que nous arriverions aussi bas dans le déshonneur. Notre armée, dont on vantait les qualités, est anéantie. Le pays, occupé sur les 2/3 de son territoire, et de plus, chose incroyable, le Chef de l'État qui s'est couvert de gloire à Verdun (14/18) collabore avec l'ennemi.

Dans les "komandos" beaucoup de jeunes acceptent cette situation avec difficultés, très dégradante, ils ne l'ont pas voulu. Moi-même, je fais la forte tête, je vais même me battre contre les gardiens, ce qui me vaut mon transfert dans un camp disciplinaire et des séjours fréquents en cellule. J'ai peur d'une fin tragique et je réussis à m'évader en août 1942. Évasion longue et difficile.

J'arrive en zone sud non occupée en septembre 1942, à Cannes, chez une cousine qui accepte de m'héberger. La chance me sourit, un bureau d'études d'aviation (800 dessinateurs) s'est replié de la région parisienne, j'y trouve une place. Le climat social est malsain. La collaboration avec l'ennemi s'intensifie, la zone sud est occupée en novembre 1942, la flotte de Toulon se saborde. Les restrictions alimentaires, la guerre semblent interminables. La jeunesse est écrasée par tous ces évènements. Mes pensées sont restées près de mes camarades en Allemagne. Je suis en pleine dépression. Je participe au "centre d'entraide des prisonniers de guerre" de Cannes. Après échange d'idées, j'accepte de les aider pour fabriquer de faux papiers, des tickets d'alimentation et de faire quelques missions. Nous nous retrouvons quelques-uns. Tous évadés. Le courage me revient, je me sens utile !

Dans mon travail, nous sommes tous jeunes, l'espoir reprend. Après avoir rompu le pacte germano-soviétique, après un début de guerre fulgurant, les armées allemandes battent en retraite (Stalingrad est un grand jour), les Alliés débarquent en Afrique du Nord. Le jeunesse reprend courage.

Ayant des camarades partis en Angleterre, je veux les rejoindre. Je veux participer au renouveau. Appel du Général De Gaulle.

Je ne pars pas pour Londres mais on m'affecte dans les services de renseignements de la France Combattante sur le bassin méditerranéen, en prévision d'un débarquement éventuel. Basé à Cannes, mon secteur va de Nice à Cannes. Ayant un vélo, je parcours la zone en signalant les barrages anti-chars, les blockhaus imitant des villas, toutes modifications sur le terrain, le N° des régiments allemands, leurs positions, l'emplacement des batteries d'artillerie, etc...

Je convoie parfois des hauts responsables surtout américains de Nice à Lourdes et qui gagneront l'Espagne avec un passeur que les services ont mis en place.

J'ai fait une longue mission sur Toulon : relevé de fortifications, en ville et en banlieue, positions des batteries côtières, positionnement des forts et de leur défense, établissement de plans, photos. C'était un gros travail, très dangereux. Mais qui a obtenu les félicitations de l'Etat-Major de la dème armée américaine.

Tous ces renseignements étaient transmis à un agent venant d'Alger, avec toutes les précautions d'usage, tous les 15 jours, dans les bureaux de la poste de Cannes.

Les réseaux de renseignements sont très cloisonnés, je ne connaissais que mon chef direct, un agent parti en mission à Alger, l'agent de liaison et le radio (qui était une femme !).

J'étais plein d'espoir, fier d'être utile à mon pays, mais brutalement la catastrophe arrive : mon chef est arrêté par la Gestapo. Par miracle il peut me faire prévenir de ne pas aller à la poste comme prévu, il a peur qu'une souricière soit tendue par la police allemande. Ne connaissant pas mon adresse personnelle, la Gestapo vient m'arrêter sur mon lieu de travail. Heureusement, c'était un samedi et les bureaux étaient fermés. Les Allemands repartent en promettant de revenir. Après leur départ, le gardien prévient immédiatement notre directeur de l'incident, et il fera tout son possible pour m'avertir et me donne l'ordre de ne plus paraître au bureau d'études. La radio est arrêtée, torturée et fusillée à Nice (une rue porte son nom).

Traqué, je me cache à Paris où j'ai des relations. Je suis pris en charge par le groupe "Résistance Fer" qui me "planque" dans un grand dépôt de chemin de fer de la banlieue parisienne.

N'étant pas assez actif, je prends contact avec le Mouvement de la Libération Nationale de la région parisienne : sabotage, renseignement, coup de main contre les dépôts de carburant.

Le débarquement en Normandie commence. Tous les mouvements de résistance sont en alerte, nos actions se multiplient et arrivent les combats de Paris et de sa banlieue. Notre mouvement participe très activement à ces actions, mais avec des pertes. Fin août 1944-

Notre jeunesse, après ces terribles moments de désespoir, de crainte, retrouve sa vigueur, son enthousiasme et sa foi dans l'avenir. Le Général De Gaulle est à Paris.

Certains, qui avaient fait le mauvais choix, ont accusé leur erreur et retrouvé le bonheur dans cette période bénie ouvrant à nous, jeunes, l'espoir et la réussite.

Ces deux années passées avec les F.F.C. et les F.F.I. ont été exaltantes. Combattre pour son idéal "La Patrie", c'est le but de tout homme responsable. Mais ces années ont été stressantes car la moindre faute pouvait être fatale. J'ai eu peur, jour et nuit, pendant ces deux années (août 1942- août 1944)



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